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Inauguration du Jardin mémorial de la Saint-Barthélemy

Paris, 16 septembre 2022

Allocution de M. Ariel Weil maire de Paris Centre

Madame la Maire

Mesdames et messieurs les élus,

Mesdames et messieurs les Autorités civiles ou militaires

Chers amis,

Il y a des anniversaires qu’on célèbre dans la joie. Celui de Molière, dont le rire nous parvient avec éclat. D’autres, plus sombres, dont on aimerait qu’ils ne soient pas advenus, mais qui ont changé à tout jamais l’histoire de Paris et de la France. Le massacre de la Saint-Barthélemy, symbole de l’horreur et de l’intolérance religieuse, en est l’illustration.

Survenu peu après les noces de Marguerite de Valois et Henri de Navarre dans un contexte supposé de réconciliation et de paix, il se distingue par son extrême barbarie. Plus de 3 000 victimes à Paris, 10 000 en province.

450 ans plus tard, il est donc essentiel de le com-mémorer, de le garder en mémoire, et même – pour emprunter le mot de Paul Ricœur – de « travailler » sa mémoire, pour que le deuil du passé puisse agir sur la direction du présent. Pour que l’histoire des guerres de religion maintienne éveillée en nous une vigilance accrue face à l’intolérance et à la discrimination.

La mémoire, c’est un muscle actif qui fait le choix du souvenir. En tant que maire de Paris Centre à la tête des quatre arrondissements qui dessinent ce qu’était alors toute la ville de Paris, je souhaite que notre paysage urbain intègre dans sa mutation permanente la conscience historique sans laquelle aucun avenir ne peut raisonnablement se construire.

Aujourd’hui, aux côtés de la maire de Paris, Anne Hidalgo, et des invités qui nous font l’honneur d’être présents, le pasteur Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France, madame Isabelle Sabatier, présidente de la Société de l’histoire du protestantisme français, madame Aurore Saglio-Thebault, présidente de l’Église protestante unie de l’Oratoire, monseigneur Olivier Ribadeau-Dumas, recteur de la cathédrale de Paris, le grand rabbin Haïm Korsia, monsieur Elie Korchia, président du Consistoire central israélite de France, monsieur Khaled Larbi, imam représentant le recteur de la Grande Mosquée de Paris, et monsieur Jérémy Foa, historien et auteur notamment du remarquable ouvrage Tous ceux qui tombent, je suis à la fois ému et fier que tous ensemble, toutes confessions réunies, nous puissions inaugurer le « jardin mémorial de la Saint-Barthélemy ».

Adjacent à l’église Saint-Germain l’Auxerrois dont le tocsin sonna le point de départ de la tragédie, ce jardin, situé à quelques mètres seulement de l’Oratoire du Louvre – qui abrite depuis 1889 la statue de l’amiral de Coligny (devant laquelle nous nous sommes recueillis le 24 août dernier) – ce jardin donc, se doit d’être le symbole de la réconciliation.

Son inauguration marque aussi la première étape d’un projet urbain plus ambitieux encore. Je rêve que cette place du Louvre, depuis la colonnade de Perrault jusque l’église, soit repensée. Ce devrait être l’un des plus beaux endroits de Paris, il lui faut donc un projet à sa hauteur, qui rende justice à l’histoire sanglante et plurielle dont elle a été le témoin. Ce doit être la dernière pièce maîtresse, achevant la perfection de ce territoire qu’est le centre.

Ce jardin, nous le dédions aux milliers de victimes protestantes dont la plupart des noms ont été tus ; dont la plupart des corps, jetés à la Seine, n’ont jamais trouvé sépulture. Ce jardin, nous le leur dédions pour réparer leur souvenir et leur faire une place parmi nous, dans le renouveau de la ville. Antigone défiait l’autorité du roi Créon en recouvrant secrètement de terre le cadavre de son frère. Par la même symbolique, nous souhaitons rendre, ici même, dans ce jardin à cultiver, leur part de dignité à toutes les victimes de la Saint-Barthélemy.

