Patrick CABANEL, Deux peintres du Refuge. Artistes juifs dans les Cévennes, 1942-1944
Nîmes : Éditions Alcide, 2020, 78 p.
Au cours de ses recherches sur la vitalité du refuge juif en Cévennes et Lozère, Patrick Cabanel a rencontré deux peintres qui s’y sont cachés pendant l’année 1943, sans d’ailleurs s’être connus. Ils ne sont pas les seuls. Beaucoup d’artistes et d’intellectuels réfugiés ont insufflé une véritable vie culturelle plus ou moins clandestine. Tous ne sont pas juifs, comme on le voit à Dieulefit. Mais dans les Cévennes, ils le sont. Tous ne sont pas allemands, mais aussi autrichiens, baltes, tchèques… qui ont pu se cacher dans des maisons dispersées, des hameaux isolés, bénéficiant de l’aide de la population locale, ne serait-ce que pour les nourrir.
Les deux peintres dont l’auteur accompagne les œuvres publiées dans ce livre d’art par une longue introduction sont Jacob Barosin et Léo Maillet (Léopold Mayer). Barosin, d’origine lettone, a pu quitter l’Allemagne dès juin 1933 ; Léo Maillet, fin 1935. Ils sont mariés et pensent refaire leur vie à Paris où ils se sont installés. Mais avec l’entrée en guerre, ils sont, comme des milliers d’autres, considérés comme ressortissants de pays ennemis et envoyés en camps de concentration. Les deux épouses se retrouvent à Gurs. Leurs époux connaissent Rivesaltes, les Milles, avant d’être relâchés et de vivre un temps de paix relative dans le sud-est de la France, avant le 11 novembre 1942, c’est-à-dire avant l’occupation de la zone dite libre. Barosin, qui était à Florac, est alors arrêté et envoyé à Gurs. Il n’y reste pas longtemps mais en a laissé des dessins poignants. Il retrouve sa femme à Florac et ils vont être cachés par une institutrice, fille de pasteur, dans son logement de fonction, dans l’école du hameau de Montméjean. Ils n’y restent que quelques mois, préférant, en août 1943, regagner la région parisienne d’où, après la guerre, ils gagneront les États-Unis. Ainsi, une partie de l’œuvre de guerre de Barosin se trouve-t-elle à l’US Holocaust Memorial Museum – et une autre partie au musée de Yad Vashem. Quant aux Maillet, après avoir été cachés chez les sœurs de Pomeyrol, ils sont hébergés dans le hameau de Soubrelagues où Léo est berger, et de là, grâce à la Cimade, ils passeront en Suisse, fin 1943. Patrick Cabanel souligne, dans les aléas de la destinée de ces deux couples, la place du hasard et l’importance du réseau protestant car, à plusieurs reprises, ils ont croisé des pasteurs qui les ont aidés, comme Manen aux Milles, Toureille à Lunel, Donadille à Vialas, Gall à Florac, le jeune équipier de la Cimade, André Dumas, à Rivesaltes, et les sœurs de Pomeyrol.
L’auteur montre aussi quelle rupture ces années de guerre et de clandestinité ont pu représenter pour ces artistes, loin du monde culturel dans lequel ils avaient toujours évolué, loin des grandes villes où ils avaient vécu. « Leur pratique de peintres a été mise à l’épreuve de l’exil, de la clandestinité, de la peur, de la mort sociale. » Et comme l’a écrit l’écrivain Friedrich Hagen, lui aussi réfugié : « À tout moment, même sous la menace imminente, demeure l’artiste qui oppose la création au péril. » Mais leur style est très différent. Maillet se situe vraiment dans la ligne de l’expressionnisme allemand. Il semble influencé par Otto Dix, notamment dans la déformation des visages, comme dans Les joueurs de cartes ; il utilise largement les à-plats, les couleurs sombres, et ses aquarelles semblent parfois des gravures. Le style de Barosin est différent marqué par la précision du dessin, parfois rehaussé de couleurs. Et comment alors ne pas être bouleversé quand il peint la détresse humaine exprimée par les regards de ceux qui partent en déportation depuis le camp de Gurs ?