La Palestine comme métaphore
Histoire des religions et science politique chez Johann Wilhelm Stucki (1542-1607)
Cet article a bénéficié de la relecture attentive de Bernard Roussel, dont nous déplorons la récente disparition. Qu’il lui soit ici humblement rendu hommage. Toute erreur ou maladresse qui se trouverait dans le texte demeure de ma seule responsabilité.
Du Lectorium de Zurich, où il officie comme professeur d’Ancien Testament, le polymathe suisse Johann Wilhelm Stucki1 reste un spectateur attentif des guerres de religion qui secouent le royaume de France. En effet, depuis sa participation en tant que secrétaire et interprète de Pierre Martyr Vermigli au colloque de Poissy, puis ses différents séjours d’études à Paris au cours des années 1560, son intérêt pour les affaires françaises ne s’est jamais démenti. Sans doute considère-t-il, comme bon nombre d’observateurs contemporains, que s’y joue pour une grande part l’avenir des Églises réformées dont il est alors devenu une autorité savante2. À la croisée des grandes scènes (inter)nationales et (inter)confessionnelles, Zurich apparaît alors comme un espace en creux, à partir duquel, comme l’a dernièrement mis en lumière Alain Dufour3, Stucki ne cessera de suivre et commenter les conflits qui embrasent l’Europe.
L’opuscule sur lequel se fondent les remarques qui suivent, l’Historia Palaestinorum, Tyriorum et Sidoniorum, populorum antiquissimorum4, s’inscrit dans la série des ouvrages iréniques que Stucki publie dès l’accession d’Henri IV au pouvoir5. Bien qu’au premier abord il apparaisse comme un travail de pure érudition, publié en complément de l’imposant commentaire biblique de Vermigli aux Livres de Samuel6, on remarque en effet que s’y ajoute un « bref traité » sur la vicinitas, ou « bon voisinage », dans lequel Stucki entend rendre toute leur actualité aux données antiques. À l’heure d’un investissement massif – auquel par ailleurs il prend largement part – de la République des Lettres dans la restitution antiquaire d’une « République des Hébreux » pour mieux informer les débats politiques contemporains, on peut se demander pourquoi il choisit aussi d’aborder la question par les marges, et d’écrire une histoire des habitants de la Palestine. Quels peuvent bien être les enjeux, pour le lecteur réformé du second xvie siècle auquel il s’adresse, d’un tel détour par la connaissance des Palestiniens de l’Antiquité ?
Le parallèle est immédiatement dressé par Stucki entre les conflits israélo-palestiniens bibliques et les guerres de religion qui enflamment l’Europe de son temps. Écrire l’histoire des Anciens revient ici pour l’essentiel à construire du comparable : entre Juifs et Palestiniens en l’occurrence, mais aussi entre passé et présent, en guise de « consolation contre les efforts des ennemis très puissants de l’Église et rappel à notre office, charge et pénitence7 ». Nous nous proposons d’observer ici les modalités et fins de cet exercice, où se distinguent déjà les contours naissants d’une histoire comparée des religions appelée à connaître des développements majeurs au cours du siècle suivant8.
Formé à ce que l’on a pu appeler l’« école rhénane d’exégèse9 », Stucki procède toujours selon un parcours étymologique réglé, qui donne la précellence à la lettre, hébraïque et révélée, comme lieu premier de vérité. « Il faut donc que nous commencions à partir du nom lui-même10 », dont il retient deux voies d’interprétation. Reprenant une hypothèse qu’il a trouvée dans le Sefer ha-Shorashim (Livre des racines) de Kimhi11, il évoque en effet la possibilité d’une double lecture de l’étymon שלפ *Phalas/sh (hbr.) de Palaestina, selon le placement du point diacritique de la dernière lettre du thème hébreu. D’une part, le terme Miphlese (hbr.) qui en dérive signifie au choix expansiones (Kimhi) ou distinctiones (Septante), comme en Job 37, 16 que Jérôme traduit par semitas, « voies, chemins » en latin. De là s’explique qu’à Phelistim (hbr.) la Septante fasse la plupart du temps correspondre le terme grec Allophylos, que Stucki rend par Alienigenas, c’est-à-dire « nés d’autres, étrangers ». En effet, selon cette interprétation ethnocentrée, c’est parce que les Palestiniens « se départent et sont très étrangers aux dispositions d’âme, mœurs et religion des Juifs ou Israélites12 » qu’ils sont ainsi nommés. D’autre part, de *Phalas/sh peut aussi dériver le verbe Hithpalesch (hbr.), « se couvrir de cendres, ou se rouler dans la poussière ». Dans ce cas, la Palestine tirerait son nom d’un rite pratiqué par ses habitants, une « cérémonie antique, symbole de deuil et de pénitence pour les peuples d’Orient13 ». Au final, ces deux interprétations de *Phalas/sh semblent s’accorder dans la mise en jeu d’une altérité, soulignée par l’accomplissement d’actes symboliques dont Stucki tente de mettre en lumière toute la portée :
Ils sont donc ainsi appelés Pelistim, c’est-à-dire « recouverts » ou « enveloppés de poussières », soit à cause de l’impureté de leur mode de vie et de leurs mœurs, car ils se sont voués au souci de ce bas-monde et se roulent dans la boue, la fange et les poussières du crime et de la vilenie, soit pour signifier que bien qu’opulents et puissants, et par conséquent superbes et arrogants, ils ne sont pourtant rien devant Dieu, que vile poudre de terre et cendre abjecte, et qu’eux-mêmes et toute leur puissance et opulence seront en fin de compte réduits à néant et s’en iront en cendres chaudes et escarbilles14.