Ce travail de reconnaissance, de restitution d’une dignité bafouée, Jérémie Foa, c’est ce que vous avez fait dans votre ouvrage. Quittant le Louvre pour se rapprocher des pavés et comprendre l’exercice du crime depuis la rue, vous faites la démonstration d’un massacre de la Saint-Barthélemy « de proximité », non prémédité, mais maintes fois « répété », par le biais de persécutions préalables.

Surtout, vous donnez un visage, une identité, un récit, à des victimes demeurées trop longtemps anonymes : Marye Robert, la femme du commissaire, Antoinette de Sesta, la femme battue, Pierre et Isaac Thenard, tués par leur père… Grâce à votre écriture fine et sensible, ces personnes retrouvent enfin la parole qui leur a été dérobée.

Depuis que je suis maire, j’ai tenu à associer à toutes nos entreprises commémoratives, le savoir critique de l’historien. Cette approche inédite nous invite à déplacer notre regard, à aborder le sujet historique avec acuité et humanité. Je suis très heureux que vous soyez à nos côtés, aujourd’hui, pour inaugurer ce jardin de mémoires vives.

J’ajoute que les liens entre l’Histoire protestante et la persécution sont profonds et manifestes, y compris à des époques bien plus proches. Je pense évidemment à la Résistance des organisations protestantes, au Chambon-sur-Lignon, mais aussi, plus près de nous pendant l’Occupation et la Déportation, au travail de sauvetage de Juifs qui vaut au pasteur de l’Oratoire et à sa femme, Paul et Marcelle Vergara, ainsi qu’à Marcelle Guillemot, d’être Justes Parmi les Nations. Je souhaite, avec la Maire de Paris, Laurence Patrice et Karen Taïeb, que leur mémoire soit donnée à des lieux proches d’ici.

Pour revenir à notre jardin, je suis très heureux également que ce projet de dénomination ait été porté comme une évidence, et je veux remercier ­chaleureusement Anne Hidalgo et ses adjointes, avec qui nous partageons tant.

Allocution de Mme Isabelle Sabatier Présidente de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français

Madame la Maire de Paris,

Monsieur le Maire de Paris-Centre,

Monsieur le Président de la Fédération protestante de France,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames, Messieurs,

Au nom de la Société de l’histoire du protestantisme français, je tiens tout d’abord à vous remercier de l’occasion qui nous est offerte de nous rassembler autour de la mémoire de la Saint-Barthélemy, 450 ans après cet événement tragique de l’histoire de France : un massacre en pleine paix, une tuerie de masse ciblant les protestants, à Paris d’abord, puis dans d’autres villes.

Cet événement lointain, qui débuta le 24 août 1572, devenu synonyme du comble de la barbarie, est d’une certaine manière un « lieu de mémoire » qui résonne encore dans la mémoire scolaire des Français et peut résonner avec une histoire plus contemporaine, avec d’autres pogroms, d’autres crimes contre l’humanité.

Un lieu de la mémoire collective qui, au fond, est resté sans lieu. Sans lieu clairement identifié à Paris. J’exagère un peu. Il y a eu déjà au moins deux lieux à Paris.

Sous la Révolution, la pièce très politique de Joseph-Marie Chénier Charles IX ou la Saint-Barthélemi, jouée à Paris dès 1789, avait relancé, en l’actualisant, la mémoire du massacre. Le 29 vendémiaire de l’an II (1793), les sans-culottes du Conseil général de la Commune de Paris votèrent une inscription à porter sur le cadran de l’horloge du Palais de la Cité qui avait sonné le massacre de la Saint-Barthélemy. Une « inscription qui – je cite – puisse faire crier au peuple : Anathème à Charles IX, anathème à Medicis ! anathème au cardinal de Lorraine ! anathème aux prêtres et à tous les rois ! » On ne sait ce qu’il advint de ce vœu.

Mais le même jour, pour le même sujet, le président du Conseil de la Commune de Paris proposa qu’une plaque soit « placée sous la fenêtre du Louvre d’où l’infâme Charles IX – je cite encore – a tiré sur ses sujets ». Comme on fit observer que cette fenêtre n’existait plus, le Conseil arrêta « qu’à cet endroit il sera dressé un poteau infamant pour la mémoire des rois ». Ce qui fut fait : du moins en 1797, ce poteau d’infamie était en place, quai du Louvre. Non pas à la mémoire des victimes, mais à l’exécration des bourreaux, des tyrans, rois et clergé en bloc.

