Un tract inconnu de Claude Brousson
La Lettre aux Reformés de France contre le scandale des Revoltes (10 avril 1685)
À la mémoire de Josué Seckel (1949-2019)
La Lettre aux Reformés de France contre le scandale des Revoltes fait partie des collections des Imprimés de la BnF depuis les années 1830, comme l’indique l’estampille de la Bibliothèque royale apposée sur la première et la dernière page. Entrée par les confiscations révolutionnaires ou par les saisies des armées napoléoniennes dans les territoires conquis, cette menue brochure une fois timbrée a été recouverte d’un cartonnage, puis traitée, vers 1855, comme une pièce de la division « Histoire de France », sous la cote 8° Ld176. 1161.
La Lettre en question, anonyme, est sans aucun doute de Claude Brousson (1647-1698). Si elle a échappé aux biographes et bibliographes du célèbre prédicant du Désert2, c’est que cet unicum a pâti d’une erreur de plume du bibliothécaire sur la date (1635, pour 1685), incorporée dans le titre, reproduit tel quel, sans vérification, jusqu’à aujourd’hui. Erreur consolidée par la cote, dans le cadre systématique du Catalogue de l’Histoire de France : datée de 1635, la brochure a été classée au milieu des ouvrages concernant les années 1630. Qui pouvait alors soupçonner Brousson dans un « occasionnel » anonyme d’une autre époque ?
C’est par hasard, en vagabondant dans les sermons huguenots contre les « révoltés » ou « apostats », au xviie siècle3, qu’on a rencontré la Lettre… contre le scandale des Revoltes. La date indiquée au titre pouvait intriguer (quelle actualité pour des abjurations chez « ceux de la R.P.R » en 1635 ?). Livre en mains, tout s’est éclairé : la date à la fin de la lettre est du 10 avril 1685 ; quant à l’auteur du discours, il pouvait presque se passer de signature formelle : Claude Brousson.
On sait qu’après l’échec tragique de son « projet de Toulouse » de mai 16834, l’avocat Brousson, proscrit, s’est réfugié à Lausanne en novembre 1683 et qu’il s’est alors employé à plaider la cause des réformés persécutés en France. Ainsi au printemps 1684, il fait imprimer anonymement, sous la fausse adresse « à Cologne, chez Pierre du Marteau », l’Estat des Réformez en France, où l’on fait voir que les édits de pacification sont irrevocables…, avec une seconde partie Concernant la liberté de conscience & l’exercice de la Religion, y ajoutant en octobre une troisième partie, l’Apologie du projet des Réformez de France fait au mois de may 1683 : un solide et gros ouvrage destiné à alerter l’opinion de l’Europe protestante. Quelques mois plus tard, dans l’imminence de la Révocation, il publie, « au Désert, chez le Sincère », un ensemble de six Lettres au clergé de France assemblé à Paris… (datées de mai-juin 1685) : pour « faire voir que la conduite qu’on tient contre les Reformez est toute opposée à l’esprit du Christianisme », et « justifier la Religion Réformée ». Brousson ne s’en est pas tenu là. Dans une lettre à son frère, marchand réfugié à Amsterdam, en date du 28 novembre 1687, il évoquera en effet des « lettres d’exhortation » qu’il envoyait « cy-devant », en France, à « ceux qui ont succombé » (abjuré sous la pression), ses « frères » réformés5. Le premier biographe de Brousson, éditeur de ses écrits posthumes, dans son récit publié en 1701, y fera aussi allusion :
Dès le commencement de sa retraitte en Suisse, il avoit aussi envoié dans tout le Roiaume, & sur tout dans les païs où il étoit le plus connu, plus de trois mille paquets, contenant de petits imprimez qui tendoient à réveiller le zèle de ceux à qui la persécution avoit fait perdre le courage6.
De ces précoces lettres d’exhortation de Brousson, nulle trace jusqu’aux trouvailles signalées dans le BSHPF, l’une de Jules Vielles, en 1881, l’autre de Charles Bost en 1899. Il s’agit pour la première d’une lettre échappée d’un dossier criminel de 1698, trouvée dans la région de Nîmes : probablement de juillet 1685 (il est fait allusion aux conversions en Béarn) : « Messieurs et frères, Prenez courage, fortifiés-vous en la foy, voici le temps de l’épreuve et de la tribulation…7 ». Quant à la seconde, d’un dossier criminel conservé parmi les Archives de l’Intendance du Languedoc : c’est une Lettre aux Réformés de France, sans date, mais envoyée de Genève par un certain Pierre Jérussien, réfugié de Sommières, dans un courrier à son oncle nouveau converti, du 22 octobre 1685, donc probablement publiée par Brousson début octobre, juste avant la Révocation8. Il y est question d’une « grande tribulation » : Églises interdites, temples abattus, pasteurs chassés, troupeaux « dispersez et devorez » à la suite d’« édits et déclarations ». L’« apostasie presque générale » se réfère aux abjurations de masse en septembre 1685, suivant le parcours des régiments de dragons, en particulier dans toute la province du Languedoc. Faisant entendre l’injonction de l’Apocalypse, « Sortez de Babylone, mon peuple », la Lettre exhorte ces « foibles chrétiens » à la repentance et prie Dieu de les fortifier face aux épreuves à venir.
La Lettre aux Reformés de France contre le scandale des Revoltes, du 10 avril 1685, est une nouvelle pièce, peut-être la première, de cette série de tracts ou lettres circulaires de Brousson aux réformés du royaume. Mise en regard de la lettre d’octobre 16859, elle présente même titre générique (Lettre aux Reformés de France), même mauvais papier, mêmes bas-de-casse usés, même petit format in-12 (24 pages, tandis que la lettre d’octobre, comme celle de juillet, est une feuille volante de 4 pages), même typographie serrée, sans respiration. Quel imprimeur ? Les deux Lettres aux réformés sont sans doute sorties des presses de David Gentil, à Lausanne, le même qui a imprimé sous de fausses adresses l’Estat des réformez en France (1684), puis les Lettres au clergé de France (1685, et nouvelle édition 1689)10. Dans la lettre du 10 avril, les coquilles typographiques sont très nombreuses (à croire que l’ouvrier typographe maîtrisait mal le français et parfois s’est fait dicter la copie) ; le code orthographique n’est pas constant (par exemple vôtre et vostre, réformés et réformez). Assurément, Brousson n’a pas relu les épreuves de son texte11. L’urgence l’emportait.
Sur le plan du discours, les similitudes entre les deux lettres sont patentes : même modèle d’écriture, mêmes expressions, mêmes images, mêmes tours rhétoriques. Il s’agit bien de lettres pastorales, proches du genre du sermon. Brousson n’est pas encore pasteur, pas même prédicant, mais il brûle de l’être12. Avec la lettre d’avril 1685, il prêche pour la première fois à tous les réfor-més de France, de plus en plus nombreux sans pasteurs. Témoi-gnent du genre de la lettre pastorale, l’adresse à ses « très-chers Frères », constamment interpellés, la rhétorique familière et énergique, la véhémence prophétique, l’incorporation au fil du discours de citations bibliques (une dou-zaine, tirées de la Bible de Genève, dont 7 référen-cées13), l’appel à la prière, la bénédiction et l’Amen final.
La Lettre du mois d’avril 1685 répond à un contexte différent de celui de la lettre d’octobre 1685, mais déjà angois-sant : sur fond d’une persécution croissante (thème de l’Estat des réformez et à nouveau de la première des Lettres au clergé de France, du 28 mai 1685), « toutes ces revoltes qui arrivent aujourd’huy », en tête celles de plusieurs ministres, nommément cités. Pour Brousson, il s’agit de faire barrage à la propagande des médias, en particulier du Mercure galant, montant en épingle les abjurations des élites réformées, les célébrant comme autant de prises de guerre pour le roi et l’Église, et barrage aux justifications publiées par des « ci-devant ministres » pour convaincre leurs an-ciennes ouailles.
Sous les deux mots chocs réunis au titre – révolte et scandale –, vibrent deux thèmes scripturaires eschatolo-giques :
la « révolte de la foi » / les « révoltez » (ou l’« apostasie » / les « apostats », termes savants, plus stigmatisants, em-ployés à vingt reprises dans la Lettre), selon la 2e épître de Paul aux Thessaloniciens, dans la traduc-tion de Genève :
… ce jour-là [de l’avénement du Christ] ne viendra point que premièrement ne soit advenue la révolte et que l’homme de péché ne soit révelé, le fils de perdition,
Qui s’oppose et s’élève contre tout ce qui est nommé Dieu ou qu’on adore, jusques à estre assis comme Dieu au temple de Dieu, se portant comme s’il estoit Dieu. (2 Th 2,3-4)
(le chapeau du chapitre 2 de l’épître indique : « Prédiction de la revolte en l’Église et de la venue de l’Antéchrist »).
la mise en garde foudroyante de Jésus à ses disciples dans l’Évangile matthéen :
Malheur au monde à cause des scandales, car il est nécessaire qu’il arrive des scandales ! Toutefois malheur à l’homme par qui le scandale arrive.
Que si ta main ou ton pied te fait chopper, couppe-le et le jette arrière de toi, car il vaut mieux que tu entres boiteux ou manchot en la vie, que d’avoir deux pieds ou deux mains et d‘être jetté au feu éternel. (Mt 18,7-8).
La charge dramatique de ces versets sous-jacents au titre de la Lettre donne le ton.
L’argument de la lettre est organisé en deux parties : d’abord une réponse générale au trouble suscité chez les réformés par le phénomène actuel des « révoltes » dans l’Église (p. 1-16), puis une réponse spécifique concernant quatre ministres « révoltés » qui viennent de défrayer la chronique (p. 16-24).
Dans la première partie, Brousson veut rassurer ses « très-chers frères » réformés, inquiets de telles défections dans leurs rangs, en expliquant ces actes. « Ne vous étonnez point ! » (p. 1-3). Il rappelle le cas du « perfide Judas » parmi les disciples de Jésus Christ, puis l’état moral des réformés – le grand nombre de pécheurs qui « nous scandalisent par leur mauvaise vie », des « mondains », prêts à l’« apostasie » –, enfin le « vent de la persécution », si violent qu’il cause la chute de « tant de faux chrétiens ».
La crainte d’une diminution de l’Église par ces chutes est vaine (p. 3-5). Il faut se réjouir » pour le corps de l’Église du retranchement des « membres gangrenés » (cf. Mt 18, 8 : « couppe-le ») : seuls périssent les « enfans rebelles », « vaisseaux de la colère » (cf. Rm 9, 22), tandis que les « élus de Dieu », les « brebis de Jésus Christ », « nul ne les ravira de ses mains » (p. 3-5). Là, Brousson entend consoler « ceux qui voyent leurs proches parens, ou leurs intimes amis, tomber dans l’apostasie, & par ce moyen dans la damnation » : avec l’espérance de la repentance de ceux que nous aimons, la force des larmes des parents et la confiance en la providence de Dieu (p. 5-8)14.
Brousson répond aussi au trouble des réformés tenant à une fausse interprétation de leurs malheurs, la « pensée qu’il n’y a pas apparence qu’un peuple qui est exposé à des maux aussi grands […], soit le peuple de Dieu15 », au contraire de la religion romaine « florissante » (p. 8-16). Il n’est que de lire l’Écriture sainte : la croix est la condition des disciples de Jésus Christ (Mt 16, 24). Inversement, la religion romaine persécutrice a le « caractère de l’Antéchrist ». Ce thème inflammable courait dans les Préjugez légitimes contre le papisme, ouvrage savant que Jurieu venait de faire paraître à Amsterdam (début 1685), mais il était autrement plus dangereux dans le tract de Brousson, dénonçant des faits du temps présent en France : temples abattus, caisse des conversions, prison, exils, interdiction des assemblées et même du chant des psaumes (p. 9-10). Évoquant le forcement des chrétiens à idolâtrer en adorant le saint sacrement, Brousson qualifie l’Église romaine de « pur paganisme renouvelé », et l’identifie à la suite de Jurieu à la « seconde Bête » de l’Apocalypse (p. 10-11).
