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Marc Boegner, une conscience missionnaire à l’épreuve des événements

Jean-François ZORN

IPT – Montpellier

En retraçant le long parcours de Marc Boegner dans le mouvement missionnaire de langue française, cet article jette un regard rétrospectif sur l’histoire internationale du protestantisme français au xxe siècle. Sa présidence du Comité de la Société des Missions Évangéliques de Paris (désormais Mission de Paris) est son engagement le plus souvent cité du fait de sa longévité et de l’autorité qu’il y a exercée, tant à cause de son expérience et de sa notoriété internationale que de son âge : Marc Boegner a été président de 1948 à 1968, « jusqu’à l’extrême limite de ses forces1 », selon le pasteur Charles Bonzon, directeur de la Mission de Paris pendant l’essentiel de sa mandature qui s’achève à l’âge de 87 ans. Mais avant de présider ce Comité où il était entré comme simple membre en 1919, Marc Boegner a été, de 1911 à 1914, professeur de l’École de formation des missionnaires de la Mission de Paris. Puis, durant les années 1920 à 1940 où, pasteur, il occupe de hautes responsabilités dans les institutions ecclésiales et associatives, locales, nationales et internationales, il fournit une double réflexion substantielle : théologique en matière d’œcuménique et de missiologie à travers des conférences annuelles de Carême, et politico-juridique liée à son enseignement à l’Institut de Droit international de La Haye. Aussi, lorsqu’il est nommé président du Comité de la Mission de Paris en 1948, il est en mesure d’affronter les mutations du paradigme de la mission qui passe d’une évangélisation exclusivement hors du monde occidental à une inclusion des Églises nées de cette action dans un mouvement mondial d’évangélisation incluant l’Occident désormais déchristianisé.

La première partie de cet article révèle les sources familiales de la conscience missionnaire du jeune pasteur Boegner, à une époque, le début du xxe siècle, où la Mission de Paris a vu son champ international d’intervention s’élargir considérablement et sa base nationale se moderniser. En deuxième partie, sont retracés les premiers engagements de Marc Boegner à la Mission de Paris, comme professeur de son École puis comme membre de son Comité directeur. Dans la troisième partie, deux contributions de Marc Boegner à la réflexion missionnaire au cours des années 1930 sont présentées, qui font apparaître des liens décisifs entre mission et œcuménisme d’une part, et entre mission et colonisation d’autre part. Enfin, la quatrième partie est consacrée à la présidence du Comité de la Mission de Paris de Marc Boegner qui lui donne l’occasion d’accompagner l’accession à l’autonomie des Églises nées de son œuvre et sa progressive disparition comme Société de mission.

Une fidélité familiale

Deux personnages de la famille de Marc Boegner ont une importance décisive dans l’orientation de son ministère : ses oncles, les pasteurs Tommy Fallot (1844-1904) et Alfred Boegner (1851-1912). Tommy Fallot est le frère de Jenny Fallot (1848-1911), épouse de Paul Boegner (1845-1918), père de Marc, et frère d’Alfred Boegner. Ce ne sont pas seulement les liens du sang qui unissent ces deux hommes à Marc Boegner mais, comme nous allons le montrer, leur rôle déterminant dans l’émergence et le mûrissement de sa conscience missionnaire.

Tommy Fallot : « un maître à penser »

Fallot avait d’abord été pasteur dans l’Église luthérienne de Rothau (1872-1875) puis dans l’Église libre de la Chapelle du Nord de Paris (1876-1889). Pour des raisons de santé, il avait dû quitter la région parisienne en 1889 après des années de labeur au cours desquelles il avait créé et animé des associations préfigurant le mouvement du christianisme social français dont il demeure le premier théoricien : la Ligue française pour le relèvement de la moralité publique et l’Association pour l’étude pratique des questions sociales. Après trois ans de convalescence de 1889 à 1893, il remplit, depuis Crest, des activités de conférencier et de soutien des Églises du Diois, avant d’accepter, en 1895, de devenir pasteur de l’Église réformée concordataire, d’abord à Sainte-Croix puis à Aouste (Drôme) de 1898 à 1904. Tommy Fallot accueille son neveu de juillet 1898 à juillet 1900 dans sa maison familiale de Crest pour ce que Marc Boegner qualifiera dans L’exigence œcuménique2 de « temps d’étude, de recueillement, d’apprentissage de la vie chrétienne et ecclésiale ». Roger Mehl peut ainsi écrire que Fallot fut alors « son véritable père spirituel et son maître à penser qui le restera bien au-delà de sa mort3 ». C’est lui qui conduit le jeune licencié en droit de 21 ans4 à une conversion qui le fait se tourner vers la théologie et le pastorat.

Tommy Fallot décède le 3 septembre 1904, alors que Marc Boegner a terminé ses études à la Faculté de théologie de Paris, mais pas encore soutenu ses diplômes, baccalauréat et licence. Répondant à une double sollicitation, d’abord de son oncle peu de temps avant sa mort de prendre sa suite à Aouste, puis du conseil presbytéral qui lui avait adressé un appel, il s’offre comme pasteur-suffragant de cette paroisse et adresse le 20 septembre 1904 au consistoire de Crest une lettre dans laquelle il expose « les grands principes sur lesquels, je désire, avec l’aide de Dieu, fonder mon ministère au milieu de vous5 ». La référence à celui auquel il souhaite succéder est explicite :

Quant à ce que je souhaite de faire dans l’Église d’Aouste, il me semble, Messieurs, qu’il me suffit de vous dire que j’ai l’ardent désir de poursuivre, dans la mesure de mes forces que Dieu me donnera, l’œuvre entreprise il y a six ans par celui à qui je dois, après Dieu, ma vie et ma pensée religieuses et mon idéal pastoral. M’efforçant dans l’esprit de Monsieur Fallot, de me tenir à l’écart des luttes confessionnelles et ecclésiastiques et d’être, dans ce pays, un homme de paix, j’ai l’ambition de consacrer toute mon énergie à hâter le jour où les germes que M. Fallot a déposés dans les âmes arriveront à maturité et où l’Église d’Aouste sera l’Église vivante selon Dieu dont il a jeté les fondements, un atelier de justice et de miséricorde6.

Retenons ce qui relève plus particulièrement de la mission dans l’œuvre de Fallot que Marc Boegner ne manquera pas de mentionner dans les biographies qu’il lui consacrera : La vie et la pensée de T. Fallot en deux tomes (1914 et 1926) et T. Fallot. L’Homme et l’Œuvre (1931)7. J’ai repris ce sujet dans mon Grand siècle d’une Mission protestante. La Mission de Paris de 1822 à 1914, dans un paragraphe du chapitre intitulé « Les tentatives de démocratisation du mouvement missionnaires entre 1900 et 1914 » en tête desquelles j’ai placé « Les propositions de Tommy Fallot : quand le mouvement du christianisme social vient au secours du mouvement missionnaire8 ». Ces titres suffisamment explicites révèlent l’apport décisif de Tommy Fallot au mouvement missionnaire qui conviendra à Marc Boegner, œcuméniste avant l’heure, car cet apport va permettre que « se développe sur le terrain missionnaire la coopération de toutes les Églises de la Drôme9 ».

Rappelons les grandes lignes de cette action : alors qu’il résidait dans la région parisienne, Tommy Fallot a été, de 1879 à 1888, membre du Comité directeur de la Mission de Paris. Pendant cette période, il s’est montré surtout préoccupé par la question de la mission dans les colonies françaises, spécialement au Sénégal ; nous verrons plus loin qu’elle sera un sujet de désaccord avec Alfred Boegner.

Devenu pasteur à Aouste, Fallot prend la présidence du Comité auxiliaire des missions de la Drôme qui regroupe en association les « amis des missions ». Selon Marc Boegner, Fallot entend que ce Comité serve non seulement la cause de la mission, mais également celle de la pacification et du Réveil des Églises de la Drôme. Or, ces Églises sont divisées entre libéraux et orthodoxes, et traditionnellement, ce sont les orthodoxes, tant de l’Église réformée que de l’Église libre, qui soutiennent la Mission de Paris ; mais depuis la conquête de Madagascar par la France, les libéraux souhaitent s’engager dans la Grande Île notamment en faveur de la formation des pasteurs malgaches. « En passant par les antipodes, écrit Fallot à Ernest Naville, on reviendra ici avec l’intelligence de l’œuvre à accomplir10. » Il s’agit donc de faire en sorte que l’engagement missionnaire permette de surmonter les divisions ecclésiastiques, voire unisse les différentes fractions du protestantisme dans une œuvre commune. Mais Fallot fait un autre constat concernant les liens entre le Comité national de la Mission de Paris et les Comités auxiliaires locaux : ces derniers, jusque-là cooptés et indépendants des Églises, ne sont, de surcroît, pas reliés de manière satisfaisante à celui de Paris. Dans un courrier du 29 novembre 1898, Fallot fait remonter au Comité national les griefs des Comités auxiliaires de Lyon et de la Drôme. Il s’en explique lors d’une rencontre à Paris le 12 décembre11. Sa proposition tient en trois points : réorganiser les Comités auxiliaires avec élection à leur base ; réunir périodiquement des conférences régionales où seraient délégués des membres des divers Comités auxiliaires de chaque région ; réunir une Conférence nationale des Comités auxiliaires dont la première pourrait siéger à Paris, et ultérieurement en province. Sans représenter une synodalisation de la question missionnaire, qui ne sera amorcée qu’un demi-siècle plus tard, cette proposition vise à responsabiliser les Comités auxiliaires locaux afin qu’ils deviennent une force de proposition pour le Comité national. Après de multiples échanges étayés par la publication, le 27 avril 1899, d’une brochure, Pour aider à l’organisation de l’effort missionnaire12, dans laquelle Fallot déploie sa position, la première conférence consultative des Comités auxiliaires de la Mission de Paris est convoquée à Paris les 10 et 11 juillet 1900 en son absence pour raison de santé13. Bien que le principe en ait été agréé par le Comité directeur, Fallot avait pu craindre que l’autorité de cette conférence soit mise en cause, Fallot ayant écrit dans sa brochure que ce qui fait défaut au Comité directeur « c’est le contact avec le peuple protestant » car « des décisions sont prises dans je ne sais quel clair-obscur par une poignée d’hommes très respectables, mais qui s’obstinent à faire prévaloir les idées qui leur sont propres14 ». Néanmoins, Marc Boegner voit « dans les résultats efficaces de la méthode qu’il a préconisée » toute l’expression du zèle de Fallot pour l’organisation de la mission en France. Le moment où toute cette nouvelle organisation se met en place est particulier car l’un des plus proches amis de Fallot, également membre fondateur du christianisme social, le pasteur Paul Minault, envoyé par la Mission de Paris pour épauler les Églises protestantes de Madagascar menacées dans leur existence après la conquête française, avait été assassiné le 21 mai 1897. Fallot avait songé un moment le remplacer, mais sa santé fragile l’avait conduit à renoncer à ce désir15.

Alfred Boegner, une « stature spirituelle »

Les relations de Marc Boegner avec son autre oncle, Alfred Boegner, sont moins intimes et consensuelles qu’avec Fallot, mais tout aussi déterminantes quant à son engagement missionnaire. En évoquant sa personnalité dans L’exigence œcuménique en 1968, Marc Boegner note « les impressions de sainteté » que la « stature spirituelle » de son oncle fit à John R. Mott à l’occasion de la Conférence universelle d’Édimbourg de 191016.

C’est en 1911, lorsque la Mission de Paris, dont Alfred Boegner est alors le directeur, recherche un professeur pour son École de formation des missionnaires, que les relations se nouent entre les deux Boegner. Alfred connaissait de longue date le parcours de Marc, notamment sa formation à la Faculté de théologie de Paris située de l’autre côté du Boulevard Arago17. À cette époque les relations de cette Faculté, « d’inspiration très libérale » (Roger Mehl), avec la Mission de Paris étaient tendues. Plusieurs missionnaires déjà formés en Faculté de théologie n’étaient pas passés par elle, mais par celles de Montauban ou des Églises libres de Suisse romande. Le mémoire de baccalauréat en théologie de Marc Boegner, Les catéchismes de Calvin. Études d’histoire et de catéchétique soutenu le 20 juillet 1905, l’avait, selon L’exigence œcuménique, ramené au réformateur duquel l’École de Paris l’avait éloigné. Mais, sa pensée doctrinale façonnée par le christianisme social puisait à une autre source que le piétisme du pasteur strasbourgeois Franz Haerter dans lequel avait baigné Alfred Boegner en fréquentant le Temple Neuf. Au cours des années 1870, lors de vacances familiales en Alsace, alors que Fallot était pasteur à Rothau, Alfred Boegner avait d’interminables conversations avec lui : « Elles roulaient sur le ministère, sur la prédication. Plus rarement sur la théologie. L’esprit de Tommy est tout entier sur la pratique18. »

Par la suite les deux hommes se sont retrouvés dans le cadre du Comité directeur de la Mission de Paris, où le premier siégeait comme membre et le second comme directeur. Une divergence survint entre eux sur deux sujets, la Mission du Sénégal et la première conférence consultative des Comités auxiliaires. Alors que dans les années 1870, Fallot soutenait la Mission du Sénégal, vingt ans plus tard il souhaite qu’on l’abandonne. Son premier enthousiasme pour cette Mission était motivé par l’action anti-esclavagiste qui s’y menait à partir de Saint-Louis du Sénégal : Walter Taylor, missionnaire sierra-­léonais soutenu par la Mission de Paris, accueillait des réfugiés bambaras du Soudan (actuel Mali) ayant fui leurs maîtres musulmans. Fallot saluait alors une œuvre patriotique et sociale. Mais Boegner voulait que cette Mission ne se cantonne pas à un aspect humanitaire et qu’elle se déploie vers le haut Soudan pour entreprendre l’évangélisation des populations autochtones, islamisées ou non. Ce projet rencontra de grandes difficultés, notamment matérielles et financières. Aussi, dans une correspondance courant 1899 avec Alfred Boegner, relatée par son neveu, Fallot opposa-t-il la conscience et la raison à la foi de Boegner… et emporta l’adhésion du Comité pour l’abandon du projet de mission au Soudan. Boegner y vit une déviation inquiétante, une faute : « Jamais à aucun moment les ressources n’ont précédé les décisions de foi et de courage d’où sont nées les œuvres apostoliques19. » Cet échange se déroulait au moment où se préparait la tenue de la conférence consultative des Comités auxiliaires ; tout en approuvant la brochure de Fallot, Alfred Boegner partageait les craintes du Comité que son autorité soit contestée par les Comités auxiliaires et qu’il perde sa liberté de manœuvre. Maurice Leenhardt, biographe d’Alfred Boegner, résume bien la complexité de la relation entre les deux hommes :

Boegner aimait Fallot autant qu’il le redoutait, car il savait que dans ce sillage du prophète, des esprits moins avertis recueillaient des idées insuffisamment mûries. Ils pouvaient trahir, par des formules fallacieuses, des idées justes en leur fond. Effectivement, à l’endroit de la mission, toute une floraison de projets s’épanouit à l’époque dans les esprits, et Boegner les appréhendait tous20.