Sautons un siècle, puis deux.

Très indirectement, la statue de Coligny au chevet du temple de l’Oratoire du Louvre, inaugurée en 1889, et – tout près d’ici – la rue de l’Amiral-de-­Coligny, ainsi dénommée en 1972, geste du Conseil de Paris à l’occasion du troisième centenaire de 1572, ces deux lieux peuvent être considérés comme des lieux de mémoire de la Saint-Barthélemy. Mais dans les deux cas, c’est le patriote protestant Coligny qui est honoré, sans qu’il soit question du massacre où il périt.

C’est bien en 2016, pour le 444e anniversaire de la Saint-Barthélemy, que fut inscrite pour la première fois à Paris la mémoire de ce massacre hors norme, du côté des victimes, assassinées pour leur religion protestante. Un lieu symbolique quoique discret avait été choisi par la Ville de Paris de concert avec les institutions protestantes : au pied du Pont-Neuf, au ras de la Seine dont les eaux avaient charrié tant de cadavres.

Les vers des Tragiques d’Agrippa d’Aubigné cités sur la plaque : « Jour qui avec horreur parmi les jours se compte, qui se marque de rouge et rougit de sa honte », résonnaient, résonnent encore, avec le temps présent comme une leçon d’avenir.

Et nous voici, en 2022. Le 450e anniversaire du massacre du 24 août 1572 a été inscrit au nombre des anniversaires officiellement commémorés par l’État en 2022 ; et vous-même, Madame la Maire de Paris, avez souhaité marquer plus fortement la mémoire de cette histoire dans la ville de Paris. Un mémorial plus explicite, plus visible, sera désormais présent au cœur du quartier témoin du massacre de 1572, dès ses premières heures. Un mémorial enraciné au pied de l’église Saint-Germain l’Auxerrois, dont le tocsin donna le signal de la tuerie (de concert avec l’horloge du Palais).

Ce mémorial est à quelques pas de la rue de l’Amiral-de-Coligny (­l’ancienne rue des Poulies) et à quelques pas de l’hôtel de Bethisy où logeait Coligny, la première et la plus emblématique des victimes.

Ce mémorial est face au Louvre, où furent tués, par les gardes du roi et les Suisses, une kyrielle de gentilshommes huguenots qui logeaient là, venus à Paris pour les noces d’Henri de Navarre avec la sœur du roi Charles IX.

Ce mémorial est au centre d’un réseau de rues de la rive droite où habitaient des bourgeois, des artisans, des commerçants, des familles, qui n’allaient pas à la messe et ne priaient pas les saints. Tous ont été des cibles des massacreurs.

Ainsi le chirurgien Antoine Sylvius, rue des Fossés Saint-Germain ; Mathurin Lussault, orfèvre de la reine, et sa femme Françoise Baillet, rue Saint-Germain l’Auxerrois ; Guillaume Lenormand, menuisier, rue de Béthisy ; rue Saint-Honoré, on cite Seret marchant, le sieur de La Beuvrière, guidon de l’Amiral, les trois enfants du sieur d’Autray, le fils du sieur de Beaujac chez Briquemaut le Père, le sieur de Theligny ; rue Saint-Jean de Beauvais, Charles Perier le jeune, fils de Charles Perier libraire, ainsi qu’un relieur de livres ; ou encore « ceux des Coppeaux, près de Saint-Thomas du Louvre ; près la Croix du Trahoir, à la bannière de France, joignant la maison du Baron de Plancy, tous les hommes, femmes, petits-enfants, serviteurs et servantes ».

Je cite un passage de Simon Goulart, qui a recueilli les témoignages de réfugiés à Genève :

« Les Commissaires, quarteniers et dixeniers de Paris, allaient avec leurs gens, de maison en maison, là où ils pensaient trouver des Huguenots, se faisant ouvrir les portes par le Roi et vengeant sur de pauvres artisans, jeunes, vieux, femmes et enfants huguenots, leur conspiration prétendue… : Étant à ce faire animés … par les Ducs d’Aumale, de Guise et de Nevers, qui allaient par les rues disant : Tuez tout, le Roy le commande. Les charrettes chargées des corps morts, de damoiselles, femmes, filles, hommes et enfants étaient conduits à la rivière… »

Rue Saint-Germain l’Auxerrois, c’est aussi là qu’était la prison du For l’Évêque (prison de l’évêque), dite aussi prison du quai de la Misère. Ceux qui avaient pu échapper à la dague, à l’arquebusade ou à la noyade, y étaient menés, répit trompeur, car « la nuit on les saccageait puis jetait-on les corps dans l’eau », comme l’écrit Goulart.

