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Laurie Larvent, Espérances ouvrières. Elie Larvent ouvrier, prédicateur, écrivain

Préface de Régis Dericquebourg, postface de Jean Vilbas, Arras : Artois Presses Universitaires, « Études des Faits Religieux », 2022, 207 p.

Bernard BLANDRE

L’auteur, docteur en histoire, rédige ici une biographie de son grand-père qui a implanté le Mouvement Missionnaire Intérieur Laïque (MMIL) en France du Nord et en Belgique.

Élie Larvent (1882-1954), mineur puis fraiseur, est né dans une famille baptiste du Nord de la France qui adhéra en 1906 au mouvement des Étudiants de la Bible dirigé aux États-Unis par Charles T. Russell. Élie en fut la cheville ouvrière, structurant l’organisation, traduisant et diffusant en français la littérature russelliste. Il eut trois enfants : Moïse adhéra au Parti Communiste Français mais les deux autres furent actifs dans le MMIL : Éveline et Élie, le père de Laurie.

En 1922, Élie Larvent rompit avec la Société de la Tour de Garde prise en mains par Joseph Franklin Rutherford, successeur de Russell (le mouvement des Étudiants de la Bible avait éclaté en plusieurs branches à la mort du fondateur en 1916). Il dirigea une Association des Étudiants de la Bible de Denain, indépendante et fidèle au russellisme, qu’il défendit contre Frédéric-Louis-Alexandre Freytag, le fondateur des Amis de l’Homme. À partir de 1925, il se rallia au Mouvement Missionnaire Intérieur Laïque dont il diffusa les livres du fondateur Johnson, présenté comme héritier de Russell, et entraîna des étudiants de la Bible polonais. Pasteur à plein temps depuis 1943, il n’avait qu’une ambition : être l’un des 144 000 membres de l’Église méritant d’être changés en êtres spirituels de nature divine et de régner avec le Christ pendant le millénium. Il n’a pas essayé d’obtenir la moindre promotion professionnelle, n’ayant travaillé que pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille de trois enfants. Auteur sous pseudonyme de textes profanes en dialecte rouchi, il n’a pas essayé de les publier. Ouvrier, il avait une mentalité de gauche mais n’a milité ni dans la politique, ni dans le syndicalisme. Il ne votait pas et n’a adhéré à aucune association caritative. La mort de Johnson en 1950 perturba gravement Larvent : Johnson était considéré comme le dernier des 144 000 et désormais les survivants ne pouvaient plus prétendre à être membres de l’Église. Larvent dut se résigner à réexaminer sa situation et il comprit qu’il n’était qu’un « perdeur de couronne » membre seulement de la « grande foule » composée certes, encore, d’êtres spirituels mais pas divins ni immortels. Ayant clarifié son cas, il poursuivit son activité dans le MMIL jusqu’à sa mort et contra le schisme de l’Association des étudiants de la Bible de l’épiphanie menés par John Hoeffle, en 1952.

Laurie Larvent qualifie le MMIL de Mouvement protestant millénariste sioniste. Millénariste, il l’est incontestablement : dès avant Russell, le royaume de Dieu était considéré comme imminent. Sioniste, il l’est aussi : Israël devait être restauré en Terre Sainte et occuper une fonction dirigeante pendant le millenium. Était-il protestant ? Élie Larvent a vécu sa conversion personnelle dans le baptisme, mais en se référant aux ouvrages de Russell puis à ceux ajoutés par Johnson, le MMIL est-il encore protestant ? Ses livres qui ne sont présentés que comme des commentaires de la Bible et non comme ses compléments de valeur religieuse égale, recouvrent des thématiques sur la négation de la Trinité, l’immortalité de l’âme et l’accès au Paradis ou à l’Enfer dès la mort. Ce sont ici des croyances contraires à ce que croient la grande majorité des protestants. Se demander si le MMIL est protestant nous renvoie donc à une question préalable : qu’est-ce que le protestantisme ?