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Marie-Claude TUCKER, Professeurs et régents écossais dans les académies protestantes en France. De l’Édit de Nantes à la Révocation

Paris : Honoré Champion (La Vie des Huguenots, 86), 2020, 407 p.

Yves KRUMENACKER

Quarante-six Écossais ont été professeurs ou régents dans les académies protestantes françaises à la fin du xvie et au xviie siècle, surtout dans le premier tiers du xviie (il est probable que la déclaration du 14 avril 1627, jamais citée dans le livre, interdisant d’employer des ministres étrangers, a joué un rôle). C’est loin d’être négligeable et méritait certainement une étude. C’est ce qu’a voulu faire Marie-Claude Tucker, déjà autrice d’une publication sur les Maîtres et étudiants écossais à la Faculté de Droit de l’Université de Bourges 1480-1703 (Honoré Champion, 2001).

Le livre commence par évoquer les collèges et les académies en France, en faisant de Genève le modèle des uns et des autres ; mais il ignore toute une partie de l’historiographie récente, ou même déjà un peu ancienne, sur le sujet. À titre d’exemple, K. Maag sur Genève, K. Crousaz sur Lausanne, le colloque de Clermont sur la naissance des académies protestantes (publié en 2017), le volume dirigé par S. Negruzzo (Le Università e la Riforma protestante, Il Mulino, 2018) ne sont pas cités ; la thèse d’Urien-Causse sur Die est bien présente en bibliographie, mais ne semble pas avoir été utilisée, comme la plupart des ouvrages récents. La présentation de l’éducation en Écosse et des universités écossaises dans les années 1560 et 1570 est claire, mais avec des parallèles avec les collèges français… qui ont en réalité bien du mal à fonctionner pendant les guerres de religion ! La partie suivante présente succinctement, académie par académie, l’activité des professeurs écossais. Les six chapitres de la troisième partie ne sont constitués que de tableaux, généralement sans aucun commentaire… On a ensuite de nombreux renseignements sur le recrutement des enseignants, le fonctionnement des académies, les personnels encadrants (principal et recteur) et enseignants (professeurs et régents), généralement tirés de la vieille étude (1882) de Bourchenin et de monographies. Un tableau indique que les Écossais ont tous étudiés dans des universités écossaises avant de venir en France ; il aurait été bon de remarquer qu’aucun ne semble y avoir eu de doctorat. Ils ont des relations normales avec leurs collègues français – mais le chapitre sur les relations entre collègues peine à donner plus que des anecdotes. Comme tous les enseignants des académies, ils professent plusieurs disciplines, mais surtout la philosophie, particulièrement honorée par Mark Duncan, sans qu’on comprenne bien pourquoi (la qualité de l’enseignement philosophique en Écosse est-elle vraiment la seule raison ?) et très peu ont une chaire de théologie (Blair, Burnet, Craig, Boyd of Trochrig, Melville, Colville et surtout Cameron, qui a droit à un chapitre particulier). Une partie est consacrée aux livres et aux bibliothèques ; mais, si nous avons au fil des pages une liste des ouvrages publiés par les enseignants écossais, l’essentiel, tant sur les imprimeries que sur les bibliothèques des académies, est très général. Plus intéressante aurait pu être l’analyse de cinq bibliothèques personnelles d’Écossais, mais les listes de livres ne sont pas commentées. Ces Écossais s’intègrent apparemment bien dans le milieu réformé français : une suite de notices montre leurs mariages avec des Françaises et les naissances de leurs enfants. L’indication de leur lieu d’habitation a moins d’intérêt, et le chapitre sur le financement des académies et les gages des enseignants ne présente rien de spécifique aux Écossais. La dernière partie commence par deux chapitres d’une page chacun ( !) avec les listes de ceux dont on ne connaît pas la carrière complète et de ceux qui se sont installés définitivement en France. On a ensuite la description de la carrière ultérieure de ceux qui sont rentrés en Écosse et de ceux qui se sont installés en Italie, aux Provinces-Unies et à Genève. Parmi les annexes, on peut noter une liste des Écossais ayant enseigné dans des collèges non liés à des académies.

Sur la forme, l’ouvrage présente quarante-deux chapitres, dont plusieurs n’ont qu’une ou deux pages, et des conclusions à chacune des sept parties, plus une conclusion générale ! Ce morcellement excessif montre une vraie difficulté à analyser le sujet. On peut aussi déplorer des approximations (le Béarn n’est pas une province autonome, mais une principauté), des affirmations surprenantes (Richelieu aurait réduit le nombre des lieux de culte à 626 en 1637, le grec et l’hébreu considérés comme hérétiques par la Sorbonne et l’Église) et trop de coquilles typographiques. Dans la bibliographie, qui comprend aussi des sources, plusieurs noms sont écrits de manière très fantaisiste.

On l’aura compris, ce livre n’en est pas vraiment un. Il donne des matériaux pour une histoire des professeurs et régents écossais en France, mais celle-ci reste largement à écrire, à partir des très nombreux renseignements fournis, souvent sous forme de tableaux et de notices biographiques. Il faudrait aussi démontrer la pertinence du sujet : la conclusion générale commence en effet par évoquer un groupe, une communauté intellectuelle originale, pour dire ensuite que les Écossais ne constituent pas une École mais doivent être considérés comme des individus ! Il aurait fallu s’interroger sur l’intérêt de les constituer en ensemble cohérent, alors que les liens entre eux et avec l’Écosse varient d’une personne à l’autre, que leur place dans le monde intellectuel est très disparate (quoi de commun entre un Cameron et John Leslie ?) mais, inversement, qu’ils ont tous une formation comparable dans les universités écossaises.