Apologétique et protestation de la conscience chrétienne
Marc Boegner et les conférences de Passy dans l’entre-deux-guerres (1928-1939)
À partir de 1928, et jusqu’en 1962, Marc Boegner a régulièrement donné des conférences de Carême à la paroisse réformée de Passy (future paroisse de l’Annonciation) – conférences qui étaient radiodiffusées dès 1929 par Radio-Paris et qui firent dans certains cas l’objet de publications aux éditions Je Sers1. La présente étude se penche sur ces publications durant l’entre-deux-guerres, pour en dégager et en analyser les principales thèses. Il s’agit donc d’une lecture commentée de ces prises de paroles de Marc Boegner, qui n’est pas connu pour être une figure majeure de la théologie protestante du xxe siècle, mais dont l’envergure en tant que « chef » des réformés de France pendant à peu près trois décennies (1930-1960) est incontestable.
Marc Boegner et les conférences de Passy
Marc Boegner a commencé son ministère pastoral à la paroisse de Passy, dans le XVIe arrondissement à Paris (d’abord dans une salle, rue Lekain, puis dès 1923 au temple de la rue Cortambert), en octobre 19182. De manière extraordinaire, il conserva ce poste jusqu’en 1953, avec une brève interruption pendant la guerre.
Les cycles de conférences de Passy suivent une structure similaire, en tout cas pour les premières années : chaque cycle est constitué de six conférences, qui commencent souvent par des perspectives larges, plutôt laïques (perspectives historiques, histoire des idées, réflexions philosophiques modernes, etc.) avant de progresser vers des aspects plus spécifiques de la foi chrétienne ou du christianisme : « l’histoire nous conduit à la métaphysique, ou, si d’aucuns le préfèrent, à la théologie », affirme Marc Boegner en 19313. Un net virage a lieu avec les conférences de 1933, sur La vie chrétienne, conférences qui commencent d’emblée avec « notre vocation éternelle » (titre de la première conférence) et avec la « nouvelle naissance » ou la « conversion », plutôt qu’avec des perspectives historiques ou philosophiques générales4. Puis, nouveau virage en 1935 : abordant le thème du Christ devant la souffrance et devant la joie, Boegner propose une longue étude biblique, parsemée de nombreuses citations tirées des Écritures.
Dans quel esprit Marc Boegner a-t-il donné ces conférences, durant toutes ces années, à partir de 1928 et jusqu’en 1962, avec quelques rares interruptions (mais pas pendant l’Occupation ; Boegner y tint ses conférences annuelles)5 ? Dans l’« Avant-propos » à Dieu, l’éternel tourment des hommes (1929), il indique sans détour l’intention des conférences de Passy : il s’agit d’un « effort d’évangélisation6 ». Il faut tenir compte de cette visée à la lecture de ces textes et il faut tenter de cerner ce que signifiait cet effort dans l’esprit de Marc Boegner, qui, dès la première conférence, dit vouloir respecter les convictions de ses auditeurs, « si différentes qu’elles puissent être des miennes7 ».
À qui Boegner s’adressait-il dans ces conférences ? Il s’agissait d’un auditoire restreint, pour ce qui concerne le public réuni au fil des ans dans le temple de la rue Cortambert8. Voici comment il interpelle ses auditeurs : « Et maintenant, Messieurs, tournons nos regards […]9 », ce qui laisse imaginer l’auditoire qu’il avait physiquement devant lui, au moins pour ce qui concerne le genre. Par contre, et c’est bien sûr crucial, l’auditoire n’était pas simplement celui de la paroisse. Les conférences de Boegner à Passy, dès la deuxième année (dès 1929), étaient retransmises par Radio-Paris, la station radiophonique la plus écoutée en France à l’époque (l’État français la racheta et la nationalisa d’ailleurs en décembre 1933, faisant d’elle « le principal poste du réseau d’État10 »). L’intention apologétique s’explique en grande partie par ce fait. Et l’on comprend mieux alors ces mots de Boegner à la fin de sa première conférence : « Et vous-mêmes qui m’écoutez aujourd’hui, incroyants solidement retranchés dans vos affirmations négatives, ou chrétiens confortablement établis dans une croyance paisible […]11. » Outre les personnes présentes au temple de Passy et celles qui allumaient leur poste de radio pour écouter Marc Boegner, il y avait bien sûr aussi les lectrices et les lecteurs des conférences de Carême, qui étaient diffusées par les éditions Je Sers avec une rapidité et une régularité tout à fait remarquables.