Ce mémorial est dans un jardin. Il est un jardin pour entourer de feuillages et de fleurs vivantes la mémoire de « tous ceux qui sont tombés ». Et pour méditer en promenade ou sur un banc, l’histoire de ce qui fut avant la lettre un crime contre l’humanité, un crime franco-français, contre la minorité religieuse qui revendiquait la liberté de conscience et la tolérance.

Allocution de M. le pasteur Christian Krieger Président de la Fédération protestante de France

Madame la Maire de Paris, chère Anne Hidalgo,

Mesdames et Messieurs les élus,

Monsieur le représentant de l’Archevêque de Paris,

Monseigneur Olivier Ribadeau-Dumas, Recteur de la cathédrale de Paris,

Monsieur Haïm Korsia, Grand Rabbin de France,

Monsieur le représentant du Recteur de la Grande Mosquée de Paris,

Madame Minh Tri Vo, représentant l’Union Bouddhiste de France,

Mesdames et Messieurs les représentants des cultes,

Mesdames et Messieurs les présidents des membres de la Fédération ­protestante de France,

Madame Isabelle Sabatier, présidente de la Société de l’Histoire du ­protestantisme Français,

Chers amis,

Je veux tout d’abord vous exprimer notre gratitude pour l’occasion qui nous est offerte de nous rassembler ici, dans cet emblématique quartier du Louvre, afin de faire ensemble œuvre de mémoire. Et vous dire combien les protestants de France sont reconnaissants de voir que la mémoire des victimes de ce massacre perpétré il y a 450 ans puisse ainsi ici, en ce lieu où cette onde de choc fut initiée, être inscrite dans la mémoire de Paris.

450 ans après l’affreux massacre de la Saint-Barthélemy, dont la seule évocation du nom suffit à susciter l’effroi, quel sens cela peut-il avoir de faire mémoire de ces actes de haine et de barbarie entre voisins mus par un fanatisme religieux effréné, et perpétrés avec la complaisance de la royauté ? Quel sens cela peut-il avoir d’inscrire en ce lieu la mémoire de cet irrésistible flot de folie meurtrière qui, il y a plus de quatre siècles, se répandit dans tout le royaume ?

Le souvenir d’une Seine rouge de sang, charriant des corps mutilés, défigurés, déshumanisés, a imprimé une marque durable dans la conscience nationale et dans la mémoire protestante française et européenne. Le protestantisme est porteur de cette blessure mémorielle. Le philosophe Paul Ricœur a cherché à penser le juste rapport à la mémoire. Dans La mémoire, l’histoire, l’oubli (2000), il écrit : « Je reste troublé par l’inquiétant spectacle que donne le trop de mémoire ici, le trop d’oubli ailleurs, pour ne rien dire de l’influence des commémorations et des abus de mémoire et d’oubli. L’idée d’une politique de la juste mémoire est à cet égard un de mes thèmes civiques avoués ».

En une époque qui connaît une réelle frénésie commémorationnelle, ce trop de mémoire, et, en même temps, un temps où l’on se déleste facilement du passé, laissant l’oubli engloutir ce qui pourrait alourdir notre marche, il convient de réaliser ce travail nécessaire pour construire ce juste rapport à la mémoire. Olivier Abel vient de nous rappeler, à l’occasion de l’Assemblée du Désert, que « La fonction de la mémoire est non de conserver mais de repousser le passé, de manière à ce que nous ne soyons pas submergés par les traces du passé. » Une juste mémoire exige donc que soit dépassée l’émotion engendrée par un événement traumatique, afin que la mémoire du tragique puisse servir le présent.

