Jean Volff, L’Église protestante mixte d’Algérie (1830-1908)
Lyon : Olivétan, 2020, 350 p.
On ne le sait pas toujours mais, entre 1839 et 1908 il existe en Algérie une Église protestante luthéro-réformée. Ce n’est pas exactement une Église unie, c’est une Église mixte, administrée par des pasteurs des deux confessions. Ce livre, qui en retrace l’histoire, est un ouvrage très érudit, fondé sur une étude approfondie et de première main des sources archivistiques disponibles1 : principalement celles des archives départementales du Bas-Rhin, celles du Directoire luthérien de Strasbourg et celles des Églises d’Algérie conservées aujourd’hui à Aix-en-Provence. De ce fait, il nous offre un tableau et très précis et surtout très neuf de la vie de cette Église, en particulier grâce au dépouillement des registre des délibérations du consistoire d’Alger, qui sont souvent citées.
Il se divise en deux parties. Dans un premier temps (p. 15-192), J. Volff retrace de façon chronologique la vie de cette Église, de sa fondation officielle en 1839 à sa dissolution en 1908 à la suite de l’application (partielle) en Algérie de la loi de 1905 séparant les Églises de l’État. Il y montre bien la part importante d’improvisation qui prévaut en 1839 lorsque l’État entreprend de donner une organisation ecclésiastique aux quelques centaines de protestants installés en Algérie depuis la conquête française et qui se sont organisés en consistoire provisoire en 1836. En effet il constate qu’il y a certes des réformés et des luthériens, mais qu’ils ne sont pas assez nombreux pour qu’on envisage de mettre sur pied deux Églises protestantes distinctes. Si bien que l’ordonnance du 31 octobre 1839 précise seulement « il y aura à Alger une Église consistoriale pour le culte protestant » (cité p. 50), alors qu’en métropole l’État ne reconnaît que des Églises consistoriales « réformées » ou « de la Confession d’Augsbourg ». De plus, au départ les réformés d’Alger considèrent qu’il s’agit en fait d’un consistoire réformé. D’ailleurs, à l’origine, on ne compte qu’un luthérien parmi les 12 membres laïcs du consistoire. Mais la situation reste floue au point de vue juridique. De plus, les fidèles se répartissent entre les deux confessions et assez rapidement le Directoire luthérien de Strasbourg demande à intervenir dans la nomination des pasteurs luthériens, comme il le fait en métropole. De fait, en 1842 l’État fait droit à sa demande : lorsqu’il crée deux « oratoires » (Églises locales dépendant d’un consistoire) l’un est qualifié de réformé (à Oran) et l’autre est qualifié de luthérien (à Dély-Ibrahim) ; et en 1843 le pasteur Dürr, luthérien, est nommé à Dély-Ibrahim sur présentation du Directoire. Cela nous vaut d’ailleurs un beau portrait de ce pasteur, qu’on appelle parfois « l’apôtre de l’Algérie ». De caractère irénique, il est en effet très actif, faisant notamment de nombreuses tournées dans des conditions très difficiles pour visiter les fidèles isolés.
Le récit que fait J. Volff est fort intéressant car on assiste réellement la création d’une nouvelle Église où tout est à faire, tant au point de vue matériel que spirituel. Toutefois, il montre bien qu’en Algérie la vie des Églises protestantes est loin d’être un long fleuve tranquille. Les difficultés matérielles sont nombreuses, liées à l’installation progressive de colons européens souvent très pauvres et peu pratiquants. Le recrutement des pasteurs est lui aussi souvent difficile et les conditions de l’exercice du ministère sont telles qu’il n’est pas rare que les pasteurs restent peu de temps. On remarque aussi des conflits entre certains pasteurs et le consistoire ; ainsi, plusieurs d’entre eux sont destitués, notamment le pasteur Sautter, que J. Volff qualifie pourtant de de « véritable organisateur de l’Église protestante d’Algérie » (p. 72) ; tandis les querelles entre pasteurs ne sont pas épargnées à cette jeune Église. S’y ajoutent des conflits entre réformés et luthériens, dus au flou de la situation administrative. À l’aide d’une étude approfondie de ses sources, l’auteur donne de très nombreux détails sur les difficultés, de tous ordres, rencontrées par cette Église. Finalement, au point de vue ecclésiastique c’est avec le décret du 12 janvier 1867 que la situation est clarifiée entre réformés et luthériens, avec la création de 3 consistoires officiellement mixtes (Alger, Oran, Constantine) ; l’Église compte alors 12 paroisses (7 réformées et 5 luthériennes). Ensuite l’annexion de l’Alsace-Moselle par l’Allemagne, en 1871, a des répercussions importantes. Certes, des Alsaciens qui ont opté pour la France, souvent luthériens, viennent s’installer en Algérie, mais comme l’ensemble du luthéranisme français qui est affaibli les années 1870 « marquent l’amorce du déclin du luthéranisme en Algérie » (p. 150). Enfin, cette Église mixte ne survit pas à la séparation des Églises et de l’État : en 1908 les paroisses protestantes algériennes ne décident pas de former une Église unie, au contraire elle se répartissent entre les Unions d’Églises luthériennes et réformées constituées en métropole. Comme l’écrit J. Volff, « soixante-dix ans de cohabitation et d’administration commune n’ont pas suffi à instaurer une véritable unité » (p. 322).
Dans une seconde partie, intitulée « Éclairages particuliers » (p. 193-319) J. Volff apporte toute une série d’informations très précises et très détaillées sur un certain nombre points, comme les édifices cultuels, les écoles protestantes, l’orphelinat de Dely-Ibrahim, ou le corps pastoral, par exemple. Celles-ci seront très utiles aux chercheurs.
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1. Voir les deux articles que l’auteur a publiés dans notre revue : « L’apôtre de l’Algérie » : le pasteur alsacien Jacques Timothée Dürr (1796-1876) » RHP 4 (2019) p. 133-148 ; « Dix figures laïques du consistoire d’Alger (1839-1872) », RHP 5 (2020), p. 253-285.