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Le pasteur Boegner

Un missionnaire de l’œcuménisme

Jean-Paul WILLAIME

EPHE – Université PSL

La cause de l’œcuménisme fut au centre de la vie et du ministère pastoral de Marc Boegner. Constatant que « les chrétiens désunis » oubliaient trop souvent qu’ils vivaient dans des nations déchristianisées (selon lui, la France était « aux trois quarts déchristianisée »)1, convaincu que « là où Dieu est absent surgissent des cultes idolâtriques » (de la race, du parti, de l’État, de l’argent, de la force), sensibilisé par le scandale que représentaient les divisions du christianisme pour l’action missionnaire des Églises, reprenant, à la veille du déclenchement de la guerre de 1914-1918, les questions des « islamologues chrétiens » se demandant « comment arrêter les progrès foudroyants de l’Islam en Afrique noire », Boegner fut d’autant plus amené à s’engager dans le mouvement œcuménique naissant que toutes ces raisons l’incitaient à le faire2. Si « l’exigence œcuménique » s’imposa à ce fils de préfet d’abord engagé dans la préparation de l’École navale, puis dans des études de droit, c’est certes suite à une « conversion » lors du séjour chez son oncle, le pasteur Tommy Fallot, mais c’est aussi en raison de l’analyse qu’il faisait de la situation du christianisme en France et dans le monde, une analyse qui ne manquait pas de lucidité. Dans le verset biblique, qu’il cite fréquemment, de Jean 17 : 21 : « Qu’ils soient un pour que le monde croie que tu m’as envoyé », il se focalise certes sur l’exigence de l’unité formulée dans la première partie : « Qu’ils soient un » mais il n’oublie jamais l’objectif ambitieux formulé dans la seconde : « afin que le monde croie ». L’exigence de l’unité et l’exigence de l’évangélisation dans un monde de plus en plus déchristianisé se mêlent étroitement chez Boegner. Quels sont les éléments et les atouts qui permirent à ce pasteur de devenir un grand missionnaire de l’œcuménisme et sous quel angle privilégié conçut-il cette cause, c’est ce que nous voudrions montrer dans la présente étude. Celle-ci constitue plus un essai d’interprétation du profil et de la posture œcuméniques de Boegner qu’une investigation plus complète de ce dossier extrêmement vaste : « l’œcuménisme du pasteur Marc Boegner ». Notre étude se déploie en quatre parties : 1) Les antagonismes religieux constituent-ils des « murailles infranchissables » ? ; 2) La consécration de toute une vie à l’œcuménisme ; 3) Les atouts d’un notable au service de l’œcuménisme ; 4) Un positionnement œcuménique centré sur l’Église, la vie spirituelle et le témoignage public dans la cité3.

i. Les antagonismes religieux constituent-ils des « murailles infranchissables » ?

D’un point de vue sociologique, l’œcuménisme relève d’une sociologie des conflits. Dire cela ne constitue en rien une perception polémique et négative de l’œcuménisme comme si, en christianisme, l’on était toujours en pleine guerre confessionnelle. Le fait que l’on n’en soit plus à des conflits ouverts, encore moins à des guerres, ne supprime pas pour autant l’objet des litiges et l’œcuménisme peut apparaître à bien des égards comme une continuation des conflits confessionnels par des moyens diplomatiques. Bien que les divergences subsistent, c’est néanmoins une évolution considérable. Pourquoi ? Parce que le simple fait de se rencontrer et de se parler, autrement dit de redécouvrir les divergences classiques entre les Églises à travers des personnes qui les incarnent, n’est pas sans effets : l’expérience même de ces rencontres contribue à mieux se connaître et à s’apprivoiser réciproquement. À l’affrontement succède l’échange, à l’apologétique disqualifiant l’autre succède le plaidoyer tentant d’expliquer à l’autre les bonnes raisons que l’on a d’être ce que l’on est. Même en l’absence d’évolutions des parties en présence, ces interactions ne laissent pas indemnes celles et ceux qui s’y engagent : elles permettent en particulier de découvrir derrière l’identification comme catholiques, protestants ou orthodoxes d’« authentiques chrétiens ». Je reprends ici la formulation, ô combien significative, du pasteur Boegner évoquant avec gratitude le souvenir d’une rencontre avec « un catholique authentiquement chrétien4 ». Cette formulation, qui peut prêter à sourire, rappelle que cette reconnaissance de l’authenticité de l’autre a constitué une dimension importante de l’œcuménisme : en affaiblissant le caractère conflictuel des divergences confessionnelles, elle a renforcé l’engagement œcuménique. Ce fut, comme on va le voir, une dimension très présente dans le vécu œcuménique du pasteur Boegner. L’œcuménisme, entendu comme l’ensemble des initiatives et activités cherchant à amoindrir la portée conflictuelle des divisions et à renforcer ainsi l’unité du christianisme, est une manière de se situer face aux déchirures du monde chrétien et aux prétentions concurrentes de légitimité des Églises. Des Églises qui se sont réciproquement disqualifiées, à des degrés divers il est vrai, comme porteuses de la vérité chrétienne. Celle-ci est constamment un enjeu de luttes et la conflictualité traverse des origines à nos jours l’histoire du christianisme et pas seulement l’histoire du protestantisme5. L’œcuménisme, les œcuménismes faudrait-il dire6, tout en appartenant à l’histoire de la conflictualité chrétienne, s’y inscrit cependant de façon particulière puisque l’on parle désormais, dans un contexte socio-culturel où l’on valorise la diversité, de « l’unité par la diversité7 », ou de « diversité réconciliée ». Le pasteur Boegner, lui, aurait plutôt parlé, dans les années qui furent les siennes, d’une unité « au-delà » de la diversité. Quant à moi, par rapport à la situation actuelle, je parlerais plus volontiers d’une diversité partiellement réconciliée. Il s’agit désormais d’assumer les divergences faute de pouvoir les résoudre complètement, de les gérer « fraternellement », c’est-à-dire diplomatiquement, voire de les considérer comme une richesse à préserver. Reste qu’il est incontestable que le vécu des rencontres et des échanges entre catholiques et protestants, autrement dit l’interconnaissance humaine, a contribué à améliorer les relations du catholicisme et du protestantisme.

Les conflits entre des conceptions religieuses différentes constitueraient-ils des « murailles infranchissables8 » ? Selon certains auteurs, les conflits religieux auraient deux particularités : ils seraient plus profonds et plus difficiles à surmonter ; et ils se traduiraient, en tout cas dans certaines circonstances, par des violences encore plus sauvages que celles, habituelles oserait-on dire, des guerres9. Je ne souscris pas à la seconde particularité, ne serait-ce que parce qu’en matière de violences, les idéologies séculières ne me semblent pas en reste. Quant à la première, elle mérite plus d’attentions. Selon Albert Hirschman10, les conflits relatifs aux valeurs, aux religions, aux dimensions ethniques auraient, parce qu’ils portent sur des objets invisibles sur lesquels il est difficile de trouver des compromis, un caractère non négociable. Concernant la religion, c’était le point de vue que Max Weber avait déjà exposé en 1919 dans sa conférence Wissenschaft als Beruf lorsqu’il parla du « combat éternel que les dieux se font entre eux […], l’impossibilité de régler leur conflit et par conséquent la nécessité de se décider en faveur de l’un ou de l’autre11 ». Le sociologue strasbourgeois Julien Freund, qui fut un des premiers introducteurs de la sociologie de Max Weber en France, allait dans le même sens que le sociologue d’Heidelberg en expliquant qu’il y avait des antagonismes irréductibles et inconciliables. Lesquels ? Ceux reposant sur des appréciations et des croyances, ceux dont « la valorisation qu’ils comportent concerne le sens que nous donnons à la vie, donc l’adhésion profonde à une doctrine qui oriente nos actions et notre hiérarchie des priorités et plus généralement le choix des principes ultimes qui servent de principes directeurs à notre existence12 ». Avec son livre de 1996 sur The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, Samuel P. Huntington13 renouvellera à sa façon cette thèse de la profondeur et de la durabilité des clivages qui divisent les hommes selon les conceptions qu’ils se font de la vie.

