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André ENCREVÉ, Les protestants et la vie politique française. De la Révolution à nos jours

Paris : CNRS Éditions, 2020, 599 p.

Patrick CABANEL

Les livres dans lesquels un auteur réunit une partie de ses textes éparpillés dans vingt publications différentes et depuis autant d’années, ou plus, ne sont peut-être pas parmi les plus « excitants », à première vue, mais à l’évidence parmi les plus utiles. Voici, en 600 pages avec index, pas moins de 25 publications qui s’échelonnent sur quasiment un demi-siècle, de 1971 (un article sur les protestants et la Commune de Paris) à 2015 (un texte sur l’attitude des protestants pendant la Seconde Guerre mondiale). Quelques-uns étaient facilement accessibles, notamment ceux qui sont parus dans le BSHPF, mais la plupart appartiennent à des ouvrages collectifs où il n’est pas immédiat de penser à aller les trouver ; ainsi se bâtissent, nous le savons, les bibliographies des universitaires, avec cette efflorescence de textes, généreuse ou désordonnée !, au côté de quelques massifs que sont les livres personnels. Deux exemples : l’article sur les protestants et la Révolution de 1848 avait paru dans les actes d’un remarquable colloque organisé en 1998 à Torre Pellice, pour le 150e anniversaire de l’émancipation des vaudois des Vallées (La Bibbia, la coccarda et il tricolore…, 2001). Et celui qui se demande si les protestants républicains peuvent être des modérés entre 1870 et 1905 provient des actes d’un colloque à Villeneuve d’Ascq en 2013 sur les « chrétiens modérés » en France et en Europe entre 1870 et 1960.

Ajoutons qu’André Encrevé ne s’en est pas tenu à reproduire ses publications à l’identique, mais qu’il les a soigneusement révisées, souvent réduites pour éviter des répétitions ou des longueurs argumentatives. Ici et là il réutilise, par exemple pour les monarchies censitaires (1814-1848) puis les débuts de la IIIe République, son ouvrage paru en 1985 et épuisé de longue date (Les protestants en France de 1800 à nos jours. Histoire d’une réintégration, Stock), non pas en le reprenant mais en le synthétisant. Il peut arriver qu’il augmente et actualise un texte initial : ainsi, dans l’étude sur le protestantisme français à l’aube du xxie siècle, qui clôt cet ouvrage, et qui était paru chez Privat en 2000 à l’occasion de la réédition de l’Histoire des protestants en France, naguère dirigée par Philippe Wolff, il enrichit son propos en intercalant quelques pages tirées de l’analyse du sondage commandé à l’Ipsos en 2017 par la FPF et Réforme.

Cinq pages inédites et nerveuses font de l’Avant-propos bien plus qu’une introduction rhétorique : elles offrent le regard d’un grand spécialiste, au faîte de sa connaissance des hommes et des régimes, sur plus de deux siècles d’histoire politique de la France. La cohérence et l’unité de ce regard ne laissent pas de frapper : du fait de sa grande thèse d’État et de plusieurs de ses participations à d’autres ouvrages collectifs (telle l’Introduction à l’histoire de la théologie, dirigée par Pierre-Olivier Léchot, chez Labor et Fides en 2018), on pense parfois à André Encrevé plutôt comme à un historien de la théologie, alors que le présent recueil révèle, s’il était nécessaire, ses qualités d’historien du politique (on se souvient à ce propos qu’il est l’auteur de deux Que sais-je ? sur le Second Empire et la Troisième République). Il couvre donc les xixe et xxe siècles, avec leurs grandes inflexions révolutionnaires et constitutionnelles, mais encore des textes aussi décisifs que l’édit de 1787 et les lois de 1901 sur les associations et de 1905 sur la Séparation. La Commune, l’affaire Dreyfus, la guerre et la paix (de 1914 aux lendemains de 1945), la guerre d’Algérie, les candidatures Mitterrand aux élections présidentielles, l’État d’Israël sont au programme.

Quels textes signaler plus particulièrement ici ? Chaque lecteur, en fonction de ses curiosités ou prédilections, choisira tel ou tel chapitre. J’ai, pour ma part, apprécié particulièrement de lire ou relire les pages sur l’édit de 1787, sur la Révolution ou encore sur son premier centenaire (le texte est ici tiré d’Études théologiques et religieuses ; peut-être lui manque-t-il une allusion à l’action spécifique du pasteur puis homme politique Auguste Dide…). On se réjouit de retrouver le grand article sur l’affaire Dreyfus paru en 1994 dans le volume dirigé par Pierre Birnbaum en « Bibliothèque des histoires » chez Gallimard, et pas moins de quatre articles sur la laïcité sous les IIIe puis Ve Républiques, dont celui qui est paru dans la Revue d’histoire de l’Église de France en 1998 (« Les protestants réformés face à la laïcisation de l’école au début des années 1880 »), et qui montrait que les protestants souhaitaient une laïcité à la manière de celle des États-Unis, mais qui n’était possible que dans un pays d’origine et de culture protestantes…

Ce livre de textes additionnés n’a rien de composite, et peut être tenu pour une véritable nouveauté, qu’il s’agisse de l’histoire politique des protestants ou, plus globalement, de celle de la France. Il rendra de grands services sur ces deux points.