Ceci explique probablement qu’en 1911, la candidature de Marc Boegner au poste de professeur de l’École de la Mission de Paris ne soit ni spontanée, ni naturelle… Maurice Leenhardt relate la manière dont sa nomination s’est faite21. À la suite du décès de F. Hermann Krüger, l’École avait nommé en 1900 comme professeur principal Charles Mercier, qui enseignait l’Ancien Testament et l’hébreu. L’enseignement biblique était le cœur de la formation de l’École de la Mission de Paris : non pas l’enseignement de la critique biblique qui selon, Alfred Boegner, s’enferme dans le cercle infernal qui vide le christianisme de son contenu ; mais l’enseignement « du fait chrétien qui, dans sa nature spécifique attache la foi chrétienne à la personne et à l’œuvre de Jésus-Christ22 » selon la ligne de Martin Kaehler, son maître. Lorsqu’en 1911, Mercier est appelé à enseigner à la Môme, la Faculté de théologie de l’Église libre du canton de Vaud à Lausanne, Alfred Boegner « cherche un homme qui maintiendrait la tradition : un professeur qui serait à la fois l’homme de la bible et l’homme de la culture missionnaire. » Parallèlement à ses requêtes auprès de quelques amis pasteurs et professeurs de Faculté, « Boegner passa toute la nuit à prier Dieu, puis au matin, il appela et choisit (11 mai 1911)23. Ce choix se porta sur son neveu Marc Boegner ; néanmoins Alfred Boegner s’assura, dans la lettre d’appel qu’il lui adressa le 3 juillet, qu’il s’inscrivait bien dans la tradition de ses prédécesseurs à l’École de la Mission de Paris. Le 10 juillet, Marc Boegner répond au Comité par une lettre, publiée intégralement dans le Journal des Missions Évangéliques, tout à fait rassurante sur ce point en affirmant ses convictions évangéliques, lesquelles étaient d’ailleurs exigées de tout candidat missionnaire :

Je crois à l’unité vivante de la révélation biblique, s’organisant autour de Celui qui est la parole faite chair. La vision de cette unité n’est accordée qu’aux hommes qui s’efforcent de vivre dans l’obéissance sans réserve à Jésus-Christ. C’est à l’école de Jésus-Christ que le disciple apprend à pratiquer ce que l’on peut appeler la critique spirituelle de la Bible, par laquelle l’organisation de la pensée biblique se révèle à lui, peu à peu, avec sa divine puissance et son incomparable beauté24.

Marc Boegner prend la parole en public lors de la séance de rentrée de la Maison des Missions le 8 novembre 1911 en présence des membres du Comité et des élèves de l’École. Il est précédé par le président du Comité, le pasteur Benjamin Couve, qui le met en scène en mêlant l’aspect familial et professoral de son personnage et en déclarant que

Dieu bénit les enfants à cause des pères, et quelquefois aussi à cause des oncles. Ceux-là même qui ne connaissent pas M. Marc Boegner sont tout prêts à reporter sur lui quelque chose de l’affection que nous avons pour notre directeur. Mais ceux qui le connaissent savent que cette affection pour le neveu est justifiée – et la confiance comme l’affection25.

Mais l’ombre de l’autre oncle, Tommy Fallot, plane sur la séance. Couve le cite comme celui qui a eu une influence décisive sur Marc Boegner, lequel évoque à son tour les expériences décisives de sa vie auprès de son oncle puis développe la thématique biblique de sa lettre du 10 juillet en soulignant que le concours de la science théologique pour l’étude de la Bible reste soumis à la recherche de la vérité morale et spirituelle qu’elle contient, seul fondement de la vie missionnaire26. « C’est dans ce sens, conclut Couve, que s’exercera certainement l’effort de M. Marc Boegner qui se rattache, à travers M. Fallot dont il est le disciple, et M. Dieterlen père, inspirateur de M. Fallot, à cette École biblique wurtembergeoise dont le grand théologien Beck et M. Frédéric Godet ont prolongé l’action27. »

Premiers engagements de Marc Boegner à la Mission de Paris

Professeur à l’École de formation des missionnaires

Dans L’exigence œcuménique, Marc Boegner écrit que sa décision de répondre à l’appel d’Alfred Boegner a été prise au terme de « douloureux combats intérieurs ». Il eut de la peine à quitter sa paroisse d’Aouste à laquelle il était attaché et où il avait connu quelques problèmes de santé28. Début novembre 1911, avec son épouse Jeanne (née Bargeton) et leurs trois enfants, Denyse (née en 1906), Étienne (né en 1908), Philippe (né en 1910), la famille s’installe à la Maison des Missions. Il était convenu qu’après quelques travaux dans son logement, le couple accueillerait à sa table l’année suivante, les élèves missionnaires, au nombre de six, afin de décharger Alfred Boegner et son épouse de cette lourde mais traditionnelle tâche. Le drame du décès subit en chaire à La Rochelle ­d’Alfred Boegner les 25 février 1912 va alourdir le climat à la Maison des Missions : Jean Bianquis, jusque-là secrétaire général, lui succède au poste de directeur et le missionnaire Daniel Couve prend la relève de ce dernier. Le 12 avril, Marc Boegner note dans ses Carnets « qu’il faudrait être un saint pour accomplir cette tâche nouvelle » qui comprend à la fois l’accompagnement spirituel et matériel des candidats missionnaires et leur enseignement, mais il tient à conserver une dimension pastorale à son ministère sachant qu’il n’a pas encore soutenu sa thèse de licence en théologie29.

Comme l’écrit Roger Mehl, « nous sommes peu renseignés sur le contenu de son enseignement, mais nous savons qu’il était responsable des disciplines suivantes : sciences néo-testamentaires, théologie pratique et des branches principales de ce qu’on appellera plus tard la missiologie30 ». À cette époque, l’École dispense encore un enseignement complet de théologie pour les pasteurs-missionnaires, mais un petit nombre des candidats se présentent déjà munis d’une formation théologique acquise en Faculté31. Ces derniers passent quelques mois à l’École des Missions pour y recevoir des enseignements pratiques concernant leur future vie missionnaire et baigner dans l’atmosphère de la « spiritualité missionnaire » chère à Alfred Boegner. Quant aux autres futurs missionnaires, instituteurs, infirmiers, artisans, dont le nombre a considérablement augmenté depuis le début de l’ère coloniale, ils continuent à recevoir l’enseignement complet à l’École et peuvent suivre quelques cours à la Faculté de théologie voisine, malgré les tensions entre les deux établissements ; elles se sont d’ailleurs apaisées, grâce à Raoul Allier à la fois professeur à la Faculté de théologie de Paris et membre influent du Comité directeur de la Mission de Paris. Comme Marc Boegner avait été formé dans cette Faculté, le Comité de la Mission de Paris se devait de rassurer les amis des Missions pouvant encore nourrir quelques craintes sur un changement d’orientation de l’École à la suite de son entrée en fonction. Ainsi le rapport de la Mission de Paris sur la première année d’enseignement de Marc Boegner montre que le problème est réglé, malgré « la prudence des formules employées » (Mehl) :

L’arrivée de M. Marc Boegner a coïncidé avec l’essai d’un régime nouveau à l’École des Missions. Nous avons cru devoir profiter désormais des ressources que nous pouvons trouver, pour l’instruction de nos élèves, tout près de nous, de l’autre côté du boulevard, sans pour autant déplacer l’axe central de notre enseignement, qui garde son originalité et son autonomie. Les résultats de cette expérience ont été, jusqu’ici, très satisfaisants32.

Outre son enseignement et l’accueil des étudiants à son foyer, Marc Boegner doit aussi recevoir des hôtes de prestige de passage à Paris. L’année précédant son arrivée à Paris, s’était tenue du 14 au 23 juin 1910 à Édimbourg, la conférence universelle des Missions anglicanes et protestantes à laquelle Alfred Boegner avait participé et dont il avait été nommé membre du Comité de continuation, responsabilité qu’il ne pourra pas assumer. Dans L’exigence œcuménique, Marc Boegner cite les visites de deux laïcs américains, Joseph H. Oldham, secrétaire du Comité de continuation de la Conférence ­d’Édimbourg, et surtout John R. Mott, initiateur de cette conférence et président dudit Comité. Ces rencontres vont fixer définitivement l’orientation œcuménique de sa pensée et de son action que sa correspondance avec Fallot avait éveillée quelques années auparavant. « Ainsi fus-je conduit à prendre comme sujet de ma seconde thèse de licence en théologie, le problème de l’Unité de l’Église, écrit-il dans ses souvenirs. Comme elle devait être rédigée dans une langue étrangère, je la rédigeai en anglais sous la forme de quarante-six propositions précédées d’une courte introduction et suivie d’une conclusion plus brève encore33. » Le titre de cette « petite thèse de licence » est The Unity Of the Church34, elle est soutenue à la Faculté de théologie de Paris le 3 mars 1914 devant un jury de trois professeurs : Wilfred Monod, professeur de théologie pratique, membre du christianisme social, futur organisateur français de Life and Work, la branche chrétienne sociale du mouvement œcuménique, Jean Monnier, professeur de dogmatique qui avait enseigné à l’École des Missions au début du siècle, et Eugène Ehrhardt, professeur de morale. Boegner commente ainsi la composition de ce jury : « Sur les trois membres du jury, deux au moins, étaient accoutumés à méditer un sujet dont Brent et Gardiner et autres clamaient la gravité et l’urgence aux quatre coins du monde : Jean Monnier et Wilfred Monod, ce dernier étant dans les Églises de France le représentant le plus écouté de l’œcuménisme naissant35. » La soutenance de cette thèse sera suivie, le 6 mars, de celle de la « grande thèse de licence » : La vie et la pensée de T. Fallot. La préparation (1844-1872)36.

Mobilisé et engagé dans l’œcuménisme

La déclaration de guerre met fin à cette première étape du ministère de Marc Boegner à la Mission de Paris, mais, comme il le souligne dans L’exigence œcuménique, si la guerre ralentit sa marche dans la vie œcuménique, elle ne peut l’arrêter37. Mobilisable dans le service auxiliaire du fait de ses problèmes de santé et de ses charges de famille (un quatrième enfant, Jean-Marc est né en 1913), il est bientôt affecté comme adjoint militaire, avec le grade de sergent, du directeur civil de la Maison des soldats aveugles rue de Reuilly à Paris, située juste à côté de la Maisons des Diaconesses protestantes. Il va demeurer à ce poste pendant toute la guerre.

Quant à l’École des Missions, elle est fermée durant l’été de Mobilisation générale et le restera pendant toute la durée de la guerre. Pour Roger Mehl,

Rien n’indique que malgré son attrait pour la vie paroissiale, Marc Boegner n’ait pas eu l’intention de prolonger quelques années encore son ministère d’enseignant. Il était d’ailleurs en pleine recherche intellectuelle préparant ses deux thèses de licence qu’il soutiendra en 1914, quelques semaines avant que n’éclate ce que lui-même appelle « le coup de tonnerre du 2 août 1914 »38.

Mehl ajoute que, « Fort déçu, il se trouvait “haut le pied” […], le nouveau directeur, Jean Bianquis, envisageait une réorganisation de la Maison des Missions sur d’autres bases, qui auraient sans doute mis en question son poste de professeur39 ». Bien qu’elle s’appuie en partie sur L’exigence œcuménique de Marc Boegner, cette explication ne nous paraît pas satisfaisante40. Certes la « Nouvelle École missionnaire » qui rouvre le 1er novembre 1919 est dotée de quelques particularités : elle passe sous la direction du professeur Alexandre Westphal, de tendance plus évangélique que Marc Boegner ; elle est présentée comme « une école professionnelle » jouissant d’une « autonomie relative » vis-à-vis de la Mission de Paris elle-même ; elle offre un plan d’études de trois ans. Mais elle demeure une école dans laquelle l’enseignement théologique complet est toujours subordonné à l’accomplissement de la vocation missionnaire et dont les élèves peuvent encore suivre des cours à la Faculté de théologie voisine41. Marc Boegner aurait donc très bien pu y reprendre son enseignement permanent en 1919, ses relations avec Jean Bianquis, par ailleurs membre du christianisme social, étant bonnes. Ce sont d’autres raisons qui le conduisent à choisir de redevenir pasteur d’une Église locale, ministère auquel il a toujours accordé une grande importance. Mais il conserve une place à la Mission de Paris, avec une simple charge de cours de théologie biblique du Nouveau Testament qu’il assurera jusqu’en 1922, et surtout un siège de membre du Comité directeur.