On sait qu’au sein même d’une religion, les divisions peuvent être d’une profondeur telle, que certains vont aller jusqu’à remettre en question l’appartenance de l’autre à cette religion. Les conflits interconfessionnels constitueraient-ils, eux aussi, des « murailles infranchissables » ? En 1955, lors du synode national de l’ERF réuni à Strasbourg sur la question de « la politique extérieure vis-à-vis du catholicisme », le professeur Roger Mehl osait encore poser la question dans des termes qui mettaient en jeu le caractère chrétien du catholicisme :

Devons-nous continuer à considérer l’Église romaine comme une Église de Jésus-Christ ? ou bien sommes-nous contraints de reconnaître que la théologie catholique dans son évolution actuelle, la structure et la prédication de l’Église romaine ne répondent plus aux caractéristiques d’une théologie et d’une Église chrétiennes ? Répondre oui à la seconde question, c’est déclarer impossible toute relation œcuménique entre les deux confessions. Répondre oui à la première, c’est maintenir la voie ouverte à des contacts personnels, à des colloques théologiques, à une commune intercession, à des études bibliques interconfessionnelles, c’est regarder l’Église romaine comme une Église sœur et tenter de vivre avec elle l’aventure œcuménique à laquelle nous sommes manifestement appelés14.

Le choc qu’a constitué pour les protestants la promulgation en 1950 par le pape Pie XII du dogme de l’Assomption de Marie explique pour une part la radicalité de ces propos du professeur Mehl. Ils manifestaient, quinze ans avant le décret sur l’œcuménisme du concile Vatican II, la profondeur de l’antagonisme catholico-protestant et sa forte dimension conflictuelle. Comme nous le rappellent également les rapports entre orthodoxes et libéraux au sein de l’Église réformée à la fin du xixe et au début du xxe, c’est bien en termes de conflits qu’il faut aborder ces séquences de la vie religieuse où se sont exprimées, parfois assez violemment, des prétentions antagonistes à la vérité du christianisme et à l’authenticité de la vie chrétienne individuelle et collective. Il y a donc largement de quoi alimenter, hier et aujourd’hui, la thèse de la résilience des conflits religieux. Cela ne doit cependant pas empêcher les historiens et sociologues de reconnaître que des personnes, dans certains contextes – la vie et l’action des individus sont toujours situées historiquement et géographiquement –, ont permis des évolutions qui étaient improbables et qui, au fil du temps, se sont révélées novatrices. Cela ne doit pas nous faire oublier que les mondes religieux sont ce qu’en font les hommes et les femmes qui s’en réclament. Les corpus symboliques qu’ils constituent sont constamment relus, reformulés, retravaillés et à nouveau socialement vécus dans les expériences de vie de chaque génération. En vertu de la dimension réflexive constamment en action des religions, du rôle déterminant de personnalités dont la vie rencontre des moments, des épisodes, des événements qui se révèleront historiques, d’importantes évolutions ont eu lieu. L’exemple du mouvement œcuménique qui s’est déployé du début du xxe siècle jusqu’à nos jours et dont le pasteur Marc Boegner fut à la fois, jusqu’à sa mort en 1970, le témoin et l’acteur, dément cette thèse du caractère insurmontable des conflits religieux, à tout le moins de leur portée proprement conflictuelle. Boegner et l’œcuménisme, c’est la rencontre d’un homme exceptionnel à bien des égards et d’épisodes historiques eux aussi exceptionnels tout en étant tragiques (la guerre 1914-1918, la seconde guerre mondiale, le nazisme et la Shoah, la libération, les guerres coloniales). Mais si Boegner fut une grande figure de l’œcuménisme, c’est que toute sa vie, il fut animé d’une véritable foi, jamais démentie, en l’unité chrétienne, et habité par un esprit œcuménique constamment présent dans les multiples rencontres, dialogues, événements œcuméniques auxquels il participa. Le pasteur Boegner fut véritablement un missionnaire de l’œcuménisme.

ii. La consécration de toute une vie à l’œcuménisme

Évoquer l’œcuménisme du pasteur Boegner, c’est d’emblée souligner quatre caractéristiques de son expérience œcuménique : 1) il fut confronté au « problème de l’unité chrétienne » à quatre niveaux différents : l’unité réformée, l’unité au niveau de la Fédération Protestante de France (FPF), l’unité au sein du mouvement ayant abouti à la création du Conseil Œcuménique des Églises (COE), l’unité entre catholiques et protestants ; 2) la génération de Boegner, c’est celle de ce que l’on a appelé le « mouvement œcuménique », à savoir le processus qui s’est enclenché en 1910 avec la Conférence des Missions d’Édimbourg et s’est poursuivi avec le COE ; 3) la vocation œcuménique de Boegner trouve aussi son origine dans la question des activités missionnaires des Églises ; 4) l’expérience œcuménique de Boegner, ce sont aussi des relations amicales avec quelques interlocuteurs significatifs.

1) Les années qui correspondent à la vie de Boegner : 1881-1970 – plus particulièrement à son ministère pastoral : 1905-1970 –, lui auront permis de vivre la question de l’unité chrétienne selon des géométries variables. La question de l’unité des réformés tout d’abord avec, en milieu réformé français, ce qui devait aboutir en 1938 à la restauration de l’unité de l’Église réformée de France (ERF) qui s’était divisée depuis 1872 entre libéraux et orthodoxes. Boegner présida le Conseil national de l’ERF de 1938 à 1950. Ensuite la question de l’unité des protestants au sein de la Fédération protestante de France (fondée en 1905, sa première assemblée eut lieu en 1909 à Nîmes), fédération que Marc Boegner présida de 1929 à 1961. Puis la question de l’unité au sein du mouvement œcuménique qui devait aboutir à la création en 1938 du COE qui tint sa première assemblée générale à Amsterdam en 1948. Marc Boegner en fut co-président après avoir été de 1938 à 1948, vice-président de son Comité provisoire et président de son Comité administratif. Enfin la question de l’unité entre catholiques et protestants vécue dans de nombreuses rencontres du pasteur Boegner avec diverses personnalités catholiques (jusqu’à son chef suprême le pape Paul VI au cours de quelques audiences) et sa présence comme « observateur » en 1964-1965 aux sessions III et IV du concile Vatican II. À partir de 1968, l’Église catholique, sans faire partie du COE, participe aux travaux de « Foi et Constitution ». À ces quatre géométries de l’unité chrétienne – deux au niveau de la France : l’unité des réformés et l’unité des protestants, les deux autres à l’échelle internationale : l’unité des Églises non-romaines anglicanes, protestantes et orthodoxes, l’unité entre catholiques et protestants –, j’ajoute l’unité chrétienne telle qu’elle se manifeste, notamment chez les jeunes, à travers la communauté œcuménique de Taizé15, une communauté que Boegner aimait, où il voyait « une grande grâce » offerte au protestantisme français16. Il entretint une relation personnelle profonde avec son fondateur Roger Schutz (1915-2005).

