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Frédéric BARBIER, Histoire d’un livre, la Nef des fous de Sébastien Brant. Préface de Michel Espagne

Postface d’István Monok, Paris : Éditions des Cendres, 2018, 240 p.

Marianne CARBONNIER-BURKARD

L’humaniste strasbourgeois Sébastien Brant (1458-1521) n’a pas connu Luther, et du reste il en tenait pour l’ordre, un monde gouverné par le pape et par l’empereur. Son ouvrage, Narrenschiff, rapidement devenu un best-seller, est sorti à Bâle en 1494. Cependant l’histoire de la Nef des fous telle que l’a construite Frédéric Barbier intéresse l’histoire de la Réforme. L’auteur présente la Nef des fous comme un « projet de prédicateur » dans une pastorale du salut, très « automne du Moyen Âge », à l’adresse des laïcs : dans le chaos du monde, représenté par des fous, attachés à leurs plaisirs, face à la mort et au Jugement, l’urgence de s’amender. En historien du livre, Frédéric Barbier pousse l’analyse du côté de l’utilisation du nouveau média par Brant et son libraire Bergmann, et du côté de la réception du livre. Pour rencontrer son public, le savant juriste Brant s’appuie d’une part sur la langue vernaculaire (l’allemand), d’autre part sur une organisation du livre, de petit format, à partir d’images : une suite de courts chapitres (en vers, pour faciliter la mémorisation), comme autant de légendes des 109 bois gravés d’artistes, dont 73 du jeune Dürer. L’étude des éditions successives, des traductions (Frédéric Barbier souligne la nouveauté qu’a constituée la traduction de la langue vulgaire au latin, en 1497), des adaptations et récupérations, est récapitulée dans la bibliographie finale : déjà 29 éditions jusqu’en 1500, 14 de plus jusqu’en 1512, une pause à la sortie de l’Encomium moriae d’Érasme (lui-même lecteur de Stultiferae naves) et dans les débuts de la Réforme, et encore 15 éditions jusqu’à la fin du xvie siècle.

L’histoire de ce livre, replacée par Frédéric Barbier dans l’histoire culturelle de l’Europe, au tournant de la fin du xve et du début du xvie siècle, éclaire bien des aspects de l’histoire du mouvement de Luther en tant qu’histoire médiatique. Cet angle de lecture n’épuise évidemment pas l’intérêt et le plaisir de l’ouvrage, superbement illustré et mis en pages par les Éditions des Cendres.