L’excès même de la cruauté de la « religion romaine » avec les enlèvements d’enfants s’autorisant de la déclaration de 1681 (sur la conversion des enfants), démasque aux yeux de tous la « communion de l’Antéchrist », implicitement dévoile l’imminence du Jugement. Il s’agit là d’une violation du droit naturel « le plus inviolable », imputable à « Messieurs du Clergé » et aux « juges iniques ou mal éclairés » (le roi semble hors de cause). Il est à craindre, dit Brousson, que le « cri de ces pauvres innocents […] ne monte jusques au ciel » et n’attire sur la France, « ma chère patrie », les « plus terribles jugemens de Dieu ». À ce moment, un mouvement d’effroi appelle à la prière (p. 12).
Brousson revient sur le doute que suscitent les maux accablant les réformés : sommes-nous « le peuple de Dieu » ? Il place, face à ce peuple qui souffre, l’« amas de violences & de fourberies » de la « communion romaine », signes de la « fausse Église » (p. 13), à l’opposé de « l’épouse de Jésus Christ, qui est une douce colombe sans fiel » (p. 12). Celle qui se vante d’être « la mère commune des chrétiens » est plutôt la fausse mère qui, devant le roi Salomon, « aime mieux que l’enfant soit déchiré » (p. 13). Brousson apostrophe Rome : « cruelle Rome, pousse ta fureur aussi loin que tu pourras, arrache, arrache les pauvres enfans… ». Il en appelle au jugement de l’histoire et à la providence de Dieu, avec l’exemple de la mort de Jean Hus, qui, « dans la suite des temps » a « ouvert les yeux à la moitié de l’Europe, pour luy faire découvrir dans la Communion Romaine les caractères de Babylone », « tout le corps de ce mystère d’iniquité ». De manière analogue, la Providence « prépare sans doute les peuples » à une nouvelle « Réformation » (p. 14). Cependant, la persécution « la plus cruelle » du monde est niée par ses auteurs, dissimulée sous des « artifices » juridiques, afin d’empêcher les plaintes : un comble ! « Voilà, infames Apostats, quelle est la Communion que vous embrassés ». Et Brousson de rappeler à ceux-ci toutes les cruautés exercées par le clergé romain contre les réformés (p. 15-16).
On en vient à la seconde partie de la lettre, portant plus précisément sur le scandale des ministres apostats : montrer d’abord qui ils sont (p. 17-19), puis considérer le moment de leur apostasie (p. 19-23). Brousson sélectionne, pour les mettre au pilori, quatre ministres qui ont abjuré au cours des derniers mois : Alexandre Vigne, ex-ministre à Grenoble, dont l’abjuration avait fait grand bruit, à la cour et jusqu’à Genève, ainsi que trois ex-ministres compromis dans le projet de Toulouse : Pierre Astruc, d’Aigremont, Pierre Audoyer, de Chalençon, et François Sauvage, de Sauve. De chacun, dit-il, on pouvait prévoir la chute. Brousson sort ses fiches du temps du projet de Toulouse, ou relaie des rumeurs à Lausanne : Vigne « esclave de l’avarice », sans charité envers les pauvres, dixit sa femme16 ; Astruc, son mariage scandaleux, son possible socinianisme17 ; Audoyer bateleur plus que prédicateur, ignorant ou bête18 ; Sauvage « monstre d’avarice & d’impudicité », accusé en synode d’adultère et de simonie, mort désespéré19 (p. 17-18). Brousson attaque délibérément au-dessous de la ceinture, le déshonneur des mœurs des « révoltés » (joint à l’infidélité doctrinale) suffisant à déshonorer la « révolte » elle-même. Vient alors une objection de l’auditoire fictif, ouvrant un excursus : « pourquoy recevoit-on de telles gens au S. Ministère ? », ou pourquoi, « lorqu’ils s’étoient rendus indignes, les gardait-on ? Les synodes sont en cause, donc tout le peuple, tous pécheurs20. « Je crois – écrit Brousson – que Dieu veut repurger son sanctuaire par ce grand orage qu’il a fait lever sur nous » et « donner à son Église d’autres pasteurs », de même que des juges et des politiques tout neufs (p. 18-19). L’excès du mal prélude à une renaissance.
À supposer que les mœurs des ministres apostats ne soient pas aussi « infames », il suffit de considérer le temps présent de persécution des Églises réformées pour disqualifier les abjurations : « c’est plûtost pour se delivrer des maux que nos Églises soufrent » qu’ils ont abjuré, que « pour satisfaire aux mouvemens de leur conscience ». Les ministres sont « des hommes qui pour avoir de plus grandes connoissances que les autres » (ainsi que le revendiquait Vigne), « n’ont pas toujours plus de probité ». Brousson interpelle les « lâches déserteurs », en leur rappelant leur changement de « langage » quant à l’Église catholique, devenue subitement « exempte de toutes les erreurs » et « la plus pure communion qui soit au monde ». Au mieux, ils dissimulent (en « nicodémites », mais Brousson n’emploie pas le mot) : « quoy que vous puissiés dire contre nous, on croit bien que vous aimés encore dans le fond de vôtre cœur une religion aussi pure que l’est celle des Réformés » (p. 21). Sinon, bien pire : l’erreur a « agi sur vos esprits avec une pleine efficace », au point même d’être « charmé » par le dogme « abominable », « extravagant », de la transsubstantiation, qui fait « la honte du christianisme » (p. 22), ou encore par les pratiques d’adoration des images (p. 23). Quant aux excuses des apostats honteux (i.e. nicodémites), prétendant qu’ils n’approuveront jamais « ces horribles persécutions », ni « ces dogmes étranges que l’on enseigne dans la Com. Rom. », ni « son culte superstitieux & idolâtre », Brousson les balaye : « Vous vous trompés ! » (p. 23).
Brousson se retourne à la fin vers ses « très-chers frères », qui savent désormais à quoi s’en tenir au sujet des ministres apostats, et s’apaise pour les exhorter (p. 23-24). Que ses frères aient confiance dans ceux des ministres qui ont « tout abandonné » (pasteurs privés d’exercice du culte : réfugiés ou cachés) pour affermir et aider leurs « chers troupeaux » à s’assembler, par « leurs larmes, leurs prières, […] leurs exhortations & leur exemple21 » (p. 24). Faute de place à la dernière page de la lettre, une dernière partie annoncée, qui devait traiter des motifs allégués par la plupart des apostats « pour justifier leur conduite », est remise à une prochaine lettre22. Les dernières lignes sont de bénédiction pour les « très chers frères », avec l’espérance que les temples et leurs pasteurs leur seront rendus : pour Brousson, en avril 1685, le malheur est encore provisoire (ibid.).
Combien d’exemplaires de la Lettre aux Reformés de France contre le scandale des Revoltes, et combien parvenus à destination en France ? Ce brûlot était de ces petits imprimés auxquels, comme s’en plaignait Brousson, il était fait barrage aux frontières entre Suisse et royaume : les paquets d’imprimés, quand ils n’ont pas été retournés en Suisse, ont dû être détruits23. L’autre mode de transmission, au compte-gouttes, utilisé en octobre 1685 par Pierre Jérussien, était l’envoi dans un courrier personnel à des « frères » restés au pays24. On ne sait où a été trouvé l’exemplaire rescapé, conservé à la BnF après la Révolution. Cette brochure sans valeur ne devait pas faire partie des bibliothèques de couvent – aux riches enfers de livres hérétiques – saisies et récupérées pour la Nation. Plus probablement a-t-elle été extraite d’un recueil tiré d’une bibliothèque nobiliaire. Sur la dernière page de la Lettre aux réformés de la BnF, une main a biffé proprement la plupart de : « vous sçavés que la plûpart de ces Apostats avoient déjà renié Jesus Christ ». Cette marque indique au moins un lecteur en France, convaincu par Brousson au point de généraliser la condamnation des pasteurs « révoltés » en 1685.
La Lettre du 10 avril 1685 contre le scandale des Revoltes peut être rapprochée d’une Lettre aux Protestans de France sur la revolte de quelques uns de leurs Ministres, anonyme, imprimée sans lieu ni date, conservée dans les Papiers Court à Genève25. Le format est différent : 4 pages in-4°, imprimées sur deux colonnes. Le contexte historique n’est plus le même. Cette fois, c’est la « désolation extrême [des] troupeaux » réformés au lendemain de la Révocation : « nos temples » sont réduits « en de tristes monceaux de cendres », la famine du pain spirituel « nous [fait] trotter (comme l’avoit predit le profete Amos) de nation en nation », et pire que tout, « la cheute lamentable d’un si grand nombre de vos pasteurs », alors que ceux-ci « pouvoient se retirer dans les pays étrangers, pour y servir Dieu en liberté de conscience, le Roy leur en avoit donné la permission » (f.i). Comparé au discours du 10 avril 1685, celui-ci est plus bref et plus densément scripturaire, mais sur la « révolte » des pasteurs les arguments, les images, les mots, sont les mêmes. Si l’imprimeur n’a pu être identifié, l’auteur de la lettre sans date recueillie par Antoine Court est bien Brousson. Ici, Brousson ne cite nommément aucun des pasteurs apostats, mais les protestants du Languedoc pouvaient reconnaître en particulier celui de Nîmes, Elie Cheiron, abjurant dès le 4 octobre 1685 après avoir exhorté son troupeau à la fidélité, et surtout celui qui avait « prononcé Maranatha à tous ceux qui n’aimeroient pas le Seigneur & se revolteroient de la foy » (f.i v.), Louis de Bagars, pasteur de La-salle26. À ces apostats scandaleux, Brousson oppose de « bons et fidèles pasteurs », dont « un bon nombre s’est rendu célèbre par ses souffrances pour l’Évangile », certains même jusqu’au martyre, allusion probable à Isaac Homel27 : « ces illustres confesseurs & ces bienheureux martyrs » appellent les nouveaux convertis du royaume à « faire confession de bouche », au lieu de « clocher » « de deux costés » (f.ii). L’urgence de la repentance tient à l’espérance : « le zele que Dieu r’allume au milieu de vous, ces assemblées qu’on fait en Cevennes dans un temps si diffi-cile & si perilleux », est signe que Dieu « ne veut point transporter son chandelier hors du Royaume de France » (ibid.). Brousson y ajoute le « temoignage que ce bienheureux Martyr […] vient de rendre à la verité », prophétisant que « nôtre deslivrance n’est pas loin » (ibid.). Il s’agit sans doute de François Teissier, viguier de Durfort, pendu à Lasalle le 26 février 1686 pour avoir assisté à des assemblées clandestines, dénoncées, disait-on, par Louis de Bagars et trois autres pasteurs apostats : le 14 mars, ses dernières paroles avaient été mises en lumière par les pasteurs réfugiés à Lausanne, collègues de son fils28. C’était peu avant le retour de Brousson à Lausanne, mission accomplie auprès des princes protestants dans l’Empire et aux Provinces-Unies, pour l’accueil des réfugiés. La Lettre aux protestans de France sur la revolte de quelques-uns de ses ministres pourrait donc être datée d’avril 1686 : une pièce de plus dans la bibliographie et la biographie de Brousson29.
