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Danielle Kupecek Domankiewicz, Une constellation dans la nuit. L’Entraide temporaire : un réseau de sauvetage d’enfants juifs sous l’Occupation

Paris : L’Harmattan, 2021, 276 p.

Patrick CABANEL

L’autrice est la fille de l’ancien rédacteur en chef du quotidien yiddish Notre Parole ; elle est professeur d’histoire et diplômée de psychologie clinique et a souvent invité des témoins, anciens déportés ou sauveteurs, à s’exprimer dans ses classes. Elle livre un ouvrage attachant, bâti à partir d’archives peu nombreuses et de plusieurs enquêtes orales, mais qui souffre quelque peu d’un plan minimal : 25 chapitres, qui sont plutôt des entrées ou même des fiches accolées selon un mouvement chronologique, puis thématique et géographique. La lecture en continu n’en est pas facilitée, notamment face à des répétitions, mais le livre peut être utilisé comme une sorte de base documentaire tout à fait précieuse, et qui intéresse l’histoire du protestantisme dans la mesure où plusieurs membres décisifs de ce réseau de sauvetage parisien sont protestants (et parfois Justes parmi les nations). À commencer par la figure principale, Lucie Chevalley, la fille du théologien Auguste Sabatier, par ailleurs dirigeante du Service social d’aide aux émigrants.

De quoi s’agit-il ? L’entraide temporaire est une association née au sein d’un groupe de dames de la haute société désireuses de venir en aide à des familles juives victimes du Statut des juifs puis de la déportation, et surtout à leurs enfants. Il s’agit, dans un premier temps, de recueillir des fonds et de procurer des emplois de substitution à ceux et celles qui ont perdu le leur du fait du Statut. Le temps des rafles venu, l’Entraide entend mettre à l’abri, soit dans Paris et sa banlieue, soit surtout dans des départements ruraux de la zone Nord, les enfants dont les parents ont été arrêtés ou sont directement menacés. Interconfessionnelle, féminine, et de haute bourgeoisie, l’Entraide rassemble les épouses de deux directeurs des établissements Kuhlmann, la juive Antoinette Berr (la mère d’Hélène Berr, dont le journal est aujourd’hui célèbre), et la protestante Odette Béchard, qui s’est engagée après avoir entendu le sermon du pasteur André-Numa Bertrand, à l’Oratoire du Louvre, sur le port de l’étoile jaune ; mais aussi Mme Bezançon, une protestante dont l’époux est directeur dans la même société ; Mme Pesson-Depret, catholique, épouse d’un directeur de la banque Morgan, Mme Massé (l’épouse du futur Commissaire au plan, le protestant Pierre Massé) et Denise Milhaud, juive, responsable des maisons d’enfants gérées par l’UGIF. Parmi les rares hommes (mais les époux des femmes citées à l’instant sont bien sûr informés), le protestant Maurice Nosley, qui a conduit des enfants dans quatre familles en Saône-et-Loire, et a transmis les sommes d’argent que lui confiait Mme Berr, en ajoutant sa propre contribution.

Lorsque l’Entraide, à partir du printemps 1943, décide de confier des enfants juifs à une série de familles en province (en payant les pensions et le plus souvent en cachant la judéité des enfants), elle ose coucher les comptes et des fiches sur les enfants et les familles d’accueil dans un ancien registre de l’Union française pour le sauvetage de l’enfance (UFSE), fondée « jadis » par Pauline de Kergomard et animée par une série de figures (souvent protestantes) de la République laïque. Les dates et les lieux sont codés (1943 devient partout 1913, la déportation des parents maquillée en séjour à « Bayonne », Drancy étant « Biarritz », le tout afin d’égarer des enquêteurs qui auraient mis la main sur le registre. La même opération est renouvelée à l’UFSE, qui poursuit des activités illégales assez semblables, sous la direction de Fernand Béchard (supra), épaulé dans son CA par de nouveaux venus protestants, Gustave Monod, Pierre Vernes, Roger Kaltenbach.

Parmi les 170 enfants placés par l’Entraide temporaire, l’autrice signale la présence de deux frères d’André Schwartz-Bart (qui allait recevoir le Prix Goncourt 1959 pour Le Dernier des Justes), et des frères et des sœurs de Sarah Kofman, qui allait devenir philosophe et publier notamment un témoignage sur les années 1940, Rue Ordener, rue Labat (1993).

Une Constallation dans la nuit, que l’on aurait aimé voir doté d’un index, est ainsi une contribution à l’histoire des juifs à Paris pendant la Shoah (et au sauvetage des juifs par les juifs), mais aussi à la part prise par des protestants, pasteurs et laïcs, pour leur venir en aide : l’œuvre de la Clairière (Oratoire du Louvre) et les noms du pasteur Vergara et de l’assistante Mlle Guillemot ne manquent pas d’y être cités, à côté de ceux déjà relevés.