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Joëlle DÉSIRÉ-MARCHAND, Des Néel du Moyen Âge normand aux Neel du xixe siècle à Jersey

Ampelos, 2020, 189 p.

Gabrielle CADIER-REY

C’est à la suite d’une rencontre avec la famille Neel/Néel que Mme Désiré-Marchand, déjà auteur de plusieurs livres sur Alexandra David-Neel, entreprit de raconter l’histoire de cette famille en remontant le plus loin possible, en l’occurrence ici, au xe siècle. Selon des études onomastiques, le nom Néel serait d’abord un prénom (ce qui a donné Nelson) importé en Angleterre puis en France par des Norvégiens d’Irlande. Le premier Néel connu, vicomte de Saint-Sauveur dans la Manche, était le fils de Richard le Danois, compagnon de Rollon qui s’établit en Normandie en 911. Au fil de récits de bataille, de poèmes, l’auteur trouve mentionné ce nom de Néel de St Sauveur. Un descendant participa-t-il à la conquête de l’Angleterre en 1066 ? Les réponses divergent et ce serait non. Les renseignements sur les successeurs sont succincts mais il semble que la lignée masculine de Richard le Danois s’éteint au xiie siècle. Puis on trouve des Neel (sans accent) à Jersey au xive siècle et, jusqu’à la fin du xviiie siècle, on n’en sait rien d’autre que la tradition familiale. Les îles anglo-normandes sont passées à la Réforme au milieu du xvie siècle et ont été des lieux d’accueil pour les huguenots persécutés. C’est dans la mouvance méthodiste que l’on retrouve les Neel. Elias Andrew Neel (1788-1858), à la fois farmer et prédicateur, créa une école Sion House dans une partie de son manoir. On y enseignait le français, l’allemand, le latin et le grec. Parallèlement se développaient des écoles du dimanche. Les professeurs devaient appartenir à la Société méthodiste wesleyenne.

Son fils Elias (1808-1895) lui succéda dans ses activités d’évangélisation tout en participant à la vie économique de l’Île. Le frère de ce dernier, James Philippe (1816-1892) est mieux connu grâce à ses écrits personnels et aux archives de l’Église réformée. Très tôt il a ressenti sa vocation pastorale et il exerça en France d’abord comme missionnaire itinérant, puis pasteur dans les Cévennes, la Drôme, et même en Corse où il résida quatre années. On a là un exemple intéressant de ces jeunes méthodistes britanniques, parlant français, qui, sous la direction du pasteur Cook, devaient soit desservir les ouvriers anglais travaillant en France (dans la construction des chemins de fer), soit « réveiller » les populations des anciennes régions huguenotes. À Anduze, James Philippe, en 1844, épousa la fille du pasteur, Fanny Auzière, qui animée de la même foi que son époux l’accompagnait dans ses courses, jusqu’à ce qu’elle fût surchargée par le nombre de ses enfants. Ils en eurent dix, et l’histoire de cette progéniture fait l’objet du deuxième volume.

Sur ces dix, on connaît mieux ce qui advint des quatre fils. Pour les filles, deux moururent jeunes et pour les autres, une seule est à remarquer. Les quatre frères ont fait des études supérieures. Émile (1847-1922) passe par les facultés de théologie de Genève et Montauban, mais il fait carrière dans les chemins de fer tout en s’occupant, parallèlement, du vignoble familial. Frédéric-Louis (1855-1930) diplômé de l’École des Mines de Saint-Étienne, est ingénieur au PLM. À Paris, avec sa femme Lydie Humbourg, il mène une vie très mondaine, mais elle meurt jeune. La mort de sa femme le ramène au méthodisme où il s’engage comme Agent général et trésorier. Puis il se remarie. Philippe (1861-1941), dès son diplôme de l’École Centrale de Paris, en 1884, débute comme ingénieur en Algérie sur le chemin de fer de Bône à Guelma. Ensuite il s’installe à Tunis où il mène grande vie. C’est là qu’il rencontre la cantatrice Alexandra David (1868-1969), qu’il épouse en 1904. Alors que son mari termine à Tunis sa carrière d’ingénieur en chef, elle part pour l’Asie s’initier aux philosophies orientales. Elle se trouve au Tibet quand son mari meurt en 1941 et, à cause du conflit mondiale, elle ne peut rentrer en France qu’en 1946. Dans les vingt-trois années qui lui restent à vivre, elle écrit plusieurs livres sur ses explorations. Le couple de Philippe et Alexandra fait l’objet d’un troisième livre du même auteur (Philippe et Alexandra David-Neel. L’étrange équilibre d’un couple exceptionnel, Ampelos, 2019). Parmi les sœurs des quatre frères, retenons Évangéline (1855-1933) qui passe l’agrégation d’anglais en 1894 et toute sa vie est professeur au collège de Carcassonne. Elle reste célibataire et fidèle au protestantisme. Le quatrième fils, Élie (1862-1925), suit la voie de son père pasteur. Après ses études à Lausanne et Montauban, il est consacré en 1885 et commence, comme son père, sa carrière dans le Sud-Est. Il se marie en 1886 et aura sept enfants. Comme ses amis Élie Gounelle, Henri Nick, Wilfred Monod, il fait partie de ces pasteurs « bouillants » engagés dans le Christianisme social, fervents républicains et dévoués à l’évangélisation. Son fils André fut aussi pasteur et aumônier militaire. L’auteur suit cette nouvelle génération en mettant en valeur les personnalités les plus marquantes. On ne peut que saluer cette entreprise d’avoir suivi, avec érudition, sur plusieurs siècles une même famille fidèle au protestantisme et aux destins si variés.