Au moment de l’inauguration de ce jardin mémorial, il ne peut s’agir pour le protestantisme de se complaire dans un récit victimaire. On ne revient au passé si ce n’est pour servir le présent et permettre de construire l’avenir, disait Adélaïde Hautval, doctoresse protestante déportée à Auschwitz et Ravensbrück pour avoir tenu, en juin 1942, à porter l’étoile jaune par solidarité avec les juifs. « Les protestants français d’aujourd’hui ne sont plus en rien des victimes, mais nous sommes responsables, avec d’autres, et d’abord avec nos sœurs et frères catholiques, de faire en sorte que ce soit bien fini, que cela ne recommence pas. Telle est notre tâche de vigilance. »

Il ne saurait donc pas non plus être question d’assigner à résidence le catholicisme dans une image fossilisée, ignorant ses réalités présentes, méprisant le fruit du mouvement œcuménique, les acquis de ces dialogues théologiques et de ces rencontres qui durant les dernières décennies ont forgé l’esprit d’unité qui nous anime, une unité certes différenciée, mais une unité réconciliée.

Ni la justice, ni la paix, ni la fraternité, ni la liberté ne s’érigent sur le terrain de l’amnésie, mais sur celui d’une mémoire réconciliée. Ainsi, la mémoire de l’horreur de la Saint-Barthélemy est avant tout le lieu d’une prise de conscience : celle d’une double impasse. L’impasse que représente toute forme d’intolérance, tout non-respect de l’altérité, toute négation de la liberté d’autrui. Mais aussi cette autre impasse que représente la collusion, voire la confusion, du politique et du religieux, dont la tragique agression militaire de la Fédération de Russie à l’encontre de l’Ukraine vient à nouveau nous livrer une illustration.

Le sens d’une commémoration est bien celui d’aiguiser notre conscience, de vivifier notre indéfectible attachement aux libertés, d’éveiller notre sens de la responsabilité, de conforter notre défense de la laïcité, comme principe fondamental qui a vocation à garantir dans la République, la liberté de conscience et la liberté d’expression religieuse.

Pour faire place à l’esprit d’unité évoqué plus haut, je voudrais avant de conclure donner lecture d’un message du Président de la Conférence des Évêque de France, Monseigneur Éric de Moulins-Beaufort, et souligner ainsi le sens de la responsabilité qui anime les responsables religieux en France.

« Je remercie, Madame la Maire, Mesdames et Messieurs, le Pasteur Christian Krieger de me permettre de vous adresser par son truchement quelques mots en cette commémoration. La Saint-Barthélemy est une tache dans l’histoire de France. Rien ne peut justifier le calcul politique qui a conduit à ce massacre et rien, encore moins, ne saurait justifier la violence effroyable déployée au nom de Dieu par de nombreux catholiques à Paris et ailleurs. Ces journées terribles nous rappellent, s’il en était besoin, que la violence peut toujours se nourrir de la religion.

Nos aïeux dans la foi n’ont pas su se souvenir de Jésus-Christ qui a livré sa vie sur la croix pour que nul autre n’ait à mourir au nom de Dieu et qui a voulu rassembler les humains selon un autre principe que la maîtrise de la force, dans l’espérance de la communion. Ils ne se sont pas même souvenus de saint Paul qui s’émerveillait de la miséricorde de Dieu qui l’avait tiré d’une posture de persécuteur des chrétiens qu’il jugeait dissidents pour faire de lui l’apôtre de Jésus, s’adressant à la liberté intérieure de chacun et de chacune. Le fanatique croit servir le règne de Dieu ; en réalité, il impose sa violence à Dieu, quand la foi chrétienne, dans sa radicalité, appelle à se laisser guérir de sa violence par celui qui est mort et ressuscité.

Commémorer la tragédie de la Saint-Barthélemy nous invite tous, qui que nous soyons, comme croyants ou non-croyants et comme citoyens, à nous interroger sur l’épreuve que représente pour tout groupe animé par des convictions fortes ou pour tout ensemble qui se pense comme une unité, une différence, une diversité qui réclame sa place. Comment un groupe majoritaire supporte-t-il la dissidence ? Comment résiste-t-il à la tentation de la réduire par la force ? Comment construire une société politique unifiée sans contraindre les convictions des uns et des autres, sans expulser ceux et celles qui se veulent différents ? Comment être une nation en divergeant sur des questions essentielles ? Comment, réciproquement, un groupe porteur d’une idée qu’il pense nouvelle et ancienne à la fois peut-il ne pas mépriser ceux et celles qui restent attachés à ce qu’ils avaient reçu et qui refusent de s’engager sur un chemin qui leur paraît inédit ?