Aux uns comme aux autres, le conférencier souhaite d’être prêts lorsqu’une « lame de fond » viendra bouleverser leur existence. Lorsque l’angoisse arrivera, sauront-ils « reconnaître en elle le tourment qui, dès l’aube de son histoire, a poussé l’humanité sur les chemins de Dieu12 » ? Voilà le souhait de Boegner, au terme de la première conférence du cycle sur Dieu, l’éternel tourment des hommes. Quelques années plus tard, en 1933, il exprime les choses de manière plus positive, parlant du « foyer divin » qui couve en tout être humain, « caché sous la cendre13 ».
Quant au style des conférences prononcées par Marc Boegner, il est typique de l’époque : une belle langue, soignée, plus adaptée à l’oralité qu’à la lecture (« Pourquoi en est-il ainsi ? C’est ce que nous allons voir tout d’abord14 »), qui n’a pas peur d’émettre de grandes thèses, de parler de telle page « émouvante » d’un auteur récent15, d’évoquer diverses thèses philosophiques ou autres de manière ramassée (« il n’y a au fond qu’un seul problème : le problème de l’homme16 »). On a qualifié Boegner, à juste titre, de « véritable artiste de la parole17 ».
Boegner savait pertinemment qu’en s’attelant à tel ou tel thème de la théologie protestante (et chrétienne), il n’écrivait pas « le livre qu’attend la théologie protestante » sur ce sujet18. Il répète cela dans l’« Avant-propos » de presque chaque cycle de conférences. Il n’empêche que ces études méritent une (re)lecture, près d’un siècle plus tard.
Une œuvre apologétique
Les cinq premiers cycles de conférences sont dédiés à une apologétique chrétienne et protestante19. Le fait que les conférences étaient radiodiffusées est déterminant : il ne s’agissait pas seulement de nourrir la réflexion des fidèles protestants, mais bien de faire entendre une voix chrétienne dans une société laïque, à certains égards indifférente, voire hostile, à la foi chrétienne. Boegner parle même, dans ses conférences de 1931 sur l’Église, de « reconquérir l’humanité, dont une si grande partie échappe [à son] influence20 ». Le fait qu’une large part de la société française a « rompu, de la façon la plus nette, avec toute base religieuse et se constitue en dehors de quelque fin religieuse que ce soit », voilà qui est selon l’orateur « un fait nouveau et unique », qui se trouve à l’arrière-plan des cycles successifs de conférences.
Examinons de plus près leur visée, en commençant avec le premier cycle de six conférences, donné en 1928 sur Le Christianisme et le Monde Moderne21. Dès l’« Avant-propos », Boegner évoque le refus, l’indifférence de tant de contemporains vis-à-vis du « problème religieux », mais aussi les croyants « qui méconnaissent trop souvent la force des courants de pensée hostiles au Christianisme22 ». Il s’agissait avec ces conférences de montrer que le protestantisme peut s’exprimer de manière intelligente sur des questions qui ont trait au sens de l’existence et aux grandes questions que pose le monde moderne au christianisme. Dans son « Avant-propos » aux conférences de 1931, sur l’Église, Boegner lève le voile sur l’intention qui a présidé aux quatre premiers cycles de conférences, à savoir examiner le « conflit plus redoutable que jamais entre le Christianisme et le monde moderne23 ». « Le conflit » : c’est le terme même que Boegner utilise pour intituler la toute première conférence de ses nombreux cycles, en 1928, désignant par là la situation qu’il entend examiner au fil des six exposés à venir24. La grande thèse de Boegner, dès 1928, est que « le christianisme seul peut répondre aux aspirations les plus profondes de l’humanité25 ». La démarche apologétique s’ancre bien sûr dans cette conviction. Il y a d’un côté le « problème » des masses qui se sont détournées du christianisme, et de l’autre la « réponse » que seule la foi chrétienne peut apporter aux détresses, à l’hostilité comme à l’indifférence de l’homme moderne.
