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Rasse des Neux, Recueil poétique (BnF, Manuscrit français 22565)

Édition critique par Gilbert Schrenck, avec la collaboration de Christian Nicolas, Paris : Classiques Garnier, « Textes de la Renaissance », 2019, 582 pages

Frank LESTRINGANT

Ces deux livres parus en même temps sont différents mais se complètent. Celui d’Amedeo Molnár, théologien tchèque (1923-1990), est la réédition d’un ouvrage paru en 1978. Éditeur des œuvres complètes de Jan Hus, il en donne et commente ici de nombreux extraits. Il fait aussi une large place à l’iconographie, ce qui permet de voir l’impact qu’ont eu les hussites, mais la bibliographie n’a pas été remise à jour. Olivier Marin est un jeune universitaire français qui, dans une vue d’ensemble, replace le mouvement hussite dans l’histoire à la fois de la Bohême et de l’Europe, sur plusieurs siècles, jusqu’à aujourd’hui. L’un de ses fils directeurs est de se demander si l’on peut considérer le hussitisme comme précurseur de la Réforme – une première Réforme, comme dit Molnár ; un autre est de cerner les liens entre ce mouvement religieux et l’histoire nationale tchèque de Bohême et Moravie qui veulent se dégager de l’emprise allemande. Ces deux livres rappellent d’abord le contexte religieux de la fin du xive siècle et du début du xve, le temps du Grand Schisme (1379-1417) quand deux à trois papes se disputaient le pouvoir ; cela peut expliquer les critiques contre l’Église et la demande de réformes. Parmi les théologiens qui appelaient à des réformes, deux ont particulièrement influencé Jean Hus (1370 ? – 6 juillet 1415) : le prédicateur praguois Matthias de Janov, qui prêchait un retour à la pauvreté et à la pureté évangélique en réduisant, notamment, les multiples pratiques courantes de la dévotion ; et surtout le théologien anglais d’Oxford John Wyclif (1330 ? – 1388) qui rejetait les principes de hiérarchie et d’autorité de l’Église, prônait l’Écriture comme seule source de la foi, refusait le dogme de la transsubstantiation et, devant les excès du clergé, réclamait une redistribution des biens de l’Église. Ce dernier point ne déplaisait d’ailleurs pas aux princes.

Ce sont surtout ces idées de Wyclif que Hus, ordonné prêtre en 1400, a prêchées, à partir de 1402, dans sa paroisse de Bethléem à Prague, où il attirait un auditoire de plus en plus important. Pour instruire ses fidèles, il utilisait notamment des cantiques qu’il composait ou remaniait en langue vernaculaire. Cette réforme hussienne, qui eut d’abord eu comme cadre l’université de Prague, s’étendit au-delà de sa paroisse et de la capitale. Au début, le roi de Bohême Venceslas IV (faible et alcoolique) soutenait le mouvement : il s’était approprié le tiers des terres ecclésiastiques ; mais il s’en désolidarisa quand les suiveurs de Hus s’attaquèrent aux indulgences que les papes concurrents multipliaient pour se faire la guerre. Le roi interdit les manifestations contre les indulgences (sur lesquelles il prélevait une partie du bénéfice de la vente). Jan Hus quitta la ville mais, protégé par quelques grandes familles, il put continuer à écrire et à prêcher. Il utilisait le tchèque pour toucher le plus de monde.

