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Christian Grosse, Michèle Robert, Nicole Staremberg, Amélie Isoz, Salomon Rizzo, avec la collaboration de Stefano R. Torres, Les registres des consistoires des Églises réformées de Suisse romande (XVIe-XVIIIe siècles). Un inventaire

Genève : Droz, Travaux d’Humanisme et Renaissance DCXXVI, 2021, 372 p.

Yves KRUMENACKER

S’il y a plus de 80 ans que les registres des consistoires ont attiré l’attention des historiens, c’est surtout depuis le début du xxie siècle qu’ils sont explorés systématiquement en France, en Allemagne, en Angleterre, en Écosse et en Suisse, principalement dans la perspective d’une histoire du contrôle social et de la disciplinarisation des populations. C’est dire l’importance de dresser un inventaire de ces registres, déposés dans des fonds archivistiques très divers. Raymond A. Mentzer avait ouvert la voie en publiant en 2014, chez Droz, Les registres des consistoires des Églises réformées de France xvie-xviie siècles : un inventaire, qui donnait la liste de tous les registres conservés dont on avait pu retrouver la trace et qui était aussi une histoire de la pratique consistoriale. Le présent volume fait de même pour la Suisse romande : il donne une liste de 691 procès-verbaux et de plus de 130 recueils de pièces diverses, concernant les cantons de Vaud, de Neuchâtel, de Genève, de Fribourg et du Jura bernois (les communautés réformées du Valais ne semblent pas avoir conservé de registre) ; la particularité par rapport à la France est que ces registres couvrent les trois siècles de l’Ancien Régime, la majorité d’entre eux étant du xviiie siècle, et même une partie du xixe. C’est une documentation considérable qui est répertoriée, dont les registres de Genève, Lausanne et Neuchâtel, déjà bien étudiés, mais aussi ceux de communes très peu connues.

Une copieuse introduction attire notre attention sur la diversité des formes institutionnelles des consistoires et sur la nécessité de s’intéresser à la production et à la matérialité des textes. Un parallèle est fait entre les procès-verbaux des séances des consistoires et les actes notariés, les secrétaires des consistoires étant eux-mêmes souvent des notaires. La prise de notes et surtout le passage à l’état de registre s’effectuent selon des normes formelles qui font des documents de simples relevés de conclusions, éliminant les discussions qu’il pouvait y avoir lors des séances et supprimant tout un pan de l’activité consistoriale. La tenue, particulièrement marquée à Genève, d’annotations marginales et de différentes listes (des excommuniés, de ceux qui sont convoqués au consistoire, de ceux qui ne s’y sont pas rendus, etc.) montre le souci de faire appliquer efficacement la discipline. Un soin particulier est porté, surtout au xviiie siècle, à la conservation de ces documents. Ainsi peut se forger une mémoire institutionnelle, utile pour assurer le suivi des affaires, garante aussi d’une bonne activité consistoriale pour la construction d’une communauté vraiment chrétienne, ce qui est fondamental dans une société où chacun se pense sous le regard de Dieu.

En plus de cette introduction générale, chaque canton disposant d’archives consistoriales a droit à une introduction à son inventaire. Celle concernant le canton de Vaud retrace l’histoire des consistoires de ville et des consistoires paroissiaux de leurs origines, après l’instauration de la Réforme en 1536, jusqu’à leur disparition en 1798. Ils sont dominés par les laïcs et les autorités, conformément au modèle zwinglien. Une insistance particulière semble être mise sur le contrôle des mœurs, en particulier dans le domaine du mariage et de la sexualité, mais avec une réticence de plus en plus forte à faire respecter la discipline dans toute sa rigueur. Notons cependant que cette analyse repose essentiellement sur la situation de Lausanne, la seule à avoir été vraiment étudiée. Les fonds conservés sont considérables : deux tiers des registres (près de 500) répertoriés pour l’ensemble de la Suisse romande. Neuchâtel a la particularité d’avoir des consistoires seigneuriaux, sur le modèle zwinglien, et des consistoires paroissiaux de type calvinien mais qui n’ont pas laissé d’archives. Les consistoires seigneuriaux, qui ne disparaissent qu’en 1848, poursuivent les infractions à la discipline, les scandales publics et, de plus en plus souvent, les délits liés aux mœurs. On note la même évolution avec le consistoire genevois, dont l’histoire est bien connue. Après la victoire, en 1555, de Calvin sur ses opposants, le consistoire peut vraiment s’atteler à consolider la discipline ecclésiastique en s’intéressant surtout, au xviiie siècle, à la sexualité hors mariage et au règlement des affaires matrimoniales, avant de devenir, au xixe, un simple organe administratif de gouvernement de l’Église. Le Jura bernois, converti à la Réforme dans les années 1529-1531 grâce aux efforts conjoints de Berne et de Bienne, a la particularité de ne pas avoir supprimé les autorités catholiques (l’évêché de Bâle), ce qui fait que la nomination des pasteurs est confirmée par l’Église catholique ! Les consistoires, qui cessent leurs activités entre 1852 et 1882, ont les mêmes compétences qu’ailleurs avec, là aussi, un intérêt de plus en plus grand pour les affaires matrimoniales. Enfin, le canton de Fribourg, c’est-à-dire essentiellement Morat, a la particularité d’avoir des documents en français et en allemand ; mais les registres des consistoires n’ont encore jamais été étudiés.

La consultation de cet ouvrage va rapidement se montrer indispensable à tous ceux qui s’intéressent au protestantisme du xvie au xixe siècle. En dehors des très précieux inventaires qui concernent la Suisse romande (mais, notamment à Genève, des documents peuvent aussi concerner la France), les différentes introductions font un point très complet sur l’histoire de la discipline ecclésiastique et sur la forme et la tenue des consistoires, qu’il faut absolument mettre en rapport avec ce qu’on en sait dans toutes les autres régions touchées par la Réforme. La grande diversité des modèles en Suisse romande existe en effet également à l’échelle européenne. On se rend ainsi mieux compte de la manière dont les communautés s’adaptent aux contextes dans lesquels elles s’insèrent.