Book Title

Pierre-Yves KIRSCHLEGER, Les héroïnes de la Tour de Constance. Du martyre au symbole

Éditions Ampélos, 2021, 164 p.

Gabrielle CADIER-REY

Comment Marie Durand est-elle devenue un symbole des persécutions contre les femmes huguenotes ? Pour le 250e anniversaire de la libération des prisonnières de la Tour de Constance, le 4 octobre 2018, avait été organisée une journée de commémoration dont ce petit livre est le fruit. Il fait le point sur les recherches les plus récentes. Parmi celles-ci, l’étude archéologique des 636 graffiti qu’ont laissés sur les murs les prisonniers et leurs gardiens, dessins, portraits, noms qui peuvent être confirmés par les archives. Parmi ces graffiti, le célèbre REGISTER. Mais comment la personne de Marie Durand (1711-1776) a-t-elle émergé, occultant ses compagnes enfermées avec elle dans cette sinistre « prison d’État » ? Comment, au-delà de la connaissance historique, s’est construite la mémoire de l’événement ? De Marie Durand, on a conservé une cinquantaine de lettres adressées à des pasteurs, des amis ou à sa nièce, dans lesquelles elle décrit souvent ses dures conditions de détention. On connaît sa famille, son père Étienne qui avait témoigné de sa foi jusqu’à la graver sur les murs de sa maison, au Bouschet de Pranles, en Ardèche, son frère Pierre (1700-1732), prédicant en 1721, consacré en 1725 et pendu à Montpellier à 32 ans. Et elle-même enfermée dans ce « vaste tombeau » de 1730 à 1768. Cela, ce sont des faits historiques avérés à partir desquels va se construire peu à peu une mémoire, nourrie par les apports de chaque siècle.

Du xviiie siècle, on a trois récits de voyageurs ayant vu les femmes enfermées : le chevalier de Boufflers, le frère morave Pierre-Conrad Fries et le jeune Boissy d’Anglas, 7 ans, qui accompagnait sa mère apportant quelques victuailles aux prisonnières et qui s’est souvenu toute sa vie de cette visite. Les femmes sont considérées globalement. La figure de Marie, sœur d’un martyr, va vraiment émerger à partir du livre que le pasteur Daniel Benoît lui consacre en 1880. Il la fait entrer dans le martyrologe huguenot, pas celui de la violence et du sang, celui des camisards, mais celui de la résistance pacifique. La célèbre inscription donne à la Tour sa vraie devise, et le nom même de la Tour (depuis 1409) symbolise la constance de la foi évangélique.

À partir du livre de Daniel Benoît, l’intérêt pour les prisonnières grandit. En 1883, la Société de l’histoire du protestantisme français organise son assemblée générale pour la première fois en province, dans le grand temple de Nîmes, et une excursion est organisée jusqu’à la Tour. Dans le temple est chantée, en occitan, la Complainte des prisonnières de la Tour de Constance, comme elle l’est encore aujourd’hui au musée du Désert, l’après-midi de l’assemblée annuelle, après le Psaume des batailles et avant la Cévenole. Les peintres Max Leenhardt puis Jeanne Lombard vont à leur tour donner vie et visage aux prisonnières. Une pièce de théâtre, Le Mot qui fut gravé, du pasteur Charles Dombre (1922) a souvent été jouée par les jeunes des Unions chrétiennes. Le roman d’André Chamson La Tour de Constance (1970) suivi d’un film, continue à entretenir le souvenir des prisonnières et de la mieux connue, Marie Durand.

Pendant la seconde guerre mondiale, le mot « résister » s’incarne aussi bien au musée de l’Homme que, à Londres, à l’Église protestante française de Soho où le pasteur Christol invente un insigne qui associe la croix de Lorraine et la Tour de Constance. Depuis, la maison familiale du Bouschet de Pranles est devenue le musée Pierre et Marie Durand et Marie un symbole dont on donne le nom à des écoles et à des rues.