Dans un temps où les inquiétudes nombreuses suscitent la tentation pour beaucoup de construire leur identité en réduisant toute diversité et où l’antisémitisme ne cesse de circuler, il est nécessaire de travailler ensemble à guérir nos cœurs de toute violence et de toute tentation de haine. C’est accéder à une vraie maturité sociale et politique et religieuse que de chercher à vivre en fraternité avec tous, si divers et différents soient-ils. C’est, me semble-t-il, le contenu positif de la laïcité.

Que le Pasteur Krieger me prête aujourd’hui sa voix rend perceptible le chemin parcouru dans la lumière, même terrible, des leçons de l’histoire. Puissions-nous toujours contribuer à ce que notre pays dont l’ambition républicaine est de faire vivre des êtres divers et différents à égalité de droits politiques, économiques, culturels, sociaux et non moins cultuels, soit une terre de paix, non par écrasement des différences mais par respect et espérance de l’unité la plus profonde. »

Je sais combien, chère Anne Hidalgo, vous êtes sensible à une juste mémoire, et déterminée à lutter contre les réécritures de l’Histoire. En 2016, vous aviez déjà posé une plaque commémorative de la Saint-Barthélemy au square du Vert Galant, en contrebas du Pont Neuf. Avec l’inauguration de ce jardin mémorial, vous manifestez votre volonté d’inscrire plus visiblement la mémoire de ce massacre dans Paris, précisément en un lieu contigu à un autre jardin mémorial, celui dédié à la mémoire des enfants juifs déportés durant l’occupation nazie de la France (entre 1942-1944). Quel beau symbole que soit réunie quasiment en un même lieu la mémoire des victimes innocentes de ces deux événements tragiques, cette mémoire dont sont porteurs protestants et juifs. Que ces deux jardins contribuent à faire prendre conscience de l’impasse que représentent les haines, l’intolérance et le fanatisme, qui s’exprime encore par la résurgence d’une nouvelle forme d’antisémitisme, et qu’ainsi ils nourrissent un indéfectible attachement aux libertés et à la laïcité.

Tout en remerciant la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, vigie de l’histoire, et le service de la Ville de Paris pour leur éminente collaboration, je formule le vœu que cette plaque que nous allons dévoiler et les explications qui l’accompagnent, résonnent dans l’esprit du passant, quel qu’il soit, et l’invite à devenir sentinelle à son tour, au service du la justice et de la paix, de la fraternité et des libertés.

Discours d’inauguration de Mme Anne Hidalgo Maire de Paris

Monsieur le président de la Fédération protestante de France, monsieur le pasteur Krieger,

Madame la présidente de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, madame Isabelle Sabatier,

Madame la présidente de l’Oratoire, chère Aurore Saglio-Thebault,

Monsieur le recteur de la cathédrale de Paris, monseigneur Olivier Ribadeau-Dumas,

Monsieur le grand rabbin, cher Haïm Korsia,

Monsieur le président du Consistoire central israélite de France, cher Elie Korchia,

Monsieur l’imam représentant le recteur de la Grande Mosquée de Paris, cher Khaled Larbi,

Monsieur le maire, cher Ariel Weil,

Mesdames et messieurs les élus, Chers amis,

Je suis extrêmement honorée d’être avec vous ce matin pour inaugurer ce jardin dédié à la mémoire du massacre de la Saint-Barthélemy.

Je suis d’autant plus heureuse que cet éveénement a été pensé entre la ville de Paris et la Fédération protestante de France dans une démarche de fraternité dont nous avons tellement besoin en cette période. Votre présence à toutes et à tous l’atteste.

Je dois dire que j’ai été extrêmement touchée et émue par ce magnifique échange entre le président de la conférence des évêques de France, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, et le président de la Fédération protestante de France, le pasteur Christian Krieger. Ce respect mutuel et cet attachement profond pour le dialogue interreligieux sont les plus belles preuves d’un pays en paix avec son passé, réconcilié et tourné vers l’avenir.