Cette attention accordée au geste rituel, ici comme marqueur identitaire, est sans doute tributaire du phénomène de confessionnalisation qui s’amplifie au cours du xvie siècle, ce qui se fait (et ne se fait pas) en matière de religion devenant un nouvel objet d’observation et de critique, notamment historique. Tout comme les professions de foi, les pratiques religieuses apparaissent alors fortement territorialisées, c’est-à-dire liées à l’environnement où elles sont reconnues et, inversement, qu’elles déterminent. En postulant une adéquation entre le nom du peuple et sa pratique religieuse, Stucki procède à l’essentialisation de son objet d’étude : les Palestiniens sont, véritablement, ce que leur nom hébreu dit qu’ils font. De même, leur généalogie, le territoire qu’ils occupent, leur régime politique, leur mode de vie, leurs mœurs et leurs divinités, tous ces éléments qui les fondent en tant qu’objet d’observation, viennent vérifier en quelque sorte le constat établi d’entrée de jeu par le mot révélé qui les dénomme. Sous couvert d’une enquête historique, Stucki cherche en fait surtout à éprouver la validité universelle du verbe divin.
Sa première lecture étymologique continue ainsi de guider en arrière-plan tout le cours de son investigation, y compris lorsqu’elle se fait géographique. Le geste symbolique de se recouvrir de poussière semble en effet inviter Stucki à considérer tout particulièrement le rapport des Palestiniens à la terre qu’ils habitent. Il passe ainsi en revue les cinq satrapies dont elle se compose, relevant certains détails qui préparent la suite de son développement. Ainsi, Gaza est une cité dont la richesse et les fortifications ont pu l’assimiler à un « trésor15 » enfoui. Ascalon et Ashdod, dont il affirme sur la base d’anciens récits de voyages qu’il est encore possible de voir des ruines16, possédaient les plus anciens temples consacrés à Vénus. Eqron, qui signifie « racine » en hébreu, est condamnée à être « éradiquée », en quoi Stucki reconnaît une « élégante paronomase, ou allusion au nom de cette ville17 ». Enfin le nom de Geth, d’où provenait Goliath, est tout autant significatif, qu’il traduit par torcular (pressoir), renvoyant à la force physique de ses habitants. Son évocation des voyageurs et des ruines qu’ils ont pu observer sur place procède ici d’un double emploi : d’une part elle intègre à son discours une perspective antiquaire par la citation de realia, mais elle permet surtout de confirmer dans les faits la parole divine, qui vouait ce territoire à la destruction. Prophétie et témoignage se rejoignent dans la vérification, sur le terrain, des paroles de Sophonie 2, 4-6 :
Car Gaza sera délaissée et Ascalon déserte. Azot en plein midi sera emmenée et Accaron sapée. Ha, habitants de la contrée de la mer, nation des Cerethéens [Crétois], la parole du Seigneur s’adresse à vous, ô marchands [Cananéens] du pays de Palestine, lequel pays je gâterai tellement qu’il n’y demeurera personne ! Et sera la contrée de la mer réduite en repaires de bergeries pastorales et parcs de brebis. (trad. Castellion, 1555).
Une telle indexation de l’écriture historique à l’autorité du Livre est particulièrement représentative des pratiques historiographiques du milieu savant réformé où Stucki évolue, instruments critiques (philologie, épigraphie, archéologie, numismatique, etc.) et impératifs théologiques y coexistant dans un rapport ancillaire qui demeure stricto sensu encore le même qu’au Moyen Âge. Le changement de paradigme qui commence à s’opérer quand Stucki rédige son opuscule semble en effet moins relever d’une sortie du théologique que d’une ouverture de celui-ci à d’autres perspectives. Il en va ainsi de son usage de la théorie des climats dont Jean Bodin avait énoncé le principe dès 1576 :
Or, tout ainsi que nous voyons en toutes sortes d’animaux une variété bien grande, et en chacune espèce quelques différences notables, pour la diversité des régions, aussi pouvons-nous dire qu’il y a presque autant de variété au naturel des hommes qu’il y a de pays ; voire en mêmes climats, il se trouve que le peuple Oriental est fort différent à l’Occidental et, en même latitude et distance de l’équateur, le peuple de Septentrion est différent du Méridional18.
Ce qui se présente comme une loi tirée de l’expérience est réinvesti par Stucki au fil de son exposé comme un complément de sa première lecture étymologique, sans toutefois venir y suppléer : les Palestiniens sont définis dans leur rapport au territoire d’abord parce que leur dénomination en hébreu y invite, ensuite parce que leur situation géographique, entre terre et mer, régit selon lui leurs activités et leurs mœurs. Aussi l’étude ethnographique qui prolonge ces remarques préliminaires est-elle entièrement tributaire d’une adéquation de principe entre « naturel » des peuples et nature des lieux. Puisque la situation du pays définit le territoire comme un espace intermédiaire entre terre et mer, les activités et mœurs autochtones restent marquées du sceau de cette duplicité :
Il faut donc que nous parlions à présent du mode de vie, des mœurs et de la nature de ce peuple, lesquels nous sont connus par d’anciens monuments littéraires. Sous chacun de ses aspects, le genre de vie auquel s’est livrée la Palestine fut double : le commerce d’une part, et la guerre de l’autre. Bien que ces deux genres de vie puissent apparaître divers et tant contraires, il ressort néanmoins des récits historiques que les Palestiniens furent fort actifs dans les deux, et joignirent les exercices de Mercure à ceux de Mars19.
Cette alliance paradoxale d’activités commerciales et guerrières s’explique par la nature hybride du territoire, qui explique à son tour, dans une réponse du terrain à la lettre, les contradictions apparentes du texte biblique. En effet, c’est bien l’application de la théorie des climats aux Palestiniens qui permet à Stucki de résoudre le délicat problème de leurs dénominations multiples dans la Bible, laquelle les associe tantôt aux marchands de Canaan, tantôt aux guerriers Céréthéens ou Crétois. Ainsi, Sophonie 2 désigne sous les termes de « gens de Canaan », non pas les Cananéens à proprement parler, dont on a pu supposer que les Palestiniens représentaient un sous-groupe, mais au sens figuré les Palestiniens eux-mêmes, en tant qu’ils forment une nation vouée au négoce20. De même les retrouve-t-on sous l’appellation de Goi Ceretim, « gens de Crète », qui fait référence à eux en tant que nation guerrière. La difficulté qui consistait à identifier les Palestiniens à la fois aux Cananéens et aux Crétois, deux nations clairement distinctes, s’efface donc devant le constat d’une expression métaphorique de leur double nature.
