Book Title

Gianmarco Braghi, The Emergence of Pastoral Authority in the French Reformed Church (c.1555-c.1572)

(Bologna Studies in Religious History), Leiden : Brill, 2021, 336 p.

Raymond MENTZER

Comment comprendre les débats autour de l’institutionnalisation des Églises réformées de France ? La réponse de Gianmarco Braghi est une tentative ambitieuse de décrire et d’évaluer le rôle et l’influence des pasteurs et des théologiens les plus en vue au début de la Réforme en France. Ils s’engagent selon l’auteur dans un processus de centralisation progressive des Églises réformées françaises, qui a abouti à la mise en place d’une structure synodale nationale. C’est dans les discussions et les adaptations du pouvoir clérical, ainsi que dans ses limites au sein d’une Église minoritaire que le caractère du mouvement réformé français aurait trouvé son expression fondamentale au cours des années 1555-1572.

L’étude commence par une analyse du cas de l’Église de Poitiers dans les années 1555-1557. Elle attire l’attention de Calvin et d’autres pour « promouvoir l’orthodoxie et l’orthopraxie réformées ». Il s’agit aussi de l’une des premières Églises pour lesquelles nous avons des renseignements précis. Ensuite, Braghi détaille les décisions du premier synode national, tenu à Paris en 1559. Les délégués étaient pris par les inquiétudes et les ambiguïtés liées au désir d’établir à la fois une doctrine cohérente et un ordre, une discipline, afin de promouvoir l’autorité cléricale. La grande réussite des députés fut la rédaction de la Confession de foi et de la Discipline ecclésiastique. Une fois composée, la Confession fut ensuite imprimée et distribuée. Pourtant, les réformés ne réussirent pas à convaincre la monarchie et d’autres autorités politiques de la vérité et de la légitimité de la vision réformée d’un christianisme authentique.

Braghi étudie ensuite les différentes formes de l’autorité cléricale durant la période 1559-1572. La difficulté était d’interdire l’accès à la chaire aux pasteurs non autorisés (vagabonds) et d’éviter la dissidence interne. Les synodes nationaux ont déployé des efforts considérables dans ce sens, pour contrôler la prédication et résoudre les questions doctrinales qui y étaient associées. L’auteur examine également les tentatives de l’Église pour influencer les habitudes de lecture des fidèles, et en conséquence promouvoir l’uniformité de croyance, de la liturgie et de la pratique ecclésiologique. Toutes ces mesures faisaient partie d’une campagne visant à renforcer l’autorité cléricale et la discipline ecclésiastique. Dans ce contexte, Braghi examine la querelle importante entre les pasteurs Mauget et Mutonis à Nîmes au début des années 1560, tout en soulignant sa signification plus large pour l’expansion des Églises réformées de France. Les discussions qui se déroulent dans le Midi sur les limites de l’autorité pastorale deviennent en effet une controverse à l’échelle du royaume avec la publication du Traicté de la discipline et police chrestienne de Jean Morély en 1562. Braghi explique avec soin l’ecclésiologie de Morély et ses propositions d’application de la discipline. Le résultat a entraîné un vif débat sur l’autorité pastorale et synodale.

Le livre se termine par un examen attentif des répercussions pour le pastorat du massacre de la Saint-Barthélemy d’août 1572. La discussion met en lumière l’exemple instructif de l’abjuration du pasteur Hugues Sureau Du Rosier en septembre 1572, puis son retour à l’Église réformée en 1573. Le cas de Du Rosier permet de saisir les ambiguïtés, les contrastes et les difficultés subies par les protestants en France entre 1555 et 1572. Il attire l’attention sur le caractère complexe et évolutif du clergé français au milieu des guerres de Religion, tandis que les pasteurs sont confrontés à l’exigeante tâche d’implanter les Églises. Les événements ont finalement abouti à l’acceptation du statut d’une minorité religieuse qui n’a obtenu la tolérance officielle qu’en 1598.

Le livre repose sur des recherches impressionnantes par leur variété et leur nombre. L’auteur s’appuie sur un vaste corpus de sources, y compris les traités et brochures imprimés, les documents synodaux et la correspondance privée. Braghi utilise également les sources manuscrites, toujours à bon escient. Pourtant, ce livre n’apporte que peu d’éléments supplémentaires à notre connaissance des premières décennies des Églises réformées de France. Il reste une histoire événementielle et conventionnelle des développements au niveau national, dans les décennies antérieures au massacre de la Saint-Barthélemy.

Cette histoire des débuts de la Réforme en France privilégie incontestablement l’interaction entre le royaume et Genève. Ainsi, on y trouve de longs développements sur les différences et divergences théologiques ou disciplinaires parmi les dirigeants de la Réforme, à Genève et en France. Braghi met en avant le point de vue des acteurs de premier plan comme Antoine de Chandieu, Nicolas Des Gallars, Théodore Bèze et, surtout, Jean Calvin. Bien que cette étude ne soit pas totalement consacrée à la Réforme française vue à travers l’objectif de Genève, elle perpétue une perspective interprétative classique. Braghi accorde à Genève un rôle primordial dans l’établissement et l’organisation des Églises réformées de France. Cette approche peut parfois être trompeuse. L’attention donnée aux ministres français formés à Genève cache leur faible nombre, au début, parmi le corps pastoral français. Quelle que soit l’autonomie institutionnelle de la Réforme française, elle se perd un peu dans cette interprétation.

L’analyse adopte en grande partie un point de vue classique, qui souligne l’influence de Genève au détriment des contributions proprement françaises. Braghi affirme que « l’Église réformée était en grande partie une exportation genevoise vers la France ». De plus, il met l’accent sur une structure ecclésiastique dans laquelle le pouvoir émanait d’en haut plutôt que des Églises locales. Il affirme ainsi que le synode national est le trait le plus marquant des Églises réformées de France. C’est une perspective qui est évidente dans le titre, et ensuite tout au long du livre. Braghi montre une nette préférence pour « l’Église réformée de France » plutôt que « les Églises réformées de France ». L’accent mis sur les dirigeants nationaux et internationaux aussi bien que sur le synode national ignore largement la notion de structure fédérative des Églises réformées françaises. Dans l’ensemble, cette étude présente une histoire traditionnelle, attentive aux développements nationaux, aux points de vue des principaux théologiens et autorités ecclésiastiques, et à l’influence des événements politiques.