Pasteur d’une union d’Églises et membre du Comité de la Mission de Paris

Au seuil de l’Après-Guerre, un « changement décisif était intervenu dans ma vie. […] je reçus, de vive-voix […] un appel qui ne laissait pas d’être troublant », écrit Marc Boegner dans L’exigence œcuménique. Cet appel provient de la paroisse de Passy-Annonciation, l’une des huit Églises du Consistoire réformé de Paris. D’une formule lapidaire, il décrit la situation : « Elle était tombée dans un lamentable état de décomposition42. » Ce n’est pas le lieu de relater en détail les causes de cette situation, mais de souligner le défi que cet appel lançait à Boegner au point qu’il peut encore écrire : « À cinquante ans de distance, je crois pouvoir dire que j’ai accompli ainsi l’un des actes d’obéissance les plus vrais de mon ministère pastoral et, plus simplement, de ma foi chrétienne43. »

C’est donc au titre de cette Église, dont il obtient le rattachement à l’Union des Églises réformées de France et dont il demeure pasteur jusqu’en 1953, qu’à l’Assemblée générale de la Mission de Paris du 8 mai 1919, Marc Boegner est nommé membre du Comité directeur. Il s’agit de son second engagement extra-paroissial après celui de membre de la Fédération des Associations Chrétiennes d’Étudiants depuis 1911. En 1934, il est élu vice-président pasteur du Comité directeur aux côtés de Louis Appia, ­d’Onésime Beigbeder et d’Édouard Favre, vice-présidents laïcs, puis président en 1948.

Le premier acte marquant lié à sa présence au Comité est sa conférence inaugurale du Jubilé centenaire de la Société des Missions Évangéliques de Paris le samedi 4 novembre 1922 dans le temple parisien du Saint-Esprit, en présence d’une centaine de délégués des Comités auxiliaires de province, d’une quarantaine de missionnaires en congé et de seize représentants des Sociétés de mission étrangères. Son sujet, « Ce que la Société des Missions a donné à nos Églises », est bien dans l’axe de ses préoccupations : souligner l’effet unitaire de la Mission de Paris sur les Églises sur le plan tant politique qu’ecclésiastique44.

D’entrée de jeu, en rappelant les circonstances de la création de Mission de Paris, Marc Boegner souligne ses origines internationales – « n’en déplaise à quelques-uns ! » – :

La Société des Missions Évangéliques de Paris est le résultat, non seulement de l’influence vivifiante exercée sur le protestantisme français par des chrétiens d’Églises et de Sociétés de missions étrangères, mais dès la première heure, elle a appelé à collaborer ensemble des chrétiens de nationalités diverses45.

Boegner affirme reconnaître là « une grâce nouvelle » du fait que l’apostolat dont la Mission de Paris est porteuse n’est pas lié aux nouvelles conquêtes coloniales nourries par « les préoccupations mesquines d’un nationalisme étroit, ni, à plus forte raison, des arrière-pensées de service politique ou économique », mais « à la grâce que Dieu nous a accordée en appelant nos Églises à l’apostolat pour le seul amour de Jésus-Christ et des hommes46 ».

Il reviendra par la suite – on l’évoquera plus loin – sur la question des relations entre mission et colonisation. Mais dans les circonstances du centenaire de la Mission de Paris, il se plaît surtout à rappeler que, si « ses fondateurs appartenaient à plusieurs nations, ils représentaient également diverses églises de la Réforme, et ce seul fait a assuré à nos Églises une des grâces les plus grandes que Dieu ait accordées au cours du xixe siècle ». Près d’un demi-siècle plus tard, dans L’exigence œcuménique, Marc Boegner reviendra sur ce fait avec la terminologie du mouvement œcuménique :

La dimension œcuménique de la Société des Missions évangéliques de Paris s’impose à quiconque s’informe de son œuvre et surtout la regarde agir. Ses origines ont été œcuméniques. Elle n’est pas née d’une décision des Églises protestantes de France, mais en dehors des Églises, de la prière et de la foi de quelques chrétiens évangéliques, Français et Suisses, de dénominations ecclésiastiques différentes. Dès le premier jour de son existence, en 1822, elle a été internationale et interconfessionnelle, et n’a jamais admis que ce double caractère pût être remis en question47.

Pour l’heure, et pour la première fois de manière aussi explicite, Marc Boegner se met à la suite de son oncle Alfred :

Et, malgré le nom que je porte, comment ne nommerais-je pas Alfred Boegner, ce noble chevalier de Jésus-Christ, dont les paroles ailées ont si souvent entraîné nos âmes « dans la région lumineuse où, selon sa propre expression, la foi discerne, dans la clarté des cimes, les œuvres à faire, les pensées de Dieu à réaliser »48.

Et de citer « la prière qui jaillit de son âme sacerdotale » qui concluait un sermon retentissant sur le verset 11 du chapitre 8 de la 2e Épître aux Corinthiens : « L’œuvre que vous avez commencée, achevez-là maintenant ! », donné en l’Église du Saint-Esprit fin 1904 lors de la clôture de l’exercice financier de l’année. Marc Boegner conclut sa conférence par un appel qui oriente désormais sa vie non seulement au service de la Mission de Paris, mais également de Conseils d’Églises et d’institutions qu’il va présider en France et dans le monde : « Ah, mes frères, avoir vu, dans les âmes rayonnantes de sainteté et d’amour, de pareilles ambitions chrétiennes, une si complète réponse aux exigences et aux appels de Dieu, quelle grâce, à laquelle il conviendrait que nous fussions plus fidèles49 ! »

Deux liens décisifs : mission et œcuménisme – mission et colonisation

Un engagement œcuménique et missionnaire confirmé

L’intervention de Marc Boegner au Jubilé centenaire de la Mission de Paris est le fait institutionnel le plus marquant de son engagement missionnaire durant les années 1920-1930. Désormais, c’est aux deux autres mouvements œcuméniques naissants, Life and Work (christianisme social) et Faith and Order (Foi et Constitution) lors de leurs conférences fondatrices, respectivement à Stockholm en 1925 et à Lausanne en 1927, qu’il va consacrer ses efforts avant de revenir aux affaires missionnaires quand il sera nommé vice-président du Comité de la Mission de Paris en 1939, puis président en 1948. Marc Boegner sera l’un des délégués français de la FPF à la conférence de Stockholm et de l’Église réformée de France (ERF) à celle de Lausanne. Ces représentations se pérennisent, lors des réunions suivantes qui aboutissent en 1938 à un organisme commun chargé de créer le Conseil œcuménique des Églises (COE) qui voit le jour en 194850. Pour autant, Marc Boegner n’oublie jamais de rappeler, spécialement lors des conférences annuelles de Carême en l’Église de Passy débutées en 1928, que la mission est un mouvement de type œcuménique, né avant les deux autres, lors de la Conférence universelle des Missions d’Édimbourg en 1910, suivie de conférences désormais décennales : 1928 à Jérusalem, 1938 à Madras (Inde), 1947 à Whitby (Canada), 1952 à Willingen (Allemagne), 1958 à Accra (Ghana). Il ne fera cependant jamais partie de la délégation française à ces conférences missionnaires, celles-ci étant réservées soit aux missionnaires soit aux directeurs des Sociétés missionnaires.

Les conférences de Carême sont des contributions plus intellectuelles qu’institutionnelles à la promotion de l’œcuménique et de la missiologie, ces deux disciplines nouvelles dans le champ de la théologie et de l’histoire51. Tel est le cas de la série de six conférences données et publiées en 1931, intitulées Qu’est-ce que l’Église ?52. Tommy Fallot, auteur en 1896 de Qu’est-ce qu’une Église ? – un ouvrage au titre voisin primé par la Faculté de théologie de Montauban – est salué dès la première ligne de l’Avant-propos comme celui qui a donné une nouvelle orientation à la pensée protestante et l’espoir que « la chrétienté évangélique retrouverait la foi à la réalité de l’Église ». Espoir concrétisé, continue Boegner, par la Conférence œcuménique de Lausanne qui a initié de nombreuses études consacrées à la doctrine de l’Église53. Le ton est donné. Mais c’est dans l’avant-dernière conférence, « L’Église militante » que Marc Boegner désigne les missionnaires comme le corps de « la grande armée par laquelle l’Église s’affirme militante au sein des peuples non chrétiens ». Et il ajoute : « Toutefois, l’Église n’est pas seulement militante au loin, en face du paganisme et de l’Islam. Elle est militante auprès partout où Dieu l’appelle, selon la parole du Christ à soumettre les démons (Luc, 10, 20)54. » Transition toute trouvée pour citer la Conférence missionnaire de Jérusalem tenue du 24 mars au 8 avril 1928 sur le thème « Le message de l’Église dans sa mission pour le monde » qui a relevé avec force que la principale caractéristique du monde contemporain commune aux pays d’Asie et d’Afrique autant qu’aux pays occidentaux était « sa sécularisation ou son laïcisme55 ». Aussi Boegner est-il conduit à se demander « ce que doit être l’apologétique de l’Église militante dans un monde déchristianisé ». Après avoir écarté les vieilles apologétiques qui ont desservi la vérité, il conclut, citant Hendrik Kraemer qui sera le théologien phare de la Conférence missionnaire suivante à Madras en 1938, que l’Église militante présentera la vérité chrétienne « comme attendue et réclamée du dedans, et non pas seulement comme s’imposant du dehors56 », ce qui est une réponse à peine voilée à la théologie dialectique qui s’affirmait alors face à une théologie naissante du dialogue avec les cultures et les religions. Mais, pour que l’Église militante soit en mesure d’« accomplir sa tâche apostolique et missionnaire, [elle] est acculée à l’examen d’un autre problème qui domine aujourd’hui tous les autres : le problème de l’unité chrétienne57 ». C’est le thème de la dernière conférence de la série, « Le chemin de l’Unité ». Après avoir rappelé les schismes du passé et les efforts pour les dépasser, Boegner indique que c’est au xxe siècle, sur

les champs lointains de la mission en terre païenne, et, très particulièrement dans l’Inde, en Chine et au Japon, [que] les missionnaires envoyés par des sociétés de mission, aussi diverses par leurs « dénominations » que les Églises qui les avaient fondées, constataient avec une évidence de plus en plus contraignante que leurs divisions, trop souvent aussi leur concurrence, étaient un scandale pour les païens venus au christianisme malgré ces divisions58.

Et de citer la conférence missionnaire d’Édimbourg de 1910 où ce scandale des divisions avait été dénoncé par les rares délégués non occidentaux présents, Chinois et Indiens.

[Elle] restera, j’en ai la certitude, dans l’histoire du protestantisme, comme le moment où les tendances à la séparation et au morcellement marquèrent leur épuisement, et où s’affirmèrent, avec vigueur qui, depuis lors, ne fit que croître, la conviction que l’unité du corps du Christ devait se manifester, non seulement dans les nouvelles Églises nées du labeur apostolique de la chrétienté évangélique, mais dans l’ensemble du monde chrétien59.

À partir de là, Marc Boegner déroule le cheminement des débuts de l’œcuménisme non romain, initié à Édimbourg 1910, confirmé à Lausanne 1927. Après avoir rattaché ces efforts unitaires à la pensée de saint Paul, dédouané la Réforme de l’accusation d’avoir provoqué la division d’avec l’Église de Rome et d’avoir justifié la distinction entre Église invisible et Église visible en prônant la première au détriment de la seconde, il définit ce qu’il entend par unité de l’Église : non pas l’uniformité imposée par une autorité, ni l’union des Églises procédant de négociations, mais

une catholicité évangélique se [constituant] non pas comme un bloc s’opposant à un autre bloc, mais dans une union spirituelle toujours plus étroite avec l’Église orthodoxe, comme une force de vérité et d’amour au service du seul berger qui se servira d’elle pour hâter le jour où il n’y aura plus qu’un seul troupeau60.

Ainsi était tracé, dès le début des années 1930, le chemin d’œcuménicité lié à la mission dans lequel Marc Boegner allait s’engager et occuper de plus en plus de hautes fonctions. Revenant sur ce parcours au soir de sa vie, il relie explicitement les « trois voies distinctes » sur lesquelles s’avance le mouvement œcuménique du xxe siècle inspiré par la Conférence universelle des Missions de 1910 :

Le Conseil international des Missions […] s’était fermement attaché à sa tâche d’étude, de coordination, d’organisation moins anarchique, plus cohérente, des missions chrétiennes non romaines […]. Le Comité de continuation de Stockholm, fondé sur le terrain pratique et social défini par le message de la Conférence, s’efforçait d’obtenir que toutes les Églises non romaines acceptent, comme une obligation, de mettre à l’étude […] les documents essentiels de la Conférence […]. Enfin le Comité de continuation de Lausanne, se déclarant assuré qu’il n’y aurait jamais de véritable Unité de l’Église en dehors d’une communion dans la foi et de l’acceptation d’une doctrine commune du ministère, cherchait à orienter les confessions chrétiennes vers l’examen […] des problèmes à propos desquels leurs divergences s’affirmaient. Ces voies, à coup sûr très diverses, s’écarteraient-elles au cours des années à venir ? Se rapprocheraient-elles au contraire au point de se découvrir irrésistiblement conduites à se réunir ? La dernière et définitive réponse sera donnée, en 1961, à New Delhi, par la troisième Assemblée générale du Conseil œcuménique des Églises61.

