Gabrielle CADIER, Sarah Monod, philanthropie et féminisme au XIXe siècle
Éditions Ampelos, 2022, 122 p.
Combien de livres d’histoire ou d’essais ont été publiés sur les femmes dans les domaines littéraires ou artistiques ? Ils ont sans doute été nombreux, comme les biographies consacrées à celles qui anticipaient ce qui deviendrait le « féminisme ». Gabrielle Cadier offre précisément un ouvrage dense qui relate la vie de l’une de ces femmes : vie étonnante que celle de Sarah Monod, dont l’œuvre aurait pu paraître improbable. Sarah Monod qui prend la lumière tout au long du récit. Après sa présentation généalogique, comme pour tout détenteur du patronyme « Monod », nous découvrons Sarah, née le 24 juin 1836, fille du pasteur Adolphe Monod, dont elle rédigera la biographie, compilera la correspondance et fera publier Les adieux. Gabrielle Cadier nous invite à dépasser le portrait qui décrit Sarah comme « toute petite, trop large, les traits plats, vêtue en quakeresse : bonnet noir, longue veste et jupe ronde invariable » pour ne nous souvenir que de « ses yeux noirs admirables, une haute intelligence » et de « quelle majesté émane des façons de grande courtoisie, de la rectitude de son geste et de sa parole » (p. 91). En effet, Sarah Monod aura joint toute sa vie « le geste à la parole », responsable de ses engagements tournés vers les femmes dans la France du xixe siècle où elles sont soumises à la loi de l’homme.
Ainsi les combats de Sarah Monod auront-ils eu pour cibles les graves problèmes qui se posaient alors, dans les domaines civils, économiques et politiques. Elle n’exclut personne et se préoccupe des malheureuses incarcérées à la prison Saint-Lazare, comme des ouvrières au pauvre salaire et conditions de travail insupportables, et comme encore des bourgeoises interdites de mouvements par les hommes politiques et les époux. Pour les premières, Sarah Monod s’intéresse à la tâche délicate des visiteuses de prison protestantes et observe comment les « sorties de prison » sont recueillies dès 1841 chez les Diaconesses. C’est précisément chez elles que Sarah Monod va trouver son premier rôle : assurant les séances de l’« École du dimanche » dans les années 1860, elle est remarquée par la fondatrice, Caroline Malvoisin. Celle-ci se retirant, elle est remplacée par une dame hollandaise que Sarah est appelée à seconder, assumant ainsi le rôle de « directrice laïque » qu’elle sera désormais pendant plus d’un quart de siècle jusqu’en 1901. Gabrielle Cadier nous conduit là dans l’histoire de la maison des Diaconesses, leur importance et leur évolution jusqu’à l’ouverture de l’école d’infirmières en 1924. De ces années, Sarah laissera le souvenir de « son bon sens et de son zèle religieux sans mysticisme et d’une religion ferme et pratique […] elle prenait plusieurs initiatives en vue du progrès social et de la sécurité de la famille, de la femme et de l’enfant » (p. 72).
L’année 1901 restera sans doute une date importante à la fois pour l’histoire de Sarah Monod et pour l’histoire sociale. Si elle avait déjà assuré la fondation puis la présidence de diverses organisations, notamment en 1877 celle de l’Union internationale des Amis de la jeune fille, à Genève – et dont elle présidera la branche française en 1884 –, ou d’un congrès féminin parallèle à l’Exposition universelle de 1889, voici qu’apparaît en 1901 le Conseil National des Femmes Françaises, branche française du Conseil international. Ce CNFF, qui a pour but l’amélioration des conditions de vie de la femme et de l’enfant, est organisé en quatre sections : l’assistance (avec l’hygiène et la prévoyance sociale), l’éducation, la législation, le travail et les salaires. Une cinquième section en 1906 sera celle du droit de vote des femmes, seul moyen politique pour avoir une écoute et un poids dans la société. Ces revendications audacieuses pour l’époque, les lourdes charges et responsabilités qui en découlaient, n’effraient pas Sarah Monod qui assume la présidence du CNFF jusqu’à sa mort, présidence d’une institution pérennisée jusqu’à aujourd’hui.
Dans son riche parcours, avec pour seul guide la volonté inébranlable de voir respecter la femme, passée d’œuvres philanthropiques à une réelle action politique et sociale toujours empreinte de protestantisme, Sarah Monod sera décorée de la Légion d’Honneur en 1911, suprême et rare reconnaissance du pays envers une femme qui avait milité pour d’autres femmes. Fatiguée, en mauvaise santé, Sarah Monod s’éteint le 13 décembre 1912 et est inhumée au cimetière du Père-Lachaise à Paris.
En juin 2022, un second bel hommage est rendu à la pionnière qu’elle était, et qui a désormais une place à son nom, philanthrope, féministe protestante, directrice laïque de l’institution des Diaconesses, dans le XIIe arrondissement à Paris, non loin de la maison des Diaconesses, à l’intersection des rues de Reuilly, Jacques Hillairet et Montgallet. La maison d’où étaient partis ses premiers engagements auxquels elle était toujours restée fidèle.