À la lecture des conférences de Marc Boegner, on discerne en outre un souhait de gagner le respect et de susciter l’intérêt des catholiques, qui devaient forcément figurer en nombre parmi les auditeurs des retransmissions : alors que le nom de Calvin (sur qui il avait écrit sa thèse de bachelier à la Faculté de théologie de Paris en 1905) apparaît rarement, en tout cas jusqu’au quatrième cycle de conférences, sur l’Église (Qu’est-ce que l’Église ; printemps 1931), le jésuite Henry Pinard de la Boullaye, prédicateur à Notre-Dame, est cité favorablement, comme le sont aussi de grands auteurs catholiques français, tels son ami (depuis 1912) le Père Lucien Laberthonnière, surtout, ou, plus rarement, Lacordaire ou son disciple Henry Perreyve26. Ce n’est qu’à partir du deuxième cycle de conférences, celui de 1929, que Boegner commence à citer abondamment, et favorablement, des penseurs catholiques. Dans le premier cycle, en 1928, il n’hésite pas à citer un passage fort problématique – c’est un euphémisme – tiré de l’encyclique Mortalium animos, parue en janvier de cette année, où le pape Pie XI affirme que « tous les vrais disciples du Christ accordent la même foi au dogme de l’Immaculée-Conception de la Mère de Dieu que, par exemple, au mystère de l’Auguste Trinité, et de même ils n’accordent pas une autre foi à l’Incarnation de notre Seigneur qu’au magistère infaillible du Pontife Romain […]27 ». Aurait-il cité ce passage si ses conférences avaient été radiodiffusées ? Il est permis d’en douter, au vu de son irénisme. De la même manière, Boegner clôt son premier cycle de conférences à la fois par un appel à rechercher la foi (« ne pas prendre parti, c’est déjà choisir. […] Il faut choisir, Messieurs !28 ») et par une prière – deux éléments auxquels il renoncera dans les cycles subséquents29.
Dieu, l’éternel tourment des hommes (1929), le deuxième cycle de conférences, progresse en partant de la question de départ, celle du « tourment » de Dieu présent en l’être humain, pour se pencher ensuite sur le monde des religions de l’humanité, la question philosophique, le thème de l’être humain lui-même, avant d’en venir pour terminer au Dieu des chrétiens (5e conférence) et au Dieu de l’Évangile (6e conférence). La progression de ces six conférences en dit long sur leur visée : il s’agit de conduire les auditeurs (puis les lecteurs), à partir d’un questionnement large sur le sens de la vie et la question de Dieu, vers une considération de la foi chrétienne en son cœur même – « tout ce qui touche à l’Évangile est réservé à un dernier entretien », prévient l’orateur30. La méthode renonce à tout désir d’imposition des convictions à autrui. Il s’agit plutôt d’inviter les auditeurs, y compris « mes auditeurs incroyants », de « les susciter à leur tour à la vie spirituelle » appelée à devenir « le grand trésor de votre vie31 ». Comme il le dira quelques années plus tard, dans ses conférences du printemps 1931 sur l’Église : l’apologétique prend « son point de départ dans l’homme moderne32 ».
Même si, pour ce qui concerne les premiers cycles de conférences, c’est seulement avec la sixième et dernière conférence que Boegner atteint enfin son véritable sujet, ce dernier détermine la totalité du parcours. La conviction fondamentale qui dirige ces conférences apparaît au terme de la cinquième conférence : « Le Dieu de l’Évangile, voilà le Dieu dont l’homme, dont l’humanité a besoin33. » Pourquoi en a-t-il « besoin » ? Précisément pour « apaiser » le « tourment » qui habite l’être humain ; de cela, Marc Boegner en a « la conviction profonde34 ». Dieu est « la seule solution du seul problème35 ».
Il fait dès lors sens de nous demander qui est Dieu dans la pensée de Marc Boegner.