C’est en effet au cours de cette Assemblée générale du COE, la troisième depuis sa création en 1948, que le Conseil international des Missions (International Missionary Council), jusque-là indépendant, y est intégré en devenant l’une de ses Commissions, pour la Mission et l’Évangélisation, aux côtés des deux autres : Christianisme pratique (Life and Work) et Foi et Constitution (Faith and Order). Dans la logique de cette intégration, cette Assemblée accueille comme membres du COE onze Églises d’Afrique, de Madagascar et du Pacifique, dont celles issues de la Mission de Paris proclamées autonomes quelques années auparavant souvent en présence de Marc Boegner, devenu président de son Comité.

Mission et colonisation

C’est à la compétence juridique de Marc Boegner, licencié en droit, qu’il convient de rattacher sa contribution sur la question des relations entre mission et colonisation, sujet sensible qu’il enseigne en 1929 à l’Institut de Droit international de La Haye62 – où, en 1923, il avait été nommé professeur –, sous le titre « Les Missions protestantes et le Droit international ». Le premier numéro de la revue Le Monde non chrétien en donne quelques extraits intitulés « Missions et gouvernements. De l’Acte de Berlin au Traité de Versailles63 ».

Il s’agit des traités internationaux courant depuis le début de la conquête coloniale territoriale validée par l’Acte général de la Conférence africaine de Berlin (26 février 1885) jusqu’aux conférences de paix de 1919 qui mettent fin à la Première Guerre mondiale. L’Acte de Berlin a ouvert une nouvelle page du droit international en créant une « obligation des Puissances signataires d’assurer, dans les territoires occupés par elles sur les côtes du continent africain, l’existence d’une autorité suffisante pour faire respecter les droits acquis et, le cas échéant, la liberté du commerce et du transit dans les conditions où elle serait stipulée » (article 35)64. Mais à l’article 6 de l’Acte, cité par Marc Boegner, précisant les « Dispositions relatives à la protection des indigènes, des missionnaires et des voyageurs, ainsi qu’à la liberté religieuse », il est écrit :

Les missionnaires chrétiens, les savants, les explorateurs, leurs escortes, avoirs et collections, seront également l’objet d’une protection spéciale. La liberté de conscience et la tolérance religieuse sont expressément garanties aux indigènes comme aux nationaux et aux étrangers. Le libre et public exercice de tous les cultes, le droit d’ériger des édifices religieux et d’organiser des missions appartenant à tous les cultes ne seront soumis à aucune restriction ni entrave65.

Marc Boegner ne trouve rien à redire de ces dispositions ; au contraire, il estime qu’elles ont permis de rappeler à l’ordre certaines nations coloniales ne respectant pas la liberté religieuse dans les territoires nouvellement conquis soit en favorisant une confession liée à leur nation soit en manifestant des « convictions antireligieuses » hostiles aux Missions catholique et protestante comme ce fut le cas du gouvernement français à Madagascar en 1895. Mais surtout il se préoccupe du sort des Sociétés de mission protestantes allemandes (Mission baptiste de Berlin) et alémanique (Mission de Bâle) expulsées du Cameroun au début de la Première Guerre mondiale, qui risquent de faire les frais des dispositions de l’article 297 du traité de Versailles réservant aux puissances alliées et associées « le droit de retenir et de liquider tous les biens, droits et intérêts appartenant […] à des ressortissants allemands ou à des Sociétés contrôlées par eux sur leur territoires, dans leurs colonies, possessions et pays de protectorat, y compris les territoires qui leur ont été cédés en vertu du présent Traité66 ».

Et d’expliquer par le détail les démarches de Nathan Soederblöm – l’archevêque luthérien d’Upsal, initiateur du mouvement Life and Work – à destination de la Conférence de la Paix de Paris organisée par les vainqueurs de la Première Guerre mondiale entre janvier et août 1919, afin qu’elle trouve un accord particulier n’affaiblissant pas l’œuvre des Sociétés de mission protestantes allemandes. Le 12 juin 1919, à la suite d’une réclamation de Mgr Bonaventura Ceretti envoyé du Saint-Siège à la Conférence de Paix, qui exigeait que les biens des Missions catholiques soient remis à la Congrégation de la Propagande qui en confiera la gestion à telle ou telle Congrégation de Missions catholiques, la Conférence finit par retenir la proposition du président américain Woodrow Wilson : « Je suis d’avis de déclarer que l’acte instituant le mandat sur chacune des colonies allemandes contiendra une clause spéciale stipulant que les propriétés des missions devront être mises entre les mains de missions de même confession67. » Deux jours plus tard, l’article 438 du traité de Versailles est adopté dans ces termes :

Les puissances alliées et associées conviennent que, lorsque des missions religieuses chrétiennes étaient entretenues par des sociétés ou par des personnes allemandes sur des territoires leur appartenant ou confiés à leur gouvernement en conformité du présent traité, les propriétés de ces missions ou sociétés de missions, y compris les propriétés des sociétés de commerce dont les profits sont affectés à l’entretien des missions, devront continuer à recevoir une affectation de mission. À l’effet d’assurer la bonne exécution de cet engagement, les Gouvernements alliés et associés remettront lesdites propriétés à des conseils d’administration, nommés ou approuvés par les Gouvernements et composés de personnes ayant les croyances religieuses de la mission dont la propriété est en question.

Les Gouvernements alliés et associés, en continuant d’exercer plein contrôle en ce qui concerne les personnes par lesquelles ces missions sont dirigées, sauvegarderont les intérêts de ces missions.

L’Allemagne, donnant acte des engagements qui précèdent, déclare agréer tous arrangements passés ou à passer par les Gouvernements alliés et associés intéressés pour l’accomplissement de l’œuvre desdites missions ou sociétés de commerce et se désiste de toutes réclamations à leur égard68.

Pacifiste s’inscrivant dans le courant « la paix par le droit », Marc Boegner approuve cet article qui sauvegarde l’internationalisme missionnaire auquel il tient, mais il présente les difficultés de son application notamment en ce qui concerne la relève des Missions allemande et alémanique du Cameroun par la Mission de Paris. Néanmoins, il conclut positivement sa démonstration, après avoir encore évoqué l’article 22 du Covenant établissant la Société des Nations qui « renferme en ce qui concerne la liberté religieuse des stipulations d’une grande portée » et le traité de Saint-Germain-en-Laye du 10 septembre 1919 qui étend les dispositions de l’Article 438 du traité de Versailles à l’Autriche69 : « Il semble donc que nous soyons devant un régime de liberté complète, qui promet aux missions […] le droit garanti par la grande majorité des puissances, d’exercer leur apostolat sous la protection des traités internationaux ayant une autorité et une solennité particulières70. »

Comment qualifier la position de Marc Boegner sur cette question coloniale constamment corrélée à celle des relations entre mission et colonisation ? Roger Mehl passe sur la question comme chat sur braise en commentant laconiquement son enseignement de 1929 à l’Institut de Droit international de La Haye71, préférant sans doute revenir sur la question lorsque, devenu président du Comité de la Mission de Paris, Marc Boegner sera confronté à la question de la décolonisation. En revanche, dans Protestantisme et colonisation, l’historien Frédéric Fabre, prend la question à bras le corps et classe Marc Boegner, aux côtés de Maurice Leenhardt, parmi les protestants des années 1920-1930 qui adhèrent à un « colonialisme humaniste72 ». Fabre s’appuie sur l’une des conférences de Carême de Marc Boegner de 1932, intitulée « L’Église et la colonisation » publiée dans L’Église et les questions du temps présent73.

Dans la conclusion de cet ouvrage, paru un an après l’Exposition coloniale de Vincennes, Marc Boegner salue le geste du maréchal Lyautey qui, visitant le Pavillon des Missions protestantes le 15 novembre 1931, « abaissa son bâton de commandement devant la Croix des Missions74 ». Il y voit un geste de reconnaissance du travail des missionnaires ce qui le conduit à établir un rapport positif entre la mission et la colonisation à l’époque contemporaine. Se référant à l’enseignement permanent de l’Église qui « appelle les races humaines à prendre conscience de leur solidarité et de leur devoir réciproque75 », Boegner estime que

du point de vue où nous nous plaçons en ce moment, la mission chrétienne apparaît comme une action réparatrice. Ce que des Blancs détruisent par leurs méthodes brutales, par leur cupidité, par leur alcool, par leur débauche, d’autres Blancs cherchent à le réparer par leur amour, par leur désintéressement, par leurs sociétés de tempérance, par le rayonnement de pureté qui émane de leur vie ou de la vie de leur foyer. Au nom de Jésus-Christ, les missionnaires qu’envoie l’Église sont d’infatigables réparateurs de brèches faites dans l’âme indigène et dans la vie des sociétés indigènes par le contact brutal avec la civilisation matérielle, amorale ou immorale, des peuples qui les colonisent76.

Dans l’esprit de Boegner, la mission n’a pas à se substituer à la colonisation, mais elle peut et doit « amener les peuples colonisateurs à se rendre compte de leur immense responsabilité, et à prendre conscience de la fin véritable de l’action colonisatrice et des méthodes seules efficaces par quoi cette fin doit être poursuivie77 ». La colonisation contemporaine peut donc demeurer une œuvre de civilisation de la France républicaine et laïque dans l’Outre-mer, si la mission chrétienne y joue son rôle de sentinelle, car « il ne s’agit pas de fermer les yeux à ce qui subsiste encore de vestiges hideux d’un régime désormais condamné, ni d’admirer béatement tout ce qui se fait », mais

ce qu’elles ont affirmé par leur présence, ce que nos Missions ont, en tout cas, entendu signifier, c’est leur volonté de collaborer, par leur action religieuse, morale, scolaire, avec tous ceux, gouverneurs, administrateurs, soldats et colons, qui, comprenant le devoir colonial comme on le comprend aujourd’hui, s’efforce de préparer, au sein des sociétés indigènes, les transformations qui les rendront capables, un jour d’assumer elles-mêmes la responsabilité de leur vie spirituelle, intellectuelle, économique et politique78.

Ces déclarations témoignent d’un incontestable optimisme vis-à-vis de l’œuvre coloniale contemporaine, dès lors qu’elle se montre capable de dépasser les erreurs du passé et d’être aussi « avantageuse aux populations indigènes qu’à ceux qui les colonisent79 ».

La preuve de cette compréhension partagée des bienfaits de la colonisation n’arrivera jamais. Entre-temps émerge un contre-pouvoir autochtone dans les colonies, avec lequel colons et missionnaires avaient déjà eu maille à partir avant la Première Guerre mondiale et qui se généralise après la Seconde.

Marc Boegner en fait l’amère expérience lors de son voyage à Madagascar de juillet à septembre 1947, alors que l’insurrection qui a éclaté dans le pays quelques mois auparavant vient d’être matée par le gouvernement français. C’est le premier voyage dans un pays de mission pour celui qui, vice-­président du Comité de la Mission de Paris depuis 1934, le présidait de fait depuis 193980.

Le voyage de Marc Boegner à Madagascar en 1947 : le baptême du feu

Survenue au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, dans un pays colonisé par la France depuis un demi-siècle, l’insurrection malgache de mars-avril 1947 est exemplaire d’un mouvement autochotone inspiré d’idées politiques indépendantistes mûries dans l’entre-deux-guerres, religieuses autonomistes puisées dans le protestantisme présent à Madagascar depuis cent trente ans et dans la religion traditionnelle malgache81. Accusés d’être les instigateurs de cette insurrection qui provoque la mort de près de 30 000 Malgaches82, 2 250 militaires et 200 civils Européens, les leaders du Mouvement Démocratique de la Rénovation Malgache (MDRM) dont certains sont députés de l’Assemblée constituante française, sont condamnés à mort ou aux travaux forcés avant d’être graciés en 1949 et amnistiés en 1956.

Visite de Marc Boegner, son épouse et André Roux (à sa gauche) au Collège Benjamin Escande d’Ambositra (Madagascar) en présence des enseignants locaux et missionnaires, en juillet 1947 (source Défap – archives Smep)

Dans le protestantisme français, le premier groupe d’opinion à réagir aux événements de 1947 est le monde missionnaire : il se trouve en première ligne, puisque l’insurrection a démarré dans la ville de Moramanga, à égale distance de Tamatave et de Tananarive, au cœur d’une région de la côte est où la Mission de Paris – nommée à Madagascar Mission Protestante Française (MPF) – est très implantée. Assez rapidement, pendant les événements, des informations confidentielles arrivent à la direction de la Mission de Paris et aux familles des missionnaires, mais l’information publique vient plus tard, et indirectement. Les premiers bilans font état de 325 Églises détruites et l’École pastorale ­d’Ambatomanga, fleuron de la formation des pasteurs, a été pillée et incendiée.

Lors de sa séance du 9 juillet 1947, le Comité directeur de la Mission de Paris décide qu’une délégation se rendra dans le pays du 15 juillet au 15 septembre83. Elle sera composée de Marc Boegner, au double titre de la Mission de Paris et de la FPF, de son épouse et du pasteur André Roux, sous-directeur et responsable de la formation des missionnaires. Roux, doté d’une bonne plume, fournira régulièrement un article pour Le Christianisme au xxe siècle84. La pointe de son propos est que la révolte a pu avoir lieu parce que l’évangélisation en profondeur des populations n’a pas atteint ses objectifs, que la mission elle-même a failli à éradiquer le paganisme qui renaît sous une forme politico-religieuse nouvelle : le nationalisme.