450 ans après les faits, cette commémoration n’a pourtant jamais été aussi nécessaire. Parce que ces jours terribles, du 24 août 1572 et suivants, en plein cœur de Paris, ce furent près de 3 000 Parisiens, femmes, hommes, enfants, qui ont été torturés, mutilés et assassinés par des milices de Parisiens catholiques fanatisés, parce qu’ils étaient protestants.

Ce jour ne doit jamais être oublié. Ce jour « qui avec horreur parmi les jours se compte, qui se marque de rouge et rougit de sa honte », selon les mots d’Agrippa d’Aubigné.

Aujourd’hui, nous donnons à ce jardin un rôle symbolique et politique, celui de transmettre la mémoire de cette tragédie et rappeler à chacune et à chacun d’entre nous le risque de la violence politique.

D’abord, comme vous l’avez souligné, nous venons réparer une injustice vis-à-vis des protestants.

Nous comblons un manque en donnant aux victimes protestantes toute la place au cœur de la Cité qui leur revient.

Nous leur devons.

Désormais, chacun, de Paris, de France et d’ailleurs, trouvera dans notre capitale, au sein du quartier du Louvre, une marque, un témoignage de cet épisode tragique de notre histoire.

La plaque sur le Pont Neuf, que nous avons dévoilée en 2016 avec le pasteur Clavairoly, constituait une première étape. Elle se situait symboliquement au bord de la Seine qui a charrié tant de corps des victimes.

Mais il fallait aller plus loin.

C’est ce que nous faisons aujourd’hui avec ce jardin mémorial : nous inscrivons le souvenir douloureux mais indispensable de ce massacre au cœur du Paris de l’époque, face au lieu du pouvoir royal, le palais du Louvre, et à proximité des rues et des quais du massacre.

Ensuite, nous venons rétablir une mémoire.

Cette commémoration permet de marquer, dans les rues de Paris, une mémoire partagée avec l’ensemble des Parisiens, d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

La mémoire de la Saint-Barthélemy n’est pas l’affaire des seuls protestants ou de ceux qui se reconnaissent des huguenots, mais de la communauté parisienne dans son ensemble.

Commémorer, « c’est faire mémoire ensemble », c’est aussi assurer une continuité dans la transmission de notre histoire. C’est seulement par cette transmission, essentielle, que nous pouvons tirer des enseignements des pires actes commis, de la violence, des massacres, des traumatismes et ainsi avancer pour repenser les bases d’une société pacifiée.

Comme le souligne Patrick Boucheron, nous devons faire l’effort d’assumer une mémoire plus « complète », même si cela veut dire une mémoire plus « inquiète » et « moins assurée de ses certitudes », car alors seulement elle sera plus juste pour les victimes de l’Histoire.

Et dans cette mémoire parisienne, la place de la communauté protestante et de la Saint- Barthélemy prend aujourd’hui une autre dimension.

Qui plus est, nous venons rétablir une vérité.

Cette inauguration a une visée politique très forte. Je l’assume et je la revendique.

Nous vivons une époque inquiétante, dans laquelle les appels au repli communautaire et les discours haineux se propagent comme un poison mortel dans notre société.

Je ne peux m’empêcher de penser avec colère aux mots d’un ancien candidat à la présidentielle, qui a osé proclamer, quasiment sans être contredit, que la responsabilité du massacre de la Saint-Barthélemy s’expliquait par un « fondamentalisme protestant qui aurait exaspéré le bon peuple catholique ». Je sais combien ces mots ont blessé, et scandalisé beaucoup d’entre nous. Je voulais en parler aujourd’hui.

Nous sommes, une fois de plus, face à une monstrueuse entreprise de falsification de l’histoire. C’est le terme, la falsification.

Ce n’est pas une question d’interprétation, c’est bien au contraire une entreprise délibérée de mensonge qui renverse les responsabilités et sème la haine.

Comme à chaque fois, dépeignant toute minorité comme dangereuse, les falsificateurs imposent un autre régime de vérité, contre le consensus scientifique des historiens ; ils justifient les bourreaux et accusent les victimes.

