Philippe Chareyre et Élisabeth Rodes (éd.), Femmes et protestantisme
Pau : CEPB, 2019, 111 p.
Ce petit ouvrage facile d’accès est le fruit d’un cycle de conférences tenues au Musée Jeanne d’Albret d’Orthez à l’automne 2018, dans le cadre d’une exposition. L’historiographie du protestantisme a depuis longtemps été sensible à la dimension genrée des mécanismes d’adhésion et de conversion à la Réforme, bien avant que ce soit conceptualisé, généralisé et valorisé dans la recherche. On le sait, le rôle du sacerdoce universel, de l’accès direct et en langue vernaculaire à la Bible, ou encore la transformation de la conception du mariage ainsi que le rejet de la vie monastique ont transformé la place potentielle des femmes dans les Églises et la société, créant de plus la catégorie des épouses de pasteurs.
Ces cinq textes, écrits par des autrices aux profils complémentaires, nous permettent de revenir sur ces thèmes, tout en tenant compte des recherches les plus récentes (mais sans abreuver le lecteur de détails érudits et de notes de bas de page).
Danielle Ellul, pasteure et docteure en sciences religieuses, nous offre pour commencer un regard de théologienne et d’historienne à la fois, lorsqu’elle propose de présenter quelques figures de femmes dans la Bible, en recontextualisant et en s’empêchant de généraliser sur « la femme » dans l’Écriture. Son idée force est qu’en prenant ce point de vue, on évite l’anachronisme et on prend la Bible pour ce qu’elle est, ni féministe, ni misogyne. Elle trace les cadres sociaux et juridiques de l’univers dans lequel ont été écrits à la fois l’Ancien et le Nouveau Testaments, en Terre sainte et dans les régions de diffusion du christianisme. Elle nous emmène à la (re)découverte de femmes dans le monde prophétique de l’Ancien Testament, tout soulignant le rôle de l’amour dans le couple comme modèle. Dans le Nouveau Testament, Dieu se fait homme, mais dans le ventre d’une femme, et la symétrie des rencontres évangéliques entre le Christ, des hommes et des femmes, montre quelle place ces dernières peuvent jouer, malgré les prescriptions de saint Paul qu’il faut également recontextualiser et mettre en perspective, pour comprendre la place liturgique et spirituelle qu’il leur réserve.
Les quatre autres contributrices au volume sont des historiennes, à commencer par Marianne Carbonnier-Burkard, bien connue par le public de cette revue, qui revient sur deux cas de lectrices de la Bible au xvie siècle. L’une d’elles est une « héroïne » : il s’agit d’une Marguerite abandonnée avec son mari sur une île déserte au large du Canada dans les années 1540, vite devenue veuve et grande lectrice de la Bible en français, et qui l’a profondément assimilée. L’histoire nous en apprend aussi beaucoup (et peut-être surtout) sur la célèbre Marguerite de Navarre qui la raconte dans l’Heptaméron, elle dont on connaît le rôle majeur dans la phase « évangélique » de la naissance de la Réforme française. L’autre lectrice de la Bible présentée est une « martyre » anglaise, Anne Askew, exécutée en 1546, à la fin du règne d’Henry VIII. Son histoire est intégrée aux martyrologes de Foxe et de Crespin, qui insistent sur ses usages de la Bible, qui imprègnent ses lettres en captivité et sa confession de foi. Bien que ces documents soient médiatisés par des hommes et que la procédure juridique se concentre sur les aspects sacramentaires de son « hérésie », c’est bien son statut de lectrice de la Bible et son refus des interprétations de l’Église qui en font une protestante.
Mathilde Leclercq nous fait observer les Genevoises face à la justice calviniste au temps de la Réformation, un des aspects de ses recherches doctorales. Dans les sources consistoriales et judiciaires de la république de Genève, c’est une face plus sombre du rapport entre féminité et Réforme que l’on découvre. Au quotidien, dans la cité du Léman où s’impose la discipline calviniste, les femmes sont objets d’une vigilance renouvelée, autour de la norme de la bonne épouse et mère : la fin de la possibilité de vivre en couvent peut, paradoxalement, leur ôter des possibilités de vie sans homme. Le couple, revalorisé, est certes le lieu de l’amour conjugal, mais aussi celui d’une inégalité fondamentale. Si le divorce est théoriquement possible, il est très rare, et n’est par exemple pas accordé pour des actes de violence masculine au sein des couples…
Avec Hélène Lanusse-Cazalé, on passe à l’époque contemporaine avec l’étude de la philanthropie et de l’engagement social des femmes protestantes au xixe siècle. Les femmes (en particulier celles de pasteurs) ont une sorte de vocation, celle de la charité et de la bienfaisance. Le poids des œuvres est renforcé avec le Réveil et, si les femmes restent exclues du diaconat (malgré l’existence de diaconesses dans d’autres cadres), des comités et des sociétés se constituent, des lieux se créent sous l’égide de femmes très actives, comme par exemple l’Asile réformé d’Orthez. L’engagement social et politique de certaines, comme Eugénie Niboyet qui fonde en 1848 la Société de la voix des femmes, amène à de premières réflexions en fin de siècle pour une incorporation des femmes aux ministères, même s’il faut attendre la Grande Guerre pour qu’elles infusent.
Gabrielle Cadier-Rey nous offre enfin une courte synthèse conclusive sur les femmes protestantes dans la cité au xxe siècle, le siècle des premières pasteures (la première consécration n’a lieu qu’en 1949 en France avec Élisabeth Schmidt, même si elle sanctionne une activité antérieure). Mais c’est aussi le siècle de nouveaux enjeux où les femmes sont centrales, comme les questions de suffrage (réellement) universel ou de contrôle des naissances. Autant de sujet qui peuvent nourrir des débats encore actuels, au sein desquels l’identité protestante peut s’exprimer. Ce petit recueil, très stimulant, donne assurément envie de poursuivre la réflexion.