Tous [les Malgaches], écrit-il dans l’article du 28 août, n’ont sans doute pas compris au début où les menaient les dirigeants du MDRM, mais il est trop évident que, pour certains des membres de nos Églises, comme de ceux du dehors, le « racisme » malgache a été un poison redoutable. Nous avons trop vu en Europe les dégâts du racisme pour ne pas le condamner, où qu’il se manifeste, mais nous devons en même temps chercher à éclairer ceux qui ont été ainsi égarés. Le Christ seul peut être leur lumière et leur paix.

Bien que partagé par les missionnaires, ce point de vue ne constitue pas encore la position officielle du protestantisme français sur les événements de 1947. Elle viendra de Marc Boegner dans deux interviews, l’une au journal Réforme, le 27 septembre 1947, soit quelques jours après le retour en France de la délégation et une séance exceptionnelle du Comité de la Mission de Paris, l’autre au Figaro du 22 octobre85. Boegner commence ses interviews en assurant le lectorat des deux journaux que le rétablissement de l’ordre est assuré mais que le problème politique et le problème moral sont loin d’être réglés. Dans Réforme, il dit n’être pas qualifié pour examiner le premier, mais dans le Figaro il s’avance sur ce terrain. Le « complot malgache » visait rien de moins que d’assassiner tous les Européens, administrateurs, colons, missionnaires sans parler des Malgaches de nationalité française. Même si l’entreprise a en grande partie échoué, la confiance entre étrangers et Malgaches est brisée et il faudra beaucoup de temps pour rétablir un climat favorable. Quant aux remèdes à apporter, Boegner fait part de son trouble car il a constaté qu’administrateurs et colons se rejettent réciproquement la responsabilité des événements : « J’avoue avoir éprouvé une étrange stupeur en rencontrant des Blancs qui m’ont paru revenir d’un autre monde » (Le Figaro), ces derniers « donnant souvent l’impression d’ignorer qu’un monde nouveau est né dans les souffrances et les détresses de la dernière guerre » (Réforme). Boegner entre alors sur le terrain politique et se livre à un impitoyable réquisitoire contre « les erreurs funestes de l’Administration » (Réforme) pendant et juste après la Deuxième Guerre mondiale : du recul des troupes françaises devant les Britanniques en passant par le maintien du travail forcé malgré la charte de San Francisco et le préambule de la Constitution française, Boegner estime qu’« un sens inné de la justice a été froissé chez les Malgaches. L’Office du riz a exaspéré le mécontentement de la masse, et l’interdiction du travail forcé n’a pas effacé l’amertume ressentie. Le retour de France ou d’Afrique du Nord des tirailleurs malgaches démobilisés, aigris par l’existence ballotée, souvent misérable, qu’en dépit de toute promesse de rapatriement rapide, ils avaient menée plus de cinq ans en France, a été un autre facteur de troubles. Nombreux étaient ceux qui avaient vu de près le maquis et rapportaient des armes » (Réforme). C’est tout cela qui a nourri « les espérances les plus folles » selon lui des candidats aux élections législatives successives du MDRM encouragés par « le grand souffle d’indépendance venu d’Indonésie et du monde arabe » (Réforme).

Boegner conclut ce point en espérant que le procès des leaders de l’insurrection qui s’ouvre projettera une lumière complète sur les raisons assez obscures du complot et surtout permettra que les Malgaches n’aient aucun doute sur « la volonté de la France de tenir les engagements qu’elle a pris devant le monde entier ». Il ne précise pas lesquels dans Réforme, mais dans Le Figaro il cite la Charte des Nations-Unies de San Francisco que « d’aucuns murmurent, je le sais, lance-t-il, qu’elle n’est, après tout, qu’un chiffon de papier comme tant d’autres ». Et il lance : « S’étonnera-t-on qu’il m’ait apparu indispensable de déclarer que la grande majorité des Français ne sont pas d’humeur à voir la France renier sa signature, que ce soit à Madagascar ou ailleurs ? »

Interrogé par Réforme sur une prétendue responsabilité des Missions protestantes dans la rébellion, Boegner estime qu’il s’agit d’« une pure invention en vérité » mais qu’il a voulu en avoir le cœur net. Il a reçu, écrit-il, « les assurances les plus péremptoires […] quant au loyalisme des missionnaires protestants étrangers », supposant qu’il n’est pas nécessaire de parler des missionnaires protestants français… Il ne nie pas que des catéchistes et des pasteurs relevant de plusieurs missions protestantes auraient appartenu au MDRM et participé à des réunions secrètes86. S’ils sont coupables, la justice les punira, mais Boegner rappelle, d’une part, que jusqu’aux lendemains des massacres le MDRM était légal et, d’autre part, que l’un des leaders du mouvement est un ancien séminariste. Personne ne songe néanmoins à rendre les Missions catholiques responsables.

Quant au problème qu’il juge « le plus complexe et le plus délicat » de la constitution d’une Église protestante unie malgache, Boegner estime que tel est bien le but à atteindre. Mais « les Malgaches demandent davantage, écrit-il ; ils veulent une Église protestante malgache, dont les missionnaires ne soient plus, pour un temps plus ou moins long, que les conseillers ecclésiastiques et scolaires ». Il note encore que

chez certains d’entre eux, une tendance à voir dans le christianisme l’accomplissement d’un sentiment religieux ancestral est aisément discernable. Et si l’on veut qu’il y ait un jour, comme il se doit, une véritable Église de Jésus-Christ à Madagascar, il convient d’aider les chrétiens malgaches d’aujourd’hui à éviter le risque redoutable d’une Église qui soit un moyen pour le peuple d’atteindre à ses fins nationales.

On retrouve dans ces déclarations le thème cher à Marc Boegner de l’unité de l’Église, mais il découvre que le nationalisme malgache pourrait avoir des effets aussi néfastes sur la nature de cette unité que le nationalisme des Chrétiens allemands, les Deutsche Christen, sur l’Église évangélique allemande, mouvement qu’il a combattu pendant la Deuxième Guerre mondiale. Cette analogie entre les deux types de nationalisme, conforté par le fait que s’y mêlent des deux côtés des formes de paganisme et de racisme (André Roux), est sans doute discutable d’un point de vue historique. Elle n’en demeure pas moins un point de vue désormais partagé parmi les missionnaires de cette époque, qui souhaitent que les Églises auxquelles la mission a donné naissance s’acheminent vers une autonomie sans rupture avec le siège parisien. Telle sera la tâche essentielle que va accomplir à la Mission de Paris, « le président Boegner ».

Marc Boegner « aux affaires », président du Comité de la Mission de Paris

Vers une synodalisation de la Mission de Paris

Marc Boegner réserve sa première intervention comme président de la Mission de Paris à la XXXIIIe Conférence consultative des Comités auxiliaires tenue dans la Chapelle de la Maison des Missions les 20 et 21 avril 194887. Ce rassemblement lui rappelle que c’est son « maître à penser » Tommy Fallot qui avait initié ce type de réunion en 1900 pour donner à la base métropolitaine de la mission une première forme de légitimité représentative. Comme pasteur et président également des Conseils de la FPF et de l’ERF, il souhaite donner un caractère encore plus ecclésial à cette légitimité. C’est ainsi que les 12 et 13 octobre, il réunit les présidents des Comités auxiliaires de France et de Suisse pour leur soumettre le projet des nouveaux statuts de la Mission de Paris, dans lesquels son Comité est désormais responsable de sa gestion devant une assemblée générale annuelle qui le nomme88. Celui-ci reste souverain à l’égard des Églises qui le soutiennent pour assurer, tant à Paris que sur les champs de mission, la marche de la Société, mais cette réforme est un pas décisif vers une synodalisation de la Société qui aboutira lorsque les Comités auxiliaires seront nommés exclusivement par les instances ecclésiales et deviendront alors des Commissions synodales89.

Ces importantes informations paraissent sous la signature du directeur de la Mission de Paris Émile Schloesing lors du rapport annuel de la nouvelle Assemblée générale des 3 et 4 mai 1949 introduite par le président Boegner. C’est aussi la XXXIVe et dernière Conférence consultative des Comités auxiliaires, devenant l’Assemblée générale de la Mission de Paris90. Désormais, dans ce nouveau rituel de direction les questions d’organisation sont exprimées au nom du Comité directeur sans qu’il soit toujours possible de savoir précisément ce qui relève du président, du directeur ou d’un quelconque membre du Comité. Le pasteur Charles Bonzon, qui succède à Émile Schloesing à la direction de la Mission de Paris en janvier 1951, décrit dans un article nécrologique le fonctionnement de ce « merveilleux président » que fut pour lui Marc Boegner à la gauche duquel il a siégé pendant près de vingt ans :

Avant d’entrer dans le vif des questions à l’ordre du jour, les nouvelles des membres du Comité, des missionnaires, des amis, étaient apportées […]. Venait ensuite l’examen de la situation financière […]. [Puis] venait celle des problèmes nombreux posés à l’action des missionnaires. C’était, bien sûr, pour Marc Boegner présidant un débat, une règle immuable que de ne pas donner son avis le premier. À tous les participants il laissait liberté entière de s’exprimer, se réservant pourtant de limiter le débat selon les exigences de l’ordre du jour, et après s’être tourné sur sa gauche, avec ces mots : « Qu’en pense notre directeur ? », il concluait, sachant avec une maîtrise étonnante préciser la ligne à suivre en tenant compte des avis exprimés […]. Qu’en tout ceci, Marc Boegner se soit montré le meilleur des présidents n’a plus besoin d’être redit. Mais il fut en même temps, car en définitive les deux tâches ne se distinguaient pas pour lui, le meilleur des pasteurs. Et ceci […] se révéla non seulement dans son action auprès des missionnaires mais aussi auprès des membres de la Direction de la Société91.

Ce témoignage aux allures hagiographiques recèle néanmoins une véritable sincérité et vient corroborer ceux concernant les autres présidences de Marc Boegner qui illustrent son « humble grandeur » dont Roger Mehl a fait le sous-titre de sa biographie92.

La situation financière à laquelle la nouvelle équipe de direction de la Mission de Paris doit faire face au début des années 1950 est d’une gravité exceptionnelle car la clôture de l’exercice financier 1949 accuse un déficit record de plus de 58 millions de francs sur un budget annuel de 125 millions. Une Assemblée générale extraordinaire est convoquée les 17-18 janvier 1950 ouverte par un vigoureux discours de Marc Boegner pour alerter les représentants des Comités auxiliaires de la gravité de la situation et envisager les solutions pour en sortir93 ; il sera suivi d’une lettre non moins vigoureuse du 9 mars 1950 et allant dans le même sens, aux Présidents des cinquante-sept Comités auxiliaires de France et six de Suisse soutenant la Mission de Paris94. Le discours de janvier commence par démentir deux rumeurs qui courent dans le protestantisme français : « le chiffre anormal des dépenses » et « la gestion financière défectueuse de la Société ». En guise de réponse, Marc Boegner se contente de couvrir les responsables des finances du passé et du présent, notamment l’actuel trésorier, le banquier Jean Courvoisier. Il poursuit avec une mise en cause globale du protestantisme français : « Nous sommes nombreux ici à être convaincus que le budget de toutes nos Églises, de toutes nos grandes œuvres pourrait, du point de vue matériel être couvert avec la plus grande aisance par le protestantisme français, s’il n’y avait pas un obstacle spirituel à ce qu’il répondit aux appels des Églises et des grandes œuvres de nos Églises95. » Manifestement l’« élan libérateur » espéré à la suite de la réforme des statuts de la Mission de Paris n’a pas eu lieu, ce qui dément la conviction de Marc Boegner selon laquelle l’union de la Mission et de l’Église offre un bénéfice à l’une et à l’autre… Après avoir évoqué les deux grandes crises à la Mission de Paris surmontées grâce à la confiance, à la suite la Révolution de 1848 et de la Première Guerre mondiale, alors que dans le premier cas elle ne disposait que d’un champ de mission (le Lesotho) et que dans le second elle en héritait d’un nouveau (le Cameroun), il réaffirme sa double conviction :

Si nous voulons que cette assemblée réponde à l’intention qui l’a déterminée, et qu’au terme de ses travaux, les uns et les autres, nous puissions retourner à nos tâches particulières non pas certes en nous disant que les difficultés sont vaincues ou que les obstacles sont enlevés, mais que véritablement il y a dans le Protestantisme français, dans le Protestantisme de langue française, des hommes et des femmes, des pasteurs et des laïcs qui savent plus que jamais que l’Église et la Mission sont indissolublement liées l’une à l’autre, ne permettront pas à l’œuvre apostolique du Protestantisme de langue française de fléchir, car immédiatement la vie de nos Églises subirait un fléchissement, et les conséquences spirituelles en seraient redoutables96.

Il n’est pas certain que cette argumentation, pourtant plusieurs fois et de longue date développée dans les discours du président, provoque l’effet escompté car il lui manque une analyse de l’état de l’opinion du fameux « protestantisme de langue française » face aux mutations de la mission qui se dessinent. Cette analyse viendra plus tard, après que la Mission de Paris aura assaini sa situation en décidant de réduire ses dépenses générales de plus de 20 millions dès 1951 et reçu deux aides exceptionnelles, du Conseil international des Missions (21 millions) et d’une Société américaine de Missions, le Board of International Missions of the Evangelical and Reformed Church (15 millions)97. On peut assimiler ces deux aides à l’effort de « reconstruction » de la France après la Deuxième Guerre mondiale, mais elles laissent entière la question de la baisse des ressources internes de l’œuvre missionnaire.

