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Anne RUOLT, À l’ombre du grand cèdre, Histoire de l’Institut biblique de Nogent, 1921-2021

Préface d’Étienne Lhermenault, IBN Éditions, 2021, 539 p.

Gabrielle CADIER-REY

En dehors des travaux de Sébastien Fath, il y a peu d’ouvrages consacrés à l’histoire des Églises françaises évangéliques, « une autre manière d’être chrétien en France » comme il l’écrit. C’est pourquoi il faut saluer la sortie de ce gros livre d’Anne Ruolt sur l’Institut biblique de Nogent, Institut où elle-même a été élève et où elle enseigne aujourd’hui en croisant histoire de l’éducation et théologie. Pour écrire cette histoire – un travail pionnier –, elle a dû rassembler des documents disséminés. Elle s’est aussi beaucoup appuyée sur les Cahiers de l’Institut qui ont paru depuis 1925 (sauf de 1940 à 1950) et qui aujourd’hui s’appellent IBphile. Cet Institut fête ses cent ans et c’est une occasion de mieux le connaître et de considérer sa place dans le paysage protestant français. Il a été fondé en 1921 par le pasteur baptiste Ruben Saillens, connu pour ses cantiques, notamment La Cévenole, dans le but de provoquer un « Réveil » en France, comme on en voyait dans les pays anglo-saxons. Grâce à des fonds de fondamentalistes américains, il a pu acheter le site de Nogent qui, au cours du siècle, n’a cessé d’être agrandi soit par des constructions, soit par des locations. La chapelle a été édifiée en 1937 et les noces d’or de Ruben Saillens et de sa femme Jeanne y ont été célébrées. La fondation de cet Institut s’inscrit dans le mouvement mondial des instituts bibliques grâce auxquels le protestantisme évangélique se renouvelle et se propage à travers le monde. Leur but, accueillir des jeunes gens pour en faire des missionnaires, des propagateurs de la foi. Jeanne Saillens, l’épouse de Ruben, a insisté pour que les jeunes filles soient aussi admises comme élèves. En effet, au lendemain de la Grande Guerre, nombreuses étaient les jeunes femmes condamnées à rester célibataires et la mission avait besoin d’ouvrières…

Les études, alors, y durent deux ans et il n’est pas demandé de formation initiale pour y être accueilli. Mais au cours du siècle, les exigences vont s’accroître, avec une année de mise à niveau pour certains (1934) et davantage de cours pour tous. Cet Institut, dès le départ, a un caractère résolument interdénominationnel. Sa ligne d’action est « Le Christ tout entier dans la Bible tout entière, pour le peuple tout entier. » La façon d’aborder la Bible est essentielle. Étude analytique ou étude synthétique ? C’est cette dernière qui prévaut, comme à la Maison des missions d’ailleurs, car la Bible est un « tout ». L’étude analytique est considérée comme trop « universitaire ».

Dans un style alerte, illustré par de nombreuses photos, Anne Ruolt raconte l’histoire de l’Institut et des nombreuses personnes qui y ont joué un rôle, notamment les professeurs. Parmi eux, il faut insister sur Jules-Marcel Nicole (1907-1997) et Jacques Arthur Blocher (1909-1986), petit-fils de Ruben Saillens. Ils ont été les piliers de l’Institut où ils ont enseigné depuis 1932 quasiment jusqu’à leur mort. On les appelait le « tandem ». Nicole était dit « le directeur théologien », Blocher « le pasteur-entrepreneur ». Ils se sont partagé la direction de l’Institut quand Louise Saillens, la fille de Ruben qui l’assurait depuis la mort de son père en 1942, a pris sa retraite. Au moins jusqu’à la guerre (pendant laquelle il sera fermé), l’Institut fonctionne comme une grande famille où cohabitent la famille Saillens, les professeurs et les étudiants, ceux-ci étant en moyenne une vingtaine par an, deux tiers de garçons, un tiers de filles. Ils viennent de seize pays. Quand ils sortent de l’Institut, les deux tiers sont immédiatement engagés, soit par une Église, soit dans une mission.

L’institut rouvre le 24 novembre 1945. Dans les décennies qui suivent, il va beaucoup évoluer. D’abord le nombre des élèves augmente. D’une moyenne de 20 par an, on passe à 35 (avec des pics à 50) dans les années 1945-1970, puis à 65 pour 1970-1980, une moyenne de 78 pour la fin du siècle, et environ 70 au début du xxie siècle. Désormais, les élèves ne sont plus majoritairement français. Ils viennent des Églises du Pacifique ou de l’Afrique sub-saharienne. Et s’ils sont français, ils sont issus de communautés issues de l’immigration. Effectivement, depuis 1945, le nombre d’Églises évangéliques en Région parisienne a été multiplié par 20. Sur le plan religieux, à cause de la diversité des origines, il peut y avoir des tensions sur lesquelles l’autrice est très discrète et préfère s’abriter derrière Sébastien Fath pour qui « les relations entre l’aile protestante orthodoxe et l’aile pentecôtiste charismatique […] nourrirent les débats intra-évangéliques jusqu’à la création du CNEF, en 2010, dans les locaux de l’IBN ». Tensions aussi parmi les étudiants qui ne supportent plus le modèle « familial » et paternaliste. L’Institut doit se moderniser, autant sur le plan de l’enseignement que de l’administration. Cela se fait dans les années 1990-1995, sous la direction de Paul Senders, un ancien missionnaire qui va restructurer l’organigramme et proposer un nouveau projet pédagogique qui diversifie les formations. À la rentrée de 1999, 420 étudiants sont inscrits. Aux cours de jour, il faut ajouter des cours du soir. Les postes spécialisés augmentent : médecins, psychologues, conseillers conjugaux, aumôniers, informaticiens. Les postes d’enseignement religieux sont souvent occupés par d’anciens élèves qui ont suivi une formation complémentaire aux États-Unis ou à Londres. L’Institut prépare des responsables d’Églises ou des missionnaires. Les formations orientées vers la mission sont très variées, allant du séminaire d’islamologie à des stages de mécanique automobile. Les étudiants sortants sont pasteurs (28 %), missionnaires (7 %), évangélistes (3 %) ou laïcs s’engageant dans des œuvres sociales (22 %). Depuis 2002, l’Institut a adopté le système universitaire LMD (licence, master, doctorat). Le chemin parcouru en un siècle est considérable et c’est ce qu’Anne Ruolt montre dans ce livre foisonnant où la liste des abréviations des institutions, le glossaire, la chronologie, les annexes et l’index, sont bien utiles.