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Raymond Josué Seckel (1949-2019)

Frank LESTRINGANT

Raymond Josué Seckel était alsacien d’origine, né le 7 janvier 1949 à Villé, une petite commune du Bas-Rhin, ce qui explique pour une part sa parfaite aisance en allemand. Fils d’un pasteur protestant, ayant six sœurs et un jeune frère, il passa son premier âge à Sainte-Marie-aux-Mines, puis à Mulhouse, avant de monter à Paris. C’est à Paris qu’il est mort le 14 novembre 2019, à l’âge de 70 ans. La famille était calviniste, ce qui constituait presque une anomalie en Alsace luthérienne, avant la réunion des Églises protestantes. À chaque anniversaire de la Saint-Barthélemy, le 24 août, Raymond Josué Seckel portait le deuil, arborant une cravate noire1. Son second prénom, par lequel il se faisait appeler familièrement, était un identifiant confessionnel, comme le rappelle Marianne Carbonnier-Burkard dans le volume d’hommages qui lui est consacré2.

Dans la salle Labrouste de l’ancienne Bibliothèque nationale, rue de Richelieu, on se souvient peut-être du linguiste chauve au cure-dent, descendant au sous-sol, mordillant et souriant à demi, et passant non loin de Josué Seckel, debout derrière son bureau à l’entresol ou penché sur ses registres, toujours prêt à rendre service aux chercheurs. Infatigable, à toute heure disponible, Josué Seckel était d’une compétence rare, ne souriant jamais ou presque, maigre, glabre, affecté d’une calvitie précoce, très impressionnant par sa modestie et sa présence active.

Josué Seckel n’était pas le seul conservateur chargé de renseigner les lecteurs. Il alternait dans cette tâche avec le jovial Peyraube, aux moustaches effilées en guidon de bicyclette, mais qui n’avait pas réponse à tout. Auquel cas, il était préférable d’attendre un jour ou deux, pour être sûr d’obtenir de Seckel la réponse espérée.

Le 29 août 1998, la bibliothèque de Richelieu ferma, au début d’une longue période de travaux. Bibliothécaire chevronné, Josué Seckel fut promu directeur du département de la Recherche bibliographique de la BnF. Il s’adapta au site nouveau de Tolbiac, préposé à la salle X, sans sous-entendu, car le bibliothécaire est par définition exempt d’idées scabreuses. Là encore Seckel fut au contact du public, qui recourait à lui pour les causes bibliographiques les plus désespérées. Il avait son bureau dans l’une des quatre tours de la bibliothèque, entre écran d’ordinateur et piles de papiers entassés en tous sens.

Rue de Richelieu, en 1989, il contribua à l’exposition du Patrimoine libéré et à Richelieu aussi bien qu’à Tolbiac, en 1996-1997, à celle de Tous les savoirs du monde, à l’occasion de l’ouverture de la Très Grande Bibliothèque de France. Enfin, est-ce la conséquence du X ou sa résolution tardive ? Toujours est-il qu’il assura la direction, avec Marie-Françoise Quignard, de l’exposition L’Enfer de la bibliothèque : Éros au secret, qui rencontra en 2007-2008 un très large public. On vit le X se déployer, agrandi et triomphal, sur l’une des quatre tours lumineuses de Tolbiac.

« Je suis moins éternel que je ne l’étais ce matin », concluait Seckel d’une consultation médicale particulièrement accablante, selon un propos rapporté par Marie-Noëlle Bourguet3. Toujours est-il que l’on feuillette avec nostalgie l’élégant volume d’hommages qui lui a été consacré, et que couronne, en couverture, le béret basque noir que Seckel arborait lors de ses déplacements. Gravé par Maxime Préaud, ce même béret se retrouve, sous divers angles, tantôt de face, tantôt de côté, de haut ou de travers, porté, soulevé, aplati, rangé, séparant les diverses parties du volume. Au centre de celui-ci, imprimés sur papier ivoire, et précédés du béret noir au repos, sont rassemblés, sous le titre « Vient de paraître », les articles que Seckel publia de 1983 à 1986 dans Le Matin de Paris, à l’époque déjà lointaine du Tipp-Ex et du gouvernement de la gauche.

La « bibliographie des écrits et travaux de Raymond Josué Seckel », qui conclut ce volume, montre l’ouverture d’esprit de ce bibliothécaire-bibliographe aussi modeste qu’exceptionnel. On y trouve aussi bien des pages sur Le Cantique des cantiques et « La Bible dans le texte », compte-rendu du livre de Northrop Frye, Le Grand Code, que des contributions sur Bonnard illustrateur ou sur Jacques Roubaud, sur Raymond Queneau, autre oulipien, ou sur Sade, dont l’œuvre a longtemps été renfermée dans l’Enfer de la Bibliothèque de France.

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1. Marie-Noëlle Bourguet, « Les Petits Bleus de Josué », in Raymond Josué Seckel, le bibliothécaire des deux rives, textes réunis par Marie-Noëlle Bourguet-Seckel, Nadine Frérey-Pfalzgraf et Jean-Didier Wagneur, Paris : Aux Éditions des Cendres, 2021, p. 14.

2. Marianne Carbonnier-Burkard, « Bribes de BN autour de Josué », in Raymond Josué Seckel, le bibliothécaire des deux rives, p. 137.

3. M.-N. Bourguet, art. cit., p. 15.