Bernard Vogler (1935-2020)
Un historien fécond et engagé
Professeur d’histoire moderne et d’histoire de l’Alsace à l’Université de Strasbourg de 1976 à 2003, Bernard Vo-gler nous a quittés le 2 décembre 2020. Fils d’un menuisier, il est né le 30 avril 1935 à Obermodern, village d’Alsace du nord. Le 27 août 1960 il a épousé Chantal Fischer, maître de conférences d’histoire romaine à Lyon II. Six enfants ont grandi dans leur foyer.
Il a fréquenté l’école communale d’Obermodern. Jusqu’en 1945, l’enseignement est dispensé en allemand. « Mes premiers mots en français, dira-t-il plus tard, je les ai entendus en 1945 ». Après l’école primaire, il intègre le Collège et Lycée de Bouxwiller puis l’École normale d’instituteurs de Lyon (1953-1955). Pendant quelques années, il exerce à Lyon le métier d’instituteur, tout en menant de front des études d’histoire qui le conduiront en 1960 à l’agrégation d’histoire. Elle lui permet de revenir en Alsace où il enseigne au Lycée Bartholdi de Colmar, puis au Lycée Kléber de Strasbourg. De 1965 à 1969 il est attaché de recherches au CNRS. En 1969 il soutient, sous la direction de Georges Livet, une thèse de 3e cycle consacrée à la politique scolaire dans le Duché de Deux-Ponts de 1555 à 1618, qui lui ouvrira la porte de l’enseignement supérieur. Il devient assistant puis maître assistant d’histoire moderne à l’Université de Strasbourg de 1969 à 1976. En 1972, il soutient à la Sorbonne une thèse d’État qui traite de La Vie religieuse en pays rhénan dans la seconde moitié du xvie siècle. En 1976 il succède à Philippe Dollinger, parti à la retraite, à la chaire d’Histoire d’Alsace de la Faculté d’Histoire de l’Université de Strasbourg, fonction qu’il exercera jusqu’en 2003. Il dirigera aussi le Centre de recherche régionale et rhénane de 1984 à 2003. Il sera professeur invité à Neuchâtel (1980) et à Stuttgart (1992).
Bernard Vogler a aimé enseigner. Ses cours préparés avec soin et bien structurés se fondaient sur une documen-tation abondante et transmettaient des informations précises aussi bien aux étudiants débutants qu’à ceux qui préparaient l’agrégation. Il a dirigé vingt-trois thèses. En un premier temps, son champ de recherches se situait au Palatinat. Publiée partiellement dans Francia (1976 et 1977), sa thèse de 3e cycle éclaire l’espace de la Réforme protestante dans le domaine scolaire. La thèse de doctorat d’État élargit la perspective. Publiée partielle-ment sous le titre Le clergé protestant au siècle de la Ré-forme (Presses Universitaires de Strasbourg), elle expose la for-mation de ce clergé, l’exercice du ministère pastoral et les conditions de vie des pasteurs.
Comme il se doit pour un enseignant univer-sitaire, Bernard Vogler n’a pas seulement transmis le fruit de re-cherches souvent pointues en incitant les étudiants à les prolonger. Il savait qu’il fallait aussi mettre à la disposition du monde univer-sitaire d’abord, et puis d’un public plus large, des synthèses suscep-tibles d’éclairer une époque, des problématiques et des enjeux. C’est ainsi qu’il a proposé en 1982 aux candidats à l’agrégation deux vo-lumes sur Le Monde germanique et helvétique à l’époque des réformes (1517-1618). Il est par ailleurs l’auteur d’importants chapitres dans trois ouvrages collectifs : L’Avènement des temps modernes (1493-1559), 1976 ; « Les Villes rhénanes de 1650 à 1789 » dans Études sur les villes en Europe occidentale, 1983, et Le temps des confes-sions, t. 8 de la Nouvelle Histoire du christianisme, 1992.
Mais à partir des années 1980, c’est surtout l’Alsace qui est au cœur de sa recherche. Là encore, les publications spécialisées, telles que celles qui portent sur le simultaneum, les testaments ou les Caisses d’Épargne alternent avec des synthèses destinées à un public plus large. On peut citer ainsi un volume consacré à L’Alsace du siècle d’or et de la Guerre de Trente ans (1520-1648). Il faut ajouter surtout les grands ouvrages sur l’Histoire culturelle de l’Alsace, réédité 4 fois, l’Histoire des chrétiens d’Alsace, l’Histoire politique de l’Alsace, 1995, et, en collaboration avec Michel Hau, l’Histoire écono-mique de l’Alsace, 1997. Il faudrait aussi évoquer les ouvrages qu’il a dirigés, tout en y contribuant par des chapitres dont il était l’auteur, tels que la Nouvelle Histoire de l’Alsace, 2003, texte traduit en allemand (2012) et un ouvrage sur La Déca-pole (2009). La bibliographie publiée en 2003 mentionne éga-lement près de 200 articles dont il est l’auteur et sa partici-pation à une dizaine de dictionnaires et d’encyclopédies. Il a tou-jours prêté attention aussi bien à l’histoire religieuse qu’à celle de la culture et de la politique, voire de l’économie, comme l’attestent des livres consacrés à diverses Caisses d’Épargne d’Alsace.