2) La seconde caractéristique est d’ordre générationnel. La génération de Boegner est celle de l’émergence et du déploiement du mouvement œcuménique : ce mouvement, qui aboutit à l’assemblée du COE en 1948, fut au cœur de l’expérience œcuménique du pasteur Boegner ; il occupe une place centrale dans sa vie17. Boegner y participa officiellement durant près de trente années : de 1934 à 1961, soit de 53 à 80 ans. 1934, c’est l’année où, délégué par le Conseil de la FPF – qu’il présidait –, il participa à Fanö (Danemark) à un conseil du « Christianisme pratique » (la branche Life and Work du mouvement œcuménique dont la première assemblée avait eu lieu à Stockholm en 1925). 1961-1962 : le début des années 1960 marque la fin de l’engagement officiel du pasteur Boegner au COE. Co-président de 1948 (première assemblée d’Amsterdam) à 1954 (seconde assemblée à Evanston, États-Unis), les deux assemblées auxquelles il fut présent. Boegner continua à participer de 1954 à 1961 aux réunions du Comité central du COE en tant que président du « comité de la division de l’Éducation œcuménique » créé à Evanston. J’ajoute 1962 car, le Comité central du COE s’étant réuni à Paris cette année-là, ce fut un moment fort pour le pasteur Boegner et ce, pour quatre raisons. D’abord, à l’ouverture de cette réunion, avec la présence et l’allocution du compatriote protestant Maurice Couve de Murville alors ministre des affaires étrangères. Ensuite, parce que cette session du Comité central du COE se termina à Saint-Germain-en-Laye dans le pavillon Henri IV où s’était réuni en 1939 le Conseil œcuménique « en voie de formation ». Ensuite encore, parce qu’à l’occasion de cette session du Comité central, le pasteur Boegner constata que, grâce à la présence de représentants de l’Afrique francophone et de Madagascar, « la langue française reprenait, dans les débats du Conseil, une place moins chichement mesurée qu’auparavant18 ». Enfin, parce que ce fut le moment où, à la fin du repas, le pasteur Boegner fit ses adieux au COE en exprimant toute sa reconnaissance pour la confiance qui lui avait été accordée. Rappelons que Boegner, en 1937, participa aussi bien à la conférence Life and Work d’Oxford qu’à la Conférence Faith and Order d’Edimbourg. Élu un des présidents de la première et vice-président de la seconde, il devint une des personnalités clefs du mouvement œcuménique. Dire que le cœur de l’expérience œcuménique du pasteur Boegner se situe au COE, c’est souligner aussi sa forte dimension internationale et le fait que Boegner s’est immergé avec succès dans un réseau œcuménique à dominante anglo-saxonne et donc anglophone. Cela lui valut des participations officielles diverses et variées. Comme celle où il fut le prédicateur choisi par les autorités d’Édimbourg pour le service religieux ouvrant chaque été le traditionnel festival de musique. En évoquant ce souvenir, il confesse : « Pourquoi n’avouerais-je pas que, devant une pareille assemblée de fidèles, annoncer la Parole de Dieu dans une langue autre que la sienne est toujours une épreuve ?19 » Dès 1925 à Stockholm, avec la première assemblée du mouvement Life and Work, rendu en français par « l’expression défectueuse : Christianisme pratique », note Boegner, « l’anglais s’affirmait déjà comme la langue œcuménique par excellence20 ». Le fait que Boegner maîtrisait suffisamment l’anglais pour participer à de multiples assemblées, séances et réunions, et pour présider nombre d’entre elles, fut incontestablement un atout précieux ayant facilité sa trajectoire œcuménique internationale. Dans ses souvenirs, Boegner parle peu du rôle des deux femmes qui accompagnèrent sa vie : Jeanne Bargeton en premières noces (elle mourut en 1934) et Mary Thurneyssen en secondes noces de 1936 à 1951, année où elle mourut. Le couple Boegner fut invité à diverses occasions à passer quelques jours chez telle ou telle personnalité du monde œcuménique devenue amie du couple. Ainsi, en 1945, Mary Thurneyssen fut officiellement invitée par le Conseil œcuménique des États-Unis à accompagner son mari outre-Atlantique. « Sa parfaite connaissance de l’anglais, note Boegner, la rendait plus capable que quiconque de faire connaître aux femmes chrétiennes d’Amérique les misères de tant de nos presbytères au lendemain de l’occupation21 ».

3) La troisième observation à faire est que la vocation œcuménique de Boegner fut marquée par son implication dans la Société des Missions évangéliques de Paris suite à l’appel que lui avait adressé son directeur, en l’occurrence son oncle, le pasteur Alfred Boegner22. Il s’agissait de donner un enseignement théologique aux « élèves missionnaires », de les accueillir et de les accompagner. Les origines de cette Société ont été œcuméniques, rappelle Boegner :

Elle n’est pas née d’une décision des Églises protestantes de France mais, en dehors des Églises, de la prière et de la foi de quelques chrétiens évangéliques, français et suisses de dénominations ecclésiastiques différentes. Dès le premier jour de son existence, en 1822, elle a été internationale et interconfessionnelle et elle n’a jamais admis que ce double caractère pût être remis en question.

On est dans la même logique qu’à Édimbourg en 1910 : mission et œcuménisme sont liées et les divisions du christianisme sur les terrains missionnaires apparaissent particulièrement scandaleuses. Elles nuisent au travail missionnaire. L’écho de la conférence missionnaire d’Édimbourg de 1910 résonnait d’autant plus à la Société des Missions de Paris qu’Alfred Boegner y avait participé. Dès novembre 1911, installé dans les locaux de la Société des Missions au 102 du boulevard Arago, Marc Boegner y fit la connaissance d’une figure importante du mouvement œcuménique naissant : John Mott (1865-1955), le président de la Conférence d’Édimbourg, ainsi que de J. H. Oldham (1874-1969) qui en fut le secrétaire et son épouse. Ces trois personnes devinrent des amis des Boegner.

4) L’expérience œcuménique se construit aussi à travers des relations personnelles plus intenses avec quelques interlocuteurs d’autres Églises ou horizons. Des interlocuteurs qui deviennent des amis. Il faudrait, dans une étude plus poussée et avec une méthodologie appropriée, montrer le réseau des relations humaines les plus importantes dans lequel Boegner évoluait, quels étaient ces « autres significatifs » qui ont particulièrement contribué à affermir sa vocation œcuménique. Nous en citerons trois qui, fort différemment, ont compté pour Boegner : John Mott, Lucien Laberthonnière et Roger Schutz.

Le laïc méthodiste nord-américain John Raleigh Mott (1865-1955) devint un ami de Boegner dès sa visite en 1911 à la Société des Missions de Paris, alors même qu’il venait d’y arriver après son ministère pastoral dans la Drôme. Devenir l’ami d’une des plus grandes figures du mouvement œcuménique naissant fut un atout pour Boegner. John Mott, fondateur en 1895 de la Fédération universelle des Associations chrétiennes d’étudiants, présida la Conférence Mondiale des Missions d’Édimbourg en 1910 et dirigea le Conseil International des Missions jusqu’en 1942. Il participa aux conférences de Life and Work à Stockholm en 1925 et de Faith and Order à Lausanne en 1927. Il reçut le prix Nobel de la paix en 1947 et fut, comme Boegner, nommé co-président du COE à l’assemblée d’Amsterdam en 1948. Ami de Rockefeller, John Mott remplit quelques missions diplomatiques pour le président Wilson. À travers Mott, c’est le lien fort au mouvement œcuménique né du souci missionnaire.

Une autre amitié, d’un style et profil très différents, fut celle que Boegner noua avec Lucien Laberthonnière (1860-1932), prêtre oratorien philosophe ayant développé dans ses écrits un personnalisme chrétien fondé sur une « métaphysique de la charité ». Pour Laberthonnière, la foi chrétienne est plus « une expérience de vie » que la soumission à une autorité. Il dénonça l’identification de l’Église à la hiérarchie ecclésiastique, l’autorité suprême de l’Église étant le Christ. Plusieurs de ses ouvrages furent condamnés par le Saint-Office et il fut finalement interdit de publications. Après la guerre 1914-1918, Laberthonnière participa à plusieurs réunions œcuméniques privées. Boegner et lui furent aumôniers à l’hôpital des soldats aveugles, rue de Reuilly à Paris. « Chez Laberthonnière, dès les premières années de notre amitié, écrit Boegner en 1967, je rencontrai, j’appris à connaître et à aimer des catholiques, prêtres et laïcs s’avançant sur ce chemin de lumière » (celui d’une « Église capable d’enfanter des chrétiens23 »). Avec Laberthonnière, c’est la découverte humaine et spirituelle d’authentiques chrétiens derrière les identités confessionnelles.