Le Dieu de Marc Boegner
Dieu, pour Boegner, est fondamentalement « celui qui répond à l’inquiétude de l’homme et apaise son tourment36 ». Avec le Dieu de l’Évangile, « que d’inquiétudes calmées, que de tourments apaisés !37 » Dieu se met en quête de l’être humain pour le rendre à lui-même en amenant ce dernier à Lui38.
Le Dieu de Marc Boegner est bien sûr le Dieu des chrétiens, le Dieu de Jésus-Christ. Mais dans ses discours sur Jésus-Christ, ce n’est pas le Christ des élaborations dogmatiques qui intéresse le pasteur de Passy. Ces dernières ont leur importance, sans doute, mais à la question de savoir « qui » est le Christ pour nous, « en demeurant, certes, dans la communion de l’Église universelle et de notre confession particulière, en nous éclairant, grâce à elle, de la foi des siècles passés », nous avons à « répondre par nous-mêmes et pour nous-mêmes39 ». La réponse que donne Marc Boegner est limpide et à vrai dire traditionnelle : « En Jésus-Christ, par Jésus-Christ, nous connaissons et Dieu et nous40. » Le Christ est la « clé » qui ouvre l’intelligence tant de Dieu, son Père, que de nous-mêmes, ses frères. Ce début de christocentrisme ne doit rien, en ces années, aux travaux des théologiens dialectiques (Karl Barth, Eduard Thurneysen, Friedrich Gogarten, Emil Brunner ou Rudolf Bultmann), qui ne figurent nulle part dans les premiers cycles de conférence (ils n’ont d’ailleurs pas encore été traduits en français) : il lui vient plutôt de… Blaise Pascal !41
C’est le Fils qui révèle le Père en tant que Père, et la paternité divine est riche d’implications non seulement théologiques, mais aussi anthropologiques, sociales et bien sûr éthiques. Comme le faisaient les penseurs et animateurs du Christianisme social avant lui et encore à cette époque, en France et ailleurs, la foi en la paternité de Dieu fonde la fraternité entre les êtres humains42.
Dans la lignée d’Augustin d’Hippone et de Blaise Pascal, Marc Boegner souligne la dimension du mystère de Dieu, ce qui ne revient pas à dire que Dieu demeure énigmatique ou simplement caché. Cela signifie plutôt que la foi, « après avoir trouvé, veut chercher encore43 ». On peut se demander si Boegner, fort de cette conviction, n’aurait pas dû envisager son apologétique de manière différente, en insistant moins sur la foi chrétienne comme « solution » aux problèmes que se pose l’être humain, ce qui donne tout de même l’impression que des « réponses » plus ou moins définitives sont assurées pour la foi, comme si la recherche prenait fin avec l’émergence de la foi. Roger Mehl a eu raison de signaler une certaine proximité entre l’approche qui fut celle de Boegner, en tout cas dans les trois premiers cycles de conférences, et la méthode de la corrélation de Paul Tillich, où la révélation opère dans un second temps, une fois que les grandes questions qui animent l’humanité ont été soulevées et examinées44.
Le Dieu de Marc Boegner est trinitaire : « son unité divine est aussi société divine », écrit-il au moment de conclure ses conférences sur Jésus-Christ en 193045. Citant Laberthonnière et rejoignant ainsi plusieurs penseurs qui eux aussi ont beaucoup souligné cet aspect (Karl Barth et, plus récemment, le théologien luthérien américain Robert W. Jenson), Boegner évoque « l’action éternelle » de la « vie éternelle » de Dieu, qui n’est pas « une idée ou une essence fixée dans un éternel repos46 ».
Dieu est, en outre, « personnel ». Boegner sait que la dimension « personnelle » de Dieu fait problème, pour beaucoup. Ce type d’anthropomorphisme peut paraître obsolète, en modernité (c’était déjà le cas aussi pour Jean Calvin, en prémodernité ou à l’aube de la modernité). Mais, à la suite notamment d’Alexandre Vinet, Boegner est convaincu que la foi chrétienne ne doit pas renoncer à cette représentation de Dieu47. Après tout, Dieu est avant tout Dieu « le Père », pour les chrétiens, ce qui semble impliquer une dimension « personnelle ».
Dieu est Père ; c’est son Fils, Jésus-Christ, qui le donne à connaître. Là encore, l’élément « personnel » est crucial, afin d’éviter tout semblant d’idéalisme sans prise avec le réel (l’usage de ces termes évoque Le réalisme chrétien et l’idéalisme grec de Laberthonnière, ouvrage paru en 1904 et cité par Boegner à plusieurs reprises dans ses conférences) : « L’Évangile est quelqu’un, l’Évangile est Jésus-Christ et, par là même, le christianisme, une fois de plus, plonge ses racines dans l’histoire48. » La vie chrétienne consiste en une union intime, une communion de vie, avec le Christ. Le chrétien « unit son être à l’être du Christ, sa vie à la vie du Christ et par lui à la vie même de Dieu. C’est une communion par le plus intime de lui-même avec le Sauveur et le Maître qui grandit de jour en jour à ses yeux et, par lui, avec le Dieu vivant […]49. » Parmi les auteurs protestants chez qui Boegner trouve confirmation de cette intuition figure Gaston Frommel, théologien d’origine alsacienne (disciple de l’exégète et théologien neuchâtelois Frédéric Godet) qui enseigna, avant sa mort prématurée en 1906 à l’âge de 44 ans, à la Faculté de théologie de l’Université de Genève50. C’est le signe que Boegner connaissait et appréciait une certaine aile évangélique au sein de la théologie réformée. Il avait un souci profond de la « sanctification », où s’exprime selon lui la part de l’être humain, appelé à « coopérer » avec la grâce. Si la grâce divine a l’initiative, l’être humain n’en demeure pas moins appelé à agir lui aussi. Boegner exprime cela de manière répétée et parfois audacieuse, comme ici : Dieu « n’existe pour nous, il n’existe en nous que lorsque nous avons accompli, de notre être tout entier, une démarche à laquelle rien ne peut suppléer51 ».
Boegner rompt en outre avec la notion, que l’on retrouve en théologie chrétienne ainsi que dans la tradition protestante, de Dieu qui crée pour sa propre gloire : « au principe de notre vie, nous ne mettons ni un Dieu qui crée par une propriété de sa nature, c’est-à-dire nécessairement, ni un Dieu qui ne nous ferait être que pour manifester sa gloire52 ». Dieu n’existe pas simplement pour lui-même : il est le Dieu créateur, il « est essentiellement le Père53 », qui a le souci de sa créature. Tout n’existe pas simplement en vue de Dieu, au point de se « résorber » ou de s’effacer en Dieu : la relation que Dieu pose en créant est appelée à perdurer à jamais. Nous ne devons pas nous imaginer Dieu comme si tout tournait autour de lui, une sorte de Dieu égocentrique. Boegner a retenu les leçons de la théologie protestante moderne, au moins depuis Albrecht Ritschl, qui prend ses distances vis-à-vis de la conception anselmienne de la « satisfaction » : l’action réconciliatrice du Christ sur la croix n’est pas « un sacrifice destiné à apaiser je ne sais quelle colère », elle est bien plutôt « la conséquence de l’amour et de l’amour seul54 ».
Émerge ainsi, en filigrane plutôt que de manière explicite et développée, une vision théologique de l’histoire du salut où tout est lié et tout a un telos, qui relève de l’amour divin et de l’intention divine : « La rédemption achève l’incarnation, comme l’incarnation avait achevé la création55. »
Relevons pour terminer que la théo-logie de Boegner, c’est-à-dire son discours sur Dieu, conduit nécessairement à un discours sur l’Église. Il déplore, à juste titre, la « conception atomiste » de l’Église chez beaucoup de protestants francophones, qui oublient que le chrétien, mais aussi tout être humain, est forcément « solidaire […] d’un corps dans lequel seul il peut réaliser sa destinée56 ». Homme de son temps, Boegner passe en revue certaines des principales étapes de l’histoire de la « mission » de l’Église chrétienne, de Blandine la martyre de Lyon à William Carey en passant par le poverello d’Assise : cette « histoire des combats de l’Église militante », il la juge « émouvante57 » – ce n’est probablement pas l’adjectif que la plupart d’entre nous utiliserions aujourd’hui, à l’ère des études postcoloniales, pour qualifier l’histoire de la mission chrétienne (Boegner ne manque d’ailleurs pas d’évoquer les « ombres qui, trop souvent, ont caché la lumière » dans cette histoire : « erreurs tragiques » et « crimes odieux de l’Église », qui ont conduit à la « sécession de multitudes humaines » par rapport à l’Église et « du même coup aussi de l’Évangile58 » ; ce verdict vaut aussi pour l’histoire coloniale59).