Ainsi Sophonie n’affirme pas que les Palestiniens sont réellement originaires de Crète – c’est l’interprétation privilégiée par la Septante –, mais tout simplement qu’ils sont « destructeurs et exterminateurs », sens privilégié par la Bible latine de Zurich (1543) dans sa traduction de Goi Ceretim par gens vastatrix. Pourtant, il ne s’agit là que de l’acception active de ce terme. Stucki remarque qu’il est également possible de l’entendre sur un mode passif, comme le fit notamment le texte du « paraphraste chaldéen », c’est-à-dire le Targum. Dans ce cas, Ceretim est traduit par « qui sont exterminés », selon un retournement de perspective que justifie l’ambivalence du vocable hébreu, dont Stucki souligne ici l’adéquation à la loi du talion : « Certains interprètent Sophonie 2 selon un mode passif, “qui seront dévastés” ou “exterminés”, laquelle signification se tient parfaitement. En effet, celui qui extermine et dévaste est à son tour exterminé selon la loi du talion21 ». Une telle rupture de niveau entre grammaire hébraïque et principe de justice laisse à nouveau entendre toute la puissance de la lettre, et par conséquent combien poreuses demeurent chez Stucki les frontières entre l’exégèse et les différentes disciplines du savoir auxquelles elle peut, chez lui, encore se superposer.
L’analogie entre des activités (studia) des Palestiniens et la nature hybride de leur territoire vaut également pour leurs mœurs. En faisant appel à l’adage Maritimi mores22, Stucki paraît emprunter à Érasme et à Rhodiginus, mais en fait cette partie de son discours rappelle surtout l’introduction à son propre commentaire du Périple du Pont-Euxin d’Arrien, publié vingt ans plus tôt23. Les mœurs des populations côtières y étaient déjà décrites comme « légères, inconstantes et instables comme la mer, qui est agitée de fluctuations et de tempêtes24 ». Si le proverbe repose sur l’idée de mutabilité de l’élément marin, à laquelle correspondrait une légèreté de parole et de vertu, elle se double également chez Stucki d’un raisonnement plus causaliste emprunté à Platon : la proximité de la mer étant propice au développement d’activités commerciales, les populations s’y enrichissent très vite, ce qui génère chez elles un appétit du gain et nourrit l’orgueil, deux vices peu favorables au maintien des bonnes mœurs et à la stabilité politique.
Les composantes de leur vie religieuse n’échappent pas à cette règle de cohérence territoriale. Des trois principales divinités auxquelles s’adressent les cultes des Palestiniens, deux apparaissent en effet en rapport étroit avec une localité et la troisième est qualifiée de « tutélaire », soit valant pour l’ensemble du pays25. Beelzebub, première divinité de cette trinité palestinienne, est localisé par Stucki à Eqron. Il semble mentionné surtout parce qu’il s’agit d’une figure familière à ses lecteurs, dont il traduit le nom hébreu en allemand par « le diable des mouches » (der Mucken Teuffel). Stucki opère ainsi une jonction entre un démon familier et la scène éloignée, dans le temps et l’espace, de son histoire des Palestiniens. Le diable apparaît alors comme le dénominateur commun qui vient justifier la translatio des divinités et souligner l’actualité de leur description. Astharoth, figure féminine, est associée à Junon par Augustin, une hypothèse reprise plus récemment par Vermigli26. Toutefois, Stucki semble privilégier la lecture d’Hérodote et de Cicéron, qui y reconnaissent pour leur part Vénus, dont on a déjà vu que Stucki pouvait situer les temples, voire le lieu de naissance, à Ashdod et Ascalon. Cette mention vient ici non seulement authentifier son discours sur les mœurs dissolues des habitants de Palestine, mais elle l’engage également dans une approche de la religion que l’on pourrait qualifier de naturaliste. En effet, si les Palestiniens érigeaient des temples à Vénus, il s’avère, au vu de ce qui précède, que cela doit être mis en rapport direct avec leur environnement côtier.
En ce sens la troisième divinité, signalée par Stucki comme tutélaire, soit à la fois la plus importante et la plus ancrée dans le territoire, apparaît comme le résultat d’une projection exacte, sur le plan mythologique, de sa double caractérisation de la Palestine comme espace intermédiaire entre terre et mer : « En conséquence, parce que leur région était maritime et parce qu’elle était abondante en blé, les Palestiniens adorèrent Dagon27 ». En effet, d’après lui la figure hybride de Dagon renvoie en hébreu à deux champs sémantiques différents, « poisson » et « blé », dans lesquels il reconnaît les deux pôles opposés de l’ambiguïté palestinienne. Ainsi, parce que Dag signifie « poisson » en hébreu, Dagon peut être associé à d’autres divinités marines antiques, qu’il énumère en prenant soin de préciser que les chrétiens leur substituèrent des saints28. De même, parce que Dagan signifie « blé » en hébreu, Dagon a pu être conçu en rapport étroit avec la terre, comme le découvreur du blé et l’inventeur de la charrue. Ainsi se constitue un portrait du dieu composite des Palestiniens, dont Stucki décrit une manifestation concrète dans la fabrication d’une idole « de la forme d’un être humain du nombril jusqu’en haut, et d’un poisson jusqu’en bas29 ».