Revenons à la Lettre contre le scandale des Revoltes du 10 avril 1685. Elle révèle Brousson sur la brèche, dans les prémices de la Révocation, aux côtés de ses compatriotes et frères réformés en perdition : un Brousson qui endosse pour eux le rôle de pasteur « virtuel » (ou « à distance »), sans se dissocier des pasteurs réfugiés, épars, qu’à cette date Brousson donne en exemple. Il s’improvise là prédicateur de l’Écriture, polémiste antiromain à la manière de Claude et de Jurieu, censeur des apostats et des mondains, véhément contre les pasteurs « faux bergers », ces traîtres entraînant les brebis dans leur chute, et consolateur du petit troupeau. Si la con-solation parcourt sa lettre pastorale, la dominante est de colère. Face aux pasteurs « révoltés », dans l’angoisse d’une ca-tastophe à venir, un pasteur de la « douce colombe » attaque en première ligne, plume de « colombe belliqueuse ».
Annexe
Lettre aux reformés de France, contre le scandale des Revoltes, s. l., 10 avril 1685, in-12, 24 p. – BnF 8-LD176-11630
/1/ Je ne doute point, mes tres-chers Frères, que vous ne soyés déjà tout preparés à voir toutes ces revoltes qui arrivent aujourd’huy, & qui font le triomphe de la Communion Romaine, & le sujet de nôtre tristesse. L’Ecriture Sainte que vous médités jour & nuit, vous a si bien instruits là-dessus, qu’il n’est pas possible que vous vous étonniés de ce qui arrive maintenant en France. Vous auriés quelque sujet d’être surpris que des personnes qui ont professé pendant long temps nôtre sainte Religion l’abandonnent, & que ceux là même qui l’ont prêchée avec quelque apparence de zele se retirent, si nôtre Seigneur Jésus-Christ ne s’étoit pas plaint du perfide Judas, qui après l’avoir suivi pendant plus de trois ans, & après avoir été le témoin de toutes les merveilles qui éclatoient dans son Ministère, le trahit enfin lâchement, parce que ce doux Jésus ne satisfaisoit pas assés les désirs de son avarice. Si l’avarice a fait tomber un Apôtre que Jésus Christ avoit appelé immédiatement auprès de sa Personne, pour en faire un de ses Ministres extraordinaires, vous étonneriés-vous que cette même avarice ou quelque autre passion criminelle, fit tomber des simples Chrétiens ou des Ministres ordinaires31 ? Que l’exemple donc d’un D’Arbaut, d’un Bastide, d’un Vigne, d’un Astruc & d’un Audoier32, qui viennent de préferer les délices du péché à l’op-/2/probre de Jésus-Christ, ne fasse aucune impression sur vos esprits pour ébranler tant soit peu la fermeté de vôtre foy ! Après avoir veu tomber des Apôtres qui étoient continüellement aux côtés de Jésus-Christ, ne vous étonnés point de voir tomber une si grande foule de pecheurs. S’il n’y avoit parmy nous aucun ambitieux, aucun avare, aucun vindicatif, aucun voluptueux, aucun faux témoin, aucun larron, aucun fourbe, en un mot aucun scelerat, nous ne verrions point ces exemples de revolte que nous voyons. Mais pendant qu’il y aura parmy nous de tels pecheurs, n’espérés point de voir finir les exemples d’apostasie. Ce seroit un miracle qu’un mondain qui n’est point du corps mystique de Jésus-Christ, demeurât ferme dans la communion extérieure de son Eglise33, pendant qu’elle est persécutée avec autant de violence qu’elle l’est aujourd’huy en France. Frapé de cette pensée, je m’étonne qu’i ayant encore parmy nous un si grand nombre de gens qui nous scandalisent par leur mauvaise vie, il n’y en ait point un plus grand nombre qui nous abandonnent. Je ne sçay à quoy attribuer leur délay. Je sçay qu’il faut que ces scélérats nous quittent ou qu’ils changent de vie. C’est même une merveille qu’ils n’ayent déjà fait l’un ou l’autre : je ne puis m’empêcher de leur dire, faites bientôt ce que vous avez à faire34. Si vous voulés vous sauver en vous repentant, qu’attendés-vous davantage ? Le mal n’est-il pas assés grand ? Dieu n’a-t-il pas frapé d’assés rudes coups ? Et si vous n’avés point ce dessein, que ne nous quittés-vous ? puis que vous auriés beaucoup plus de moyens de vivre selon vos inclinations corrompuës dans la Communion Romaine que dans la nôtre. Ne vous étonnés donc plus, mes très-chers Frères, /3/ de toutes ces revoltes qui arrivent tous les jours : Préparés-vous au contraire à en voir beaucoup plus. Vous ne vous étonnés point qu’un grand vent secoüant un arbre fasse tomber tout le fruit pourry : Et pourquoy s’étonner que le vent de la persécution venant à souffler avec tant de violence, fasse tomber tant de faux Chrétiens, qui n’avoient que l’apparence de la piété, & dont même quelques-uns ne l’avoient point. Souvenés-vous de ce que Jésus-Christ nous dit au Chap. 13. de l’Evangile selon S. Matth. Qu’il y en a qui reçoivent avec joye la parole de Dieu, mais parce qu’elle n’entre pas assés profondément dans leurs cœurs, elle n’y est que pour un temps ; l’oppression ou la persécution arrivant à cause de la parole, ils en sont incontinent scandalisés35. D’un côté, mes tres-chers Frères, nous devons nous affliger de voir périr tant d’ames qui se précipitent dans les tourmens de l’enfer en abandonnant Jésus-Christ, qui reniera un jour devant son Pére, & devant ses Anges, tous ceux qui l’auront renié sur la terre36 : Mais de l’autre côté nous devons nous réjoüir de ce que ces membres gangrenés qui pourroient corrompre tout le corps, en sont retranchés ; réjoüissons-nous de ce que ces serpens que l’Eglise nourrissoit dans son sein, la délivrent par leur retraite de la crainte qu’elle pouvoit avoir d’en être blessée mortellement. Que la pensée que l’Eglise diminue tous les jours par le moyen de ces révoltes que nous voyons arriver, ne vous trouble point. Il est vray que nous ne devons considérer qu’avec douleur les maux dans lesquels tombent infailliblement tous les apostats. Il faut même plaindre leur malheur par un sentiment de charité, il faut prier pour eux, & en nous abatans profondément devant Dieu, luy deman-/4/der qu’il ait compassion d’eux, qu’il leur fasse reconnoître leur aveuglement, & qu’il les convertisse. Mais au reste ne nous imaginons point que l’Eglise diminuë par ces désertions ; au contraire elle augmentera beaucoup, d’abord que ces méchans, qui par leur mauvaise vie ferment la porte du Royaume des Cieux aux étrangers, se seront retirés. La sainteté de ceux qui resteront sera comme un puissant aiman qui attirera les plus éloignés vers elle. Cette vigne ayant été taillée, produira des fruits beaucoup meilleurs & dans une plus grande abondance37 : Ce champ d’où on aura arraché toutes les mauvaises plantes, deviendra plus fertile en bons grains : cette Epouse de Jésus-Christ qui paroît maintenant stérile n’aura pas plûtôt été purgée de ses humeurs peccantes38, s’il m’est permis de parler ainsi, qu’elle enfantera des enfans sans nombre à son divin Epoux, de sorte que nous pouvons dire avec le Prophète : Réjouï-toy avec chant de triomphe, stérile qui n’enfantois point : Toy qui ne sçavois point ce que c’est que de travail d’enfant, éclate de joye avec chant de triomphe & s’égaye ; car les enfans de celle qui étoit laissée seule, seront en plus grand nombre que les enfans de celle qui étoit mariée39. Ne vous laissés donc point ébranler par cette pensée, que l’Eglise fait une perte considérable par la revolte de ceux qui l’abandonnent, pour entrer dans la Communion Romaine. Non, non, mes tres-chers Frères, l’Eglise ne perd rien, elle gagne au contraire beaucoup. L’or qui laisse sa crasse dans le creuset ne fait point de perte, il devient au contraire plus précieux en devenant plus pur & plus éclatant. La fournaise de l’affliction qui est maintenant extraordinairement allumée, ne consume aucun vray fidèle, il /5/ n’y a que la crasse de ce bon or qui y périsse. Vous êtes maintenant contristés pour un peu de temps, dit S. Pierre, afin que l’épreuve de vôtre foy, beaucoup plus précieuse que l’or qui périt & toutefois est éprouvé par le feu, vous tourne à louange & honneur & gloire quand Jésus-Christ sera revélé40. Vous le sçavés, mes tres-chers Frères, ceux qui sortent d’entre nous n’étoient pas des nôtres : c’étoient des vaisseaux de colère préparés à périr41. Que les boucs & toutes les bêtes immondes sortent du bercail de l’Eglise ; pour les brebis de Jésus-Christ, nul ne les ravira de ses mains42. Consolés-vous par cette pensée, qu’il n’est pas possible que les élûs de Dieu soient séduits, ny par conséquent qu’ils périssent ; le Dieu de ce siècle n’agit avec efficace que dans les enfans rebelles.
Mais quoy que par les raisons que nous venons d’alléguer, il soit assés facile de se consoler en général de la perte que l’Eglise fait de ces apostats qui la quittent, il faut avoüer qu’il est bien difficile de consoler en particulier ceux qui voyent leurs proches parens, ou leurs intimes amis, tomber dans l’apostasie, & par ce moyen dans la damnation. Comment consoler un père & une mére contre l’affliction que leur donne la revolte d’un enfant, qui par cet horrible péché va se damner éternellement ? Comment consoler un enfant qui craint Dieu, contre la douleur que luy donne la révolte d’un père ou d’une mére, dans la pensée où il est que ce crime énorme va précipiter pour toûjours dans l’étang ardent de feu & de souphre43 ce pére & cette mére qu’il aime tendrement ? Il faut avoüer que de toutes les afflictions qui peuvent arriver à une bonne ame, celle-cy est sans doute la moins capable d’adoucissement ; il tant [sic pour : faut] /6/ un esprit extrémement élevé au-dessus des sentimens naturels & vulgaires, pour tenir contre cette épreuve. Il semble qu’il n’y a point de moyen de tarir ses larmes pendant que l’on est pénétré de cette pensée, que l’on a un pére, une mére, un enfant, un mari, une femme, un intime ami, qui parce qu’il a renoncé Jésus-Christ, doit souffrir éternellement dans les enfers, les peines de sa lâcheté & de son apostasie. Cependant, mes tres-chers Frères, il faut tâcher de se consoler dans cette occasion, aussi bien que dans toutes les autres de nôtre vie. Si ces personne [sic] sont point encore mortes, on peut se consoler par l’espérance que Dieu peut les ramener au giron de son Eglise, & toucher leur cœur d’une si vive repentance, qu’ils édifient autant l’Eglise par leur retour à la vérité, qu’ils l’avoient scandalisée par la lâcheté de leur retraite. Mais afin de concevoir plus facilement cette espérance, il faut recourir à Dieu de tout son cœur ; il faut pleurer sans cesse, à l’exemple de la mère de S. Augustin, qui voyant son fils engagé dans les erreurs des Manichéens, & dans les déréglemens d’une vie licentieuse, ne cessa point de demander à Dieu avec des larmes tres-amères la conversion de ce cher fils, jusqu’à ce qu’elle l’eut obtenuë. J’ose dire avec quelque espèce d’assurance, qu’il n’est pas possible que Dieu laisse périr un enfant dont le pére & la mére demandent à Dieu le salut avec autant d’ardeur & d’assiduité, que cette sainte femme luy demandoit celui de son fils44. En deuxième lieu, il faut, mes tres-chers Frères, que l’amour que nous avons pour nos proches parens, soit plus pur qu’il ne l’est ordinairement ; car il faut avoüer à nôtre honte, que nôtre amour est presque toûjours trop charnel & trop grossier : la /7/ chair & le sang ou plûtot quelques mouvemens brutes, si je l’ose dire ainsi, forment le plus puissant lien qu’il y a entre les péres & les enfans, les femmes & les maris, au lieu que la crainte de Dieu & l’image de nôtre Créateur le devroient former : & ainsi nôtre amour pour ces personnes seroit plus ou moins fort, suivant que la crainte de Dieu éclateroit plus ou moins en elles, & que cette image du Créateur y seroit plus ou moins vive. C’est ainsi que Jésus-Christ aimoit, c’est l’exemple d’amour qu’il nous a donné. Vous sçavés ce qu’il répondit à ceux qui luy disoient, ta mére & tes fréres sont là dehors qui désirent de te parler. Ma mére, leur dit-il, & mes fréres sont ceux qui oyent la parole de Dieu & qui la mettent en effet45. Il est trés certain que si nous suivions cet exemple, & que la principale différence de nôtre amour procédât des différens traits de l’image de Dieu que nous découvririons dans les hommes, nous nous consolerions beaucoup plus facilement, lorsque ceux qui sont liés avec nous par le simple lien du sang viennent à tomber par leurs crimes dans des malheurs extraordinaires. Enfin, la providence de Dieu doit fort contribuer à adoucir l’amertume de cette affliction. Lorsque nous sommes une fois bien persuadés de la Justice & de la Sagesse de cette Providence, il faut acquiescer à tous ses ordres. L’amour de Dieu doit étoufer les murmures, les chagrins & la tristesse trop opiniâtre que peuvent exciter dans nos cœurs tous les tristes événemens qui nous arrivent, tels que sont les maux éternels où nos proches parens se précipitent par leurs crimes. C’étoit par cette considération que S. Paul calmoit le trouble où mettoit son ame la réjection que Dieu avoit fait du peu-/8/ple Juif, parmy lequel il avoit sans doute beaucoup de proches parens, & des intimes amis. Ce saint homme, après avoir dit dans le Chap. 9. de son Epître aux Romains, qu’il avoit une grande tristesse, & qu’il sentoit un tourment continuel à cause de la réjection des Juifs46, ajoûte dans le Chap. 11 en admirant la providence de Dieu & s’y soûmettant : ô profondeur des richesses & de la sapience & de la connoissance de Dieu ! que ses jugemens sont incompréhensibles, & ses voyes impossibles à trouver !47 Nous avons aussi l’exemple de plusieurs Saints, qui, ayant des enfans si déréglés qu’à peine pouvoient-ils douter de la perte de leur salut, joignoient une sainte résignation aux ordres de la providence de Dieu, avec des prières tres-ardentes qu’ils luy adressoient pour leur conversion.
