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Jean-Yves DUFOUR (dir.) Les fouilles archéologiques du temple et du cimetière huguenots de Charenton, (La Vie des huguenots 84)

Paris : Honoré Champion, 2019, 320 p.

Marianne CARBONNIER-BURKARD

La « vie des huguenots », c’est aussi leur mort. Ce livre luxueusement imprimé et relié en témoigne, présentant le résultat de fouilles d’archéologie préventive effectuées en 2005 sur le site de Saint-Maurice (Val-de-Marne), qui fut celui du temple et du cimetière de Charenton pour les huguenots de Paris.

La première partie de l’ouvrage, la plus importante, concerne les vestiges du cimetière. En effet le cas est unique de fouilles ciblées sur un cimetière à la durée très limitée (au maximum de 1606 à 1685), d’une communauté bien identifiée. Les auteurs, archéologues et anthropologues de l’équipe de Jean-Louis Dufour, livrent une série de résultats. Dans la petite partie fouillée, 166 sépultures individuelles (64 % d’adultes) ont été retrouvées, outre un ossuaire (aucune pierre tombale, à la différence de petits cimetières réformés de campagne, de même époque, tel celui de Puy Berger, près de Lusignan, découvert en 2011). L’analyse des squelettes permet de diagnostiquer, outre des épisodes de peste, des pathologies chroniques des fidèles de l’Église de Paris enterrés à Charenton : polyarthrites inflammatoires, arthrose, rachitisme. L’emplacement des squelettes (rangés, alignés, voire orientés ?), les traces de cercueils (89 %) et de linceuls, de rares boucles et colliers, informent sur les pratiques funéraires de réformés parisiens du xviie siècle. Des comparaisons sont faites avec d’autres cimetières utilisés à l’époque moderne qui ont fait l’objet de fouilles : deux cimetières catholiques parisiens, et quelques cimetières protestants plus tardifs, à La Rochelle et à Lyon, ou à l’étranger, à Londres, Glasgow, Québec. Conclusion (p. 179, puis p. 227-229) : les huguenots morts ont été enterrés comme tout le monde de leur temps. Qu’ils aient dû – de par la loi – être enterrés dans des lieux séparés des cimetières catholiques (terres bénites) n’est cependant pas un détail, non plus que ces lieux soient hors des murs des villes. Au fond, la spécificité de la mort protestante est moins une norme éthique d’austérité qu’une norme quasi-anthropologique de désacralisation (l’une et l’autre norme répétées par la discipline des Églises réformées, signe de résistances à la nudité de la mort).

On regrette que la rédaction, à plusieurs mains, n’ait pas permis une vraie synthèse, partant d’un état de la question précis. Ainsi les travaux de Jacques Pannier sur les cimetières des réformés à Paris (1906, complétés en 1922 et 1932) sont à peine évoqués (p. 115) ; la découverte à Charenton en 1986 du cercueil en plomb, épitaphé, et du corps embaumé de Thomas Craven, ce jeune Anglais en séjour d’études à Paris, mort de la peste en 1636, est citée (p. 53) sans explication ni rappel de la documentation publiée en 2008-2009. L’histoire des ossements extraits du petit cimetière protestant de Saint-Germain (ex-cimetière de pestiférés) en 1937, entreposés délicatement sous l’escalier de la courette de la SHPF rue des Saints-Pères à Paris, manque aussi au tableau (voir BSHPF 1937, p. 213, 530 ; 1938, p. 324).

La seconde partie de l’ouvrage, sur les vestiges liés au temple – en particulier le premier temple (1608-1621), est plus clairement traitée. Les plans de Jacques Pannier en 1906 (p. 199) sont discutés à partir des traces archéologiques et de l’analyse archivistique du marché de travaux. L’hypothèse d’un temple intermédiaire entre 1623 (incendie du premier temple) et 1626 (achèvement du second temple) n’est pas vraiment convaincante, mais intéressante. L’enquête fouillée sur le mobilier de cuisine retrouvé sur le site de Charenton, laisse, elle, un peu sur la faim.

Si l’ouvrage ne tient pas ses promesses de jalon pionnier d’une histoire matérielle et culturelle de la mort réformée, il constitue néanmoins un utile répertoire de sources, avec des images de grande qualité, bien référencées.