Pour mettre fin au Grand Schisme et à la diffusion des idées hussites auxquelles s’ajoutaient maintenant l’utraquisme – c’est-à-dire la communion sous les deux espèces –, Venceslas accepte la réunion d’un concile à Constance. Hus y est convoqué pour se justifier. Malgré un sauf-conduit de l’empereur, il est arrêté, emprisonné, condamné et brulé vif, le 6 juillet 1415. Il est conduit au supplice sans cesser de chanter des psaumes et de répéter qu’il n’avait jamais enseigné et prêché que la vérité. Quelques mois plus tard, son ami Jérôme de Prague, un laïc, est également brûlé vif. « Par deux fois, le bûcher est devenu une tribune idéale pour exposer au vu et au su de tous les mobiles de la Réforme. L’Église romaine, qui n’avait pas canonisé de martyrs depuis 1253, se voyait ainsi dépossédée d’une source incomparable de légitimité », écrit O. Marin. Les partisans de Hus se soulevèrent et éclata une terrible guerre, à la fois religieuse et nationale, politique et sociale, qui pendant près de vingt ans ravagea la Bohême et l’Allemagne, jusqu’en 1436, date à laquelle intervint un compromis, les Compactata. Le hussitisme, dans sa forme modérée, était réintégré dans l’Église universelle, l’utraquisme était légalisé et libre la prédication de la parole de Dieu. Olivier Marin consacre quatre chapitres à ces guerres qui causèrent la disparition de 40 % de la population tchèque. Au cours des décennies suivantes, les Compactata ont été parfois dénoncés, mais toujours de nouveau confirmés malgré la mainmise croissante des Habsbourg sur la Bohême. On estime qu’à la fin du xvie siècle, la majorité de la population et de la noblesse avait adhéré au protestantisme. En 1609, les Tchèques se font encore confirmer leur liberté religieuse, mais le nouveau roi de Bohême, Ferdinand de Styrie, prend des mesures pour ramener la Bohême au catholicisme. Les Tchèques se révoltent, ce qui déclenche la guerre de Trente Ans qui va ravager la Bohême et l’Europe entière. En 1620, les forces protestantes tchèques sont défaites à la bataille de la Montagne blanche. Les Habsbourg suppriment l’autonomie de la Bohême, le processus de germanisation et de recatholicisation s’intensifie. La Bohême ne retrouvera sa liberté qu’en 1918. « Du désastre réchappa cependant une épave magnifique ». C’est ainsi qu’Olivier Marin évoque la publication (1579-1594) de la Bible dite de Kralice, qui fut pour la Bohême ce que furent les Bibles de Luther ou du roi Jacques Ier pour l’Allemagne et l’Angleterre.

Le xixe siècle est celui du réveil des nationalités. « L’idée démocratique fit progressivement son chemin parmi les élites de Bohême et les incita à se réapproprier la puissance émancipatrice dont le mouvement hussite avait été porteur. » Ce revival hussite s’appuya sur l’histoire, la littérature, les opéras, les arts… À la veille de 1914, « le hussitisme était redevenu un haut lieu prétendument constitutif de l’identité politique et culturelle tchèque. » En 1915, sur la place de la vieille ville de Prague, est dévoilée l’imposante sculpture en l’honneur de Jan Hus. Et en 1918, le président de la Première République tchécoslovaque, Masaryk, explique que la démocratie s’enracine dans l’Église hussite. D’ailleurs, une partie du clergé catholique se détache du Vatican, reprend l’héritage hussite et crée ainsi une Église nationale tchèque (8 janvier 1920). Revendique aussi d’être dans la continuité de Jan Hus l’Église évangélique des Frères tchèques, née de la fusion en 1918 des Églises réformée et luthérienne. Cette Église est aujourd’hui membre à la fois de l’Alliance réformée mondiale et de la Fédération luthérienne mondiale. Cependant, de nos jours, en République tchèque, moins du tiers de la population revendique d’appartenir à une religion.

Olivier Marin répond affirmativement par le titre de son livre et dans sa conclusion à son interrogation : le mouvement hussite appartient-il à la Réforme ? Mais Wyclif et Hus avaient été précédés par Valdès, dont les pauvres de Lyon dans le martyre et la clandestinité défendaient des idées comparables. Et Amedeo Moldár montre bien ce qui distingue la première (Valdès, Wyclif et Hus) de la seconde Réforme. De plus, dans l’héritage de Hus, il n’y a pas que les Frères tchèques : il y a les Frères moraves, aujourd’hui plus nombreux que les précédents, et qui par leur présence dans différentes parties du monde, par leurs écoles et leurs œuvres sociales, sont plus connus et influents. Leur histoire et le rôle du comte Zinzendorf auraient pu être rappelés.

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1. Jeanne Veyrin-Forrer, « Un collectionneur engagé, François Rasse Des Neux, chirurgien parisien », in La Lettre et le texte. Trente années de recherches sur l’histoire du livre, Paris, Collection de l’École normale supérieure de jeunes filles, 1987, p. 423-477 et notamment p. 424-439.

2. Jean-Baptiste Trento et Pierre Eskrich, Mappe-Monde Nouvelle Papistique (Genève, 1566), édition critique par Frank Lestringant et Alessandra Preda, Genève : Droz, « Travaux d’Humanisme et Renaissance », 2009.