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Henri NICK, Le dernier vainqueur, tome VI : Correspondance de guerre. Année 1918

Texte établi, introduit et annoté par Grégoire Humbert, Éditions Ampelos, 2020, 522 p.

Gabrielle CADIER-REY

Avec ce sixième tome prend fin une aventure historique et éditoriale. Il faut remercier à la fois Grégoire Humbert pour son travail de bénédictin de déchiffrage des manuscrits et de contextualisation érudite, ainsi que les Éditions Ampelos qui ont accepté de se lancer dans ce défi éditorial : six tomes de plus de 500 pages chacun. La personnalité du pasteur Henri Nick (1868-1954) est charismatique, tant par le travail social et d’évangélisation réalisé dans le faubourg ouvrier de Lille-Fives, que pendant la guerre comme aumônier auprès des soldats. Mais ce qui rend importante cette édition, c’est qu’elle est devenue grâce à la précision et à la taille des notes infrapaginales, grâce aussi aux annexes, aux articles de journaux intercalés, un tableau de la société protestante au début du xxe siècle ; une société où la cohésion (notamment par l’endogamie religieuse) l’emporte sur les divisions doctrinales et politiques.

En ce début de 1918, Henri Nick obtient sa relève d’aumônier. Sa femme est morte un an auparavant et il a six enfants. Le fils aîné est au front et les lettres qu’il reçoit (et qu’il a gardées) de son père ou essentiellement de sa sœur Jeanne, sont nombreuses. La famille Nick réside à Marseille, mais le pasteur voyage beaucoup suscitant ainsi des échanges épistolaires. Il raconte à ses enfants les rencontres qu’il fait, les pasteurs avec qui il travaille. Il parle des conférences qu’il donne. S’il a demandé à être relevé de son poste d’aumônier, ce n’est pas sans regrets. C’est ce qui explique la longue lettre circulaire (p. 117-120) qu’il a envoyée aux soldats qu’il avait côtoyés dans le premier Corps d’armée. Il rappelle d’abord le souvenir de ceux qui sont tombés mais qui « ne sont pas perdus pour toujours ». Il insiste sur la place que doit tenir le Christ dans leur cœur, le Christ qui est « le dernier vainqueur ». Par ce message, il veut leur redonner courage et confiance puisque le chrétien est un « privilégié » qui détient une magnifique espérance. Plusieurs soldats lui ont écrit pour le remercier et se confier à lui.

À la mi-octobre, la ville de Lille est délivrée de la présence allemande. Henri Nick va retrouver son Foyer du peuple dont Charles Vallée s’est occupé pendant les quatre années d’occupation, avec les plus terribles difficultés et pénuries. Les régions libérées sont dévastées. Les populations manquent de tout et d’abord de nourriture. Henri Nick lance un appel à la solidarité nationale dans la presse protestante pour des dons en argent ou en nature.

Les 180 dernières pages comportent, outre un précieux index des noms de personnes, une substantielle réflexion sur la question : Henri Nick était-il pacifiste ? La réponse doit être nuancée en fonction de l’époque. Avant la guerre, Nick appartenait au mouvement « La Paix par le Droit » et il y est resté fidèle. Il n’a pas fait partie du MIR, Mouvement international de la réconciliation. S’il a soutenu des objecteurs de conscience, c’est par fraternité, non parce qu’il partageait leurs idées. Il ne comprend pas pourquoi l’Église réformée refuse d’admettre les objecteurs ayant une vraie vocation comme pasteurs, et il proteste. Autre fidélité essentielle chez lui, la lutte antialcoolique comme en témoigne un article publié pour et par la Croix Bleue dont il a été un animateur constant. Il déplore que dans la reconstruction des régions libérées, ce soient les cabarets qui sortent de terre les premiers… et il explique que l’avenir est aux abstinents.

Parmi les textes donnés en annexe, relevons-en deux, écrits par sa fille aînée, Jeanne, qui, parmi les six enfants a été la plus proche de son père. Ces textes ont été écrits et lus dans le cadre des Unions chrétiennes de jeunes filles. Le premier (1917) décrit aux lycéennes du Midi auxquelles elle s’adresse, la difficile vie des jeunes travailleuses du Nord et leur engagement chrétien. Dans le second texte (1918), elle encourage les jeunes filles à se lancer dans la carrière médicale qui mêle les aspects scientifiques du métier et la vocation du dévouement. Sans doute, c’est ce qu’elle aurait aimé faire, mais sa quasi-surdité l’en a empêchée. Dans la diversité des textes publiés, on pourrait ajouter ce qui concerne l’essor de la « Fédé », les liens de la famille Nick avec Suzanne de Dietrich, un troisième texte de Jeanne sur la façon dont elle envisage la reconstruction de l’Europe, et un Appel de la Fédération protestante de France, en octobre 1918, pour que les fidèles, « fils de huguenots » souscrivent à un emprunt national. C’est dire la richesse documentaire de ce volume.