« La souffrance rédemptrice60 »
Nous mesurons la distance qui nous sépare de Marc Boegner à la forme de ses discours, c’est-à-dire à sa langue quelque peu fleurie, mais aussi à la lecture de certaines de ses thèses – et pas seulement concernant l’histoire « émouvante » des missions chrétiennes. Il parle de la « souffrance rédemptrice » dans diverses conférences. Par exemple, dans ses conférences sur Jésus-Christ, données au printemps 1930 : il y a une « souffrance libératrice, parce qu’elle communique l’intelligence du miracle d’amour que constitue la croix du Calvaire, et parce qu’elle prépare l’homme à l’initiation décisive à la vie qui triomphe de la mort. Souffrance bénie parce qu’elle révèle le sens et la valeur éternels que communique à toutes les douleurs humaines la communion du Christ crucifié61. »
Boegner ne précise pas toujours que la « souffrance rédemptrice » dont il parle est celle de Jésus de Nazareth. Il donne par suite l’impression d’accorder à la souffrance en tant que telle une certain efficience de salut – impression qu’il rectifiera dans ses conférences de 1933 sur La vie chrétienne, puis en 1935 dans celles sur Le Christ devant la souffrance et devant la joie62. Peu de théologiennes et théologiens aujourd’hui parleraient ainsi. La théologie féministe, notamment, est passée par là, depuis les années 1960 et 1970, mettant en garde contre certains discours sur la souffrance qui instrumentalisent cette dernière d’une manière nocive, voire mortifère. Or c’est bien ce que semble faire Boegner dans certaines de ses conférences, même s’il rappelle par ailleurs le point suivant, qui est décisif (un point sur lequel René Girard articulera certaines de ses principales thèses) : « La croix a mis fin, partout où l’Évangile a été prêché, aux sacrifices par lesquels les hommes croyaient s’assurer le pardon de Dieu et la délivrance du péché63. »
Foi chrétienne et « solidarités voulues de Dieu »
Roger Mehl l’avait bien vu : le terme « solidarité » est l’un des maîtres-mots de la pensée de Marc Boegner – comme c’était déjà le cas pour son oncle Tommy Fallot, qui exerça une influence décisive sur lui en tant que « maître à penser » et « guide spirituel » (Roger Mehl). Fallot est l’auteur d’un écrit posthume intitulé La religion de la solidarité. Il aurait dit un jour du mot « solidarité » qu’il est « le mot qui dit tout64 ».
En 1930, Boegner dénonce, de la part de l’Église au fil de son histoire, « ses ambitions de puissance, son incompréhension des aspirations humaines, des exigences de la justice sociale, sa dureté à l’égard des petits de la terre, son silence devant de criantes iniquités65 ». Ce faisant, le christianisme a falsifié le message qu’il est censé porter.
Dès le premier cycle de conférences, en 1928, le thème de la « solidarité » occupe une place de choix, notamment au moment de dénoncer le « nouveau paganisme », porté par des penseurs comme Montherlant ou Maurras. À Montherlant qui dit vouloir « se désolidariser », Boegner répond : « Les hommes qui rompent […] les solidarités voulues de Dieu […] s’offrent aux solidarités maudites qui les enserrent peu à peu dans une prison dont ils ne peuvent plus s’évader66. » Les solidarités (au pluriel !) que porte le christianisme trouvent leurs racines dans la volonté de Dieu même. Jésus-Christ le premier est l’incarnation même de la solidarité de l’être humain avec Dieu comme aussi de la solidarité qui doit exister partout et toujours entre les êtres humains67. Chercher à évader ces solidarités, c’est se livrer à un asservissement à d’autres solidarités, néfastes elles. Avant Boegner, Luther s’était exprimé de manière similaire dans son commentaire du premier des dix commandements, dans son Grand Catéchisme de 152968. Et Boegner anticipe là encore, à sa manière, la pensée de Paul Tillich, qui parlait, à la suite de Luther, de la foi comme « préoccupation ultime ».