La description physique de Dagon ne vient pas seulement sceller la représentation de la Palestine dans une figure emblématique, elle permet également à Stucki de faire le lien entre mythologies biblique et gréco-latine en mobilisant la contrepartie féminine du dieu, la « fabuleuse déesse » mi-femme mi-poisson Derceto que Diodore localise précisément à Ascalon30. Par la superposition de ces deux figures31, Stucki semble abolir définitivement la frontière entre littératures sacrée et profane, les écrits de Pline et d’Ovide sur le mythe de Derceto entrant désormais en résonance avec le récit de la chute de Dagon en I Samuel 5. Que ce soit par le rapprochement des noms32 ou des morphologies, il semble que se mette ici en place une généalogie, une « histoire » au sens chronologique, assurant la primauté des figures bibliques sur celles des mythologies gréco-latines. Bien que conservant la visée encyclopédique qui animait entre autres les entreprises des humanistes Polydore Vergile et Gyraldi33, le discours comparatiste de Stucki se réordonne ainsi en fonction d’un établissement des dieux bibliques comme prototypes des dieux des Anciens. L’antériorité de Dagon sur Derceto ne découle en effet pas seulement du principe d’hebraica veritas, elle se révèle une condition nécessaire à la possibilité d’une histoire comparée des religions, qui demeure à son point d’émergence au xvie siècle profondément assujettie à la chronologie biblique. C’est ainsi que s’inscriront dans cette perspective, que l’on a pu à juste titre qualifier d’« eusébianisme moderne34 », la plupart de ceux en qui l’on a reconnu les avant-courriers d’une nouvelle science des religions : Vossius, Bochart, Huet, Lafitau, etc. 35
Au-delà d’une attention nouvelle portée à la chronologie, l’intérêt de Stucki pour des figures comme Dagon/Derceto, et plus largement l’ensemble de son entreprise de connaissance des religions, ne peut plus s’entendre comme la simple accumulation d’un savoir destiné en premier lieu à la juste restitution de l’imaginaire antique par les artistes ou les poètes, comme ce fut le cas pour les mythographes dont Jean Seznec a dressé le portrait type36. En accordant la priorité aux points de vue antiquaire et ethnographique, Stucki aborde les numina à l’intérieur d’une série d’autres phénomènes naturels ou sociaux. Les dieux cessent dès lors d’être des figures détachées de la réalité, des abstractions, mais sont au contraire rapidement réintégrés au cœur de la vie et de l’histoire des Anciens, dont bon nombre d’aspects sont en retour reconsidérés à l’aune de leurs pratiques religieuses. En ce sens, on pourrait lui trouver des précurseurs chez Boemus et Sardi37, mais tandis que ceux-ci semblaient rester dans une approche très contemplative de la diversitas, pour Stucki comme pour Machiavel bien avant lui – le Discours sur la première Décade de Tite-Live tentait déjà de saisir au plus près (mais dans une optique diamétralement opposée à la sienne) la portée morale et politique de la religion des Romains –, ce changement de perspective est à mettre en rapport avec leur implication directe dans les bouleversements politiques et religieux du xvie siècle38. On a pu sous-estimer la dimension pragmatique de cette nouvelle forme de savoir sur les religions, essentiellement orientée sur la description des rites et des coutumes, suivant en cela la caricature de l’antiquaire comme savant myope de cabinet, répandue au cours du xixe siècle. Dans le cas de Stucki, des sources telles que l’Historia Palaestinorum nous invitent pourtant à considérer ses travaux comparatistes comme relevant d’un projet politique de plus large portée, destiné à influer concrètement sur l’ensemble de la société humaine. L’usage de modèles historiques dans l’affirmation de la Réforme à Zurich a ainsi récemment été mis en valeur à partir de figures qui furent toutes à un moment ou un autre des maîtres ou des collègues directs de Stucki39. Comme pour ceux qui furent ses premiers précepteurs, la religionis diversitas n’est plus seulement chez Stucki cet objet de contemplation et de délectation savante dont rendent comptent les préfaces d’encyclopédies, mais bien aussi un élément clé des guerres qui opposèrent en leur temps les Palestiniens aux Juifs et dont ses contemporains rejouent la tragédie en Europe40.
Parce qu’il les envisage d’un point de vue naturaliste et causaliste, la description des religions, dans toute l’étendue de leur variété, s’offre donc à Stucki comme une nouvelle clef d’analyse pour la science politique de son temps. C’est bien ce que paraît confirmer ici l’apposition pure et simple d’un traité sur la vicinitas, ou « bon voisinage », à l’Historia Palaestinorum41. La leçon qui y est tirée du cas palestinien, parce qu’elle s’appuie à la fois sur la démonstration d’une origine naturelle de leur religion et de leurs mœurs, et le rappel d’une distribution providentielle des territoires, va à l’encontre de toute action violente contre les ennemis, même s’il s’agit d’idolâtres :
Ainsi les hommes nous sont conjoints, pris individuellement ou collectivement, qu’ils soient bons ou mauvais, bienveillants ou malveillants, pauvres et sans ressources ou riches, liés par le sang ou non. La considération, tant de la cause que de la fin principale, doit donc pousser avec raison ceux-ci à honorer saintement et en toute loyauté la nécessité du bon voisinage. Car en effet ce n’est pas le hasard ou la fortune mais bien Dieu lui-même qui a rapproché et conjoint untel et untel, ceux-ci et ceux-là, tels individus ou tels peuples : afin que tu puisses aider ceux-ci et en retour être aidé d’eux, et qu’ils se maintiennent à ton égard en toute amitié, bienveillance, honnêteté et loyauté. Tu dois prendre garde à ne pas les offenser, par gestes ou paroles, ni les blesser car tu t’exposerais alors à l’offense, non seulement des hommes, mais de Dieu lui-même42.