Mais parce que tous ceux qui nous quitent, pour entrer dans la Communion Romaine, ne nous quitent que pour eviter les persecutions que l’on fait aux Réformés, qui sont si horribles, quelque forme de Justice que l’on cerche pour les exercer, que les Chrétiens n’en ont jamais éprouvé de semblables dans les siècles précédens48, vous pourriés encore être ébranlés par cette pensée qu’il n’y a pas apparence qu’un peuple qui est exposé à des maux aussi grands que le sont ceux que les Réformés de France souffrent, soit le peuple de Dieu. Mais l’Ecriture Sainte nous a si bien préparés à cette tentation, qu’elle ne sçauroit nuire qu’à ceux que le monde a déjà seduits. Pourquoy croiez vous que Jesus-Christ ait dit à tous ceux qui voudroient être ses Disciples, si quelcun veut venir après moy qu’il charge sur soy sa croix & qu’il me suive49 ? si ce n’est pour les preparer à souffrir avec une genereuse résolution tous les maux /9/ ausquels il prévoyoit que la profession de son Evangile les exposeroit.
Je crois même que vous êtes si bien munis contre cette tentation que, sans m’arrêter plus long temps là dessus, je vous demande seulement, croiriez vous d’être plutost dans la Religion de Jesus Christ si vous estiez dans une Religion florissante telle que la Communion Romaine l’est aujourdhui ? où l’on employat, comme on le fait dans cette Communion, toute sorte de moyens illegitimes pour détruire une Religion qui lui seroit opposée, où l’on se servit de faux témoins pour opprimer des Innocens & pour faire abatre les Temples50. Où l’on eût un fonds destiné pour acheter les ames. Où l’on distribuat les charges & les Offices, non selon le merite & les services, mais pour faire change de Religion ? Croiriez vous encore d’être dans la Religion de Jésus Christ si vous estiez dans une Communion où l’on emprisonnat ceux qui chanteroyent les loüanges de Dieu pendant qu’on souffre les chansons prophanes, impies & scandaleuses ? Je fremis d’horreur en cet endroit, mais je ne sçaurois me taire. Fermer la bouche à des Chrétiens, à des povres Laboureurs, à des povres Artisans qui veulent loüer Dieu & le bénir, qui cherchent à s’instruire en la crainte de son S. Nom & tâchent d’élever leurs Esprits à la contemplation de cet Estre Eternel & Souverain qui leur fournit les moyens de travailler avec succez ? Fermer la bouche à des gens qui s’étudient à bannir de leur cœur les mauvaises pensées, & qui ne pensent qu’à fortifier leur espérance, à exciter leur zèle, & leur dévotion, & à édifier leur Prochains [sic] ? Imposer silence à des personnes qui s’occupent à ce S. Exercice, les condamner à des grosses amendes, les Exiler, faire demolir leurs /10/ Temples & les priver de l’exercice de leur sainte Religion51 ? N’est-ce pas plûtost l’entreprise des Démons que celle des hommes & des hommes qui se ventent d’être Chrétiens ? Reconnoissez icy avec moi, tres C. F., que s’il en fut jamais aucun, cét [sic] ici le véritable caractère de l’Antechrist52. Dites moi encores franchement, croiriés vous d’être dans une bonne Religion, si vous estiez dans une Communion où l’on obligeat par force des Chrétiens à adorer ce qu’ils croyent n’être qu’une simple créature, comme l’on le pratique dans la Communion Romaine, contre l’expresse deffense de Dieu53 ? Je sçai au contraire que vous me répondrez que vous avez de l’horreur pour une Religion qui a des maximes si abominables. Si ceux de la Communion Romaine agissoint de bonne foy & par un zèle de Dieu, ils nous crieroint toutes les fois que nous serions assés lâches pour adorer leur Sacrement : gardés vous bien de l’adorer, car si vous l’adoriés vous commettriés une horrible idolatrie, puisque vous adoreriés ce que vous croiés n’être que du pain. Mais bien loin d’agir ainsi, vous savés les violences que l’on nous fait, parce que nous ne voulons point être idolatres en adorant leur Sacrement. Pour moy, étant aussi convaincu que je le suis, qu’il ne faut adorer que celuy qu’on croit être Dieu, si je voiois un Mahometan adorer I. C. qu’il ne croit point être Dieu, je luy crierois : garde toy bien de l’adorer, car si tu l’adores tu commettras une grande idolatrie, puique tu ne reconnois point sa divinité. C’est ainsi qu’agit le vray zèle. Les payens agisoyent [sic] autrefois envers les Chrétiens, comme ceux de l’Eglise Romaine agissent aujourdhuy envers nous. Les Chrétiens disoient aux Payens : nous ne pouvons point adorer vos Dieux, parce /11/ que nous ne croyons point qu’ils soient Dieux ; mais les payens ne laissoient pas d’exercer mille violences, pour les porter à rendre quelque culte à leurs faux Dieux. Nous disons à ceux de la Communion Romaine, nous ne pouvons point adorer le sacrement, parce que nous ne croions pas qu’il soit le glorieux Sauveur que nous devons adorer & qui est assis dans le ciel à la droite de son Pere54 : n’importe, nous dit-on, adorés ce Sacrement si vous ne voulés point qu’on vous maltraite : Bon Dieu ! que ce mot n’importe renferme d’iniquité, qu’il est impie ! qu’il est horrible ! que ce seul procédé est bien capable de nous faire découvrir que le Papisme n’est que le pur Paganisme renouvelé55, que c’est la seconde bête qui exerce toute la puissance de la première56 !
Il y en a qui s’imaginent que si jamais la Religion Romaine a dû passer en France pour la vraye religion, c’est en ce temps calamiteux qu’elle triomphe si hautement de la Religion Protestante. Mais il faut avoüer que pour peu que l’on ouvre les yeux, on verra qu’elle n’a jamais mieux fait paroître qu’elle est la communion de l’Antechrist, qu’à présent qu’elle ne se contente pas d’être cruelle à son ordinaire, mais qu’elle l’est excessivement. Jamais les préjugés contre la Religion Rom. n’ont été si palpables qu’ils le sont aujourdhui qu’on a levé le masque, & que les moyens que l’enfer seul peut inventer pour faire des Prosélites, passent pour des règles d’équité. Dites ce qu’il vous plaira, Messieurs du Clergé qui êtes animés d’un faux zèle, & vous, Juges iniques ou mal éclairés, il est impossible que vous ne soiés convaincus en vôtre conscience, que lorsque vous ôtés aux péres & aux méres la liberté d’élever leurs enfans & que vous arrachés ces tendres nourrissons de /12/ leur sein, vous attaqués la nature elle même, vous violés le droit le plus inviolable & vous fournissés aux ennemis du Christianisme un Exemple qui peut devenir funeste à la Chrétienté57. Mais pourquoy m’adresser à ces sortes de gens ? Je ne feray que les irriter par mes justes plaintes & par ces vives représentations. C’est à vous, mes tres-chers frères, que je m’adresse, pour vous dire : ce procédé cruel, cet outrage qu’on fait à la nature n’aura-t-il pas plus de force pour vous faire voir que la Communion Romaine n’est point l’épouse de Jésus-Christ qui est une douce colombe sans fiel58, que l’exemple de ces Apostats qui y entrent n’en aura pour vous persuader le contraire ? Dieu me garde de souhaiter aucun mal à ceux qui nous persécutent, ny de former aucun vœu contre ma chère patrie. Je sçay trop bien ce que Jesus Christ mon Sauveur veut que je fasse : il veut que je prie pour mes persécuteurs & qu’avec S. Estienne je crie continuellement au Souverain Juge du monde : Seigneur, ne leur impute point ces péchés59. Mais je crains qu’enfin le cri de ces pauvres innocence [sic] qu’on arrache avec tant de violence du sein de leurs tendres meres ne monte jusques au Ciel & n’attire sur la France coupable d’ailleurs de tant de Crimes, les plus terribles jugemens de Dieu. Prions ce Grand Dieu, mes tres chers Frères, qu’il donne à nos ennemis la repentance necessaire pour prevenir ses jugemens.
