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Famille Monod, Charles Maurras contre les Monod. Chroniques d’une haine fanatique – Gabrielle CADIER-REY, Une famille dans la Grande Guerre. Les Monod et leurs alliés

Association des descendants de Jean Monod et Louise de Coninck, 2018, 132 p. (hors commerce) – préface d’André Encrevé, Ampelos, 2018, 220 p.

Patrick CABANEL

Ce n’est pas aux lecteurs de la RHP qu’il faut présenter la grande famille des Monod – qui entrera bientôt dans le Dictionnaire biographique des protestants français, dont le tome 3 se prépare activement. Elle occupe déjà l’actualité éditoriale, avec deux publications en 2018.

L’une d’elles, hors commerce, est due à l’Association des descendants de Jean Monod et Louise de Coninck : non sans générosité, ou humour, elle réédite en fac-similé le livre IV (p. 155-246), « Les Monod peints par eux-mêmes » de l’ouvrage de Charles Maurras, Au signe de Flore. Souvenirs de vie politique. L’affaire Dreyfus. La fondation de l’Action française 1898-1900 (Bernard Grasset, 2e éd., 1933, reprise d’articles parus en 1899 dans L’Action française). Maurras avait prévu de consacrer tout un livre à ce qu’il aurait intitulé Les Monod peints par eux-mêmes. Histoire naturelle et politique d’une famille de protestants étrangers dans la France contemporaine. J’ai toujours pris au sérieux cette attaque en règle contre les Monod : Maurras s’y déchaîne notamment dans le vocabulaire. Citons après lui le « Monodisme » (ou « Mal des Monod »), la communauté « monodienne », la « Monodie », un « Monodien » ou « Monodide », une « promotion monodique » et bien sûr « l’État Monod », mais aussi les « Issu-de-Monod », « Ami-des-Monod », « Client-des-Monod », d’une part, et les « Qui-n’est-point-Monod » ou « N’étant-point-Monod ». L’antiprotestantisme semble s’y mêler d’une pointe de biologisation qui le rapproche un peu plus de l’antisémitisme. Une cible de choix, pour son engagement précoce et flamboyant dans l’affaire Dreyfus, pour son rôle également de prince de la République laïque, est l’historien Gabriel Monod. Deux représentants de la famille, Guillaume et Alain Monod, ont rédigé quelques pages d’introduction, joint une photographie de la Réunion Tout-Monod de 1908, et eu la bonne idée de reproduire en annexe un article important de l’historien Laurent Joly paru en 2012 dans la Revue historique (jadis fondée par Gabriel Monod…), « Gabriel Monod et “l’État-Monod”. Une campagne nationaliste de Charles Maurras (1897-1931) ». Signalons aux amateurs que d’autres articles « Monod-maniaques » de Maurras ont été repris à la rubrique « Monod » de son Dictionnaire politique et critique (1932, III, Cité des Livres, p. 101-107).

L’autre publication est due à l’historienne Gabrielle Cadier-Rey. Elle porte sur la famille Monod (et ses allié(e)s : les conjoint(e)s d’un(e) descendant(e) Monod) dans la Première Guerre mondiale, en fait essentiellement des hommes (il y a une docteure, Lisbeth Thyss, épouse de Gérard Monod ; elle dirige un hôpital auxiliaire à Lyon). Les statistiques réunies par l’auteure sont édifiantes : 127 Monod et alliés ont été engagés dans la guerre (à raison d’un peu plus d’une centaine chaque année) ; 24 sont morts, soit 19 % (un peu plus que la moyenne nationale). La plupart des morts étaient sous-officiers ou sous-lieutenants et sont tombés à la tête de leurs hommes. Le contingent des 127 comptait évidemment des pasteurs, et pas moins de 24 médecins (G. Cadier-Rey fait bien remarquer que les Monod sont aussi une ou des dynasties médicales). Le livre est pour l’essentiel une anthologie de textes de guerre : correspondances et carnets. Il est organisé en deux parties : « la guerre au front » (un ensemble de textes particulièrement fort) et « la guerre autrement » (prisonniers, interprètes, médecins, pasteurs…). Parmi les signatures connues, on signalera Wilfred Monod (surtout présent à travers son plus jeune fils, Silvain, engagé volontaire à 18 ans), et Gustave Monod, qui a dû être amputé d’une jambe mais allait connaître une brillante carrière de réformateur de l’enseignement secondaire. Les autres noms sont Amphoux (2 frères tués), Biville (les 3 frères tués), Lebel. Beaucoup traversent Verdun. Le patriotisme est la règle dans la famille (Maurice Barrès devait s’en aviser dans ses Diverses familles spirituelles de la France, en 1917, en rendant hommage au jeune Francis Monod, dont le portrait ouvre le livre de G. Cadier-Rey) ; elle compte de nombreux engagés ; mais les horreurs de la guerre les frappent et les obsèdent bientôt. À tous ces textes que troue la violence, on peut préférer, à la fin de l’ouvrage, le « pèlerinage » que W. Monod a effectué à Verdun en juin 1920 (ce récit appartient à un petit livre publié par la même valeureuse maison Ampelos : W. Monod, Verdun (un Dyptique), 2016).

La préface d’André Encrevé pose une question qui n’a rien à voir avec la guerre mais qui fait réfléchir : qu’est-ce qu’une « grande » famille ? Les deux livres dont il vient d’être brièvement rendu compte apportent une série d’éléments de réponse. J’ose ajouter que les Monod, moins heureux que les Bost ou les Dreyfus à cet égard, attendent toujours leur historien (qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale).