Nicolas Breton, « Je les espreuve tous ». Itinéraires politiques et engagements religieux des Coligny-Châtillon (mi XVe – mi XVIIe siècle)
Genève : Droz, 2020
Ce livre est la version éditée d’une thèse de doctorat que Nicolas Breton a soutenue à l’Université du Mans en 2017, sous la direction de Laurent Bourquin et de Hugues Daussy. Il nous présente l’histoire d’un lignage sur six générations, celui des Coligny-Châtillon, dont le rejeton le plus célèbre est l’amiral Gaspard de Coligny. Le pari de Nicolas Breton est d’arriver à se départir de la figure de l’amiral dont l’historiographie a eu tendance à éclipser ses propres frères, Odet de Châtillon et François d’Andelot, mais surtout ses aïeux et ses descendants, dont les derniers occupent encore une place importante dans le parti protestant et l’entourage royal au cours de la première moitié du xviie siècle. L’auteur revendique d’étudier les Châtillon en se décentrant de l’amiral. Disons-le d’entrée, le pari est partiellement tenu – mais était-il tenable ? –, tant la figure de l’amiral domine ce livre, que ce soit par la construction de sa carrière, sa place à la cour et dans le parti et le poids symbolique qu’il impose à ses descendants. C’est vers le drame du 24 août 1572 que tend la première moitié du livre, et c’est dans son dépassement que s’inscrit l’analyse de ses descendants pris entre oubli, reconquête et restauration. Nicolas Breton nous offre bien l’histoire de six générations de Châtillon, mais dans un rythme qui place l’amiral en position dominante dans cette destinée familiale.
Si ce livre vient combler une lacune historiographie importante pour un lignage aussi considérable dans l’histoire générale du royaume, de la cour et du parti protestant, il s’inscrit cependant dans une méthodologie bien balisée quant à l’étude des grandes familles de la cour de France. Les travaux de Nicolas Le Roux sur l’entourage d’Henri III, ceux de Thierry Rentet sur Anne de Montmorency, d’Eric Durot sur les Guise ou de Laurent Bourquin sur les réseaux nobiliaires entre Paris et la province appartiennent à cette veine d’une histoire sociale des élites que peut légitimement revendiquer Nicolas Breton. Sans surprise, la source principale de l’ouvrage consiste en l’abondante correspondance, active et passive, qui sur ces deux siècles d’histoire a accompagné les réussites et les échecs de cette famille. Si la source est attendue, il convient de souligner l’ampleur du travail de dépouillement qui a été effectué dans des dépôts d’archives très divers. Les fonds des Archives nationales à Pierrefitte, la Bibliothèque nationale de France – gisement le plus important –, mais aussi quelques dépôts en France, en Allemagne, en Angleterre, en Italie, au Pays-Bas et en Suisse, ont fourni un matériau considérable à cette étude. La géographie documentaire traduit à elle seule le rayonnement de cette famille, son implication dans les affaires européennes et la traque d’archives qu’a dû effectuer l’auteur. Même s’il reconnaît que le volume de cette correspondance est très inférieur à celui d’Anne de Montmorency par exemple, la documentation est malgré tout très abondante.
Pour construire son livre, Nicolas Breton reprend le terme d’« événements dateurs » d’Olivier Wieviorka et il en repère quatre. Le premier, 1465, consiste en l’apparition des Châtillon dans les affaires du royaume de France. Le deuxième, vers 1560, appartient à la question confessionnelle : c’est au tournant des décennies 1550-1560 que les trois frères Châtillon prirent officiellement fait et cause pour la Réforme. Le troisième renvoie aux événements sanglants de la Saint-Barthélemy, en 1572, au cours de laquelle l’amiral fut une des victimes les plus exposées. Enfin, le quatrième et dernier de ces événements désigne le retour au catholicisme du dernier rejeton de la lignée, en 1643. Le choix de ces quatre dates indique l’orientation générale de cette histoire dynastique, et pour commencer son engagement au service de la maison royale de France. On retrouve ici l’historiographie des grands lignages déjà évoqués qui met l’accent sur l’engagement politique et l’insertion dans un réseau clientélaire. Ensuite, ce choix d’« événements dateurs » oriente l’analyse vers la question religieuse : trois d’entre eux concernent une affirmation publique de sa foi et les conséquences qu’elle a pu avoir. De ces événements, Nicolas Breton en déduira trois parties – l’ascension des Châtillon, leur engagement religieux, la reconquête politique après la Saint-Barthélemy –, mais c’est bien par le prisme de la carrière et du choix confessionnel qu’il a analysé, génération après génération, ces différents Châtillon.
La famille des Châtillon était encore savoyarde au début du xve siècle, ses terres d’origine étant située entre les plaines de la Bresse et les reliefs du Revermont, dans ce morceau de Savoie qui ne fut rattaché à la France qu’après le traité de Lyon en 1601. Elle n’a pas attendu le règne d’Henri IV pour se mettre au service du roi de France puisque le premier Châtillon à servir un souverain français, Jean III de Coligny, apparaît à la suite de Louis XI dans la guerre de Bien Public vers 1460. Jusque-là au service des ducs de Bourgogne, il faisait le choix d’attacher sa destinée et celle de sa famille aux rois de France, parti pris qui ne changea plus guère pour les générations suivantes.
La première partie du livre s’attache alors à démonter les mécanismes de l’ascension sociale de la famille, depuis ce Jean III jusqu’aux trois frères Châtillon, Odet, Gaspard et François, au milieu du xvie siècle. Il n’est pas lieu ici de retracer ce parcours que Nicolas Breton prend soin de détailler à l’extrême, peut-être trop, grâce à un niveau d’érudition généalogique et épistolaire d’une rare précision. Que retenir ? Des éléments finalement très classiques pour une famille noble du xvie siècle. Tout d’abord, pour une famille provinciale qui doit se faire remarquer de son prince, la guerre et l’usage des armes demeurent le moteur principal de l’ascension sociale. Sous Charles VIII et Louis XII, les Châtillon sont avant tout des soldats au service de leur roi. Une fois remarqués par le roi, ils actionnent le second levier de promotion sociale pour consolider leur position : le mariage. Un mariage plus éclatant que les autres fit la fortune de la famille : celui d’un des cadets Châtillon, Gaspard Ier, avec Louise de Montmorency, sœur du connétable Anne de Montmorency, homme fort de la cour, de François Ier à Charles IX. Épouser la carrière d’un favori ne mettait pas à l’abri de disgrâces, et Nicolas Breton détaille espoirs, déceptions et prise de distance des trois fils de Louise, les fameux trois frères Odet, François et Gaspard. Il propose une étude très détaillée des années 1550-1556, entre carrière ecclésiastique pour Odet, militaire et diplomatique pour les deux autres, revenant sur la situation particulière de François d’Andelot, captif de Charles Quint à Milan durant une bonne partie de cette période.
La deuxième partie aborde alors les années cruciales pour le lignage par l’alliance entre le service du roi et le service de la Cause huguenote. De 1559 à 1572, par l’engagement des trois frères dans la Réforme calviniste et le parti, la famille devint une des principales figures du protestantisme français. Cette partie est le cœur du livre. Cette douzaine d’années totalise dans le volume plus de 200 pages là où la partie précédente qui couvrait un siècle entier dépassait à peine les 100 et la suivante les 130. Les chapitres 4 et 5 posent la question de la conversion des trois frères au calvinisme. Nicolas Breton tente une archéologie d’un positionnement confessionnel d’abord discret et pour lequel il traque les moindres inflexions. Son érudition le lui permet, et les trois études de cas ainsi proposées sont d’un apport remarquable à l’analyse des choix confessionnels du milieu nobiliaire. La famille fut indéniablement une cible de Calvin, dans son projet d’emporter le royaume de France par l’engagement public d’une partie de sa noblesse. Andelot comme Coligny furent touchés par sa prédication lors de leur captivité au cours des années 1550 ; Odet, archétype du prélat de cour et mondain, y vint progressivement à la fin des années 1550. Le contexte curial, notamment le rôle croissant des Guise, et leurs liens avec Catherine de Médicis participèrent à ce basculement, consacré dès la fin des années 1550. Plus classiques, les chapitres 6 et 7 se centrent sur Coligny, chef de parti, chef d’un réseau de clientèle, et ennemi des Guise. Victime sacrifiée par le roi en août 1572 au nom d’un complot huguenot, sa chute entraîna celle de toute sa famille, comme le consacre les arrêts du parlement des 27 et 30 octobre 1572 qui anéantirent toute existence sociale des Châtillon, jusqu’à les déposséder de l’ensemble de leurs biens.
La troisième partie suit le devenir des trois générations suivantes, et d’abord celui de François de Châtillon, fils de l’amiral, mort en 1591. Encore jeune à sa mort, son fils, Gaspard III, dit le maréchal de Châtillon, arrive sur le devant la scène à partir de 1611. Son propre fils, Gaspard IV, prend part aux affaires à partir des années 1630. Les cousins Andelot ne sont pas oubliés, mais l’intérêt de l’auteur se focalise surtout sur la descendance directe de l’amiral. Ces chapitres auscultent le devenir de ces personnages sous l’angle de leur héritage symbolique : ils sont les descendants d’un paria. Leur premier travail, pour retrouver une place à la cour de France, fut de réussir à le faire innocenter, au moins officiellement. Ainsi, l’héritage de Coligny consista d’abord en une mémoire familiale à restaurer. Il pose aussi la question de la situation financière de la famille. Elle a dû trouver les moyens pour recouvrer les biens perdus à l’automne 1572 ou pour en obtenir d’autres lui permettant de tenir à nouveau son rang. Enfin, les descendants de l’amiral revinrent très rapidement sur le terrain de l’engagement confessionnel et politique dans le royaume de France. François de Châtillon s’engagea dès 1574 dans la cause huguenote en se mettant aux ordres d’Henri de Navarre et de Montmorency-Damville en Languedoc. Sa mort précoce en 1591 l’empêcha de reconstruire une situation favorable à la cour, mais il était déjà redevenu un fidèle serviteur du roi. Le véritable retour des Châtillon sur le plan politique se fit à la génération suivante, à partir des années 1620. Gaspard III, qui demeura calviniste jusqu’à sa mort, quitta le parti protestant et s’éloigna de l’activisme de Rohan pour se mettre au service de Louis XIII dès 1621, ce qui lui valut un bâton de maréchal. Il ne fit pas par la suite une brillante carrière militaire, mais ceci n’altéra pas l’ascension familiale. Son fils Gaspard IV poursuivit cette reconquête en s’attachant au prince de Condé, portant même la famille au faîte des honneurs malgré un engagement frondeur et achevant le cycle confessionnel en revenant au catholicisme.
Le livre de Nicolas Breton est d’une érudition généalogique et événementielle de très grande qualité. Particulièrement pour les années 1560-1580 et 1620-1640, il parvient parfaitement à situer les enjeux d’une famille huguenote avide de gloire dans un contexte politico-confessionnel complexe. À ce titre, ce livre peut être considéré comme un outil de travail dont les annexes viennent compléter très efficacement le texte. Le choix d’un plan chronologique et l’usage d’exemples cumulatifs permet de suivre tous ces destins, mais peuvent perdre aussi le lecteur dans un récit souvent très dense. Redisons-le, c’est le parti-pris méthodologique de l’auteur qui prend soin d’introduire et de conclure chacun de ses développements de manière à toujours resituer son propos dans une geste familiale qui couvre plus de deux siècles. C’est la force du livre, c’est aussi sa faiblesse car le lecteur aurait pu souhaiter un effort de modélisation des stratégies nobiliaires repérées chez les Coligny et des contrepoints plus tranchants avec d’autres familles déjà étudiées. L’analyse des réseaux structure le développement sans qu’elle soit poussée à son terme : on voit qui interfère avec qui, notamment dans la décennie 1550, mais il n’y a pas de pesée globale du réseau ainsi constitué ni de mesure de son évolution au fil du temps. Nicolas Breton suit les individus avec une grand ténacité, mais on souhaiterait quelquefois un propos plus ramassé pour gagner en analyse. Il réussit cependant à faire de six générations de Châtillon des compagnons de route dans les arcanes du milieu curial français, et c’est sur ce plan une très belle réussite.