On s’étonnera peut-être de trouver, parmi les « autres significatifs » de Boegner, Roger Schutz (1915-2005), ce pasteur réformé suisse qui fonda la communauté œcuménique de Taizé et devint « frère Roger ». François Boulet, dans son étude très fouillée, fournit les pièces du dossier de la rencontre houleuse Boegner-Schutz en 1951 jusqu’au témoignage de Schutz à la mort de Boegner en 1970. 1951 est une date charnière car, après la rencontre houleuse du 24 janvier (suite à l’audience de Schutz avec le pape Pie XII, audience dont les autorités de l’ERF n’avaient pas été informées), ce fut en juin la fin du mandat de Boegner à la présidence de l’ERF et, les 30 et 31 juillet, la première visite à Taizé de Boegner et de son épouse. Se distinguant des positions critiques à l’égard de Taizé de Pierre Bourguet, président de l’ERF et de W. A. Visser’t Hooft, secrétaire général du COE, le pasteur Boegner va, à la fin des années 1950, de plus en plus s’exprimer positivement sur Taizé et témoigner de sa « fraternelle affection » envers frère Roger. Il le côtoie comme invité aux troisième et quatrième sessions du concile Vatican II et a avec lui de « longues conversations » à l’occasion de plusieurs visites à Taizé à la fin des années soixante. La lettre du 19 mars 1968, citée par François Boulet, que Roger Schutz envoya à Boegner après la publication de L’exigence œcuménique témoigne de la « vénération » de Schutz pour Boegner, un mot que Boegner lui demandera de retirer en lui disant qu’il l’aimait « comme un jeune frère ou un fils aîné » et qu’il rendait grâce à Dieu de l’avoir rencontré « et d’être devenu si proches l’un de l’autre ». En 1968, Boegner écrit à Schutz en ces termes : « j’aime à vous suivre par la pensée et la prière dans l’immense, difficile mais aussi magnifique labeur que vous avez à accomplir jour après jour ».

Trois « autres significatifs » qui, on l’aura remarqué, ont des parcours non conformistes à distance des institutions ecclésiastiques et sont portés par une forte conviction de l’unité chrétienne.

iii. Les atouts d’un notable au service de l’œcuménisme

Considéré par la presse comme le « pape » du protestantisme français, le pasteur Boegner en fut sans conteste une figure exceptionnelle et ce à plusieurs égards. Nous voudrions ici souligner plusieurs facteurs qui ont contribué à faire de Boegner un personnage public qui acquit une forte notoriété.

Fils de préfet ayant épousé en 1905 une fille de préfet (Jeanne Bargeton, qui mourut en 1934), Boegner, par ses origines, tant du côté maternel que du côté paternel, fait partie de la bourgeoisie. Sa mère, Jenny Fallot, appartient « à cette bourgeoisie protestante d’Alsace qui s’est lancée dans l’industrie », note Roger Mehl24. Ayant l’assurance de ce milieu, il était parfaitement à l‘aise face aux plus hautes autorités. Boegner fut un notable au sens classique du terme : une personnalité ayant un rang important dans la hiérarchie sociale et des liens dans différents milieux lui permettant d’avoir un ascendant particulier sur les autres. Dans le cas de Boegner, trois facteurs importants ont contribué à construire sa notabilité : – le cumul de reconnaissances émanant de différents milieux (religieux et non religieux, protestants et non-protestants) ; – son insertion dans des réseaux aussi bien nationaux qu’internationaux de relations sociales ; – son autorité personnelle. Sa posture physique, son humour et son sens de la répartie, sa rhétorique, le fait qu’il cumula de nombreuses présidences (voir infra), tout cela en imposait, « intimidait » dit même Roger Mehl25. Dans ses engagements œcuméniques, Boegner sut s’insérer avec bonheur et aisance dans tout un réseau à dominante anglo-saxonne qui dominait alors la scène œcuménique. Cette insertion de Boegner dans le réseau œcuménique international cumulée avec sa solide insertion dans le protestantisme français lui a fourni un riche carnet d’adresses, ce que Pierre Bourdieu appelle un « capital social ».

À ce « capital social » s’ajoute la légitimité culturelle consacrée par son élection à l’Académie française en 1962 mais présente bien avant. À l’invitation de l’« Union de libres penseurs et de libres croyants pour la cuture morale », le 18 janvier 1914 à Paris, il discutait sans masquer ses critiques l’analyse sociologique de la religion que venait d’exposer Émile Durkheim. Dès 1947, il fut membre de l’Académie des Sciences morales et politiques. Les doctorats honoris causa qu’il reçut (de la part des Universités de Prague, d’Édimbourg, de Toronto, d’Evanston, de Bonn, de Genève et d’Aberdeen) témoignent également de l’estime et de la reconnaissance que divers pôles de la théologie universitaire avaient pour lui. À cette autorité intellectuelle, il faut ajouter l’autorité morale due à son action en faveur des juifs sous Vichy26. Il fut déclaré « Juste parmi les nations » en 1988.

Boegner incarna au plus haut point la figure du « Président », fonction pour laquelle il avait sans doute un charisme incontestable puisqu’il fut très souvent sollicité pour remplir cette fonction. Il présida de facto un grand nombre d’institutions et d’associations sans compter les multiples séances qu’on lui avait, selon la formule consacrée, « prié de bien vouloir présider ». Rappelons les principales présidences qu’il a exercées :

Président de la Fédération Protestante de France de 1929 à 1961 ;

Président de Fédération française des Associations Chrétiennes d’Étudiants de 1923 à 1935 ;

Président du Conseil national de l’Église Réformée de France de 1938 à 1950 ;

Président du Comité administratif du COE en formation de 1938 à 1948 ;

Co-Président du COE de 1948 à 1954 ;

Président de l’Alliance Biblique française de 1947 à 1969 ;

Président de la Société des Missions de Paris de 1945 à 1968 ;

Président de la Cimade de 1944 à 1968.

Véritable ambassadeur de l’œcuménisme, Marc Boegner fut une personnalité publique reconnue dans différents pays. En voici quelques exemples particulièrement significatifs :

Au décès de l’anglican William Tempel (1881-1944), archevêque de York (1929) puis de Canterbury (1942) qui joua un grand rôle dans le mouvement œcuménique et fut ami de Boegner, c’est l’ambassade de Grande-Bretagne à Paris qui l’informa « qu’il serait agréable au gouvernement britannique qu’il assiste aux obsèques de l’Archevêque27 ».

En 1938, alors qu’il se rendait en Suède, Boegner s’arrêta à Copenhague où, dit-il, il avait « été invité à donner une conférence » (Boegner n’en précise pas le thème). Cela lui valut l’honneur de parler devant la reine du Danemark et d’avoir un entretien avec elle.

En 1948 à la première assemblée du COE à Amsterdam, c’est Boegner qui présida la séance à laquelle assista la princesse Juliana (qui devint reine des Pays-Bas la semaine suivante). Ce fut aussi l’occasion pour lui d’une audience avec la reine Wilhelmine. C’est Boegner qui, au Rijksmuseum, répondit au discours du ministre des cultes des Pays-Bas.

En 1949, ayant eu vent de ce que le président des États-Unis Truman cherchait, en sollicitant le soutien du pape et du COE, à enrôler les Églises dans le combat contre les unmoral forces (c’est ainsi qu’à Washington, on désignait le communisme), Boegner demanda une audience via l’ambassade de France. Il fut reçu le mercredi le 28 juin et expliqua au Président Truman, en termes diplomatiques, que les Églises agissaient pour la paix avec leurs propres moyens d’action.

En 1953, étant en Inde pour une réunion du Comité central du COE, il fut chargé par le président de la République Vincent Auriol, « auquel, nous dit Roger Mehl, le liaient des sentiments de confiance et d’amitié28 » d’une mission relative aux comptoirs français en Inde.