Cette leçon est particulièrement importante au regard du caractère paradigmatique des événements décrits dans la Bible, car elle appelle à adopter une forme de principe de tolérance (à redéfinir toutefois comme l’attente d’une intervention divine43) à l’égard de ceux qui, quand bien même cruels et violents au nom de leur religion, n’agissent finalement qu’en fonction de leur nature et de leur environnement. L’univers tout entier paraît en effet régi par une conjonction d’éléments contraires :
Non seulement l’univers entier, mais chacun de ses éléments tant grands ou petits, à supposer qu’on les considère séparément, maintiennent entre eux une concorde, sans laquelle ils ne parviendraient pas à se conserver à tout instant sains et saufs en l’état. Cette part unique et très noble du monde qu’est l’homme peut nous en fournir un exemple éclairant, lui qui fut la raison de la création de l’univers par Dieu et qui est appelé des anciens philosophes un « petit univers ». En effet, celui-ci ne se conserve-t-il pas par une espèce de concorde entre ses deux parties principales, desquelles il est composé et animé, à savoir l’âme et le corps, dont le divorce et la séparation ne sont rien d’autre que la mort ? 44
Cet état apparaît donc nécessaire d’un point de vue naturaliste, mais également d’un point de vue théologique, puisque imposé par Dieu aux hommes45. Il en va de même du voisinage de peuples et de religions que tout oppose : la vicinitas définit ici précisément, au niveau politique, cet état de cohabitation consentie des contraires. Si des guerres surviennent entre deux peuples, ou au sein d’une même nation, « à cause ou sous prétexte » de leurs religions, il ne faut pas tant chercher à convertir ou supprimer l’autre qu’à restaurer un équilibre naturel entre les différents partis, en attendant le jugement divin46. Au niveau politique, nier la nécessité d’une cohabitation parfois douloureuse est une erreur car cela revient à s’inscrire contre le cours de la nature et se substituer à l’action réparatrice de Dieu47. Après avoir placé tous ses espoirs en la personne d’Henri IV, Stucki semble en fin de compte progressivement remettre, au cours des dix années qui séparent l’Helvetia gratulatio ad Galliam (1591) de l’Irene Gallica (1601), entre les mains de Dieu l’établissement d’une société réglée par une seule « vraie » religion. C’est sans doute ce qu’indique la publication, concomitante à celle de l’Historia Palaestinorum, de son De angelis angelicoque hominum praesidio atque custodia meditatio, un traité consacré aux anges comme instruments divins dans la conduite politique des affaires humaines48.
____________
1 À propos duquel on pourra désormais consulter notre thèse de doctorat soutenue à l’Université de Lausanne, Johann Wilhelm Stucki (1542-1607) : de l’histoire antiquaire à l’histoire des religions, où nous avons tenté de rendre compte avec un certain détail du contexte d’émergence et des conditions de réalisation de son projet savant et littéraire, consistant en la restitution antiquaire et la comparaison des rites sacrificiels des religions de l’Antiquité. Divers aspects de la vie et de l’œuvre néolatine de Johann Wilhelm Stucki, un auteur méconnu et peu traité jusqu’à présent par l’historiographie, obscur mais génial professeur d’Ancien Testament au Lectorium de Zurich, y sont ainsi abordés pour la première fois, dans l’espoir d’éclairer un peu plus les pratiques et modalités discursives de la comparaison des religions au cours de la première modernité.
2 Très tôt francophone, Stucki est accueilli lors d’un séjour à Strasbourg comme pensionnaire et élève par François Hotman, juriste et monarchomaque français, avec lequel il entretiendra une correspondance jusqu’à la mort de celui-ci. Il subsiste en outre quelques témoins manuscrits de ses échanges avec Philippe Duplessis-Mornay. De Genève, Théodore de Bèze l’informe très régulièrement de la situation internationale. Stucki correspond aussi abondamment avec divers ambassadeurs, dont Jacques Bongars ou Nicolas Brulart de Sillery. Plus singulièrement, son cousin Johann Heinrich Grebel, soldat entré au service d’Henri IV contre les Guise, lui fait directement parvenir des nouvelles du front.
3 Alain Dufour, « L’Helvetia gratulatio ad Galliam de Hans Wilhelm Stucki (1591) et l’idée de tolérance », in Nicolas Ducimetière (éd.), Poètes, princes et collectionneurs. Mélanges offerts à Jean Paul Barbier-Mueller, Genève : Droz, 2011, p. 337-347.
4 J. W. Stucki, Historia Palaestinorum, Tyriorum et Sidoniorum, populorum antiquissimorum, & olim celeberrimorum, ex sacris & prophanis literarum monumentis diligenter accurateque collecta atque conscripta, ad libros sacros & prophanos intelligendos & explicandos valde accommodata : insertus est huic Brevis de vicinitate tractatus, Zurich : Johann Wolph typ. Froschauer, 1595 (2°, 10 fols).
5 J. W. Stucki, Helvetiae gratulatio ad Galliam de Henrico huius nominis IV. Galliarum et Navarrae Rege Christianissimo, [Genève : Jean Le Preux], 1591 ; Id., Orationes duae, una de munere ecclesiastico, altera de concordia, Zurich : Johann Wolph typ. Froschauer, 1592 ; Id., Carolus Magnus redivivus, hoc est, Caroli Magni Germanorum, Gallorum, Italorum, et aliarum gentium monarchae potentissimi, cum Henrico M. Gallorum & Navarrorum rege florentissimo comparatio : utriusque regis historiam breviter complectens, quam regum & principum speculum possis appellare, Zurich : [Johann Wolph typ. Froschauer], 1592 ; Id., Irene Gallica, hoc est, De pace et concordia in Gallis sancita, auspiciis Heinrici Iv. Galliarum et Navarrae Regis : gratulatio ad Gallos, ubi praeter belli pacisque civilis & caussarum ac effectuum utriusque antithesin, multiplex historia invictissimi hujus regis & regni continetur, cum pia exhortatione ad poenitentiam, Zurich : [Hans Rudolf Wyssenbach], 1601.
6 Pierre Martyr Vermigli, In Samuelis prophetae libros duos Petri Martyris Vermilii commentarii doctissimi nunc adiectis et emendatis quibusdam : his auctarii loco accessit, Palaestinorum, Tyriorum ac Sidoniorum, populorum antiquiss, ex sacris et prophanis monumentis diligens et accurata historia, ad hos Samuelis, Regum item, Paralipomenon, aliosque historicos et propheticos libros sacros intelligendos accomodatissima, itemque de vicinitate tractatus, per Joan. Guilhelm. Stuckium, Zurich : Johann Wolph, 1595. L’Historia Palaestinorum de Stucki n’apparaît pas dans la première édition de cet ouvrage, datée de 1564, ni dans les trois suivantes (1567, 1575, 1594).