Entretien de Marc Boegner avec le chef bamileke Nono, lors d’une visite au Cameroun en mai 1955 (source Défap – archives Smep)

Son explication, absente des discours d’ouverture des Assemblées générales de 1949 à 1952, sera esquissée dans celui de l’Assemblée des 27 et 28 octobre 1953, alors que Marc Boegner a eu l’occasion de visiter en 1952 les champs de mission du Lesotho, du Zambèze98 et de Madagascar et en 1953 celui de Nouvelle-Calédonie99. Outre qu’elles lui ont permis de rencontrer certains des acteurs de la mission outre-mer, ces visites ont manifestement donné à Marc Boegner l’occasion de préciser son analyse de l’opinion protestante française sur les questions missionnaires. Il évoque le « grand privilège qu’il a eu d’avoir vu de très près les missionnaires de certains de nos champs », mais c’est pour mieux exposer à l’Assemblée générale « leur sentiment d’isolement et de solitude et leur tentation de découragement devant la contradiction qui existe entre les immenses besoins des champs dont ils sont les témoins et qu’ils souffrent de ne pas voir satisfaits, et les possibilités spirituelles de nos Églises100 ». Marc Boegner reprend donc son leitmotiv de la situation spirituelle du protestantisme français, mais, cette fois-ci, avec des termes plus forts encore : « misères » « pauvretés », « avarice » « apathie ». Il est cependant bien obligé de s’expliquer sur ce jugement de valeur. Il constate, d’abord, non sans une certaine amertume, que non seulement « la masse des fidèles demeure indifférente à la grande œuvre des Missions. Je dirai même plus : elle n’est pas seulement indifférente, elle est impatiente en entendant les appels qui lui sont adressés […] quand nous venons parler, plaider la cause de Jésus-Christ “dans les régions païennes” nous suscitons des impatiences, et parfois même des mécontentements101. » Qu’est-ce qui nourrit ce triptyque indifférence-impatience-mécontentement ? Le fait que certains disent « que c’est en France, en face de tous les efforts démoniaques (le paganisme de l’Occident déchristianisé) qui se manifestent dans le monde, que nous devons utiliser, nous, Églises Protestantes de France, nos hommes et nos ressources. Ne regardez pas au loin, mais voyez tous les besoins qui s’affirment en France102 ! »

Il s’agit d’un vieil argument anti-missionnaire entendu depuis la création de la Mission de Paris mais qui se réactualise selon l’air du temps. À l’heure où Boegner s’exprime, on a affaire à une opinion portée, au-delà des cercles religieux, par la presse populaire en Europe (le magazine Paris Match, par exemple). Elle alimente deux formes opposées d’anticolonialisme en France : l’un, de droite, le « cartiérisme » qui prône « la Corrèze avant le Zambèze103 », et l’autre, de gauche, qui dénonce l’acculturation que la mission provoque parmi les populations non européennes en dérangeant, voire déstructurant leur culture.

Sans citer ces références et tout en accueillant la problématique de la mission en France, Boegner la rejette en tant qu’alternative à la mission outre-mer :

Oui, certes nous avons une tâche redoutable dans l’évangélisation de notre peuple […]. Mais, dire que nous devons, nous Français, ne nous occuper que de la France, quelle erreur, quel manque de sagesse ! Aucune Église n’a le droit de ne pas s’ouvrir aux responsabilités de l’Église de Jésus-Christ et toute Église doit prendre sa part de l’œuvre apostolique confiée à son Église par Jésus-Christ, le Seigneur. Il y a là […] pour les Églises de France ce grand devoir de rendre témoignage devant notre patrie que nous sommes de ceux qui savent regarder au-delà des frontières de leur nation et qui portent dans leurs prières, dans leur sympathie, dans leur tendresse aussi par leur générosité, quelquefois par leurs sacrifices, cet immense et primordial devoir d’aller jusqu’aux extrémités du monde104.

Il n’est pas exagéré de dire que ce propos résume la pensée missionnaire de Marc Boegner car depuis qu’il est associé au mouvement missionnaire, il n’a cessé d’expliquer que Mission et Église sont de même nature et que mission intérieure et mission extérieure sont également de même nature et ne peuvent être opposées au nom d’arguments fallacieux, tant il est vrai que celles et ceux qui opposent les deux dimensions de la mission ne s’occupent souvent ni de l’une ni de l’autre…

Lors de l’Assemblée générale de 1954, Marc Boegner a achevé son mandat de co-président du COE lors de son Assemblée générale à Evanston, même s’il garde des responsabilités lui permettant de préparer l’Assemblée suivante (New-Delhi 1961) au cours de laquelle les Églises de la Mission de Paris ayant accédé à l’autonomie en deviennent membres.

Vers l’achèvement de l’œuvre de la Mission de Paris

C’est au cours de l’Assemblée générale des 21-22 octobre 1958 que Marc Boegner reçoit pour la première fois un représentant d’une Église d’Afrique née du travail de la Mission de Paris, le pasteur Paul Jocky, président de l’Église évangélique du Cameroun. Le 10 mars 1957, cette Église avait reçu des mains du pasteur Charles Westphal, vice-président de la Mission de Paris et de la FPF, lors d’un culte solennel en l’Église du Centenaire de Douala dont il assure la prédication, la déclaration d’autonomie de l’Église Évangélique du Cameroun et de l’Union des Églises Baptistes du Cameroun à l’égard de la Société des Missions Évangéliques de Paris105. Le processus d’autonomie consiste dans le transfert de la totalité des responsabilités ecclésiales en grande partie assurées par la Conférence missionnaire dissoute aux instances synodales de l’Église désormais souveraine sur le territoire. Après avoir fait se lever le « cher frère Jocky pour que tout le monde le voie » et rappelé l’événement de la déclaration d’autonomie « d’une jeune Église, fille spirituelle pour une grande part de notre Société et du labeur de nos missionnaires », Marc Boegner explique le processus par lequel, lors d’une session du Comité central du COE à Nyborg au Danemark en août 1958, cette Église avait été admise comme membre du COE, et de conclure :

Il y a là un fait considérable et, pour tous ceux qui participent depuis de longues années aux travaux du COE, c’est une joie de voir, les unes après les autres, d’année en année, de jeunes Églises d’Asie et d’Afrique venir rejoindre dans le Conseil œcuménique les vieilles Églises d’Europe et des États-Unis106.

Ce rituel se reproduit à deux reprises, lors des Assemblées générales de 1960 et 1961 : la première, qui reçoit les pasteurs Jean Kotto, secrétaire général des deux Églises du Cameroun déjà citées, Jean-Baptiste Ralambomahay, président de l’Église évangélique de Madagascar, Eilfrief Kpotsra, secrétaire général de l’Église évangélique du Togo et Elia Thidjine, secrétaire général de l’Église Évangélique en Nouvelle-Calédonie et aux Îles Loyauté ; la seconde, avec les pasteurs Basile Ndong-Amvame, président de l’Église Évangélique du Gabon, Mukanza Ngula président de l’Église du Bulozi (Zambèze), Paul Mbende, président de l’Union des Églises baptistes du Cameroun ; toutes ces Églises, à l’exception de celle du Zambèze, avaient déjà reçu leur déclaration d’autonomie dans les mêmes conditions que celles du Cameroun.

Marc Boegner écoutant le pasteur Jean-Baptiste Ralambomahay, président de l’Église évangélique de Madagascar, au siège de la Mission de Paris en décembre 1960 (source Défap – archives Smep)

Cette solennisation de l’accueil des représentants des Églises prend une forme institutionnelle inédite lors de l’Assemblée générale extraordinaire des 28 et 29 juin 1968, la dernière présidée par Marc Boegner : une profonde réforme des structures de la Mission de Paris y est adoptée dans laquelle un nouveau Comité directeur de trente-deux membres est élu intégrant cinq membres des Églises de Suisse romande et cinq membres des Églises d’Afrique de Madagascar et du Pacifique. Il s’agit d’un Comité provisoire chargé de préparer une réforme plus fondamentale encore, devant aboutir à un nouvel organisme capable d’assurer toutes les responsabilités de mission et d’entraide que les Églises concernées d’Europe et d’outre-mer voudront bien lui confier. Marc Boegner, qui ne connaîtra pas cette ultime mutation, conduisant à la disparition de la Mission de Paris comme Société de mission et à sa transformation en une Communauté d’Églises en mission, jette un dernier regard en arrière sur l’action de la Mission de Paris en déclarant :

Je tiens à le redire […] nous ne pouvons pas ne pas penser avec gratitude à tout ce que nos Églises ont reçu par elle. Car en définitive, si nos Églises ne se sont pas, à certains moments, enfermées dans je ne sais quel ghetto ecclésiastique, si elles n’ont pas cédé à la tentation de se replier sur elles-mêmes, c’est en grande partie à la Société des Missions qu’elles le doivent.

Puis, évoquant les assemblées générales de jadis « pendant lesquelles on entendait chaque année un très beau rapport d’Alfred Boegner, mais où personne ne prenait la parole, où il n’y avait aucune délibération, et où on entérinait en silence les décisions du Comité des Missions entièrement coopté alors », il conclut : « Quel chemin parcouru ! Et maintenant nous nous trouvons devant une nouvelle étape, qui doit être franchie parce les Églises les estiment inéluctables107 ».

Un dernier moment symbolique de ces mutations à venir impliquant Marc Boegner doit être évoqué ici. Il se déroule lors de l’Assemblée générale de la Mission de Paris des 3 et 4 novembre 1964. Dans sa conférence, le pasteur Jean Kotto lance un appel en faveur d’une action missionnaire commune des Églises de langue française, d’Europe, d’Afrique, de Madagascar et du Pacifique :

Noirs et Blancs, Malgaches et Polynésiens iront ensemble main dans la main, comme envoyés de l’action missionnaire des Églises francophones, porter le message de salut à ceux qui ne le connaissent pas encore et à ceux qui risquent d’être ballottés et emportés par le vent des opinions non-chrétiennes.

Après avoir affirmé que c’est le Seigneur lui-même, par la puissance de son Saint-Esprit, qui rassemblera lesdites Églises en « une communauté nouvelle intercontinentale, supranationale et supraraciale » pour cette action missionnaire commune, Kotto se tourne vers Marc Bœgner et, dans un tutoiement tout à fait inhabituel, lui lance, citant le prophète Ésaïe : « Monsieur le Président, élargis l’espace de ta tente, déploie les couvertures de ta demeure, car tu te répandras à droite et à gauche, et ta postérité envahira les nations. Ne crains pas, car tu ne seras pas confondu » (Ésaïe 54, 1-4)108.

Ce projet ne pouvait que ravir Marc Boegner qui affectionnait particulièrement Kotto. Il s’inspire d’orientations données lors de la Conférence mondiale de la Commission pour la mission et l’évangélisation du COE à laquelle Kotto a participé, à Mexico en décembre 1963, sur le thème « En mission dans les six continents ». La IVe section de cette Conférence intitulée « Le témoignage de l’Église au-delà des frontières nationales et confessionnelles » avait demandé aux Églises, Sociétés de mission et Comités missionnaires de « préparer les moyens qui rendront l’action missionnaire internationale, interraciale et interconfessionnelle109 ».

Lors de son Assemblée générale des 6, 7, 8 novembre 1965, la Mission de Paris décide de lancer sans tarder cette action commune dans « une région non encore évangélisée ». En octobre 1965, lors de la première séance d’une Consultation des dirigeants des Églises d’Afrique-Madagascar-Pacifique et de la Mission de Paris à Douala, la notion d’Action Apostolique Commune (AAC) est adoptée. Ce projet est repris dans son principe l’année suivante par les Églises d’Europe, dont l’ERF qui l’approuve au cours de son synode national de mai 1966. Une deuxième séance de la Consultation réunie en juin 1966 à Lomé, propose, après que l’Église méthodiste du Dahomey a donné son accord, que la première AAC permanente ait lieu dans ce pays, dans la région Fon, désignée comme « une forteresse du paganisme en Afrique110 ». Une seconde AAC sera décidée, en France cette fois-ci, par la Consultation le 10 mars 1969. Elle débutera dans le Poitou un an plus tard, car à la « forteresse du paganisme » de la région Fon, il fallait que la « terre d’indifférence » de la région poitevine, reçoive également l’Évangile nouvelle manière111.

Au terme d’un parcours ayant permis de retracer les principales étapes de l’engagement de Marc Boegner au service de la Mission de Paris pendant près de soixante-dix ans, évoquons pour conclure le voyage qu’il accomplit du 30 août au 6 septembre 1963 en Polynésie française à l’occasion de la proclamation de l’autonomie de l’Église Évangélique de Polynésie Française. Dans cette France du bout du monde, Marc Boegner donne toute la dimension de son personnage public : pasteur, président d’institutions d’Église, intellectuel et homme de culture, doté d’une stature politique112.

Si le rituel central de la proclamation de l’autonomie de l’Église est connu et se reproduit à Tahiti pour la sixième fois, dans cet Établissement Français d’Outre-Mer, il prend une dimension politique incontestable à côté de sa dimension spirituelle.