En France et au-delà, Boegner qu’on affubla, non sans exagération et ambiguïté, du titre de « pape du protestantisme français » fut l’interlocuteur protestant privilégié lors de conférences publiques ou de publications sur l’œcuménisme catholico-protestant. En voici trois exemples significatifs.

En janvier 1942, il publia dans Le Figaro un article sur l’œcuménisme côtoyant celui de l’abbé Paul Couturier (1881-1953), pionnier catholique de l’œcuménisme ayant remis en valeur la semaine de l’Unité de janvier. L’abbé Couturier lui raconta qu’il avait dû remonter jusqu’à Rome pour être autorisé à ce que, dans la première page d’un journal, sa signature côtoie celle d’un pasteur29.

Le 19 février 1965, le lendemain d’une séance officielle au COE avec le cardinal Bea, le pasteur Boegner et le cardinal donnèrent à Genève une conférence publique dans une salle de la Réformation pleine à craquer. Le succès de cette conférence à deux voix fit d’autant plus événement que des pasteurs et laïcs de Genève avaient cru devoir mettre en garde le pasteur Boegner sur une rencontre qu’ils jugeaient prématurée30.

Le 16 janvier 1967, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, aux côtés du cardinal J.-M. Martin et du métropolite Meletios, Boegner ouvrait la séance officielle saluant l’événement que constituait la traduction œcuménique de l’épître de Paul aux Romains, premier pas de la traduction œcuménique de toute la Bible31.

Le pasteur réformé néerlandais Willem Adolf Visser’t Hooft (1900-1985), personne clef du mouvement œcuménique, cheville ouvrière du COE dont il fut secrétaire général du comité provisoire de 1937 à 1948 et du Comité définitif de 1948 à 1968, parle en ces termes du pasteur Boegner :

Il se distinguait par sa courtoisie et sa patience. Pour les Anglo-Saxons, habitués à une procédure bien définie, sa façon de présider à la française, sans règles fixes, demeurait assez impénétrable, mais on l’acceptait en général parce qu’on respectait son autorité personnelle. Il n’intervenait guère dans les débats mais la solidité de ses convictions sur le mouvement œcuménique apparaissait dans des allocutions d’ouverture et de clôture fort éloquentes32.

De cette perception de Boegner, je retire une hypothèse : Boegner préférait être dans le rôle de modérateur que dans celui de protagoniste d’un débat. Boegner est un « Jarnaquais33 » dans l’âme, privilégiant l’unité sur la division en parties adverses. Il devait aussi particulièrement apprécier les séances officielles d’ouverture et de clôture, avoir un goût pour les mises en scène quelque peu théâtralisées de l’œcuménisme auxquelles donnaient lieu diverses cérémonies. Il en était un excellent acteur.

Boegner aimait prêcher, il le fit dans de multiples lieux et pays. C’est autant comme prédicateur que comme conférencier qu’il fut un missionnaire de l’œcuménisme. Ses conférences radiodiffusées de Carême eurent un large écho34 et il utilisa ce moyen pour mieux faire connaître et comprendre le mouvement œcuménique. C’est ce qu’il fit notamment avec les conférences de 1946 intitulées « Le problème de l’Unité chrétienne35 ». De 1944 à 1967, il publia plusieurs articles dans Le Figaro. Ces articles dans un journal national – il en écrivit trente et un –, articles qu’il signa toujours en tant que « pasteur », contribuèrent à sa notoriété nationale. Surtout après le concile Vatican II (1962-1965), il donna des dizaines de conférences sur l’œcuménisme en France, en Belgique et en Suisse. Par tous ces canaux, à travers un nombre impressionnant de voyages en France, en Europe, en Amériques du Nord et du Sud, en Afrique et en Inde, avec tous les atouts dont il disposait, la réputation du pasteur Boegner ne fit que croître. Une réputation non surfaite car, si Boegner fut bien un pasteur-notable ambassadeur de l’œcuménisme, c’est non seulement parce qu’il avait les réels talents et compétences pour l’être, mais c’est aussi et surtout parce qu’il était habité par une conviction profonde, celle de l’unité de tous les fidèles de « l’Église de Jésus-Christ ». L’œcuménisme de Boegner, ce n’est pas celui d’un théologien, ni celui d’un responsable ecclésiastique – il l’a pourtant été –, c’est celui du vécu et de l’action, en quelque sorte, celui du « christianisme pratique » (Life and Work) associant spiritualité d’une part, action solidaire dans le monde d’autre part.

iv. Un positionnement œcuménique centré sur l’Église, la vie spirituelle et le témoignage public dans la cité

« Je me considère désormais comme un catholique évangélique détaché par la volonté du Chef au service de l’Église réformée de France », notait le 23 avril 1895, le pasteur Tommy Fallot (1844-1904), fondateur en France du Christianisme social36. La vie et l’action de cet oncle de Marc Boegner le marquèrent profondément37. Cette expression de « catholique évangélique » qu’avait déjà employé le pasteur Jean-Frédéric Oberlin (1740-1826) ainsi que la formule de Tommy Fallot affirmant que « 1° l’Église sera catholique ou ne sera pas ; 2° le chrétien sera protestant ou ne sera pas », ces paroles, dit Boegner, « se répercutèrent en longs échos dans les profondeurs de ma vie intérieure », elles constituèrent un « choc ». Il ajoute : « Ce jour-là, je naquis à la vie œcuménique et l’exigence qu’elle porte en elle ne me quitta plus38 ». C’est ainsi qu’en 1967, à l’âge de 86 ans, Boegner rend compte de sa vocation œcuménique. Cette auto-interprétation sonne selon moi assez juste. En effet, l’œcuménisme de Boegner est caractérisé par l’importance centrale qu’il attache à « l’Église » (au singulier), à son unité et à son témoignage dans la cité au-delà de la diversité de ses expressions ecclésiastiques et ses sensibilités théologiques. Plusieurs de ses conférences et publications traitent de « l’Église » au singulier : The Unity of the Church (1914), Qu’est-ce que l’Église ? (1931), L’Église et les questions du temps présent (1932), La prière de l’Église universelle 1951). En 1946, dans ses conférences de Carême consacrées au « problème de l’unité chrétienne », il posait la question en ces termes : « que faut-il faire pour que les Églises, réalité historique, manifestent l’unité de l’Église réalité révélée ? Tel est le problème de l’unité chrétienne39 ».

Boegner ne niait pas qu’il y avait bien, entre l’Église catholique et les Églises protestantes, ce qu’il appelait « des murailles infranchissables » (du moins qui apparaissaient comme telles). En chrétien profondément enraciné dans le protestantisme réformé, Boegner n’ignorait évidemment pas qu’en matière ecclésiologique, les conceptions catholique et protestantes étaient, telles qu’elles étaient énoncées, irréconciliables. Mais le titre du chapitre III de son livre de 1947 Le problème de l’unité chrétienne comportait un point d’interrogation « Murailles infranchissables ?40 » et les premières sections de ce chapitre se plaisaient à montrer que, dans différents domaines, notamment ce qui concerne la Bible et la liturgie, les évolutions avaient été telles, aussi bien dans le monde catholique que dans le monde protestant, que ce qui avait semblé être infranchissable ne l’était de facto plus. À cette validation empirique, Boegner ajoutait sa conviction que « les murs de séparation ne montent pas jusqu’au ciel » (selon la formulation qu’il reprend d’un évêque orthodoxe), et que « ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu » (Luc 18, 27). L’œcuménisme de Boegner entremêle un réalisme lucide sur la profondeur des divisions chrétiennes et la conviction inébranlable qu’elles seront un jour surmontées.