7 J. W. Stucki, Historia Palaestinorum, op. cit., sig. AA1r, premières lignes du texte : « Puisque les auteurs aussi bien sacrés que profanes se réfèrent souvent et explicitement aux Palestiniens, peuple des plus anciens et des plus renommés, et à la Palestine, leur pays si remarquable, astreignons-nous donc à étudier aussi leur histoire ; pas moins que celle des gens de Tyr et de Sidon, elle pourrait nous aider, d’une part, à comprendre et interpréter au mieux et le plus clairement les livres sacrés et profanes, et quant à nous d’autre part, nous conforter contre l’assaut des plus forts adversaires de l’Église et nous ramener à notre charge et à notre ministère de [prédicateurs de] la repentance. » « Quoniam Palaestinorum, populi vetustissimi et celeberrimi, et Palaestinae regionis illorum nobilissimae, crebram et illustrem cum sacri tum prophani auctores mentionem faciunt ; agedum illorum quoque historiam percurramus, quae et ipsa non minus, quam Tyriorum atque Sidoniorum cum ad sacras et prophanas literas tanto melius atque facilius intelligendas et explicandas, tum ad nos et adversus potentissimorum Ecclesiae hostium conatus consolandum, et poenitentiae, muneris officiique nostri admonendum, magno nobis adjumento esse poterit. »
8 Dmitri Levitin, « From sacred history to the history of religion: Paganism, Judaism, and Christianity in European historiography from Reformation to “Enlightenment” », The Historical Journal 55/4 (2012), p. 1117-1160.
9 Bernard Roussel, « De Strasbourg à Bâle et Zürich : une école rhénane d’exégèse (c. 1525-c. 1540) », Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses 68 (1988), p. 19-39.
10 J. W. Stucki, Historia Palaestinorum, op. cit., sig. AA1r : « Exordiamur igitur primum ab ipso nomine. »
11 Le Livre des racines de David Kimhi (xiiie s.) constitue une source récurrente pour l’ensemble des travaux de Stucki, qui disposait de l’édition de 1546, parue à Venise chez Daniel Bomberg.
12 Johann Wilhelm Stucki, Historia Palaestinorum, op. cit., sig. AA1r : « Hanc igitur vocem sequuti videntur Phelistim ἀλλόφυλος vertisse, quod ab Israëlitis sive Judaeis animis, moribus, religione longissime dissiderent essentque alienissimi. »
13 Ibid. : « […] quae ceremonia antiqua Orientalibus populis luctus atque poenitentiae symbolum erat, quo se cinerem atque pulverem terrae, inde oriundos, eodem redigendos cum humilitate profitebantur. »
14 Ibid. : « Videntur itaque sic dicti Pelistim, quasi dicas pulveribus conspersi et involuti, vel ob vitae morumque impuritatem, quod vanissimis huius mundi curis fuerint addicti, inque luto coeno atque pulveribus scelerum flagitiorumque volutarentur ; vel ad significandum, etsi opulenti atque potentes sint, ac proinde superbi et arrogantes, tamen eos nihil aliud esse coram Deo, quam vilissimum et abjectissimum terrae pulverem atque cinerem, ac ipsos omnemque illorum potestatem et opulentiam tandem in pulverem, favillas et cineres abituram et ad nihilum redactum iri. »
15 Ibid., sig. AA2r : « Mela, Quinte Curce et d’autres veulent qu’elle soit ainsi nommée par les biens ou les richesses, que les Perses appellent gaza. Ils disent en effet que Cambyse, alors qu’il cherchait à atteindre l’Égypte, fit déposer par son armée et laisser là une grande partie de ses avoirs et trésors. Ce serait vrai si cela s’écrivait avec un Gimel à partir de זנג genas en hébreu et chaldéen, qui signifie “cacher”. D’où le fait qu’une fois absorbé le Nun de יזנג gunse, les trésors et richesses dissimulées sont appelés gaza. Mais הזע se construit avec un ע et n’est prononcé ainsi que parce que nous transformons le ע en g. Il me semble plutôt que le vocable persan de gaza, employé principalement par les poètes latins, est en fait lui-même dérivé de l’hébreu זזע asas, ou azaz, signifiant “trésor” » « Mela, Curtius, et alii sic volunt dictam ab opibus seu divitiis, quas Persae Gazam appellant. Cambysem enim, cum Aegyptum armis peteret, magnam ibi opum et thesaurorum partem deposuisse et reliquisse. Id verum quidem esset, si per Gimel Hebraice, scriberetur a זנג Genas Hebraice et Chaldaice, quod est, Recondere. Unde יזנג Gunse Nun absorpto Gazae dicuntur, thesauri et opes reconditae, sed הזע per ע appellatur, ut modo dictum est, quod ע nostri in G. verterunt. Mihi potius ipsum Gazae vocabulum Persicum, a Latinis etiam auctoribus Poetis praecipue usurpatum, thesaurum significans ab Hebraeo זזע Asas, vele Azaz videtur derivatum. »
16 Hormis le compilateur vénitien Domenico Mario Negri (Geographiae commentariorum libri XI, Bâle : Henri Petri, 1557), Stucki fait un usage limité des sources contemporaines. Il a surtout recours à Etienne de Byzance (vie s.) et au rabbin voyageur Benjamin de Tudèle (xiie s.). Ses sources antiques sont principalement de langue grecque : Hérodote, Flavius Josèphe et Diodore de Sicile.
17 J. W. Stucki, Historia Palaestinorum, op. cit., sig. AA2v-AA3r : « La quatrième ville des Palestiniens vient ensuite, appelée ןורקע en hébreu, Λκκαρών en grec et Accaron en latin, peut-être à partir de רקע Eker, signifiant “racine” ou “fondement”, comme si elle devait être “radicalement” et “fondamentalement” déracinée. De là, il est dit en Amos 1 “Je ferai retourner ma main sur Eqron, et le reste des Philistins périra” et en Sophonie 2 “Eqron sera éradiquée”, qui est une élégante paronomase, ou allusion au nom de cette ville. » « Quarta sequitur Palaestinorum urbs, quae Hebraice ןורקע, Graece Λκκαρών, Latine Accaron appellatur, sic forsan dicta ab רקע Eker, quod radicem seu fundamentum significat, quasi illa aliquando radicitus, ad fundamentum esset extirpenda. Hinc Amos I. dicitur : Reverti faciam manum meam super Ecrom, et peribunt reliquiae Palaestinorum. Et Soph. 2. Accaron eradicabitor : quae elegans paronomasia est, sive allusio ad nomen urbis. »
18 Jean Bodin, Les six livres de la République (1576), édition et présentation de Gérard Mairet, Paris : Librairie générale française, Le livre de poche, LP17, n° 4619, 1993, lib. V, 1, p. 407.
