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Catherine MAIRE, L’Église dans l’État, Politique et religion dans la France des Lumières

(Bibliothèque des Histoires), Paris : Gallimard, 2019, 502 p.

Olivier PIGEAUD

Sur le plan religieux on retient, en tous cas dans la mémoire protestante française, que le xviiie siècle a été celui du Désert. Mais en réalité les débats et les tensions relatifs aux relations entre le pouvoir séculier et la vie religieuse ont alors touché bien des aspects plus vastes de la vie française et ont eu des prolongements bien au-delà du siècle.

C’est en permanence, et sur bien des sujets, que le partage des responsabilités et du pouvoir a été problématique entre le roi, au caractère sacré, et son conseil, les parlements et dans une moindre mesure la Sorbonne, les évêques et partiellement le bas clergé et Rome. Dans une période profondément gallicane, où Rome a moins de poids qu’à d’autres périodes, et où le roi, malgré son grand pouvoir, est obligé de jouer un rôle d’arbitre, c’est particulièrement entre le parlement et les évêques que l’agressivité est violente. Cela transparaît dès la première partie de l’ouvrage, consacrée aux suites de la Bulle Unigenitus Dei Filius condamnant le jansénisme, avec pour titre de chapitre « Quand une loi de l’Église devient une loi de l’État ». S’ensuit toute une réflexion sur la tolérance et le progrès et, ce qui semble secondaire mais ne l’est pas, sur la gestion des biens de l’Église, gestion qui a des effets sur la vie économique générale.

Au centre du livre sont présentés les débats sources de nombreuses tensions et d’écrits de l’époque à propos des refus des sacrements aux fidèles soupçonnés de jansénisme. Entre les parlementaires en majorité marqués par le jansénisme et l’assemble des évêques le conflit est vif et permanent, obligeant le roi à des sanctions, mais aussi à des négociations laborieuses. Pour les parlementaires, le refus des sacrements a des effets civils et sociaux que les évêques ne veulent pas considérer.

Le dernier domaine principal où la question est de savoir qui a le pouvoir, qui du parlement ou des autorités de l’Église a le fin mot, est celui qui concerne l’état civil des protestants. Le mariage est-il obligatoirement un sacrement dépendant des autorités religieuses ou peut-il être un contrat civil relevant d’un pouvoir administratif ou judiciaire ? Le débat a mis très longtemps à être tranché et les projets de règlement ont été nombreux mais ont échoué jusqu’en 1787, avec un édit dit de tolérance, mais celle-ci était extrêmement restrictive.

En prolongement de chacun des trois grandes parties de son ouvrage, Catherine Maire présente les points de vue de trois des penseurs majeurs du siècle, ayant de larges vues sur le sujet : Voltaire refusant les pouvoirs ecclésiastiques, Montesquieu prônant une séparation entre l’État et l’Église et Rousseau attaché à ce que l’on peut appeler une religion civile.

Après un chapitre sur les combats entre jansénistes et jésuites, la présentation des positions de Rousseau se prolonge par un chapitre sur l’utilité sociale de la religion avec, entre autres, le baron d’Holbach. Puis vient un important épilogue sur la Constitution civile du Clergé qui a résulté largement des débats du siècle finissant et qui opte, bien sûr, pour le pouvoir de l’État sur la vie religieuse.

Tout cela est-il du seul domaine de l’histoire du passé ? Certainement pas. Car même si les conditions actuelles sont bien différentes de celles d’il y a plus de deux siècles on se demande toujours dans quelle mesure la vie religieuse a des conséquences sur l’ordre public et la vie sociale, et, du coup, quel rôle peut et doit jouer l’État.

Un ouvrage donc qui apporte beaucoup aux professionnels de l’histoire, notamment par les très nombreuses références à des textes d’époque non republiés depuis. Mais il doit aussi toucher des lecteurs moins avertis mais intéressés par les sources et origines de débats encore en cours.