Régis BOULAT, Natacha PIMEL (dir.), La Société industrielle de Mulhouse. L’intelligence collective depuis 1826
Mulhouse : Médiapop Éditions, 2021, 96 p.
À partir de 1746 – date de la création par Samuel Koechlin, Jean-Jacques Schmaltzer, Jean-Jacques Feer et Jean-Henri Dollfus de la première manufacture d’indiennes –, Mulhouse connaît un processus d’industrialisation collective rapide qui englobe bientôt tout le cycle de transformation mécanisée du coton auquel viennent s’ajouter la chimie, la construction mécanique etc. Très homogène, l’élite manufacturière est unie par un triple lien, à la fois familial, financier et confessionnel, les entrepreneurs protestants réformés conciliant croyance en Dieu, sacralisation du travail, philanthropie et confiance dans le progrès. C’est dans ce contexte que vingt-deux d’entre eux fondent en février 1826 la Société industrielle de Mulhouse (SIM).
Cette dernière a déjà fait l’objet de nombreuses études, parmi lesquelles la thèse de Florence Ott, La Société industrielle de Mulhouse 1826-1876. Ses membres, son action, ses réseaux, publiée aux Presses universitaires de Strasbourg en 1999. Si le xixe siècle a connu la création de sociétés industrielles dans toute la France, aucune n’est comparable à la SIM et c’est cette originalité que les auteurs du présent ouvrage ont voulu mettre en exergue à l’attention d’un large public. En effet, la SIM est encore un acteur économique de premier ordre sur le territoire alsacien alors qu’elle a connu de nombreuses épreuves dues aux aléas de l’histoire ainsi qu’aux crises économiques. Cette longévité et cette capacité d’adaptation, grâce à la place prépondérante de l’intelligence collective, font l’objet de la première partie. Une deuxième traite des conséquences de l’annexion de 1870, du retour à la France après la victoire de 1918, de la période de l’entre-deux-guerres et de la Deuxième Guerre mondiale. La troisième partie, de 1946 à 1976, est celle de la reconstruction, mais aussi celle des défis face à la désindustrialisation rapide et massive qui frappe de plein fouet l’industrie traditionnelle du Sud-Alsace. Agrémenté par une riche iconographie, l’ouvrage se termine par différents regards sur l’avenir et le rôle que cette institution si particulière ne manquera pas d’y jouer.
Dès son origine, la SIM fait de l’intelligence collective sa force principale. Le partage des informations, l’articulation entre la production et le négoce, la curiosité scientifique et la promotion des centres de recherches, comités, création de l’École de Chimie et plus tard de l’Université de Haute-Alsace. La culture n’est pas oubliée avec la constitution de collections variées qui sont à l’origine de plusieurs musées. La question sociale est abordée sans détour, il faut moraliser la classe ouvrière et c’est dans ce but qu’est construite la cité ouvrière, 1 200 logements qui ne sont pas en location, mais en accession à la propriété. Les dirigeants de cette époque avaient déjà une vision globale, le territoire ne devait pas se résumer à une « zone industrielle », mais être un lieu de vie avec une place pour la culture et l’éducation. La réussite de ce qu’on appellera plus tard le modèle mulhousien doit beaucoup à la solidité des alliances familiales qui unissent les industriels et évitent l’éclatement du patrimoine au moment des successions. En prenant un peu trop rapidement pour argent comptant la thèse de Max Weber (1864-1920) sur les liens entre le capitalisme et l’éthique protestante, les historiens ont insisté sur le calvinisme des fondateurs de la SIM qui étaient tous protestants. Il est vrai que ce patronat confessionnel a considéré, dans une certaine mesure, la richesse comme étant le juste fruit du travail, mais aussi comme un don qu’il convenait de redistribuer sans tomber dans les travers de l’assistanat. Spirituellement, le patron est un gestionnaire de la Création et à ce titre, il doit faire preuve d’une certaine frugalité dans l’« usage des biens de ce monde », selon la belle formule de Calvin au livre III de l’Institution de la religion chrétienne. À propos de la question religieuse, il serait intéressant de mener une étude approfondie sur les rapports de la SIM en tant qu’acteur économique, social et culturel, et les institutions religieuses, paroisses et consistoire. Enfin – mais ce point a été bien étudié –, la plupart des fondateurs étaient francs-maçons. C’est en loge qu’ils partageaient l’idéal des Lumières en prenant conscience que la question sociale allait être au centre de la révolution industrielle.
Si le contexte actuel est différent du passé, il n’est cependant ni moins ni plus difficile, il est autre. Les défis à relever ne le seront pas sans l’apport décisif de l’intelligence collective. La SIM a montré le chemin et n’a pas l’intention de s’arrêter en route.