19 J. W. Stucki, Historia Palaestinorum, op. cit., sig. AA3v : « Nunc igitur de populi huius vitae studiis, natura atque moribus dicamus ea, quae ex antiquis literarum monumentis cognovimus. Fuit igitur duplex omnino vitae ge[n]us, cui Palestina fuit dedita ; nempe mercaturae unum, alterum reis militaris. Haec duo vitae genera etsi diversa videntur esse atque adeo contraria : tamen constat ex historiis, Palaestinos u[t]riusque fuisse valde studiosos : atque ita Mercurii studia cum Martiis studiis conjunxisse. »
20 Castellion traduit en ce sens Cananéens par mercatores. Cf. sa traduction française du texte, citée ci-dessus.
21 J. W. Stucki, Historia Palaestinorum, op. cit., sig. AA4r : « Sunt etiam, qui passive interpretantur Sophoniae secundo : Excindendi, seu exterminandi : quae utraque significatio egregie inter se cohaeret. Nam qui alios excindit atque vastat, tandem et ipse justo talionis jure excinditur. »
22 Érasme, Adagiorum chiliades quatuor, Froben, Bâle, 1536 [éd. consultée 1550], Chil. IV, Cent. VI, Adag. XXIX, p. 960.
23 J. W. Stucki, Arriani historici et philosophi Ponti Euxini et maris Erythraei periplus, Genève : Eustache Vignon, 1577.
24 J. W. Stucki, Historia Palaestinorum, op. cit., sig. AA4r : « Unde proverbium : Maritimi mores, id leves, inconstantes, instabiles, ipsius maris, quod fluctibus et tempestatibus assidue agitatur, similes. Maritimi enim sunt salaces et libidinosi. » Comparer avec Id., Arriani historici et philosophi Ponti Euxini et maris Erythraei periplus, op. cit., p. 31-32.
25 J. W. Stucki, Historia Palaestinorum, op. cit., sig. AA4v : « De même que chaque nation tenait toujours un certain Dieu ou Déesse à part comme singulier et premier sur les autres, auquel surtout elle rendait des honneurs et un culte divin, de même le Dieu principal et tutélaire des Palestiniens fut Dagon, que certains interprètent comme le Poisson et d’autre comme le Dieu du blé. » « Ut autem gentes singulae semper habuerunt eximium quendam et singularem Deum sive Deam atque principem ; cui praecipue honores cultumque divinum exhibureunt : ita Palaestinorum Deus princeps ac tutelaris fuit Dagon, quem alii Piscem interpretantur, alii volunt fuisse frumenti Deum. »
26 Pierre Martyr Vermigli, In Samuelis prophetae libros, op. cit., p. 42v [éd. or. 1564].
27 J. W. Stucki, Historia Palaestinorum, op. cit., sig. AA4v : « Palaestini igitur et quia maritima illorum regio fuit, et quia frumento abundans, Dagonem coluerunt. »
28 Ibid., sig. AA4v : « Dagon, comme cela apparaît de son étymon, fut quelque Dieu marin, fort nombreux parmi les Gentils, comme Neptune, Palémon, Pollux, Castor, Nérée, Protée et d’autres encore, de même que les Déesses marines Thétis, Doris, les Néréides, en place desquels les Chrétiens substituèrent la Vierge, Catherine, S. Nicolas, etc. » « Dagon igitur ut ex etymo constat, fuit Deus aliquis marinus, quales fuerunt apud Gentiles multi, ut Neptunus, Palaemon, Pollux, Castor, Nereus, Protheus & alii, sicut Deae marinae Thetys, Doris, Nereides, in quarum locum Christiani substituerunt D. Vriginem, Catharinam, S. Nicolaum, &c. »
29 Ibid., sig. AA4v : « Les Hébreux ont transmis de cette idole qu’elle était de la forme d’un être humain du nombril jusqu’en haut, et de celle d’un Poisson jusqu’en bas. » « De hoc idolo Hebraei tradunt, illud ab umbilico sursum versus humana forma fuisse deorsum vero in Pisce desiisse. »
30 Diodore de Sicile, Bibliothèque historique I, 2, 4.
31 Johann Wilhelm Stucki, Historia Palaestinorum, op. cit., sig. [AA5r] : « Il apparaît donc que Dagon et Derceto sont un seul dieu […] ». « Dagon ergo et Derceto videtur unus fuisse Deus […] »
32 J. W. Stucki, Historia Palaestinorum, op. cit., sig. AA4v : « Il se peut que le nom de la fabuleuse déesse Derceto soit né de là [Dagon] […] ». « Hinc nomen illud fabulosae Deae Derceto fortassis est natum […] »
33 Polydore Vergile, Polydori Vergilii Urbinatis Adagiorum Liber : Eiusdem De inventoribus rerum libri octo, Bâle : Froben, 1521 [ed. or. en trois livres, 1499] et Lilio Gregorio Gyraldi, De deis gentium libri sive syntagmata XVII, Bâle : Oporin, 1548.
34 Richard Serjeantson, « David Hume’s Natural History of Religion (1757) and the end of modern Eusebianism », in Sarah Mortimer et John Robertson (eds.), The Intellectual Consequences of Religious Heterodoxy, 1600-1750, Leiden : Brill, 2012, p. 267-295.
35 Dmitri Levitin, « From sacred history to the history of religion », art. cit., et Guy Stroumsa, A New Science. The Discovery of Religion in the Age of Reason, Cambridge (Mass.) : Harvard University Press, 2010. Sur Huet source de Lafitau, voir notre article « La théorie des Moïses : aux origines du figurisme de Lafitau », in Mélanie Lozat et Sara Petrella (eds.), La Plume et le calumet. Joseph-François Lafitau et les « sauvages ameriquains », Paris : Garnier, 2019, p. 83-94.