Le 30 août, Marc Boegner prononce la clôture du Conseil supérieur de l’Église qui sera présidé par le pasteur Samuel Rapooto une fois la déclaration d’autonomie prononcée113. Le 1er septembre, une cérémonie se déroule dans le temple historique Siloama à Paofai-Papeete ponctuée de discours en présence des autorités suivantes : Aimé Grimald, gouverneur de la Polynésie Française, flanqué de son secrétaire général et de quelques autres fonctionnaires ; Nedo Salmon, représentant l’Assemblée territoriale ; le Père Hubert Coppenrath, vicaire de la cathédrale de l’Église catholique ; le professeur Henri Clavier, doyen de la Faculté de théologie de Strasbourg, historien spécialiste de Thomas Arbousset, missionnaire pionnier à Tahiti de 1863 à 1865 ; les missionnaires André Junod, Daniel Mauer et Philippe de Vargas, le pasteur Henri Mercier représentant les Églises de Suisse romande, les pasteurs Ioleu Tapeni et Elia Thidjine, représentant respectivement les Églises de Samoa et de Nouvelle-Calédonie, les pasteurs tahitiens Koringo a Poo et Tapao Haamenu.

Le service commence par la lecture de la déclaration d’autonomie de l’Église par le président Marc Boegner, suivie d’un commentaire où il précise le cadre spirituel de cette autonomie destinée à conjurer le nationalisme autochtone toujours redouté114 :

Il ne s’agit pas qu’une Église autonome s’imagine jamais qu’elle est l’unique maîtresse de sa vie et de son destin. Autonomes comme vous l’êtes désormais vis-à-vis de la Société des missions évangéliques de Paris qui a été votre mère pendant un siècle après la Société des missions de Londres, vous êtes plus que jamais sous l’autorité souveraine de la Parole de Dieu et sous la souveraineté souveraine de notre Seigneur Jésus-Christ115.

Le pasteur Samuel Raapoto répond en soulignant qu’autonomie ne signifie pas séparation en usant de la métaphore de la construction d’une maison dont les missionnaires ont été l’échafaudage aujourd’hui retiré mais dont les poutres maîtresses vont désormais servir à maintenir l’édifice. Et dans un esprit consensuel il conclut : « À partir de ce jour, vous êtes des nôtres, vous entrez dans la maison, vous ne faites qu’un avec elle116. »

Après les discours du pasteur Ioleu Tapeni et du professeur Henri Clavier, le gouverneur Aimé Grimald prend la parole. Il salue Marc Boegner, « Président de la Société des missions évangélique de Paris, membre de l’Académie française, personnalité éminente dont le nom et le rayonnement moral ont depuis longtemps débordé l’univers français et l’univers du protestantisme » et ajoute que « la présence en Polynésie de ce grand ministre français de l’Évangile honore chacun d’entre nous ». Puis, au nom du gouvernement du territoire, il rend hommage à l’œuvre des missionnaires « qui ont su apporter aux populations polynésiennes, avec la lumière de l’Évangile, le progrès, et concourir à leur élévation intellectuelle et sociale aux côtés d’autres confessions religieuses animées par le même idéal ». Il mentionne notamment « Édouard Ahnne (1867-1945) directeur de l’École Viénot [qui] répondit un des premiers à l’appel du général de Gaulle et fut un des vrais artisans du ralliement du territoire à la France combattante le 2 septembre117 ». Il termine en formulant des vœux pour que les nouveaux responsables de l’Église poursuivent l’œuvre de leurs prédécesseurs depuis un siècle sur les plans spirituel, social et national et les assure du soutien du gouvernement du territoire.

Marc Boegner répond longuement à l’assemblée, mais d’abord au gouverneur. Premièrement il remercie « le détenteur de l’autorité de la France dans les territoires » de, non seulement, « respecter les valeurs spirituelles, mais de leur offrir avec un accueil toujours bienveillant à ceux qui sont appelés à les incarner, le concours dont elles peuvent avoir besoin pour poursuivre l’exercice de leur vocation dans la plénitude de la liberté reconnue par les lois ». Puis il affirme « un accord profond, parfait » qu’en tant président de la FPF il a toujours trouvé, tant jadis vis-à-vis du président protestant Gaston Doumergue, ce « huguenot des Cévennes », qu’aujourd’hui du Général de Gaulle qui « exerce le pouvoir suprême », sur les vocations respectives de l’État et de l’Église. Aussi lance-t-il que « parfois les responsables de l’État n’ont pas conscience ou oublient que l’une et l’autre des vocations, viennent de Dieu comme n’ont jamais cessé de l’affirmer les théologiens chrétiens depuis les premiers siècles de l’Église ».

Pourquoi, et en de telles circonstances ? Pour rappeler à l’assemblée et au gouverneur que, si État et Église ont à respecter la vocation de l’autre, « l’Église a non seulement le droit mais le devoir, dans maintes circonstances, de rappeler à César qu’il a, lui-aussi, une vocation qu’il tient de Dieu. C’est une vocation de justice et de paix. » Pour appuyer sa conviction, il use d’un argument d’autorité personnelle que l’hommage du gouverneur à son égard l’autorise sans doute à utiliser, en rappelant

la charge [qu’il a eu] de rappeler à certains égards et à certaines heures poignantes à l’État, à ceux qui incarnaient alors l’État, la vocation à laquelle il fallait qu’il fût fidèle. Et les uns et les autres, nous avons connu ici ou là dans le monde le péril qu’il pût y avoir pour l’Église à rappeler à l’État sa vocation118.

Nul doute qu’en s’exprimant de la sorte à Papeete en 1963, alors que le pays connaît de fortes mutations économiques et sociales et un afflux de population extérieure à la suite de l’inauguration de l’aéroport international de Tahiti-Faaa en 1961, suivie de l’installation du Centre d’Expérimentation (nucléaire) du Pacifique dont les travaux ont commencé quelques mois avant son arrivée, Marc Boegner sait que l’Église dont il proclame l’autonomie aura à faire face, dans un avenir proche, à d’immenses défis. C’est pourquoi, dans d’ultimes paroles au cours de cette journée du 1er septembre, mémorable pour lui, il sera encore parvenu à rappeler publiquement l’entrée récente de l’Église Évangélique de Polynésie Française au COE à travers ces paroles :

Vous êtes donc un des membres de cette grande famille répandue dans le monde entier, et qui a la volonté de porter chacune devant son propre peuple le témoignage courageux de sa foi en Jésus-Christ. C’est la confirmation de cette parole : « Vous êtes la lumière du monde ».

Message final qui devait raisonner tant aux oreilles des responsables de l’Église que de celles des représentants du gouvernement tel un « À bon entendeur, salut ! »

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1. Charles Bonzon, « Marc Boegner et la Société des Missions Évangéliques de Paris », Journal des Missions Évangéliques (désormais JME), mai-juin 1971, 146e année, p. 106.

2. Marc Boegner, L’exigence œcuménique. Souvenirs et perspectives, Paris : Albin Michel, 1968, p. 12.

3. Roger Mehl, Le Pasteur Marc Boegner. Une humble grandeur, Paris : Plon, 1987, p. 17.

4. Marc Boegner a en effet commencé ses études supérieures par le droit à la Faculté de droit de Paris où il obtient le grade de licencié en 1901.

5. Pierre Bolle désigne cette lettre comme « La première confession de foi de Marc Boegner ». Il la présente dans la revue Études théologiques et religieuses 56 (1981), p. 529-537.

6. Art. cit., p. 534.

7. Le premier ouvrage, La vie et la pensée de T. Fallot. La préparation (1844-1872) publié en 1914 chez Berger-Levrault a fait l’objet de la thèse de licence en théologie de Marc Boegner à la Faculté de théologie de Paris soutenue le 6 mars 1914 ; le second, L’achèvement (1872-1904), publié en 1926 chez Berger-Levrault, a fait l’objet de sa thèse de doctorat soutenue le 11 mai de la même année dans la même Faculté. L’ouvrage, T. Fallot. L’Homme et l’Œuvre publié en 1931 aux éditions Je Sers, n’est pas, selon son auteur, « un nouveau livre », mais une réponse aux pressantes demandes de lecteurs du fait que le premier tome du premier ouvrage était à peu près épuisé quand paraissait le second.

8. Jean-François Zorn, Le grand siècle d’une Mission protestante. La Mission de Paris de 1822 à 1914, Paris : Karthala, 2012, p. 665-672.

9. T. Fallot. L’Homme et l’Œuvre, op. cit., p. 202.

10. Lettre à Ernest Naville, 2 mai 1896, citée par Marc Boegner, op. cit., p. 202.

11. Lettre de Tommy Fallot à Jean Bianquis (secrétaire général de la Mission de Paris) en date du 29 novembre 1898, Archives Défap, Registre « Lettres reçues de l’intérieur en 1898 » ; Séance du Comité directeur de la Mission de Paris du 15 décembre 1898 ; Archives Défap, Registre des procès-verbaux, n° 15.

12. Valence : Ducros, 1899.

13. Nous avons relaté dans le détail le cheminement qui a conduit à cette institutionnalisation de la Conférence consultative des Comités auxiliaires dans Le grand siècle d’une Mission protestante, p. 668-674.

14. Tommy Fallot, Pour aider, p. 30.

15. M. Boegner, T. Fallot…, op. cit., p. 202.

16. M. Boegner, L’exigence œcuménique, p. 24.

17. Le siège de la Mission de Paris dont le bâtiment avait été édifié en 1887, est situé au 102 Boulevard Arago, celui de la Faculté de théologie au 83 depuis son ouverture en 1878. Sur la question des tensions entre les deux établissements voir J.-F. Zorn, Le grand siècle d’une Mission protestante, p. 617-632.

18. Propos d’Alfred Boegner rapporté par Maurice Leenhardt, Alfred Boegner (1851-1912) d’après son journal intime et sa correspondance, Paris : SMEP, 1919, p. 52.

19. Échange rapporté par Marc Boegner, La vie et la pensée de T. Fallot. L’achèvement (1872-1904), p. 367.

20. M. Leenhardt, op. cit., p. 343-344.

21. Ibid., p. 382-384.

22. A. Boegner, « Le professeur Martin Kaehler de Halle et la question théologique actuelle », Revue Chrétienne 15 (1902), p. 23.

23. M. Leenhardt, op. cit., p. 383.

24. Lettre de Marc Boegner au Comité de la Mission de Paris, reproduite dans le JME, « Un nouveau professeur à la Maison des Missions », août 1911, 86e année, 1911-2, p. 87.

25. « La rentrée de la Maison des Missions », Allocution de M. B. Couve, Président, JME, 1911-2, 86e année, p. 395.

26. Ibid., Allocution de M. Marc Boegner, p. 397-400.

27. Ibid., Allocution de M. Alfred Boegner, p. 400-401.

28. M. Boegner, L’exigence œcuménique, p. 29.

29. Propos rapportés par R. Mehl, Le Pasteur Marc Boegner, p. 51-52.

30. Ibid., p. 53.

31. Voir notre histogramme de la formation des pasteurs-missionnaires. Pendant la période d’enseignement de Marc Boegner, sur onze pasteurs-missionnaires, seuls trois ont été formés dans une Faculté de théologie : Le grand siècle d’une Mission protestante, p. 625.

32. 87e Rapport de la Société des Missions Évangéliques de Paris, décembre 1912, cité par R. Mehl, Le Pasteur Marc Boegner, p. 52.

33. M. Boegner, L’exigence œcuménique, p. 29.

34. Alençon : Coueslant, 1914.

35. M. Boegner, L’exigence œcuménique, p. 30.

36. Paris : Berger-Levrault, 1914. Cf. supra, note 5.

37. M. Boegner, L’exigence œcuménique, p. 31.

38. R. Mehl, Le Pasteur Marc Boegner, p. 56.

39. Ibid., p. 57.

40. M. Boegner, L’exigence œcuménique, p. 39.

41. Cf. Alexandre Westphal (dir.), l’École missionnaire d’après-guerre 1919-1828, Fontenay-aux-Roses : Imp. Louis Bellenand et fils, 1928.

42. M. Boegner, L’exigence œcuménique, p. 39.

43. Ibid., p. 40.

44. M. Boegner, « Ce que la Société des Missions a donné à nos Églises », dans Jubilé Centenaire de la Société des Missions Évangéliques de Paris, Paris, SMEP, 1923, p. 20-29.

45. Ibid., p. 22.

46. Ibid., p. 23.

47. M. Boegner, L’exigence œcuménique, p. 226.

48. M. Boegner, « Ce que la Société des Missions a donné à nos Églises », art. cit., p. 27.

49. Ibid., p. 28.

50. Marc Boegner est délégué aux réunions suivantes :

Fanø (Danemark) du 24 au 30 août 1934, rencontre convoquée par Life and Work, pour préparer la conférence de 1937 sur le thème « L’Église, la nation et l’État » à l’heure où l’Allemagne bascule dans le nazisme. Le Comité de continuation ayant décidé d’inviter des représentants de l’Église confessante d’Allemagne, Hitler interdira aux ressortissants du pays de participer aux 2e conférences des deux mouvements œcuméniques.

Oxford (Angleterre) du 12 au 26 juillet 1937, 2e conférence de Life and Work.

Édimbourg (Écosse) du 3 au 18 août 1937, 2e conférence de Faith and Order sur le thème « L’Église dans le plan de Dieu ».

Utrecht (Pays-Bas) du 9 au 18 mai 1938, réunion destinée à jeter les bases du Conseil œcuménique des Églises (COE). Un groupe de quatorze personnes préfigurant l’organisation du futur COE est constitué, Marc Boegner est désigné comme l’un des vice-présidents aux côtés de John Mott et du métropolite Germanos Strenopoulos.

51. On trouve une utile présentation de l’activité de conférencier de M. Boegner dans R. Mehl, Le pasteur Marc Boegner, p. 92-97.

52. M. Boegner, Qu’est-ce que l’Église  ?, Paris : Je Sers, 1931.

53. Ibid., p. IX.

54. Ibid., p. 147.

55. Ibid., p. 151.

56. Ibid., p. 164, citant Hendrik Kraemer, « Christianity and Secularism », International Review of Missions, t. 19, avril 1930, p. 203.

57. Ibid., p. 168.

58. Ibid., p. 174.

59. Ibid., p. 178.

60. Ibid., p. 201.

61. M. Boegner, L’exigence œcuménique, p. 51.

62. Dans le cadre de cet Institut, Marc Boegner avait donné en 1926 une série de cours sur « L’influence de la Réforme sur le droit international » publiés aux éditions Hachette en 1926.

63. Le Monde non chrétien (Première série comme Cahiers de Foi et Vie), n° 1, 1930, p. 59-78. Maurice Leenhardt en est le rédacteur entouré d’un comité de rédaction composé de Marc Boegner, Élie Allégret, directeur de la Mission de Paris et Pierre Maury, directeur de la revue Foi et Vie. Le cours sur « Les Missions protestantes et le Droit international » avait été publié en 1929 aux éditions Hachette. Leenhardt, lui-même auteur de Initiation des missions étrangères en colonie française, Privas, 1935, fera plusieurs fois allusion à cette étude dans sa revue Les Propos Missionnaires, n° 42, juin 1934, p. 8 et n° 48, juin 1935, p. 84.

64. On peut trouver le texte intégral de l’Acte général de la Conférence africaine de Berlin sur internet, par exemple sur la Digithèque de l’Université de Perpignan : <www.mjp.univ-perp.fr>traites>1885Berlin>

65. Article 6 de l’Acte général cité par M. Boegner, art. cit., p. 60.

66. Cité dans ibid., p. 68.

67. Cité dans ibid., p. 71-72.

68. Cité dans ibid., p. 72.

69. Dans le traité de Saint-Germain-en-Laye, l’article 438 du traité de Versailles devient l’article 376.

70. Art. cit., p. 78.

71. R. Mehl, Le Pasteur Marc Boegner, p. 214.

72. Frédéric Fabre, Protestantisme et colonisation. L’évolution du discours de la mission protestante française au xxe siècle, Paris : Karthala, 2011, notamment le chapitre II de la première partie intitulé : « L’adhésion à un colonialisme humaniste », p. 23 à 42.

73. Paris : Je Sers 1932.

74. Ibid., p. 218. Ce Pavillon avait bénéficié d’une souscription lancée par la FPF dont Marc Boegner est devenu président en 1929. Il avait été érigé par La Société des Missions évangéliques de Paris, la Société d’évangélisation des colonies françaises, les Œuvres protestantes de Syrie et du Liban, les Unions chrétiennes de jeunes gens et jeunes filles, les Éclaireurs unionistes.

75. Ibid., p. 205.

76. Ibid., p. 206.

77. Ibid., p. 208.

78. Ibid., p. 215.

79. Ibid., p. 210.

80. Le pasteur Charles Merle d’Aubigné, président en exercice, n’étant plus en mesure d’exercer ses fonctions pour des raisons de santé. Marc Boegner accepte d’être nommé président par intérim au décès de Charles Merle d’Aubigné le 29 janvier 1948 pour laisser le temps au Comité de trouver quelqu’un d’autre car il avait d’abord refusé s’estimant déjà trop chargé. On lui adjoint le pasteur Albert Dartigue comme vice-président spécialement chargé de l’aider. Cf. JME, janvier-février 1948, 123e année, p. 48. Cet intérim se transforme en définitif comme cela est confirmé dans le compte rendu de la XXXIIIe Conférence consultative des Comités auxiliaires tenue à Paris les 20 et 21 avril 1948. Cf. supra, note 86.

81. Pour plus de détails sur ces événements à Madagascar, voir J.-F. Zorn, « L’insurrection malgache de 1947. Implications et interprétations protestantes », Histoire & Missions Chrétiennes 14 (juin 2010), Paris : Karthala, p. 13-34.

82. Ce chiffre est une estimation probable. Alors que les chiffres officiels de 1949 fournis par Jacques Tronchon, dans son étude de référence, L’Insurrection malgache de 1947. Essai d’interprétation historique, Paris : Maspéro, 19741, et Paris/Antananarivo : Karthala/Ambozotany, 19942, indiquaient 89 000 Malgaches, 1 900 soldats des troupes coloniales, 550 Européens dont 350 militaires tués, des études récentes (Jean Fremigacci et Françoise Raison-Jourde) ramènent le chiffre des morts parmi les Malgaches entre 20 et 30 000, estimant que les chiffres officiels avaient eu comme objectif de terroriser les populations malgaches. Cf. notre étude, p. 20.

83. Séance du Comité directeur de la Mission de Paris du 9 juillet 1947. « Une délégation du Comité des Missions à Madagascar », Le Christianisme au xxe siècle, jeudi 17 juillet 1947.

84. André Roux, « Courrier de Madagascar », Le Christianisme au xxe siècle des 31 juillet, 21 et 28 août 4, 11 et 18 septembre 1947.

85. « Le pasteur Boegner revient de Madagascar », Réforme, 27 septembre 1947. Marc Boegner « L’ordre à Madagascar », Le Figaro, n° 966, 22 octobre 1947. Un large extrait de cette interview a paru dans la revue Foi et Vie, novembre 1947, p. 737-739. Séance exceptionnelle du Comité directeur de la Mission de Paris du 2 octobre 1947. Ce point de vue sera répété le 2 novembre lors d’une conférence au temple de l’Oratoire du Louvre sur le thème : « Les responsabilités et les devoirs du protestantisme à Madagascar », Cf. « Conférence du pasteur Marc Boegner sur Madagascar », Réforme, 13 novembre 1947.

86. La délégation venue de France a est reçue par la conférence de la MPF tenue à Tananarive du 21 au 31 août 1947. À cette occasion est rappelé que le synode de l’Église malgache de 1946 avait invité les pasteurs à s’abstenir de toute activité dans un parti politique.

87. XXXIIIe Conférence consultative des Comités auxiliaires, 20-21 avril 1948, « Allocution de M. Marc Boegner, président du Comité des Missions », JME, mars-avril 1948, 123e année, p. 140-143.

88. Selon l’article 9 des statuts, cette assemblée générale est composée comme suit :

a) de délégués des Églises ou Unions d’Églises, à raison d’un délégué par cent postes de pasteurs ou fraction de cent, la représentation des Églises de Suisse étant assurée par la Commission suisse de la Société ;

b) de délégués des Comités auxiliaires, à raison d’un délégué par Comité auxiliaire ;

c) des membres du Comité ;

d) d’un représentant de l’Alliance protestante des mouvements de jeunesse.

Les membres de la direction, ainsi que les missionnaires en congé invités par le Comité, prennent part à l’Assemblée générale avec voix consultative. Statuts de la Société des Missions Évangéliques chez les peuples non chrétiens établie à Paris, décembre 1949, 116e-124e rapport de l’Assemblée générale des 3 et 4 mai 1949, Paris : SMEP, 1950, p. III-IV.

89. Cette ultime réforme interviendra en 1971, un an après la mort de Marc Boegner ; elle signifiera la fin de la Mission de Paris comme Société de mission.

90. Émile Schloesing, « Rapport du Comité à l’Assemblée générale des 3 et 4 mai 1949 », mai 1949, 124e année, p. 181-184.

91. Charles Bonzon, art. cit., p. 109-110.

92. Voir J.-F. Zorn, « Bonzon Charles Eugène (1905-1994) », dans Patrick Cabanel – André Encrevé (dir.), Dictionnaire biographique des protestants français de 1787 à nos jours, t. I : A-C, Paris : Les Éditions de Paris Max Chaleil, 2015, p. 380. Après avoir été missionnaire à Madagascar de 1936 à 1945, Charles Bonzon est nommé pasteur de l’Église réformée de Passy aux côtés de Marc Boegner. Puis, à la suite de l’insurrection malgache de 1947 et au voyage de la délégation protestante française comprenant Boegner, en 1948 il retourne dans le pays jusque fin 1950 avant d’être nommé directeur de la Mission de Paris le 1er janvier 1951.

93. M. Boegner, « Discours d’ouverture de l’Assemblée générale extraordinaire des 17 et 18 janvier 1950 », Journal des Missions évangéliques, février 1950, 125e année, p. 51-58.

94. M. Boegner, « Lettre adressée par le président de la Société aux Présidents des Comités auxiliaires », Paris le 9 mars 1950, JME, mars 1950, 125e année, p. 136.

95. M. Boegner, « Discours d’ouverture », p. 53.

96. Ibid., p. 58.

97. En 1949, la Mission de Paris comptait 185 missionnaires en activité dans les neuf champs de mission sous sa responsabilité (Sénégal, Togo, Cameroun, Gabon, Zambèze, Lesotho, Madagascar, Tahiti, Nouvelle-Calédonie). Non seulement ce nombre n’ira pas en diminuant mais augmentant légèrement jusqu’à l’autonomie des Églises à compter de 1957.

98. Cf. « Visite du pasteur Marc Boegner… », dans Philippe Berger, François Escande et André Honegger (eds.), De la Mission de Paris au Zambèze à l’Église unie de Zambie. Un résumé chronologique 1885-1965, Paris : Copymedia/Défap, 2014, p. 164. Lors de ce voyage, Marc Boegner remet solennellement la Bible récemment imprimée en langue lozi au Paramount Chief du Barotseland, et à l’Église lors d’un culte solennel le 11 mai 1952.

99. M. Boegner, « Une visite en Nouvelle-Calédonie », JME, janvier 1953, 128e année, p. 77-81. Marc Boegner découvre le peuple canaque en Grande Terre et dans les Îles loyauté (Lifou), visite la station de Do Neva fondée par Maurice Leenhardt en 1902, donne quatre études bibliques et consacre trois nouveaux pasteurs canaques.

100. M. Boegner, « Allocution prononcée à l’Assemblée générale des 27 et 28 octobre 1953 », 126e Rapport, Paris : SMEP, janvier 1954, p. 1-2.

101. Ibid., p. 2.

102. Ibid.

103. Le néologisme « cartiérisme » a été forgé à partir du nom de Raymond Cartier, journaliste à Paris Match, dans les années 1950. À cause de sa dénonciation constante de l’aide de la France à l’Afrique, la formule « la Corrèze avant le Zambèze » lui a été attribuée. En fait, elle avait été lancée par Jean Montalat, député-maire de Tulle en 1964 à l’Assemblée nationale.

104. Art. cit., p. 3-4.

105. 10 mars 1957 Comme si vous y étiez, Recueils des textes, réunis par Isaac Makarios Kamta, à l’occasion des 50 ans de l’Église Évangélique du Cameroun, Douala : Centre Joseph Merrick, 2007.

106. M. Boegner, « Allocution prononcée à l’Assemblée générale des 21-22 octobre 1958 », 131e Rapport, Paris : SMEP, janvier 1959, p. 1-2.

107. M. Boegner, « Allocution prononcée à l’Assemblée générale extraordinaire des 28 et 29 juin 1968 », 140e Rapport, Paris : SMEP, janvier 1969, p. 6 et 8.

108. Jean Kotto, « L’action missionnaire commune des Églises francophones », dans Charles Bonzon – Jean Kotto, Face à l’avenir, Paris : SMEP, 1965, p. 42 et 44.

109. « L’Église au-delà des frontières », Compte rendu de la IVe section de l’Assemblée de la Commission pour la Mission et l’Évangélisation du COE réunie à Mexico du 8 au 19 décembre 1963, Journal des missions évangéliques, 1964, p. 38.

110. Consultation de Lomé, (15-18 juin 1966), JME, 1966/3, 141e année, p. 119-122. Pour plus de détails sur le lancement de cette AAC, cf. Pierre Cadier, « Les Missions protestantes. Vers des voies nouvelles. Les actions apostoliques communes », dans Maurice Cheza, Monique Costermans, Jean Pirotte (dir.), Nouvelles voies de la mission 1950-1980, Actes de la Session conjointe du CREDIC et du Centre Vincent Lebbe, Gentinnes (Belgique) 1997, Lyon : CREDIC, 1999, p. 291-304.

111. Nous avons développé ce parallèle dans « Dynamisme missionnaire, une chance pour l’Église », Spiritus XXI, (1990/119), p. 136-152.

112. Cet événement est relaté en détail dans Henri Vernier, Au vent des cyclones. Puai noa mai te vero. Missions protestantes et Église Évangélique à Tahiti et en Polynésie Française, Paris/Papeete : Les Bergers et les Mages/Haere Po No Tahiti, 1986, p. 173-188.

113. Le statut de l’Église Évangélique de Polynésie Française est analogue à celui des cultes reconnus dans la République française.

114. Un mouvement anti-français est né au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale autour de la personnalité de Pouvanaa Oopa, fondateur du Rassemblement démocratique des populations tahitiennes. Il apparaît comme un parti protestant. Mais les missionnaires protestants demeurant légitimistes, le « pouvanisme » ne touchera guère, du moins ouvertement, l’Église.

115. Henri Vernier, op. cit., p. 179.

116. Ibid., p. 180.

117. Ibid., p. 182-183. Voir François Boulet, « Ahnne Édouard (1867-1945) », dans P. Cabanel – A. Encrevé (dir.), Dictionnaire biographique des protestants français de 1787 à nos jours, p. 23.

118. Ibid., p. 183-185.