Je veux que les maux qui nous accablent, vous fassent douter pour quelques momens, que nous soyons le Peuple de Dieu, & qu’avec le Prophète vous demeuriés tout étonnés de la prospérité des méchans & des grands maux des gens de bien60. N’est-il pas vray que les injustices, les violences, les tromperies, & sur tout les faux témoins qu’on /13/ employe dans la Communion Romaine, ne peuvent point nous permettre de douter un seul moment qu’elle ne soit la fausse Eglise ? Mettés d’un côté de la balance nos maux & de l’autre côté tout cet amas de violences & de fourberies de cette Communion. Croirés-vous que nous ne soyons point le peuple de Dieu, parce que nous souffrons ? & que Rome l’est, parce qu’elle est heureuse, injuste, violente, fourbe & perfide ? Considérés encore un coup avec quelle cruauté elle arrache les enfans du sein de leurs péres & de leurs méres ; & vous verrés que tant s’en faut qu’elle soit la mére commune des Chrétiens, comme elle s’en vante impudemment, qu’elle est au contraire cette fausse mére qui aime mieux que l’enfant soit déchiré, que si la vraye mére le possédoit61. Combien de fois ceux là même [sic] qui nous quittent, ces lâches apostats se sont-ils plaints de cette violence ! Combien de fois ont-ils traité Rome de Babylone spirituelle62 pour ces cruautés inoüies ! Comment est-ce que dans un moment cette conduite qui leur paroissoit la plus violente du monde, est-elle devenuë pleine de douceur & d’équité ? Comment est-ce que tout à coup vous appelés lumière ce que vous traitiés auparavant de ténèbres & de profondeurs de Satan ? Pour toy, cruelle Rome, pousse ta fureur aussi loin que tu pourras : arrache, arrache les pauvres enfans du sein de leurs tendres méres, sans être touchée des cris que ces innocens jettent vers le Ciel. Nous espérons que cette conduite sera en abomination à la postérité, le voile ne sera pas toûjours sur les esprits, l’entêtement ne durera pas toûjours, les écailles tomberont enfin des yeux ; cette cruauté inouïe deviendra dans la suite du temps une puissante raison pour te faire /14/ considérer avec toute l’exécration que ta conduite mérite, lors qu’on la regarde sans préoccupation. La mort de Jean Hus, & de Jérôme de Prague, que le furieux Concile de Constance fit brûler63, quoy qu’elle fut alors approuvée de la plûpart des Chrétiens, est devenue dans la suite des temps une raison qui a ouvert les yeux à la moitié de l’Europe, pour luy faire découvrir dans la Communion Romaine les caractères de Babylone64. La Providence de Dieu qui est admirable dans tous ses desseins, prépare sans doute les peuples à la Réformation, en permettant que le Clergé Romain pousse si loin l’impiété, la cruauté, & l’injustice. S’il eut usé d’une grande modération dans sa conduite, cette modération auroit été comme un voile propre à cacher la honte de ses dogmes, l’impureté & l’idolâtrie de son culte, & la tyrannie de son gouvernement, & comme une barrière qui auroit empêché le cours de la Réformation. C’est pourquoy Dieu permet que l’on viole toutes les loix de la nature & de l’équité, afin que chacun ouvre les yeux pour considérer de plus près tout le corps de ce mystère d’iniquité65. On s’endormoit dans le sein de cette Dalila, pendant qu’elle dormoit elle-même ; il faut qu’elle s’éveille, qu’elle s’anime, & qu’elle exerce sa cruauté, afin que les plus stupides revenant de leur assoupissement, tout le monde reconnoisse le danger qu’il y a de dormir dans son sein66. Mais bien que l’on nous persécute de la manière du monde la plus cruelle, & avec des artifices si bas & si infames, que l’on auroit crû que les hommes n’étoient pas capables de les employer, si le Clergé Romain ne les avoit déjà employés, on ne laisse pas de dire que nous avons tort de nous plaindre d’être persécutés67. Peu s’en faut que, comme les /15/ Juifs disoient à nôtre glorieux Sauveur, lorsqu’il se plaignoit des desseins qu’on formoit contre sa vie, – tu as le Diable, qui cherche à te faire mourir ?68 –, l’on ne nous dise lorsque nous poussons nos plaintes vers le Ciel pour implorer son secours, envers les hommes pour émouvoir leur pitié, vous avés le diable, qui est-ce qui vous persécute ? Nôtre malheur est si grand, que nous n’osons point nous plaindre, de peur qu’en nous plaignant, nous ne le rendions encore plus grand69. Chose étrange, & qui doit, mes T. C. Fr., nous donner encore plus d’aversion pour la Re. Rom. & nous rendre inébranlables, nonobstant l’exemple de tant d’apostats & sur tout des Ministres, qui comme autant de Demas, abandonnent leur Compagnons de service pour joüir du présent siècle70. Voilà, infames Apostats, quelle est la Communion que vous embrassés ; c’est une Communion qui défend de louer Dieu, qui force les hommes d’être idolâtres, qui viole les loix les plus tendres de la nature, & qui ferme la bouche aux plaintes des malheureux. Vous quittés des pauvres affligés pour vous joindre à des hommes cruels & impitoyables, qui se font de leurs cruautés des œuvres d’un mérite extraordinaire devant Dieu & devant les hommes, qui s’imaginent d’avoir fait une action fort glorieuse, lorsque par un procès, ou par quelque autre moyen, ils ont dépouillé un réformé de son bien, lorsqu’ils ont empêché que l’on n’ait consolé un pauvre malade dans son lit de mort, & qu’on ne luy ait parlé de Jésus-Christ son Sauveur, de la repentance qu’il doit témoigner, & de l’espérance qu’il doit concevoir ; que l’on n’ait assisté un pauvre malheureux dans la misère (Bon Dieu, quel crime, empêcher les gens d’être charitables !)71, que l’on n’ait visité un prisonnier qui gé-/16/mit dans ses fers ; que l’on n’ait rendu les derniers devoirs à un mort72 ; lorsque l’on a réduit une famille à la dernière extrémité, en empêchant le chef qui la soûtenoit d’exercer sa profession73 ; lorsque l’on a fait emprisonner un homme qui chantoit les louanges de Dieu. Si vous étiés tant soit peu touchés de la crainte de Dieu, misérables apostats, ne diriés-vous pas en vous mêmes, qu’est-ce que nous avons fait ? ou qu’est-ce que nous allons faire ? nous sommes entrés ou nous allons entrer dans le Papisme, qui défend de chanter publiquement les loüanges de Dieu & qui nous permet de chanter les chansons les plus profanes. Que je m’arrête encore un moment sur ce triste sujet : L’Ecriture Sainte a beau exciter jusques aux animaux brutes, & jusques aux créatures inanimées, à publier la gloire de leur Créateur, Rome ne veut point que l’homme formé à l’image de son Dieu s’acquitte de ce religieux devoir. O Dieu, je frémis ! je ne sçay où je suis, lorsque je considère le grand changement qui arrive aujourd’huy dans le monde : autrefois le démon s’appaisoit lorsque le jeune David avec sa lyre chantoit devant Saul ces sacrez Cantiques74 que les Réformés chantent aujourd’huy, & l’on voit maintenant les Chrétiens devenir furieux à l’ouïe de ces Hymnes célestes ; ces divins Cantiques étoient autrefois comme un charme sacré qui arrétoit la fureur des démons, aujourd’huy ils sont comme des paiquants [sic] aiguillons qui excitent la fureur des hommes.
Je vous prie, mes tres chers Frères, de bien considérer qu’els [sic] sont ces Ministres qui nous quitent, dans quel temps est-ce qu’ils nous quitent & quels sont les motifs que la pluspart d’eux alleguent de leur changement de Religion, & vous /17/ ne serez plus scandalizés de leur chute. Il est tres certain qu’il n’y a aucun de ces Ministres Apostats, dont on n’eut déjà préveu & prédit l’Apostasie : de même qu’il y a encore beaucoup que l’on pourroit nommer par leur nom, si les régles de la charité Chrétienne le permettoient, dont on prevoit la chute. Puis qu’il faut que tous ceux qui abandonnent la bonne conscience fassent naufrage quant à la Foy. C’est la régle de S. Paul, il nous l’a baillée, afin que nous ne soyons point scandalizés quand ces méchans vienent à tomber75. Un Vignes nous a quité, un Sauvage, un Astruc, un Audoyer, & quelques autres Ministres d’un semblable caractere : mais que pouvoit-on attendre d’eux, que cette funeste fin ? Y eut il jamais un homme plus esclave de l’avarice que Vigne, à qui sa propre femme avoit souvent prédit qu’il falloit que ce vice le fit enfin périr, parce qu’elle remarquoit qu’il n’exercoit aucune charité envers les pauvres ? Joignés à cela que toutes ses manières sordides étoient des preuves convaincantes de son infame attachement pour les biens du monde76. Que falloit-il attendre d’un Astruc qui commenca son Ministere par un mariage scandaleux ? Quelle fin pouvoit-on espeterer [sic] d’un si honteux commencement ? Je ne parle point icy des soupçons que ce jeune Ministre avoit donné [sic] à toute sa Province d’être infecté de Socinianisme, qui s’ils sont bien fondés, comme il n’y a que trop d’apparencce, doivent obliger les fidèles à benir Dieu, de ce que son Eglise est délivrée d’une telle peste77. Que falloit-il attendre d’un Audoyer dont l’esprit étoit plus propre à debiter les impertinences d’un bateleur qu’à prêcher la Parole de Dieu, avec cette grandeur de pensées & d’expressions que demande la sublimité de ses mysteres ? & qui /18/ avoit menacé le Synode de sa Province que si l’on ne le recevoit point Ministre il se feroit Prestre, ce qui n’empêcha pas cette assemblée de le rejet- [sic] comme indigne du S. Ministere, soit pour son extreme ignorance, soit pour la foiblesse de son esprit : voyés par cette menace qu’elle [sic] disposition apportoit ce miserable à l’exercice d’une si sainte charge, & jugés par là qu’els [sic] étoient les motifs qui le faisoient agir78. Que falloit il attendre d’un Sauvage, c’est-à-dire d’un monstre d’avarice, & d’impudicité, & d’un infame maquignon de la Parole de Dieu, si ce n’est qu’après avoir trahi son Bon Maître comme Judas, il fit une fin semblable à la sienne ? Ce Sauvage étoit Ministre dans les Cévennes, il avoit été accusé dans le Synode de la Province de divers Crimes, mais sur tout d’adultère & de Simonie79 ; cet adultère & ce Simoniaque abjura donc nôtre Religion il y a environ un mois ; mais quelques jours après avoir commis cet horrible crime, étant tombé malade, il est mort désespéré80 : O Dieu que tu es bon & que tu es Juste ! Qui tous les jours nous apprens par ces exemples extraordinaires de ta juste vengeance, ce que doivent craindre les Apostats, si les hommes vouloient ouvrir les yeux pour y prendre garde.
Mais, me dirés-vous, pourquoy recevoit-on de telles gens au S. Ministère ? Ou pourquoy, lorsqu’ils s’étoient rendus indignes d’en exercer les fonctions, ne leur en interdisoit-on l’exercice ? C’est icy, Chrétiens, où en laissant pour un peu de temps mon sujet, je veux que nous reconnoissions le juste jugement de Dieu. Il nous chatie, ce n’est pas sans cause. Il nous prive de nos libertés, nous en abusons : nos Synodes s’étoient tellement relachés que par des raisons d’une fausse Politique l’on ne punissoit point les Ministres scandaleux, selon la /19/ sévérité de nôtre Discipline & avec l’exactitude que l’édification de l’Eglise le demandoit. C’est pour cela, pour vous dire franchement ma pensée, que je crois que Dieu veut repurger son Sanctuaire, par ce grand orage qu’il a fait lever sur nous, non seulement de ces Ministres scandaleux qui le dé honoroient par leur vie impure, mais aussi de ces Ministres relachés & trop prudens qui ne faisoient que fort lâchement l’œuvre du Seigneur. Dieu veut donner à son Eglise d’autres pasteurs, des juges tels qu’ils ont été à la première fois & des Conseillers tels que du commencement, afin qu’après cela on appelle la cité une cité de Justice & une Ville Loyale81. Si l’on eut pris plus de soin qu’on n’en prenoit de ne recevoir au S. Ministere que des personnes dont on eut reconnu la probité & le zéle par une longue expérience, que des personnes moderées, pieuses, charitables & d’un âge qui répondit à la grandeur de cette charge82, l’on ne verroit point arriver les scandales que l’on voit arriver tous les jours. Donnons donc gloire à Dieu, mes chers Freres, reconnoissons nôtre lacheté. Et puisque nous n’avons pas eu assez de courage, pour rejetter ceux qui n’avoient pas les talens nécessaires pour exercer le S. Ministère, ny assés de résolution pour chasser ceux qui l’avoient déshonoré par quelque crime scandaleux, ne soyons point au moins scandalizés de ce qu’ils se retirent d’eux mêmes.
