Henri HOURS, Le retour de Lyon sous l’autorité royale à la fin des guerres de religion (1593-1597)
(Chrétiens et Sociétés. Documents et Mémoires n° 39), Lyon : LARHRA, 2020, 361 p.
Quel peut être l’intérêt de publier aujourd’hui une thèse de l’École des Chartes soutenue en 1951 ? Et quel intérêt de recenser dans la Revue d’histoire du protestantisme un livre qui ne parle pratiquement jamais de protestants ? C’est que l’ouvrage d’Henri Hours fait partie des monuments paradoxaux de l’histoire de Lyon, souvent cité mais très peu lu car resté inédit, ayant de ce fait découragé toute recherche ultérieure sur le sujet ; c’est aussi qu’il permet de comprendre pourquoi Lyon, qui avait failli basculer dans la Réforme en 1562, a fini par devenir une ville ligueuse qui se soumet au pouvoir royal.
Évidemment, l’historiographie de la fin des guerres de religion a beaucoup progressé depuis soixante-dix ans qu’H. Hours a soutenu sa thèse. C’est pourquoi une présentation due à Pierre-Jean Souriac remet l’ouvrage dans son contexte, en indique les principaux apports et indique les points sur lesquels nos connaissances ont davantage porté ces dernières décennies. Le travail d’H. Hours est, comme il se doit pour un diplôme de l’École des Chartes, d’une impressionnante et impeccable érudition. Mais, au lieu d’emprunter une approche institutionnelle classique à l’époque, l’auteur s’intéresse d’abord aux hommes, à leur engagement, à leur prise de parti. Il peut ainsi réaliser une thèse d’histoire politique très moderne, rédigée cependant dans un style assez daté ; mais peu importe, l’essentiel est qu’il donne à lire une histoire des choix individuels et collectifs dans un contexte de guerre civile. Il permet ainsi de mieux cerner le milieu ligueur lyonnais et ouvre la voie à une étude des réseaux, qui reste à faire (et que feront les thèses à venir d’Aurélien Roulet et de Graziella Gentet). Ce travail est d’autre part très attentif à la chronologie, quelquefois au jour le jour, et se situe vraiment au ras du sol, ou plutôt des rues, ce qui permet de mieux comprendre l’occupation de l’espace public, l’agitation urbaine, la manière dont se façonne l’opinion publique et comment elle conditionne les réactions politiques : des problématiques trop modernes pour avoir été réellement envisagées par l’auteur, mais rendues possibles par cette analyse minutieuse. Celle-ci permet aussi de comprendre le ralliement de Lyon à Henri IV comme une entreprise de sauvetage politique et financier de la ville : il n’est pas question d’une passion religieuse qui céderait le pas à une raison politique, comme a voulu le montrer Yann Lignereux en 2003 ; mais l’interprétation plus prosaïque d’Henri Hours n’est pas pour autant à rejeter.
Quand le livre débute, en 1593, il n’y a pratiquement plus de protestants à Lyon, mais ils ne sont pas très loin, en Dauphiné, en Vivarais, en Bourgogne – et Genève n’est pas non plus si loin. C’est pourquoi les catholiques lyonnais, traumatisés par la prise de pouvoir par les réformés en 1562, ont basculé du côté de l’intransigeance et ont rejeté dès 1589 Henri IV en adhérant à la Ligue. Mais les notables veulent avant tout une ville « libre » et catholique et s’inquiètent de l’activisme et des ambitions du gouverneur, le duc de Nemours. Cela explique que le consulat le rejette et considère l’archevêque, Pierre d’Épinac, comme gouverneur, en septembre 1593. Ornano, lieutenant-général du roi en Dauphiné, profit de cet affrontement entre la Ligue et le consulat catholique pour offrir son aide aux échevins. Ce jeu à trois se conclut par la négociation d’une trêve entre Ornano et Épinac et la réduction de la ville à l’autorité royale, sous la pression d’une rue chauffée par Ornano et quelques notables, en février 1594. Suivent trois ans de tractations, de réorganisation des rapports politiques internes, avant que soit établi enfin un rapport pacifié avec le souverain. C’est ce que raconte le livre : comment une ville catholique et ligueuse s’oppose au gouverneur et chef ligueur de la province pour se rallier à un roi dont on doute de la sincérité de la conversion, tout en continuant à proclamer un catholicisme intransigeant.
Ce qui frappe dans la thèse d’Henri Hours, c’est la très faible part prise par la religion. Ce que révèlent les sources utilisées, ce sont les motivations politiques, les clientèles, les réseaux, les jeux d’alliance, les questions financières. C’est, certes, le reflet d’une historiographie des années 1950 qui accordait peu de place au facteur religieux dans les guerres qui agitaient la France de la seconde moitié du xvie siècle. Mais on ne saurait écarter l’interprétation politique d’un revers de main. À partir du moment où l’on peut s’assurer que la ville reste bien un bastion catholique, grâce à l’hostilité de la population envers les protestants et aux mesures prises contre eux en 1594 et 1597, que le consulat et le gouverneur par interim Gadagne considèrent que les rumeurs propagées par les ligueurs de prises de villes par les huguenots sont fausses, la place est nette pour les rivalités internes.
Le livre se termine par de précieuses publications de sources, une liste des « suspects chassés de la ville ou ayant été l’objet de mesures répressives » en 1594-1595, d’une liste des sources et d’une bibliographie actualisées, enfin d’un précieux index des noms de personnes. Soixante-dix ans après son écriture et grâce à une mise à jour réussie de Pierre-Jean Souriac, ce livre est destiné à prendre toute sa place dans l’historiographie des guerres de religion.