Le vocabulaire fréquemment employé par Boegner pour désigner l’Église est significatif en lui-même : « Église du Christ ». Constituée des « vrais disciples du Christ » que l’on rencontre dans les différentes Églises, cette « Église du Christ », cette « Église œcuménique du Seigneur Jésus-Christ » n’est ni une Église historique particulière, fut-elle la plus nombreuse (l’Église catholique), ni une réalité eschatologique totalement invisible dans le monde présent ». Boegner reprend à son compte l’affirmation de l’anglican William Temple, alors archevêque de York, prononcée en août 1937 lors de l’ouverture de la conférence « Foi et Constitution » d’Edimbourg : « nous ne pourrions pas rechercher l’union si nous ne possédions pas déjà l’unité41 ». Selon Boegner, c’est parce que l’Église universelle est déjà là que l’on peut travailler ensemble à « la manifestation visible de l’Una Sancta, la sainte Église catholique42 ». Le terme de « catholique » ne le gêne pas. Il remarque judicieusement que seules les Églises protestantes de langue française ont tenu à remplacer le mot « catholique » par celui d’« universelle » dans le Credo où l’on affirme croire « la sainte Église catholique43 ». Boegner estimait que les Églises protestantes avaient perdu, pour une large part, le sens de l’Unité de l’Église et qu’elles devaient en conséquence « rapprendre la signification de la catholicité44 ». Évoquant au passage l’apparition d’instances fédératives qui, telle la FPF, ont été créées pour représenter les Églises issues de la Réforme auprès des pouvoirs publics, il tient à dissiper une impression : toutes ces fédérations, déclare le président de la FPF, « n’ont pas grand-chose à voir avec l’unité de l’Église » ! Leur seul intérêt, concède-t-il, est de « préparer un terrain favorable à l’action œcuménique ».

Cette unité déjà là, Boegner dit l’avoir ressentie dans les moments de prière, de louanges, de célébrations qu’il a vécus lors des multiples rencontres et conférences œcuméniques auxquelles il lui a été donné de participer. « Quelle joie de réciter ensemble le Credo, de prier ensemble l’Oraison du Seigneur, d’écouter ensemble la Parole de Dieu entendue dans la même Bible » s’exclame-t-il. Voici comment Boegner évoquait en 1946 une expérience vécue dans les années 1933-1934 en Alsace :

Je n’oublierai jamais une semaine d’études œcuméniques vécue il y a treize et quatorze ans dans un petit village d’Alsace. Il y avait là des orthodoxes, des anglicans, des luthériens, des réformés et trois catholiques romains venus avec la permission de leurs évêques. Nous connûmes ensemble des heures de grâce et de vérité, de communion dans la foi au même Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, dans l’amour de l’Église et de son unité. Chaque matin et chaque soir, agenouillés les uns à côté des autres devant la Croix, dans un humble grenier transformé en chapelle, nous prions ensemble et la joie inondait nos cœurs45.

Malgré, durant cette semaine, la souffrance douloureusement ressentie de l’absence d’intercommunion, cette souffrance même ne fit qu’accroître, selon Boegner, « la volonté de servir humblement et courageusement la cause de l’unité chrétienne dont ils avaient éprouvé ensemble la réalité ».

À propos de la première assemblée du COE en 1948 à Amsterdam, tout en ayant conscience de l’événement considérable qu’elle représentait après les années tragiques de la guerre et après tout le travail œcuménique accompli en amont afin qu’une telle assemblée puisse avoir lieu, Boegner ne put s’empêcher d’exprimer une déception :

sur un point important, je gardai l’impression d’un échec : je veux parler de la part donnée à la méditation et à la prière. Si nous entendîmes quelquefois, dans l’église où nous nous assemblions chaque jour, des exhortations pleines de sèves biblique et théologique, nourriture nécessaire de notre vie spirituelle, nous eûmes trop souvent la déception de prétendues méditations où des anecdotes tenaient la plus grande place. Amsterdam, sur ce point, fut inférieur à Oxford 193746.

Cette remarque de Boegner a selon moi un caractère prémonitoire. N’y a-t-il pas eu ensuite une sécularisation interne du COE marquée, en particulier, par un affadissement de sa dimension spirituelle et un affaiblissement de sa portée œcuménique et ce, malgré la participation depuis 1968 de l’Église catholique aux travaux de « Foi et constitution » ?

La communauté monastique de Taizé « a le sens profond de sa vocation d’universalité, de catholicité, d’œcuménicité », écrit Boegner en 1967 dans L’exigence œcuménique (p. 217). C’est parce qu’il y vivait une spiritualité transconfessionnelle authentique, parce qu’il appréciait les chants et la liturgie de Taizé, parce qu’il développa avec frère Roger, le fondateur et prieur de la communauté, une relation amicale profonde (malgré les malentendus et tensions du début de leurs échanges), c’est pour tout cela que le pasteur Boegner appréciait Taizé. Il priait chaque jour avec la Bible de l’office de Taizé, nous apprend François Boulet47. Cet engouement (j’emploie à dessein ce terme) de Boegner pour Taizé ne plaisait pas à tout le monde dans un protestantisme très ambivalent à l’égard de Taizé, particulièrement l’ERF qui reprochait à Roger Schutz et à Max Thurian de trop se compromettre avec l’Église catholique (le fait que Max Thurian se soit fait ordonner prêtre en 1987 confirma pour certains ce point de vue, dans le registre du « on vous l’avait bien dit »). S’il refusait de qualifier Taizé de « capitale de l’œcuménisme », Boegner estimait qu’« au moins en quelque mesure », Taizé était « une prophétie de l’unité restaurée48 ». En qualifiant Taizé d’« utopie pratiquée de l’Église réunifiée », Danièle Hervieu-Léger va dans le même sens49. Dans ce coin de Bourgogne comme dans le coin d’Alsace évoqué ci-dessus, Boegner éprouvait un déjà-là de l’unité alors même que subsistaient les divisions ecclésiastiques. Impressionné par l’attrait des jeunes pour Taizé, frappé par « l’impatience œcuménique de la jeunesse chrétienne », Boegner estimait que cette communauté leur permettait « d’approcher une réalité vivante et de s’insérer, ne fût-ce qu’un moment, dans un dynamisme d’amour et d’unité, dont le moteur s’appelle Jésus-Christ50 ». Il est clair que le pasteur Boegner aimait Taizé, une communauté qui le confortait dans sa militance œcuménique. Il confessait en 1967 :

J’aime la communauté de Taizé. Chaque fois que j’y retourne, je me sens accueilli, enveloppé, vivifié par un climat de prière, de louange, de joie, d’amour offert à tous et vécu avec tous. La liturgie m’introduit dans le mystère du Corps du Christ, et je remercie Dieu de ce qu’il y ait en France un lieu où la prière et l’amour ignorent toutes les barrières confessionnelles51.

Cette foi œcuménique et l’intérêt pour le mouvement œcuménique étaient loin d’être largement partagés par les protestants français. Dans son ouvrage Le protestant français de 1953 (1955), Émile G. Léonard, tout en notant « la part importante prise au mouvement œcuménique par des protestants français éminents » (il cite entre autres Marc Boegner), observe qu’« on ne peut pas dire que ces sentiments – sous-entendu œcuméniques – soient réellement partagés par la masse protestante que met en défiance l’appel à une unité visible, à la fois sentimentale et organisée, du christianisme52 ». Boegner le constata lui-même. En 1960, dans le rapport qu’il présenta à l’assemblée de la FPF de Montbéliard – sa dernière assemblée comme président –, Boegner ne put s’empêcher d’exprimer sa profonde déception au sujet des rapports de la FPF avec le mouvement œcuménique. Il le fit dans des termes particulièrement sévères :

Une curieuse obsession a pris possession d’un certain nombre de coreligionnaires : aussitôt qu’on parle d’œcuménisme ou du Conseil œcuménique des Églises, ils voient une menace catholique romaine se dresser à l’horizon ; ils oublient qu’il y a un œcuménisme à instaurer de tout urgence à l’intérieur des Églises de la Réforme ; ils ignorent tout ce qui se pense, se fait dans les protestantismes des pays, des continents étrangers et même dans l’ensemble des Églises non romaines ; ils s’enferment, ils s’enlisent dans un négativisme qu’inspire un anti-catholicisme trop souvent dépourvu de connaissances théologiques authentiques ; ils font ainsi courir à nos Églises, à l’ensemble du protestantisme le danger du repliement sur soi-même, d’une introversion qui risque de devenir mortelle ; ils détournent les chrétiens protestants de France de contempler les larges horizons que le mouvement œcuménique a découverts, dans ce dernier demi-siècle, devant les Églises de toutes confessions dans le monde entier. Ah ! Souffrez que je vous le dise : il est temps de nous libérer à jamais, ou plutôt de demander la grâce de nous libérer de complexes qui, si nous ne n’y prenions pas garde, nous enfermeraient et nous isoleraient dans des ghettos où nos yeux se fermeraient définitivement à la vision de l’Église universelle de Jésus-Christ dont les réformateurs Calvin et Théodore de Bèze en tête, ont toujours voulu qu’elle éclaire la marche des communautés évangéliques sur le chemin de la foi53.

