Bertrand GIBERT, Claudine Robert, femme de pasteur à Saint-Antoine-de-Breuilh pendant la guerre (1939-1945)
Société de l’Histoire du Protestantisme dans la Vallée de la Dordogne, 2022, 77 p.
Que feront les historiens de l’avenir alors que cette source incomparable qu’est la correspondance est en train de disparaître ? C’est en effet à partir des lettres que Claudine Robert (1918-2015) envoyait une ou deux fois par semaine à sa mère que Bertrand Gibert a pu dresser le portrait d’une très jeune femme de pasteur suisse qui se retrouve au fond de la campagne française, en pleine guerre, cumulant difficultés et privations. Elle a 20 ans, elle vient d’épouser Maurice Robert (1914-2002) dont Saint-Antoine-de-Breuilh est le premier poste. Quand le couple s’installe au presbytère le 13 mars 1939, il est saisi par la pluie et le froid. Le presbytère est humide, il n’y a pas d’eau courante, les WC sont au fond du jardin, la cuisinière fume trop et puces et moustiques sont bien présents. Même si l’accueil des paroissiens est chaleureux, on peut imaginer que, pour cette jeune femme habituée à une vie urbaine et cossue à Neuchâtel, le choc fut rude. Mais ses lettres sont écrites avec retenue car elle ne veut pas trop effrayer ses parents. L’été et la beauté de la région la comblent mais en septembre, c’est la guerre. Le jeune pasteur suisse, lieutenant en son pays, est mobilisé et il n’est renvoyé en France qu’au printemps 1940. Cela a heureusement permis à Claudine de mettre eu monde son premier enfant chez ses parents (novembre 1940). Il en sera de même pour le second (juillet 1941), mais pas pour le troisième (octobre 1942), né à Saint-Antoine. Pendant son absence, Maurice Robert est remplacé par une pasteure alsacienne, Mme Hoffer. En effet, les réfugiés alsaciens sont très nombreux dans la région (jusqu’à 850 au culte) et une école primaire est installée dans le presbytère. Ils repartent après la signature de l’armistice, bientôt remplacés par 400 soldats allemands car la ligne de démarcation est proche.
Le pasteur cumule plusieurs paroisses. Il préside trois cultes le dimanche. Aux prédications s’ajoutent les écoles du jeudi et du dimanche, le catéchisme, les visites, les mouvements de jeunesse qui vont prendre de plus en plus d’importance. Et en ce temps de guerre et de privations, il doit aussi consacrer du temps à un potager et à un petit élevage domestique. Déjà, en septembre 1940, Claudine constatait : « Nous retournons tout doucement vers le Moyen Âge ». La situation ne pouvait que s’aggraver. Se chauffer, se nourrir, circuler, tout devenait problème. Le rationnement se faisait de plus en plus dur. En plus, pendant plusieurs mois, pour des raisons administratives, le pasteur n’a pas touché son traitement. Le trésorier de la paroisse a demandé aux fidèles qu’ils compensent par des dons en nature, pommes de terre, œufs, légumes, mais ces dons sont intermittents… Maurice Robert donne heureusement des cours de grec au Collège de Guyenne replié à Sainte-Foy. Comme il n’y a plus de carburant, les Robert circulent à vélo.
Les activités pastorales ne s’arrêtent pas. Le couple s’occupe de plus en plus des jeunes. Claudine sort avec les éclaireuses et les louveteaux et, en 1943, malgré ses jeunes enfants, elle anime un camp de trente-quatre filles. Maurice dirige les éclaireurs et les routiers. Ils transforment deux pièces du presbytère en dortoirs, mais il faut aussi prévoir le ravitaillement, de même qu’il faut nourrir tous ceux qui passent chez eux, des missionnaires ou le pasteur Boegner. Malgré la présence de quelques aides ménagères, Claudine ressent souvent le poids des travaux domestiques qui lui semblent sans fin et dans une lettre elle soupire que « le rôle des femmes est bien ingrat quelquefois ». Elle ressent d’autant plus cette charge qu’à partir de 1943, Maurice est de plus en plus souvent absent du presbytère, en principe pour s’occuper des routiers et des éclaireurs, en fait il est auprès des maquisards FFI qui sont souvent ses paroissiens et dont il est l’aumônier. Cela n’est pas dit dans les lettres évidemment, on le saura à la Libération. Claudine craint surtout que ses parents ne s’inquiètent en lisant les journaux et elle a tendance à minorer les événements. Aussi, quelle joie de pouvoir pavoiser quand enfin la guerre est finie…même si le pain manque toujours.
Cet ensemble de lettres est un témoignage précieux car écrit au jour le jour par une jeune femme que rien ne prédisposait à une vie quotidienne aussi difficile. En effet, en plus de ses premiers pas en tant que « femme de pasteur », elle a dû faire face à la vétusté du presbytère, à des privations croissantes et, au printemps 1944, à la guerre toute proche avec ses dangers. Et pendant ces cinq années si dures, elle a aussi mis au monde trois enfants, ce qui ne pouvait que compliquer son quotidien.