Soulignons les goût et l’aptitude de Bernard Vogler pour la vulgarisation. Par ses publications, par l’enseignement dispensé à l’Institut d’Histoire de l’Alsace, ses émis-sions à France 3 Alsace, ses articles dans les Dernières Nouvelles d’Alsace et dans Le Messager, il a su éveiller l’intérêt d’un large public pour l’histoire de la région.
Il était membre de l’Académie d’Alsace et de l’Académie Rhénane. De 2004 à 2008 il présida l’Université du Temps libre, de 2004 à 2008 il présida les Amis du Vieux Stras-bourg, il fut membre du Conseil de la Caisse d’Épargne de Stras-bourg de 1985 à 2015.
À côté de sa résidence principale à Strasbourg, il passe les fins de semaine et les vacances dans une maison à Schil-lersdorf qu’il tient de ses grands-parents. Pendant des années, il s’est occupé avec soin de ses vergers et d’un jardin.
Mais l’horizon ne se limite pas à l’Alsace. Au plan universitaire national il a été membre du Conseil national des universités (1984-2002, président de la section moderne de 1986 à 1991), membre du Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS) de 1989 à 2000, secrétaire puis vice-président de la Com-mission internationale d’histoire ecclésiastique comparée de 1975 à 2001.
Son attachement à la double culture de l’Alsace et ses recherches sur l’espace rhénan l’ont conduit à entre-tenir des relations avec l’Allemagne du sud. Il fut membre de l’Alemannisches Institut à Fribourg-en-Brisgau et membre correspondant de la Kommission für geschichtliche Landeskunde in Baden-Württemberg. Il entretenait des contacts avec l’Université de Stuttgart.
De bien des manières, il soulignait son atta-chement au protestantisme. Il a rédigé ainsi les chapitres consacrés au protestantisme alsacien dans l’Histoire des protestants en France (Toulouse, 1977), rééditée et actualisée en 2001. Pen-dant un certain temps il a accueilli dans les locaux de l’Institut d’Histoire de l’Alsace une association informelle de personnes di-verses intéressées par l’histoire du protestantisme alsacien, en parti-culier des pasteurs retraités. Deux fruits de ces réunions ont été publiés dans le BSHPF (1976, p. 618-630, 1981, p. 581-593). Membre du comité de la Société de l’histoire du protestantisme français, il publia neuf articles dans le BSHPF et deux contributions à des Actes de colloques orga-nisés par la Société.
Il faut mentionner encore son engagement dans les institutions protestantes. Issu d’une famille qui se rattache à l’Église luthérienne libre, il a rejoint l’Église de la Confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine. Il fut vice-président du Con-sistoire du Temple Neuf de Strasbourg (1976-1994), membre du Chapitre de Saint-Thomas (1992-2005) et du Consistoire supérieur de l’Église de la Confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine (1997-2005).
De nombreuses distinctions et divers prix ja-lonnent son parcours. Il est chevalier de l’ordre de la Légion d’Honneur, officier de l’ordre du Mérite et des Palmes académiques. Il a reçu, en particulier, le prix Marie-Eugène Simon-Henri-Martin de l’Académie française en 1977, le prix Georges Goyou (médaille d’argent) de la même académie en 1994, le prix Flach de l’Académie de Sciences morales et politiques en 1995, le prix d’honneur des Amis du Vieux Strasbourg en 2000.
Parmi la vingtaine de livres, citons en particu-lier Histoire culturelle d’Alsace, Strasbourg, La Nuée Bleue, 1993, 19944 ; Histoire des chrétiens d’Alsace des origines à nos jours, Paris, Desclée, 1994 ; Histoire politique de l’Alsace, Strasbourg, La Nuée Bleue, 1995 ; Histoire économique de l’Alsace, en collabo-ration avec Michel Hau, Strasbourg, La Nuée Bleue, 1997.
Bibliographie complète dans Terres d’Alsace, Chemins d’Europe. Mélanges offerts à Bernard Vo-gler, textes réunis par Dominique Dinet et François Igersheim, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2003, p. 13-31.
Sources :
Objectif Alsace n°105 (mars 1995) ; Société protestante, Répertoire 2000-2001, p. 232 ; NDBA n° 38 (2002), p. 4021-4022 ; Francis Rapp, L’universitaire Ber-nard Vogler, in : Terres d’Alsace, Chemins de l’Europe, p. 7-11 ; Jacques Fortier, « Bernard Vogler, docteur ès Alsace », Dernières Nouvelles d’Alsace du 4.12.2020, p. 33.