Quand ces misérables Apostats ne seroient pas aussi infames qu’ils le sont, pour faire soupçonner justement que les motifs de leur revolte sont tres-honteux, le temps qu’ils ont choisi pour abjurer notre Religion fait bien voir que c’est plûtost pour se delivrer des maux que nos Eglises soufrent, qu’ils l’ont abjurée, que pour satisfaire aux mouve-/20/mens de leur conscience. J’avoüe que si l’on nous quitoit dans une pleine paix & lorsque nous jouïrions d’une grande prosperité pour entrer dans une Eglise persecutée, ce seroit un préjugé bien favorable à la Religion qu’on embrasseroit, & bien contraire à celle qu’on abandonneroit : mais icy on abandonne une religion qui est exposée aux plus horribles persecutions que l’on puisse imaginer83, pour entrer dans une communion paisible & florissante. C’est pourquoy vous ne devés point être surpris, mes tres-chers Frères, de voir un si grand nombre de personnes nous abandonner, pour se plonger dans les superstitions du papisme, afin de jouïr de son repos & de ses commodités temporelles. Ne soyés point surpris sur tout de la chute des Ministres, ce sont des hommes qui pour avoir de plus grandes connoissances que les autres, n’ont pas toujours plus de probité : Vigne se moque, ou il est fou, quand il prétend de porter nos Fréres de Grenoble à suivre son exemple, parce qu’il a de plus grandes lumières qu’eux84. Ne vous semble-t-il pas d’entendre le démon luy-même disant à Eve, j’en sçay plus que toy, vous ne mourrés point, bien que vous mangiés du fruit que Dieu vous a défendu85 ? Ne vous semble-t-il pas d’entendre ces Pharisiens superbes se vantans de leurs connoissances, & disans avec une fierté impie contre le peuple Juif qui s’attachoit à nôtre Seigneur, ce populaire icy qui ne sçait ce que c’est de la Loy est plus qu’exécrable86 ? Ce sont ces lumières, lâche apostat, qui rendront ta condamnation mille fois plus épouvantable : si tu étois aveugle, ton péché ne seroit pas si grand ; mais maintenant, parce que tu dis je vois, ton péché demeure. Peut-être même arrivera-t-il que ton désespoir, aussi bien que celuy de ce malheureux Sauvage, /21/dont je viens de parler, éclatera avant ta mort, & servira d’exemple à la postérité du sévère jugement de Dieu sur les apostats.
En effet, d’où vient, lâches déserteurs, que ce n’est qu’aujourd’huy que vous découvrés que la Communion Romaine est exempte de toutes les erreurs qu’on luy attribuë, & qu’elle est la plus pure Communion qui soit au monde ? Je suis persuadé que c’est sa prospérité qui vous a fait changer de langage, sans vous faire changer de sentiment : si cela n’étoit point, pourquoy feriés-vous un chacun de vous vôtre marché avant que de nous abandonner87 ? tant s’en faut que vous prissiés de l’argent de ceux de la Communion Romaine en récompense de vôtre changement de Religion, qu’au contraire vous seriés bien aises d’avoir achepté la connoissance de la verité par la perte de tous vos biens, mais vous trahissés les sentimens de vôtre conscience ; & quoy que vous puissiés dire contre nous, on croit bien que vous aimés encore dans le fond de vôtre cœur une religion aussi pure que l’est celle des Réformés. On ne doute point que cela ne soit, à moins qu’il soit arrivé, par un terrible jugement de Dieu, qu’ayant été livrés à un esprit dépourvu de tout jugement, vous ayés enfin étoufé tous les bons sentimens qui pouvoient encore rester en vous pour la vérité, ce qui ne seroit pas étrange ; car nous sçavons ce que dit S. Paul, en parlant de ces sages Payens, qui pour se conformer comme nos apostats aux opinions courantes, s’étoient enfin abandonnés aux idolâtries les plus grossières, & aux crimes les plus énormes : Se disans être sages, ils sont devenus fous, & ont changé la gloire de Dieu incorruptible à la ressemblance & à l’image de l’homme corruptible, & des oiseaux & /22/ des bêtes à quatre pieds & des reptiles, c’est pourquoy aussi Dieu les a livrés aux convoitises de leurs propres cœurs, à ordure pour vilainer entre eux leurs propres corps88. La même chose pourroit bien vous être arrivée, malheureux Apostats. Il se pourroit bien faire que n’ayant pas receu les vérités que Dieu vous reveloit dans sa parole avec tout le respect que vous leur deviés, il ait permis que l’erreur ait agi sur vos esprits avec une pleine efficace : suivant ce que le même Apôtre nous apprend au Chap. 2. de la II. aux Thessal., d’autant, dit-il, que les hommes n’ont point receu l’amour de la vérité pour être sauvés, Dieu leur envoyera efficace d’erreur pour croire au mensonge89. Peut-être est-il enfin arrivé que le dogme de la Transsubstantiation que vous considériés comme le plus extravagant qui soit jamais entré dans l’esprit de l’homme & qui passe tout ce que les payens ont jamais enseigné de plus impie & de plus ridicule, vous charme maintenant90. Peut-être est-il arrivé par un juste jugement de Dieu que ce dogme abominable, qui donne lieu aux Etrangers de dire que les Chrétiens mangent le Dieu qu’ils ont fait, & qui a arrêté tout court les progrès de l’Evangile parmy les Payens, les Mahométans & les Juifs, & qui sera un Schisme éternel entre les Chrétiens, fait maintenant vos plus chères délices, & que vous admirés comme le plus sublime mystère de la Religion Chrétienne ce qui fait la honte du Christianisme. Peut être que ces Images, qui vous faisoient fremir auparavant, lorsque vous considériés le service qu’on leur rend dans la Communion Romaine, contre l’expresse défense que Dieu nous fait dans sa Loy, font maintenant le principal objet de votre dévotion. Peut être fai-/23/tes vous consister une bonne partie du service que vous prétendés de rendre à Dieu, à visiter ces saintes Images, comme Rome parle, à les parer, à les suivre dans les Processions où on les porte, à leur allumer des Chandelles, à leur faire fumer de l’Encens, à les baiser avec dévotion, comme les Payens baisoient les leurs, & à vous abbatre profondément devant elles. Lorsqu’une fois l’on a abandonné Dieu, on ne sçait point jusques où Dieu nous abandonnera de son coté. Vous avés beau dire, vous qui avés abandonné la pauvre Eglise de J. C. pour embrasser le Papisme qui la persécute, qu’il ne vous arrivera jamais d’approuver ces horribles persécutions, que vous conserverés toûjours votre esprit de douceur & d’équité, que vous vous souviendrés toûjours avec des sentimens de tendresse de ces pauvres Fréres que vous quittés, & que tant s’en faut que vous songiés à augmenter leurs maux, qu’au contraire vous travaillerés à les soulager. Vous avés beau dire encore qu’il ne vous arrivera jamais d’embrasser ces dogmes étranges que l’on enseigne dans la Com. Rom. & de pratiquer son culte superstitieux & idolâtre, que vous vous tiendrés toûjours attachés à l’essentiel de la Religion Chrétienne qu’on enseigne encore dans cette Communion, & qu’en particpant à la prospérité du Papisme, vous n’aurés aucune part à ses erreurs & à ses idolâtries. Vous vous trompés, Dieu permettra en vous abandonnant à vous-mêmes, & en retirant les lumières de sa grace, dont vous vous êtes rendus indignes, que vous deveniés les plus violens persécuteurs de vos pauvres Fréres, & les plus lâches esclaves de l’erreur.
Mais je laisse ces malheureux apostats. Je me tourne de vôtre coté, mes tres-chers Frères, pour vous dire encore un/ 24/ coup – Ne soyés point surpris de voir ces faux bergers, non seulement abandonner leurs troupeaux, mais même s’aller joindre quelque fois avec les bêtes feroces qui les veulent détruire, pour les détruire avec elles. Si ces Ministres qui nous quittent étoient des personnes d’une piété exemplaire, vous auriés raison de vous étonner, mais vous sçavés que la plûpart de ces Apostats avoient déjà renié Jesus Christ par le déréglement de leurs mœurs. Il faut, mes tres chers Freres, que les souffrances de ceux qui ont tout abandonné pour vous procurer autant qu’ils ont peu la douce liberté de vous assembler au nom de J. C., que leur amour pour leurs chers troupeaux, leurs larmes, leurs prières, les craintes que les dangers que vous courés leur donnent, leurs travaux, leurs exhortations, & leur exemple ayent plus de force pour vous affermir dans nôtre Sainte Religion, que la lacheté de quelques avares, de quelques impudiques, & de quelques Simoniaque [sic] n’en aura pour vous porter à imiter leur revolte.
C’est ainsi que nous l’esperons & notre esperance est d’autant mieux fondée que nous nous adressons continuellement à Dieu pour luy demander qu’il vous soutienne : c’est ce que je fais maintenant en mon particulier en finissant cette Lettre : ce sera dans quelque autre que je ferai voir la foiblesse des motifs que la plûpart des Apostats alleguent pour justifier leur conduite. Veuille donc ce Grand Dieu Pere, Fils & S. Esprit, à qui je vous recommande, couronner son ouvrage en vous, vous affermir, vous fortifier & vous rétablir, en vous rendant vos temples & vos Pasteurs & toutes ces autres marques de sa douce & favorable présence. Amen.
10 avril 1685
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1 Aujourd’hui BnF 8-LD176-116. À partir de 1855 (date du tome I du Catalogue imprimé de l’Histoire de France de la Bibliothèque), les ouvrages relevant de l’Histoire de France (cotés L) ont été classés dans un cadre systématique arborescent : ainsi Ld pour l’Histoire religieuse de France (tome V du Catalogue, imprimé en 1858) ; Ld176 pour les « Détails de l’Histoire des Églises protestantes de France ». À l’intérieur de chaque section, le classement suit l’ordre chronologique des événements.
2 Voir Léopold Nègre, Vie et ministère de Claude Brousson. 1647-1698, d’après des documents pour la plupart inédits, Paris : Fischbacher, 1878 ; Orentin Douen, Les premiers pasteurs du Désert (1685-1700), t. 2, Paris : Grassart, 1879 ; Charles Bost, Les Prédicants protestants des Cévennes et du Bas-Languedoc, 1684-1700, 2 vol., Montpellier : Les Presses du Languedoc, 20012 (1912) ; Walter C. Utt – Bryan E. Strayer, The Bellicose Dove: Claude Brousson and Protestant Resistance to Louis XIV, 1647-1698, Brighton-Portland, Sussex Academic Press, 2003 ; Dominic Schumann, La politique de réunion confessionnelle de Louis XIV et la résistance des huguenots entre Refuge et Désert : l’exemple de Claude Brousson (1647-1698), Thèse de doctorat EPHE, 2018.
3 « Révolte » : dans la « langue de Canaan » des huguenots, désigne l’abjuration, la conversion à l’Église catholique romaine, à partir de la 1re épître de Paul à Timothée (1 Tm 4,1) dans la traduction de Genève : « … ès derniers temps, aucuns se revolteront [en grec apostesontai] de la foy, s’amusans aux esprits abuseurs et aux doctrines des diables. Enseignans mensonges en hypocrisie, estans cauterisez en leur propre conscience. […] Defendant de se marier, commendans de s’abstenir de viandes que Dieu a créées… ». Dans ce verset, Calvin et les pasteurs réformés lisaient la stigmatisation de l’Église romaine, à rapprocher d’un autre verset paulinien (2 Th 2, 3) : « ce jour-là [de l’avènement du Christ] ne viendra point que premièrement ne soit advenue la révolte [en grec apostasia] et que l’homme de péché ne soit révelé, le fils de perdition… ».