Il y a quelque chose de particulièrement troublant et d’inquiétant de voir que cette falsification concerne toujours les pages les plus sombres de l’histoire : la Saint-Barthélemy, la rafle du Vel d’Hiv, et, ailleurs, la guerre d’Espagne.

Voilà le triste rappel auquel nous faisons face : les tragédies, même éloignées dans l’espace et le temps, se répondent les unes les autres. Il existe des échos sinistres entre « tous ceux qui tombent », pour reprendre le titre du magnifique ouvrage de l’historien Jérémie Foa.

Enfin, nous venons rétablir des principes humanistes.

La Saint-Barthélemy représente une rupture dans notre histoire, un déchaînement de violence inouï contre une minorité religieuse. Cet épisode, qui fait partie intégrante de l’histoire de Paris, de notre histoire, est aujourd’hui devenu le symbole de la violence politique et du fanatisme religieux.

La Saint-Barthélemy est un massacre de voisinage perpétré par des voisins sur leurs voisins. Et ce massacre a d’abord été rendu possible par une décision politique du roi de France, celle de supprimer les chefs huguenots présents à Paris ; en cela ce déchaînement de violence fut un crime d’État. Il faut le dire.

Ce massacre a également été rendu possible par des décennies de discriminations, de persécutions et de mise au ban de la minorité protestante par la majorité et le pouvoir catholiques.

Jérémie Foa explique brillamment qu’en août 1572, les victimes étaient pour ainsi dire habituées, voire « anesthésiées » par le harcèlement policier, administratif et judiciaire qu’elles subissaient depuis des années. Et les assassins, dont certains étaient les acteurs de ce harcèlement, savaient exactement où, comment et qui frapper.

Pour citer à nouveau Jérémie Foa, « les bourreaux frappent aux portes et les victimes leur ouvrent » ; « les huguenots comprirent trop tard […] qu’il y avait quelque chose d’inouï, de radicalement inédit dans la Saint-Barthélemy ».

Cela ne peut que nous rappeler d’autres épisodes tragiques de notre histoire.

Cela explique sans doute pourquoi les protestants de France ont toujours été viscéralement du côté de la défense des minorités et des plus faibles, hier comme aujourd’hui.

La République française doit beaucoup aux protestants de France. Tout comme notre modèle social et humanitaire. Je pense bien sûr à la Cimade, que je veux saluer : vous nous inspirez dans notre engagement vis-à-vis des réfugiés. Et c’est finalement aussi à cet engagement et à cette exigence chevillée au corps de l’accueil des réfugiés et de la protection des plus vulnérables que nous rendons hommage aujourd’hui.

C’est sur cet appel que j’aimerais terminer.

Nous, responsables politiques et cultuels, personnalités publiques, nous ne devons jamais baisser la garde.

Nous devons prendre au sérieux le risque de déchaînement de la violence politique qui rode toujours, tout le temps, partout. Nous ne pouvons laisser justifier, même 450 ans plus tard, le massacre de 10 000 protestants en France. Nous ne pouvons jamais accepter que la violence soit présentée comme un moyen comme un autre de régler nos différends.

Nous avons des historiens pour écrire l’histoire, des juges pour juger.

L’enjeu pour la Ville de Paris, pour les responsables politiques, pour nous tous aujourd’hui, est d’assurer la possibilité d’une mémoire commune, d’une mémoire apaisée, pour tirer des enseignements de cette violence qui est toujours possible.

Mesdames, messieurs,

Ce jardin doit devenir le symbole de cet appel à la vigilance.

Il dit notre volonté de vivre nos différences dans le respect, la paix et la considération.

C’est à la fois une réponse au fanatisme religieux et à la violence politique, autant qu’un signe d’espérance et de concorde.

Et j’aimerais terminer sur ces mots de l’immense philosophe protestant Paul Ricœur. Il nous que rappelle que « le devoir de mémoire est le devoir de rendre justice, par le souvenir, à un autre que soi ».

Rendre mémoire, c’est donc se considérer l’un l’autre. Aujourd’hui, plus que jamais, nous devons apprendre à vivre ensemble nos différences dans la considération et la paix.

Je vous remercie.