En 1966, dans L’exigence œcuménique, il observe dans le même sens : « Qu’une attitude de méfiance à l’égard des institutions catholiques prises en bloc soit congénitale chez un certain nombre de réformés français, qu’ils considèrent comme un reniement ou une trahison tout rapprochement, tout dialogue, tout service religieux interconfessionnel le fait est si indéniable qu’il n’y a qu’à le constater54 ». Un peu plus loin, dans le même livre55, Boegner nuance son jugement en notant que ces réserves des protestants français à l’endroit du mouvement œcuménique étaient « loin d’être générales » et que des pasteurs jeunes et moins jeunes s’impliquaient désormais dans l’éducation œcuménique. Reste que le constat de Léonard et la déception de Boegner posent la question de l’écart entre le vécu œcuménique de Boegner et celui des protestants de base. Cet écart n’est à vrai dire pas étonnant. Boegner, comme on l’a vu, évoluait sur une planète œcuménique internationale et interdénominationelle comprenant, dès le début, des représentants de la Communion anglicane et, un peu plus tard, des Églises orthodoxes. Son horizon était mondial et sa spiritualité enrichie par des prières, des louanges et des cultes de différentes traditions. Le mouvement œcuménique, ce n’est pas le dévaloriser que de le dire, a produit ses élites, ses spécialistes, ces habitués des voyages aux quatre coins du monde. Les souvenirs que Boegner relate dans son livre, la place même qu’y occupe le récit des voyages et des rencontres avec telle ou telle sommité, renforcent l’impression d’une scène œcuménique internationale fort éloignée du vécu paroissial des fidèles. François Boulet cite une lettre adressée en 1960 au pasteur Bourguet, président de l’ERF, par Claire Roser très critique par rapport à l’engagement œcuménique des protestants avec l’Église romaine. Cette dame glisse au passage cette observation : « M. Boegner est très loin du menu peuple, comme le Général de Gaulle…56 ». La comparaison avec de Gaulle, si l’on veut bien laisser de côté ce qui concerne les rapports du Général avec le peuple, est fort significative car ces deux hommes, Boegner et de Gaulle, de hautes statures aussi bien physiques que sociales, incarnent bien, chacun à sa manière, une figure de l’élite avec la quasi-inévitable distance sociale qu’elle engendre. Les milieux ecclésiaux n’échappent évidemment pas à ces phénomènes. Le mouvement œcuménique ayant abouti au COE a certes représenté une expérience extraordinaire pour celles et ceux qui en ont été les acteurs, mais il était sans aucun doute difficile pour celles et ceux qui ne l’étaient pas de vibrer aussi intensément à cette aventure. Certes d’autres Français, peu nombreux, ont participé à ce mouvement œcuménique. Le pasteur et professeur Roger Mehl (1912-1997), Suzanne de Dietrich (1891-1981), Madeleine Barot (1909-1995), Geneviève Jacques (née en 1944). Des figures du protestantisme français qui se sont particulièrement distinguées par leur militance dans tel ou tel domaine : l’éthique, le renouveau biblique, la Cimade… Parmi ces figures, le fait mérite d’être noté dans ce mouvement très masculin de l’œcuménisme, trois femmes et trois laïcs ! Reste qu’il s’agit majoritairement de personnes, telles Suzanne de Dietrich et Madeleine Barot, qui, par leurs origines et leurs trajectoires, faisaient partie d’une élite. Plus ou moins conscient du caractère élitiste des pionniers/ères de l’œcuménisme, Boegner insista plusieurs fois sur la nécessité d’une éducation à l’œcuménisme, d’une formation œcuménique. Il y contribua lui-même intensément à travers ses innombrables prestations orales et écrites.

L’action publique et sociale de Boegner ne faisait pas partie du champ de notre étude, même si cette action fut régulièrement, mais pas toujours, l’occasion d’interventions communes du pasteur Boegner avec des représentants des autres confessions chrétiennes, au premier rang desquels des autorités catholiques. Il est néanmoins important de rappeler la dimension chrétienne-sociale du pasteur Boegner57. Chrétien social, il le fut dès le début dans la filiation de son oncle Tommy Fallot, le resta dans les liens particuliers qu’il eut avec la branche « Christianisme pratique » du mouvement œcuménique et avec le mouvement du Christianisme social en France, l’attesta par de nombreuses prises de position et interventions publiques dans « les questions du temps présent » (selon le titre de ses conférences de Carême de 1931 : « L’Église et les questions du temps présent »). Sa notoriété, ses présidences, son insertion dans le réseau œcuménique du COE, il les mit aussi au service de diverses causes : la défense des juifs sous Vichy, l’engagement en faveur des déplacés et réfugiés avec la Cimade, ses prises de position durant la guerre d’Algérie et les années de décolonisation… L’engagement dans la cité allant jusqu’à de nombreuses interventions auprès des plus hautes autorités (chefs d’État, ministres…), la solidarité avec les plus faibles accompagnèrent constamment son engagement œcuménique. « Pour que le monde croie », une unité chrétienne plus affirmée et une vie spirituelle authentique lui apparaissaient certes primordiales, mais il n’en oubliait pas pour autant le témoignage des « disciples du Christ » dans la cité, l’action sociale. Attentif aux divers aspects de l’action des missionnaires aux quatre coins du monde, c’est un christianisme pratique, spirituel et social qu’incarna Boegner58.

À la fin de L’Exigence œcuménique, Boegner, ne craignant pas de choquer nombre de ses coreligionnaires, ose la question suivante : « Ne devons-nous pas considérer que la Réforme ouvre, dans l’histoire de l’Église, une immense parenthèse ne pouvant être refermée, par la grâce de Dieu, que lorsque sera restaurée l’unité visible du Corps du Christ “afin que le monde croie” ?59 ». Cette question, iconoclaste pour beaucoup de protestants français qui se considèrent plus comme des « protestants-chrétiens » que comme des « chrétiens-protestants60 », est logique du point de vue boegnerien car notre « missionnaire de l’œcuménisme » a toujours insisté sur l’unité de « l’Église de Jésus-Christ » au-delà de ses divisions ecclésiastiques et théologiques et de ses déclinaisons nationales. Avec le pasteur Boegner, force est de constater que l’œcuménisme, né de l’interpellation des missionnaires, a produit, en sa personne, un de ses plus grands missionnaires.

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1. Tous les passages cités dans le présent paragraphe proviennent des pages 30 à 35 de l’ouvrage de Marc Boegner, L’exigence œcuménique. Souvenirs et perspectives, Paris : Albin Michel, 1968.

2. Ces raisons confortent jusqu’à un certain point, la thèse des sociologues qui, tels Bryan Wilson et Peter Berger, établissent un lien entre sécularisation et émergence de l’œcuménisme : confrontées à la déchristianisation, les Églises seraient plus portées à relativiser leurs différences et à valoriser leur unité. Voir Bryan Wilson, Religion in Secular Society, London : C.A. Watts, 1966 et Peter Berger, The Sacred Canopy. Eléments of a Sociological Theory of Religion, New York : Doubleday, 1967.