4 Sur ce mouvement de désobéissance civile concerté à Toulouse chez Brousson, pour protester contre les interdictions du culte réformé, et sur ses suites (juin-octobre 1683), voir Walter C. Utt et Brian E. Strayer, op. cit., p. 20-33, Dominic Schumann, op. cit., p. 195-233.
5 « Lettre écrite de Lauzanne en Suisse à M. son frère, marchand réfugié à Amsterdam, en date du 28 novembre 1687 », in : Lettres et opuscules de feu Monsr Brousson…, Utrecht : Van de Walter, 1701, p. 54-55.
6 Abrégé de la vie de feu Monsr. Brousson, in : Lettres et opuscules, op. cit., f. *6v. Le biographe anonyme distingue bien ces « petits imprimez » des ouvrages plus importants de ces premières années, qu’il cite : l’Etat des réformez, les Lettres au clergé et les Lettres aux catholiques romains.
7 Cette lettre n’est connue que par la copie du pasteur Jules Vielles, « Lettre circulaire d’un martyr », BSHPF 30 (1881), p. 22-24.
8 Ch. Bost, « Pendant la Révocation. Deux lettres inédites, dont l’une de Claude Brousson », BSHPF 48 (1899), p. 526-535. Synthèse dans Id., Les prédicants protestants, op. cit., p. 70-76.
9 AD Hérault, C 163, f.312-313.
10 David Gentil (1643-1703) imprimeur à Lausanne depuis 1669, spécialisé officiellement dans les almanachs, et clandestinement dans une littérature protestante polémique. Un fleuron au titre permet de l’identifier sur les deux œuvres citées de Brousson (cf. site en ligne « Fleuron, banque d’ornements d’imprimerie », BCU Lausanne). Les deux Lettres aux réformés de Brousson, sans page de titre ni aucun ornement, présentent plusieurs similitudes typographiques avec ces impressions de Gentil.
11 Les listes d’errata à la fin de chacune des trois parties de l’Estat des reformez en France, imprimées par David Gentil en 1684, montrent que l’imprimeur n’était pas très soigneux et que Brousson était soucieux de la correction typographique de ses œuvres.
12 Déjà comme avocat au parlement de Toulouse, Brousson s’était fait moquer pour son éloquence pastorale (voir Walter C. Utt et Brian E. Strayer, op. cit., p. 19 ; cf. Abrégé de la vie, in : Lettres et opuscules, op. cit., f. *4 r. et v.).
13 Brousson utilise une édition proche de celle de Genève : Samuel Chouet, 1665.
14 Arguments classiques des pasteurs réformés, au xviie siècle, pour la consolation des parents d’enfants « révoltés » (ainsi Charles Drelincourt, Les visites charitables ou les consolations chrétiennes pour toutes sortes de personnes afligées, Genève : I. A. et S. de Tournes, 1669, 8°, 4e partie, 42e visite, cf. 41e visite).
15 Sur ce topos biblique du peuple élu chez les réformés français, voir Myriam Yardeni, Huguenots et juifs, Paris : Champion, 2008, spécialement p. 186-189.
16 Alexandre Vigne : pasteur et professeur de philosophie à l’académie de Die (1662-1665), puis l’un des pasteurs de l’Église de Grenoble, venait d’abjurer solennellement, entre les mains de l’évêque Le Camus, en décembre 1684 (relation dans le Mercure galant, janvier 1685, p. 52-70, 74-77) ; retiré chez les oratoriens ; 1685 : obtient une charge de conseiller au présidial de Grenoble.
17 Pierre Astruc : originaire de Sauve, immatriculé à l’Académie de Genève en 1676, reçu ministre en 1681, pour l’Église d’Aigremont (colloque d’Alès) en 1681, épouse Jeanne Delaire, de Sauve ; participant au projet de Toulouse (été 1683) ; 3 juillet 1684 : condamné par contumace à la potence et exécuté en effigie à Nîmes ; 22 février 1685 : ayant abjuré à Paris et obtenu des lettres de grâce, il les a fait entériner à Nîmes, « les fers aux pieds » ; devenu avocat, toujours à Sauve ; depuis 1698, pensionné du clergé ; 1702-1704 : en butte à la vindicte des camisards ; † après 1725. Selon Antoine Coulan, fils du pasteur d’Alès, réfugié à Genève en décembre 1684, et peu après à Lausanne, rapportant dans son journal la « révolte » de l’ex-ministre Astruc en 1685, celui-ci était connu comme un impie et un libertin, « convaincu d’adultère et de simonie » (cf. Charles Bost, « Les pasteurs Astruc. Le père de Jean Astruc », BSHPF 66 (1917), p. 61-70).
18 Pierre Audoyer : natif de Saint-Jean-du-Gard, proposant du Bas-Languedoc en 1675, censuré pour conduite irrégulière par le consistoire de Nîmes (1676, réintégré en 1677), reçu ministre en 1681, pour l’Église de Chalençon (Vivarais) en 1682 (« ministre des plus échauffez » selon Elie Benoist) ; compromis dans le mouvement insurrectionnel de septembre 1683 : compagnon de fuite d’Isaac Homel, il trahit celui-ci ; incarcéré à Tournon et condamné au gibet, il abjura devant l’évêque de Cosnac, et fut gracié par l’intendant d’Aguesseau, moyennant sa collaboration par des dénonciations ; de retour à Saint-Jean-du-Gard, nommé au consulat (1685), il appuya avec zèle la politique de conversion (Eugène Arnaud, Histoire des protestants du Vivarais et du Velay, I, 1888, p. 503, 514, 652 ; cf. Jules Vielles, BSHPF 31 (1882), p. 372 ; cf. [François Gaultier de Saint-Blancard], Histoire apologétique ou défense des libertez des Eglises réformées de France, Amsterdam : Henry Desbordes, 1688, I, p. 145).
19 François Sauvage : né vers 1623, étudiant à Nîmes, reçu ministre en 1651, à Florac de 1654 à 1659 (1658-1660 : accusé d’injures graves envers l’Église par les capucins de la ville, condamné à mort par contumace par le parlement de Toulouse), pasteur de Saint-André de Valborgne (1660-1678), Monoblet (1680-1682), Sauve (septembre 1682-octobre 1684) ; 1683-1684 : compromis dans le projet de Toulouse, condamné à l’interdiction du ministère (D. Schumann, op. cit., p. 232) ; 1685 : abjure ; 1er mars 1685 : gratifié de 1 500 livres (voir Haag, La France protestante, t. IX, 1859) ; retiré à Florac, pensionné jusqu’à sa mort en 1703.
20 Voir la Discipline des Églises du royaume de France, éd. I. d’Huisseau, 1666, I, art. 1.
21 On sait qu’après la Révocation, l’édit de Fontainebleau autorisant les pasteurs à quitter le royaume, tout en l’interdisant aux fidèles, Brousson critiquera amplement les pasteurs réfugiés et les exhortera à rentrer en France auprès de leurs troupeaux : voir en particulier la « Lettre aux pasteurs de France, refugiez dans les États protestans… », du 4 août 1688, in : Lettres et opuscules, op. cit., p. 34-48 (analyse d’Hubert Bost, « De la désertion des ministres au Désert des prédicants. Les reproches de Brousson aux pasteurs exilés à la révocation de l’édit de Nantes », in Yves Krumenacker (éd.), L’Anticléricalisme intra-protestant en Europe continentale, LAHRA, 2003, p. 43-54).
22 La seule lettre connue de Brousson traitant ce sujet est plus tardive, évoquant la situation de nouveaux convertis installés, préoccupés par les mariages et baptêmes à l’église (1692, suivant l’éditeur des œuvres posthumes de Brousson, dans l’Abrégé de la vie, op. cit., f. **2 v) : « Epître a tous les reformez qui persévèrent encore dans leur révolte » (in : Lettres et opuscules, op. cit., p. 206-216).
Sur les excuses des « révoltés », voir aussi le libelle anonyme [de David Derodon, l’un des professeurs de Brousson à l’académie de Nîmes] : Discours contre les révoltés, [Genève : I. A. et Samuel de Tournes], 1661 (rééd. 1665, 1676), relancé à Amsterdam en 1686 (voir M. Carbonnier-Burkard, « Une pastorale de crise sous l’édit de Nantes : le Discours contre les revoltez (1661) », in Didier Boisson (éd.), Entre institutionnalisation, répression et Refuge : le protestantisme français au xviie siècle, 1598-1715, Colloque Université d’Angers, 2017, à paraître).
23 « On prenoit toutes les mesures possibles pour empêcher l’entrée des lettres que j’addressois à nos frères […], On les renvoyoit en ce païs, les maîtres des bureaux de France en faisoient de continuelles plaintes » (Lettre de Brousson du 28 novembre 1687, citée supra n. 5).
24 Dans sa lettre citée plus haut (voir n. 8), Jérussien avait pu glisser 6 exemplaires de la Lettre de Brousson, celle-ci ne comportant que deux feuillets.
25 Collection Antoine Court, CH BGE Ms Court, 17, U, f. 163-164. – Lettre signalée par Elisabeth Labrousse, parmi les lettres pastorales du Refuge hollandais de l’année 1686, « Histoire des idées au xviie siècle », in : École pratique des hautes études. IVe section, Sciences historiques et philologiques. Annuaire 1977-1978, Paris, 1978, p. 850.
26 Sur Bagars (†1691), voir ce qu’en dira Brousson dans sa Relation sommaire des merveilles…, 1694, p. 53 : « La dernière fois qu’il avoit prêché, il avoit prononcé Anathème Maranatha contre tous ceux qui abandonneroient la profession de la verité. Cependant, peu de jours après il avoit été le premier à l’abjurer pour une pension. C’est pourquoi tout le peuple et les catholiques romains eux-mêmes l’appelloient Maranatha. »
27 Le 1er septembre, Jurieu annonçait le récit du martyre de Fulcran Rey, qu’il publie dans sa 4e lettre pastorale, du 15 octobre 1686. À Lausanne, les nombreux ministres réfugiés du Languedoc ont pu le connaître plus tôt.
28 Voir la « lettre de Mrs les pasteurs des Cevennes et du bas Languedoc… », Lausanne, 14 mars 1686 : « […] il a confessé devant ses juges qu’il avoit assisté à toutes les saintes assemblées qu’on avoit fait pour prier Dieu de nuit dans les Cevennes, et que s’il eut vescu il auroit assisté à celles qu’on fairoit de jour, presumant que le zele de ses compatriotes s’enflammeroit, et que si la rigueur dont on a usé envers les Reformés, les fait estre à present comme des pauvres Nicodemes, il viendroit bien tost un temps où, non contans de l’aller chercher de nuict, ils le demanderoient en plein jour […] » (Jean-Jacques Faure, François Teissier, le premier martyr des assemblées du désert et ses fils, Lausanne : Georges Bridel, 1877, p. 49-57).
29 Cette lettre aux protestants serait donc un peu postérieure à la Lettre des réformez captifs en France aux ministres réfugiez en Angleterre, en Hollande, en Allemagne et en Suisse et autres lieux, datée du 29 mars 1686 (Amsterdam, 1686 ; copie manuscrite aux Archives de l’État de Berne, éd. BSHPF 12, (1863), p. 299-305), assurément de la plume de Brousson (contra : doutes de Charles Bost, op. cit., I, p. 234, et d’Elisabeth Labrousse, op. cit.) : où Brousson, encore aux Provinces-Unies, informé des premières assemblées au Désert, de nuit, avec des chants des anges, relaye et amplifie les critiques des réformés « captifs en France » contre les pasteurs réfugiés et les adjure de rentrer en France pour consoler les « brebis » abandonnées (thème repris, renforcé de spéculations eschatologiques nourries de Jurieu, dans la Lettre aux pasteurs de France refugiez dans les Etats protestans…, du 4 août 1688 [op. cit.]), Changeant de public cible – ici les pasteurs réfugiés, là les réformés en France –, Brousson déplace son tir – ici les pasteurs réfugiés, là les pasteurs apostats.