36 Jean Seznec, La Survivance des dieux antiques. Essai sur le rôle de la tradition mythologique dans l’humanisme et dans l’art de la Renaissance, Londres : The Warburg Institute, 1940.
37 Johannes Boemus, Omnium gentium mores, leges et ritus, Augsburg : Sigismund Grimm et Marc Wirsung, 1520, et Alessandro Sardi, De moribus ac ritibus gentium libri III, Venise : Ziletti, 1557.
38 Nicolas Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live (1531), trad. fr. d’Alessandro Fontana et Xavier Tabet, Paris : Gallimard, 2004, spéc. p. 264-265.
39 Bruce Gordon, Luca Baschera et Christian Moser, « Emulating the Past and Creating the Present : Reformation and the Use of Historical and Theological Models in Zurich in the Sixteenth Century », in Eid. (eds), Following Zwingli. Applying the Past in Reformation Zurich, Aldershot : Ahsgate, 2014, p. 1-39.
40 J. W. Stucki, Historia Palaestinorum, op. cit., sig. [AA5r] : « Il résulte que la cause de cette haine et de cette aigreur entre Palestiniens et Israélites tient en partie de la diversité des religions et en partie du fait qu’ils considéraient la destruction des Cananéens comme la leur, et étaient soumis à l’autorité et puissance des Juifs. » « Odii autem istius acerbi inter Palaestinos et Israelitas causa extitit partim religionis diversitas, partim quod intellexerunt se una cum Chananaeis exitio, et Judaeorum ditioni potestatique adjudicatos esse. »
41 J. W. Stucki, Historia Palaestinorum, op. cit., sig. [AA6v] : « D’où s’offre à nous l’occasion de discourir plus généralement du bon voisinage et de la conjonction des voisins, de leur devoir, office, commodités et incommodités. » « Unde commoditas sese nobis offert in genere de vicinitatis et vicinorum conjunctione, munere, officio commodis et incommodis quaedam dicendi. »
42 Ibid., sig. BB1r : « Nam vel sunt homines singuli vel populi, vel boni vel mali, vel benevoli vel malevoli, vel pauperes et inopes, vel divites, vel confoederati, consanguinei aliave necessitudine, vel nulla nobis conjuncti. Hos igitur cum causae tum finis principalis consideratio merito ad vicinatis necessitudinem sancte fideliterque colendam impellere debet. Nam cum non casus atque fortuna, sed ipse Deus hunc vel illum, hos vel illos, sive privatos et singulos homines, sive populos adjunxerit atque conjunxerit, ut mutuo et illos adjuvare, et vicissim ab illis adjuvari possis, te amice, benevole, honeste, fideliter erga illos gerere : contraque summopere cavere debes, ne ullis vel dictis, vel factis illos offendas atque laedas, ne non solum in hominum, sed ipsius Dei offensam incurras. »
43 Sur les notions de concorde et tolérance, nous renvoyons aux travaux de Mario Turchetti, dont l’article « Concorde ou tolérance ? De 1562 à 1598 », Revue Historique 274/2 (1985), p. 341-355.
44 J. W. Stucki, Orationes duae, una de munere ecclesiastico, altera de concordia, Zurich : Johann Wolph typ. Froschauer, 1592, p. 15r : « Nec vero universus solum mundus, sed singulae quoque ejus partes tam maximae, quam minimae, si seorsim separatimque consyderentur, concordia conservantur, qua sublata ne ad minimum quidem temporis momentum statum suum salvum incolumemque ab interitu conservare queant. Cujus rei vel unica tantum illa mundi pars, eaque nobilissima, homo nimirum, cujus causa mundus ipse a Deo fuit procreatus, quique mundus parvus a veteribus philosophis fuit appellatus, exempli clarissimi loco nobis esse potest. An non enim ille constat concordia quadam duarum illarum partium principum, ex quibus compositus atque conflatus est, ainmae nimirum atque corporis, quarum divortium atque distractio quid est aliud quam mors ipsa ? »
45 J. W. Stucki, Historia Palaestinorum, op. cit., sig. BB1r : « La cause efficiente et l’auteur premier du voisinage comme de toute conjonction humaine, société et assemblée est Dieu. » « Causa efficiens auctorque primarius, ut omnis humanae conjunctionis, societatis, coetus ita quoque vicinitatis est Deus. »
46 Ibid., sig. BB1v : « Si vraiment tu as des voisins mauvais, importuns, moroses, malveillants et te faisant du tort, mets tout en œuvre pour te les concilier, les adoucir, les apaiser et les tempérer. Tu pourras y parvenir par quatre mesures : 1° d’abord en priant Dieu d’une âme apaisée (psychosophron) qu’il veuille incliner et faire pencher leurs âmes de la haine et malveillance vers l’amour et la bienveillance à ton égard ; 2° ensuite par la patience et l’abstinence de toute vindicte ; 3° puis par affabilité et humanité de paroles ; 4° et enfin par largesse et libéralité. » « Si vero vicinos habes malos, importunos, morosos, malevolos, injuriosos, omne studium atque operam in iis leniendis, placandis, mitigandis, tibique conciliandis pones : id quod quatuor modis efficere et consequi poteri : Primo Deum orando, ceu unum ψυϰόςοθρον, ut ipse illorum animos ab odio atque malevolentia ad amorem benevolentiamque erga te traducere et inclinare velit. Deinde patientia et abstinentia ab omni vindicta. Tum affabilitate, verborumque humanitate. Postremo benignitate ac beneficentia. »
47 J. W. Stucki, Helvetiae gratulatio ad Galliam, op. cit., p. 175-177.
48 J. W. Stucki, De angelis angelicoque hominum praesidio atque custodia meditatio pia, religiosa et orthodoxa, canonicae scripturae & orthodoxae antiquitati consentanea : quae cum regibus ac principibus, tum cuiuis homini Christiano, perditissimis praesertim luctuosissimisque hisce nostris temporibus atque moribus, maximo poterit esse usui, documento ac solatio, Zurich : Johann Wolph typ. Froschauer, 1595.