3. La présente étude repose essentiellement sur, outre l’ouvrage de Marc Boegner déjà cité, le livre de Roger Mehl, Le pasteur Marc Boegner. Une humble grandeur, Paris : Plon 1987. Parmi les écrits de Marc Boegner que nous avons consultés, une mention particulière doit être faite de la publication de ses conférences de Carême de 1946 publiées l’année suivante : Pasteur Marc Boegner, Le problème de l’unité chrétienne, Paris : Je Sers, 1947.

4. Marc Boegner, L’exigence œcuménique, p. 118.

5. Voir notre étude « De quoi le protestantisme est-il le nom ? », RHP 1 (2016), p. 13-33.

6. Nous nous permettons de renvoyer à nos deux contributions : – « Protestantisme et nouvelle donne œcuménique », in Sébastien Fath et Jean-Paul Willaime (dir.), La nouvelle France protestante. Essor et recomposition au xxie siècle, Genève : Labor et Fides, 2011, p. 329-352 ; – « Les œcuménismes chrétiens au défi des mutations sociétales et religieuses contemporaines », in Michel Mallèvre (dir.), L’unité des chrétiens. Pourquoi ? Pour quoi ?, Paris : Cerf, 2016, p. 13-35.

7. Oscar Cullmann, L’Unité par la diversité, Paris : Cerf, 1986.

8. Selon l’expression utilisée par Boegner dans le chapitre III intitulé « Murailles infranchissables ? » de l’ouvrage Le problème de l’unité chrétienne, op. cit.

9. Les travaux de Denis Crouzet sur les violences catholiques et protestantes au xvie siècle pourraient alimenter cette thèse. À travers des descriptions saisissantes, il montre qu’il s’agissait de nier l’humanité de l’ennemi : Les guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion vers 1525-vers 1610, Seyssel : Champ Vallon, 1990, 2 tomes.

10. Albert Hirschman, « Social Conflicts as Pillars of Democratic Market Society », Political Theory 22-2 (1994), p. 203-218.

11. Max Weber, Le savant et le politique, Paris : Plon, 1963, p. 114.

12. Julien Freund, Sociologie du conflit, Paris : PUF, 1983, p. 149.

13. Samuel P. Huntington, Le choc des civilisations, Paris : Odile Jacob, 1997.

14. Marc Boegner formule en ces termes la question « au fond très simple », précise-t-il, posée par Roger Mehl. Voir L’exigence œcuménique, p. 240. Marc Boegner, évoquant le souvenir de ce synode, constata, « découragé », que l’intervention qu’il fit en faveur d’une approche moins négative du catholicisme demeura sans écho.

15. Voir ici-même la contribution de François Boulet, « Taizé, les protestants français et Marc Boegner (1940-1970) », p. 653-687.

16. L’exigence œcuménique, p. 216.

17. Il n’est pas inintéressant d’observer que le mouvement œcuménique occupe une place nettement plus importante dans l’autobiographie de Boegner que dans la biographie que Roger Mehl lui consacra en 1987. Ce dernier s’en explique page 231 en disant que Boegner ayant lui-même « relaté cette grande aventure » dans L’exigence œcuménique, il avait préféré, tout en consacrant le chapitre VI de sa biographie à « La grand-route de l’œcuménisme », renvoyer pour plus de détails le lecteur à cet ouvrage.

18. Ibid., p. 209.

19. Ibid., p. 208-209.

20. Ibid., p. 45.

21. Ibid., p. 175.

22. Voir la contribution de Jean-François Zorn, « Marc Boegner, une conscience missionnaire à l’épreuve des événements » dans le présent numéro de la RHP, p. 611-652.

23. L’exigence œcuménique, p. 34.

24. Roger Mehl, op. cit., p. 12.

25. Ibid., p. 308.

26. En dépit des affinités et connivences de Boegner avec le maréchal Pétain que Patrick Cabanel a bien mises en lumière dans De la paix aux résistances. Les protestants en France 1930-1945, Paris : Fayard, 2015. Voir aussi les Carnets du pasteur Boegner. 1940-1945 présentés et annotés par Philippe Boegner, Paris : Fayard, 1992.

27. L’exigence œcuménique, p. 169.

28. Roger Mehl, p. 298.

29. L’exigence œcuménique, p. 161.

30. Ibid., p. 257.

31. Voir La Bible chemin de l’unité ?, Paris : Cerf, 1967.

32. W. A. Visser’t Hooft, Le temps du rassemblement. Mémoires, Paris : Seuil, 1975, p. 433.

33. En référence à l’union créée dans le monde réformé français par ceux qui refusaient de s’inscrire dans l’une ou l’autre union d’Églises qui opposait les « orthodoxes » aux « libéraux ».

34. Voir dans le présent numéro l’article de Christophe Chalamet, « Apologétique et protestation de la conscience chrétienne. Marc Boegner et les conférences de Passy dans l’entre-deux-guerre (1928-1939) », p. 511-533.

35. Pasteur Marc Boegner, Le problème de l’unité chrétienne, Paris : Je Sers, 1947.

36. Il présida l’« Association protestante pour l’étude pratique des questions sociales » qui devint en 1888 le mouvement du Christianisme social. Boegner restera fidèle à ce mouvement.

37. Il lui consacra une vaste étude en deux tomes : La vie et la pensée de T. Fallot, t. I : La préparation (1844-1872) ; t. II : L’achèvement (1872-1904), Paris : Berger-Levrault, 1914 et 1926. Voir, dans le présent numéro, l’article d’André Encrevé, « Marc Boegner biographe de Tommy Fallot : quelques remarques », p. 487-510.

38. L’exigence œcuménique, p. 20-21.

39. Marc Boegner, Le problème de l’unité chrétienne, Paris : Je Sers, 1947, p. 132.

40. Ibid., p. 77-105.

41. Ibid., p. 61.

42. Ibid., p. 56.

43. Le Credo en allemand, en anglais et en néerlandais conserve le qualificatif de « catholique ».

44. L’exigence œcuménique, p. 31.

45. Ibid., p. 109.

46. L’exigence œcuménique, p. 191.

47. Voir p. 683.

48. L’exigence œcuménique, p. 325.

49. Danièle Hervieu-Léger, Le temps des moines. Clôture et hospitalité, Paris : PUF, 2017, p. 353.

50. L’exigence œcuménique, p. 325.

51. L’exigence œcuménique, p. 217.

52. Émile G. Léonard, Le protestant français Paris : PUF, 2e édition, 1955, p. 158.

53. Actes de la Xe Assemblée générale du protestantisme français, Paris, 1961.

54. P. 238.

55. Ibid., p. 274.

56. François Boulet, art. cit., p. 674-675.

57. Suite au décès de Boegner en 1970, la revue du Christianisme social dans son numéro 1-2 de 1971, tint à rappeler diverses facettes de « l’activité publique de témoin du Christ dans la Cité » du pasteur Boegner (ce « politique méconnu » titrait le dossier sur Boegner publié dans ce numéro).

58. Les « mémoires » de W. A. Visser’t Hooft, Le temps du rassemblement, op. cit., montrent particulièrement bien le rôle important, social et politique, joué par les réseaux du « conseil œcuménique en formation » durant la guerre 1939-1945 et les années qui ont suivi. Exemple probant des affinités du mouvement œcuménique avec le christianisme social après celui de la conférence constitutive du « Christianisme pratique » à Stockholm en 1925, conférence marquée par la grande figure de Nathan Söderblom, archevêque luthérien d’Uppsala (1866-1931) qui reçut le prix Nobel de la paix en 1930.

59. L’exigence œcuménique, p. 314.

60. Boegner oppose lui-même ces deux catégories.