Anne Dollfus et Pierre-Yves Kirschleger, L’Église réformée de France (1938-2013). Une présence au monde
Paris : Classiques Garnier, 2021, 448 p.
Les travaux qui s’intéressent à l’histoire des institutions religieuses sont rares et peu d’auteurs s’y consacrent. Dans l’histoire contemporaine, seul le xixe siècle a trouvé ses historiens avec Patrick Harismendy (sur les synodes protestants) et André Encrevé (sur les déchirures dogmatiques qui sont à l’origine des divisions). Ce livre répond donc à un besoin en expliquant comment les protestants sont passés d’une expression au pluriel, les Églises réformées, à un singulier : l’ERF, et comment cette Église a traversé un xxe siècle si mouvementé, les réponses qui furent les siennes, avant qu’en 2013 elle ne change de nature en s’unissant aux luthériens et devienne l’Église protestante unie de France (Epudf). Ce livre, qui prend à bras le corps la diversité des problèmes qu’a rencontrés l’ERF, est d’une grande richesse et ce simple compte rendu n’a d’autre ambition que de donner envie de le lire.
Il débute par une centaine de pages qui résument l’histoire des Églises réformées depuis Calvin et explique dans quel contexte à la fois théologique – le barthisme – et historique – la montée des périls – a pu se faire le rapprochement qui donne naissance à l’ERF. C’est au cours d’une assemblée constituante qui s’est tenue à Lyon du 25 au 29 avril 1938 qu’est née l’Église réformée de France, réunion d’Églises ou d’Unions d’Églises (en tout, 448 paroisses ou associations cultuelles). 39 paroisses refusent de s’associer et restent indépendantes de l’ERF. L’union s’est faite sur l’adoption d’une Déclaration de foi regroupant les différents courants théologiques et laissant suffisamment de liberté d’interprétation aux pasteurs, ce que n’admettaient d’ailleurs pas les évangéliques. Dans le cadre de cette ERF unifiée, la gestion des Églises va devoir évoluer. Désormais, l’Église réformée va être gouvernée selon le régime presbytéro-synodal national dont, d’ailleurs, l’application est retardée à cause de la guerre, mais qui ne se fera pas toujours facilement.
Au lendemain de la guerre, l’ERF est confrontée à de nouveaux problèmes tels l’exode rural qui assèche les paroisses traditionnelles, la déchristianisation dans les villes, les nouveaux quartiers sans église, et les guerres coloniales qui déchirent l’Église et la société. Dans cette phase de reconstruction, les Églises doivent s’ouvrir aux problèmes économiques, sociaux, politiques et être « présentes au monde moderne », expression commune au thème du synode national de 1949 et à un livre de Jacques Ellul. Avec les années 1960-1980, que les auteurs appellent pourtant les Vingt Glorieuses, on serait plutôt tenté de parler d’un tableau de turbulences, avec notamment la crise des mouvements de jeunesse qui prélude à mai 1968. De 1968 à 1974, l’Église est secouée comme la société ; 50 pasteurs quittent leur ministère. Le nombre des étudiants en théologie baisse de 80 %. La vision traditionnelle du pasteur dans sa paroisse et dont la femme se dévouait totalement est bousculée. Le ministère pastoral évolue. D’abord par la création de ministères spécialisés, ensuite par l’arrivée de femmes-pasteures (vote définitif en 1966), enfin parce que la femme du pasteur a sa propre profession, ce qui rapproche le couple pastoral des autres couples. Cependant, l’Église réformée, malgré ses tensions internes, a continué à prendre position sur les grands problèmes du monde, mais hélas, souvent, cette voix était trop assourdie pour être entendue. Depuis 1980, de nouveaux équilibres se sont fait jour, mais le pluralisme théologique divise toujours. Et devant les « dérives » de l’ERF, l’opposition évangélique s’organise et se renforce avec notamment les Facultés libres de théologie de Vaux-sur-Seine et d’Aix-en-Provence. En 2010 est officiellement créé le Conseil National des Évangéliques de France (CNEF) qui représente aujourd’hui environ 30 % des Églises contre 70 % pour la FPF, mais qui connaît une forte dynamique. De plus, les départs à la retraite de nombreux pasteurs ne sont pas compensés et les paroisses doivent connaître des vacances. La pénurie se double d’une incertitude sur le contenu du ministère pastoral. Quels sont les nouveaux ministères ? Quelle est la place du pasteur dans une Église locale ? Quelle est la conception de l’ERF sur le ministère pastoral ? Comment concilier la liberté individuelle et l’ordre doctrinal ? Comment responsabiliser le conseil presbytéral et impliquer davantage les fidèles dans la vie de la communauté ? L’évolution de la société amène l’ERF à reconsidérer certaines institutions. Mais il ne faut pas ne voir que des signes négatifs comme la fermeture des temples. Il y a des signes positifs comme le maintien de l’engagement financier des familles pour faire vivre l’Église. De grands rassemblements protestants comme celui de Bercy ou le Grand Kiff donnent une meilleure visibilité du monde protestant. Enfin, si 20 % des protestants ne le sont pas de naissance, par tradition familiale, c’est bien le signe de l’attraction de cette confession.