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Frank Lestringant, La Quinzaine Du Bartas. Lire La Sepmaine, La Seconde Semaine et Les Suittes

Paris : Classiques Garnier, « Géographies du monde », 2021, 434 p.

Frank LESTRINGANT

La Sepmaine, c’est-à-dire la Semaine, avec un p comme dans le chiffre sept, du poète protestant Guillaume de Saluste Du Bartas est le seul poème français de la Renaissance dont la gloire ait franchi les frontières. Publiée pour la première fois en 1578, augmentée ensuite et presque immédiatement traduite dans les principales langues d’Europe, anglais, allemand, néerlandais, espagnol et latin, mais aussi polonais, cette épopée en sept jours évoque la Création du monde, amplification du premier chapitre de la Genèse, enrichie de Pline l’Ancien et de toutes les encyclopédies disponibles à la Renaissance, dont les Cosmographies de Sébastien Münster et d’André Thevet.

La Sepmaine a parfois été considérée comme le « poème scientifique » par excellence, relevant d’un genre ainsi qualifié par Albert-Marie Schmidt. En fait, ce poème de quelque six mille alexandrins relève de la poésie encyclopédique, dans la lignée des Géorgiques de Virgile ou du traité De la nature de Lucrèce. Son but était de concilier la leçon de l’Écriture à celle des sciences naturelles tributaires du paganisme antique.

Dans la suite de cette première Sepmaine, Du Bartas entreprit sans retard une Seconde Semaine beaucoup plus considérable, qui aurait dû retracer l’histoire de l’humanité, depuis l’Éden jusqu’à l’Apocalypse. Chaque jour de cette Seconde Semaine comprend quatre livres, l’ensemble projeté atteignant le quadruple de la première. Mais Du Bartas mourut en 1590, à l’âge de 46 ans, avant d’avoir pu achever son œuvre, riche en l’état de quelque trente mille vers. Cette Seconde Semaine est inégale, a-t-on dit ; elle est surtout extraordinaire. Dès l’histoire d’Abraham et surtout dans celle de Moïse, l’on y est aspergé par un déluge de sang, et des pléthores de corps s’entassent à foison, dont les membres sont raccordés au petit bonheur. La tête d’un géant se greffe sur le buste d’un nain, une main d’enfant se raccorde au bras musculeux d’un géant, et ainsi de suite.

En dehors de ces exemples extravagants, et à coup sûr étonnants, le poème culmine dans les livres des « Trophées » et de « La Magnificence », respectivement consacrés aux règnes de David et de son fils Salomon. Les noces de Salomon et de la reine d’Égypte se déroulent sur le modèle du bal des astres qui l’accompagne. Le cosmos est une salle de bal circulaire où les astres tournoient, pendant que le jeune couple évolue au milieu d’eux, paré d’habits chatoyants.

La Seconde Semaine a été composée en plusieurs temps, procédant par rebonds successifs, à l’occasion notamment du voyage de Du Bartas en Écosse auprès du roi Jacques VI, le futur Jacques Ier d’Angleterre, un jeune souverain de vingt ans composant lui-même des vers en anglais et en français, et qui aurait voulu retenir le poète auprès de lui. C’est à cette navigation septentrionale que le poème est redevable d’une tempête en mer, l’une des plus belles que la poésie de la Renaissance ait produites, dont l’évocation tumultueuse est rapportée dans l’Histoire de Jonas, amplification du bref livre homonyme de l’Ancien Testament.

Le présent ouvrage offre un parcours méthodique des deux Semaines, dans l’ordre où elles se présentent, depuis le Premier Jour jusqu’au Schisme et à la Décadence, c’est-à-dire depuis la création du monde jusqu’à la déportation à Babylone du roi Sédécias et de son peuple. C’est l’occasion de découvrir la richesse d’une œuvre poétique magistrale, qui tente de concilier l’héritage biblique à la tradition humaniste et dont l’écho se prolonge jusqu’au romantisme, avec un sonnet fameux de Gérard de Nerval et tels poèmes des Châtiments ou de La Légende des siècles de Victor Hugo.

Impossible non plus de comprendre Agrippa d’Aubigné et la nouveauté des Tragiques sans le précédent des deux Semaines. Malgré la pointe de mépris qu’il exprime dans sa correspondance, d’Aubigné doit beaucoup à Du Bartas, et notamment l’ampleur et la solidité de son poème apocalyptique. Le tableau célèbre de la résurrection des morts figure déjà dans la première Sepmaine avant de trouver sa forme définitive et légèrement raccourcie dans le dernier livre des Tragiques.

Enfin ce livre s’achève, sous le signe de Rimbaud, auquel la formule est empruntée, par « la fin du monde, en avançant ». La Sepmaine ou plutôt les Semaines ont engendré sans retard une demi-douzaine de Semaines apocalyptiques, réponses ou répliques catholiques aussi bien que protestantes à la première semaine du monde narrée par Du Bartas. Ces Dernières Semaines découpent la fin des temps en sept journées, qui aboutissent à l’ekpyrose finale et au Jugement Dernier. À leur manière, Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné sont une variation, particulièrement saisissante, sur ces « Semaines » terminales, après quoi règne une lumière éternelle.

Ces Semaines terminales aboutissent tout naturellement au Paradis perdu de John Milton, grand lecteur de la Sepmaine en version anglaise, dans la magistrale traduction versifiée de Josuah Sylvester.