30 Transcription : pour la lisibilité, on a corrigé des signes de ponctuation, ajouté des accents (à, où, é, è) et des cédilles, supprimé ou ajouté des apostrophes, introduit un alinéa avant l’exhortation finale p. 23, et mis en italiques les citations scripturaires.
31 Brousson développera la notion calvinienne de « ministère extraordinaire » pour temps « extraordinaires » (art. 31 de la Confession de foi des Églises réformées de France (1559-1571) : voir la Lettre d’un serviteur de Dieu à l’Église de Dieu qui est sous la Croix. Sur le pouvoir d’administrer les sacremens [entre 1695 et 1698], éd. L. Nègre, Claude Brousson, op. cit., p. 177-191.
32 Jean d’Arbaud, né en 1631, baron de Blauzac, membre de l’Académie royale d’Arles, venait d’abjurer publiquement, lors des États du Languedoc, à Montpellier, le 19 décembre 1684. Éloge de son abjuration dans le Mercure galant de janvier 1685 (p. 157-168). Sa femme, Isabeau de Fourque, s’est réfugiée à Berne au début de septembre 1685, avec huit de ses dix enfants (voir son mémoire, édité dans Les Églises réformées de France sous la croix : Lettres d’un galérien pour la foi et autres documents relatifs à la persecution, 1692-1773, éd. I. G. Baum, Strasbourg, 1869, p. 28-32) ; – Bastide : Serait-ce une fausse rumeur concernant Raymond Bastide, ministre depuis 1660, à Florac depuis septembre 1682, en principe jusqu’à l’arrêt d’interdiction du culte du 30 août 1685, resté caché près d’Alès avant de sortir de France (voir BSHPF 61 (1912), p. 156, et G. E. de Falguerolles, « Pasteurs, proposants et enseignants apostats », BSHPF 126 (1980), p. 241-242 ) ? – Sur les ministres Vigne, Astruc et Audoyer, voir supra les n. 16, 17 et 18.
33 « Mondain », « corps mystique de Jésus Christ », « communion extérieure de l’Église », « communion romaine » : expressions usuelles de Jean Claude, pasteur à Nîmes au temps de la jeunesse de Brousson (voir par exemple dans La Défense de la Réformation, 1673, 2e éd. La Haye : Abraham Arondeus, 1683).
34 Allusion à Judas : cf. Jn 13, 27.
35 Mt 13, 20-21.
36 Cf. Lc 9, 26 (// Mt 10, 33).
37 Cf. Jn 15.
38 Ici, Brousson semble s’inspirer d’un écrit d’un pasteur réfugié, Lettre aux Eglises réformées de France qui ont besoin de consolation, imprimée « à Cologne, chez Pierre du Marteau », en 1684, à propos des « révoltés » : « […] le corps de l’Eglise sera plus sain, quand il sera purgé de ces humeurs peccantes qui l’accablent » (p. 39). Cette Lettre est attribuée à Isaac Sagnol, ancien pasteur de Crest, un des directeurs du « projet de Toulouse », réfugié en Suisse.
39 Is 54, 1.
40 I Pi 1, 6-7.
41 Cf. Rm 9, 22.
42 Cf. Mt 25, 32-34.
43 Cf. Ap 21, 8 (cf. Mt 18, 8).
44 « J’ose dire… » : dans son rôle pastoral, Brousson assume de forcer les textes scripturaires qu’il vient de citer.
45 Lc 8, 21.
46 Cf. Rm 9, 2-4.
47 Rm 11, 33.
48 Cf. Estat des reformez en France, 1684, I, p. 226.
49 Mt 16, 24 // Lc 9, 23.
50 Cf. Lettres au clergé de France assemblé à Paris en l’année 1685, Au Désert, chez le Sincère, 1685, 1re lettre, p. 13.
51 Cf. Estat des reformez en France, 1684, II, ch. vii.
52 Cf. 2 Th 2. « Le véritable caractère de l’Antéchrist » : cf. Pierre Jurieu, Préjugez légitimes contre le papisme…, Amsterdam : Henri Desbordes, 1685, I, ch. vi.
53 Allusion à l’obligation de se découvrir devant le saint-sacrement porté dans les rues (Déclaration de 1669, art. 33), cf. ibid., II, ch. vi.
54 Argument calvinien (et d’abord zwinglien) contre l’adoration du saint-sacrement.
55 Thème de Pierre Jurieu, Préjugez légitimes contre le papisme, op. cit., II, ch. iii.
56 Cf. Ap 13, 1. Cf. Pierre Jurieu, ibid., I, ch. vi.
57 Allusion aux effets de la déclaration royale du 17 juin 1681, autorisant la conversion des enfants de 7 ans à la religion catholique, en les soustrayant à l’autorité parentale, cf. Estat des reformez en France, 1684, II, ch. iv et v.
58 L’association de la métaphore de l’Église comme épouse (à partir d’Ep 5) et de celle de l’Église comme colombe (à partir de Ct 6), qui deviendra un leitmotiv des sermons de Brousson, est peut-être inspirée de Jean Claude, La Défense de la Réformation, op. cit. (IV, ch. iii, p. 373-374), citant plusieurs passages de saint Augustin sur la sainte Église de Jésus Christ (cf. Réponse au livre de Monsieur l’Evesque de Meaux intitulé : Conférence avec M. Claude, Charenton : Olivier de Varennes, 1683, p. 646).
59 Ac 7, 60.
60 Cf. Ps 72, 17 (du roi-prophète David).
61 Cf. 1 R 3, 16-28. La cruauté dont a fait preuve au cours de l’histoire cette « Mère commune des chrétiens » est dénoncée par Henri Basnage de Beauval dans Tolérance des religions, Rotterdam : Henry de Graef, 1684, p. 4.
62 Cf. Ap 18. Rome-Babylone ou « Babylone spirituelle » : identification usuelle dans les sermons des pasteurs réformés, spécialement à l’approche de la Révocation (cf. Pierre Jurieu, Préjugez légitimes contre le papisme, op. cit.). Cf. « Babylone mystique » : Estat des réformez, op. cit., I, Les protestants de France… à tous les autres protestans…, f. a1 ; Lettres au clergé de France, op. cit., 1re lettre, p. 6 ; 6e lettre, p. 20.
63 Cf. Lettres au clergé, op. cit., 6e lettre, p. 13. Cf. Pierre Jurieu, Préjugez légitimes contre le papisme, op. cit., I, ch. v.
64 Peut-être une référence directe au Prélude sur la captivité babylonienne de l’Eglise de Luther (1520).
65 Cf. 2 Th 2, 2. « Mystère d’iniquité » (pour désigner la papauté) : formule popularisée par Duplessis-Mornay (1611) et Agrippa d’Aubigné, reprise par Jurieu (cf. Préjugez légitimes contre le papisme, op. cit., I, ch. vi).
66 Cf. Jg 16 : la traîtresse Dalila a endormi Samson et lui a coupé sa chevelure pour lui faire perdre sa force et le livrer aux Philistins.
67 « Nous avons tort de nous plaindre de ce que l’on fait pour nôtre salut » (Apologie du projet des Réformez de France […] contenant la suite de l’Etat des Réformez…, Cologne, Pierre du Marteau, 1684, ch. I, p. 8 : Brousson fait référence au préambule de la déclaration du 17 juin 1681 pour la conversion des enfants de 7 ans, évoquant les « grands succez » des « excitations spirituelles autres moyens raisonnables que nous avons employé pour la conversion de nos Sujets de la R.P.R »).
68 Jn 7, 19-20.
69 Cf. Apologie du projet des Réformez de France, op. cit., ch. I, p. 31 : référence à l’arrêt du Conseil d’État du 5 octobre 1663 interdisant aux ministres et anciens de se servir de « ces mots de persecution, de malheur du temps, ny autres semblables ».
70 Cf. 2 Tm 4, 10. Demas : désignation usuelle des apostats chez les réformés, surtout après 1685, mais en usage aussi plus tôt (ainsi dans une une brochure anonyme : Les inconstans, s. l., 1671, p. 13).
71 Allusion à l’arrêt du Conseil d’État du 4 septembre 1684, faisant « défenses à tous particuliers […] de retirer dans leurs maisons aucuns malades de la R.P.R., sous prétexte de charité, leur enjoignant de les faire conduire dans les hôpitaux pour être traités ainsi que les malades de la Relig. Catholique… » (cf. Apologie du projet des Réformez de France, op. cit., ch. XI, p. 345).
72 Cf. Estat des reformez en France, 1684, II, ch. iii.
73 Cf. ibid., I, ch. x.
74 Cf. 1 S 16, 23.
75 Cf. 1 Tm 1, 19.
76 Sur Alexandre Vigne, voir supra n. 16.
77 Sur Pierre Astruc, voir supra n. 17.
78 Sur Pierre Audoyer, voir supra n. 18.
79 Sur François Sauvage, voir supra n. 19. Selon le réfugié Antoine Coulan (voir supra n. 69), Sauvage suivit Astruc dans sa « révolte », étant comme lui impie et libertin, de surcroît « convaincu d’adulère et de simonie » (voir Charles Bost, « Les pasteurs Astruc », art. cit., p. 63). En rapport avec l’affaire traitée en 1676 par le synode provincial de Saint-André de Valborgne, sur « des bruits qui le [le ministre Sauvage] chargeoient d’opprobre » ? Après enquête, le synode l’avait déclaré innocent (Actes des synodes provinciaux des Cévennes, 1629-1682, BPF, Ms 528).
80 Fausse nouvelle : ce ministre apostat est mort à Florac le 28 octobre 1703, enterré par le curé de Florac (voir Liste de pasteurs apostats, BPF, Ms 907).
81 Is 1, 26.
82 Astruc et Audoyer étaient de jeunes ministres, reçus l’un en 1681, l’autre en 1682.
83 Allusion aux dragonnades en Poitou, en 1681 (cf. Estat des réformez, op. cit., I, ch. xiii ) ; en Vivarais, Dauphiné, et Cévennes, de septembre 1683 à octobre 1684 (cf. Apologie du projet des Réformez de France, op. cit., ch. ix-xi).
84 Voir Alexandre Vigne, Lettre de M. Vigne, cy-devant ministre de Grenoble, à MM. de la religion prétendue réformée, où il propose les principaux motifs de sa conversion et prouve aux protestans, par leurs propres principes, qu’il n’y a rien dans la croyance, dans le culte, et dans le gouvernement de l’Église catholique, qui leur donne un juste sujet de séparation, Grenoble : A. Fremon, 1685, p. 68-70.
85 Cf. Gn 3, 4.
86 Jn 7, 49 (éd. Genève : Samuel Chouet, 1665).
87 Allusion aux pensions versées aux ministres convertis sur la caisse du clergé de France.
88 Rm 1, 22-24.
89 2 Th 2, 10-11.
90 Peut-être une allusion aux discours de Vigne, alors sur une ligne gallicane, avant son abjuration, dans Entretiens de Philalèthe et de Philérène où sont examinées les propositions contenues dans la Déclaration du clergé du mois de mars 1682 […]. Et où sont proposés les moyens justes et efficaces pour ramener dans le sein de l’Église catholique ceux qui en sont séparés, Cologne : Pierre Du Marteau, 1684, 1, p. 308-311.