Mais le thème de la solidarité déborde bien sûr largement le plan de la foi personnelle et la question de l’« objet » de cette foi. Il interdit par exemple, comme l’affirme Boegner en 1928 au fil du tout premier cycle de conférences, « tout nationalisme érigeant une nation, quelle qu’elle soit, en un absolu qui prétend méconnaître les autres nations, ou de ne voir en elles que des moyens dont elle cherche à se servir pour faire triompher ses intérêts ou sa volonté dominatrice69 ». Les « solidarités voulues de Dieu » comprennent la solidarité « entre les peuples70 ». Voilà des convictions, exprimées en 1928 lors du premier cycle de conférences, qui sont encore pour nous d’une actualité criante, et auxquelles Boegner ne cessera jamais de tenir avec la plus grande fermeté. S’explique dès lors son engagement contre la folie du nazisme, du début jusqu’à la fin.
L’apologétique conçue comme discours a sa place, mais la véritable « démonstration » de la vérité chrétienne, aux yeux de Boegner, se fait « en acte ». Il s’agit de « donner des preuves vivantes de la vérité salvatrice », des « arguments vivants », plutôt que se contenter de belles paroles71. L’Église, où qu’elle soit, est appelée à être « l’école des hommes solidaires », elle doit former « des ouvriers de toutes les solidarités voulues de Dieu72 ». Qui contredirait Boegner sur ce point, près d’un siècle plus tard ?
Christianisme et judaïsme
Ce maître-mot « solidarité » n’est pas resté un mot, dans la vie de Marc Boegner. Les événements comme aussi ses hautes responsabilités institutionnelles lui ont donné maintes occasions de mettre en pratique sa théologie de la solidarité de Dieu, de la solidarité de Jésus et des « solidarités voulues de Dieu ». Dans sa conférence de 1939 sur L’Évangile et le racisme, il pose la question d’entrée de jeu, au milieu des « bouleversements de l’Europe » et de l’« effondrement de la civilisation chrétienne » : qui fera entendre « la protestation de la conscience chrétienne73 » ? Déjà quelques années plus tôt, Boegner exhortait ses auditeurs et ses lecteurs à la vigilance et à ne jamais se dire que, vu que le malheur ou la violence touche les autres, nous pouvons rester tranquilles et ne pas faire de vagues : « Ne jamais fermer les yeux au spectacle de la détresse humaine, regarder en face la réalité tragique du péché avec les fruits maudits qu’il porte dans la vie des individus et des sociétés. Ne jamais se dire, en face d’un peuple qui fausse ou transgresse la loi de Dieu : ce n’est pas mon affaire […]74. » C’est à quoi Jésus appelle ses disciples et tous les êtres humains avec eux. Au moment où un peuple, le peuple allemand, s’apprêtait à « fausser » et à « transgresser » la « loi de Dieu », Boegner était tout à fait au clair sur les exigences des « solidarités voulues de Dieu », y compris envers le peuple juif pris pour cible par l’antisémitisme ambiant, en Allemagne mais ailleurs aussi en Europe et dans le monde. « Les différences de religion, de nationalité ou de race s’effacent dès qu’un homme, quel qu’il soit, a besoin de secours », affirmait-il alors, commentant la parabole du bon samaritain (Luc 10, 25-37)75.
La pensée théologique de Marc Boegner est typiquement réformée en ce qu’elle cherche à tenir ensemble l’Ancien et le Nouveau Testament. Toute dissociation est impossible. Au printemps 1933 et donc au moment même où les premières lois antisémites étaient promulguées en Allemagne voisine, il affirme ceci : « Nous ne pouvons vivre dans l’intimité de Jésus-Christ sans nous faire une très haute idée de l’Ancien Testament76. »
L’identité juive de Jésus de Nazareth était une évidence pour Boegner (c’est le cas pour nous aussi aujourd’hui ; ça l’était nettement moins à l’époque !). Il s’agissait là de davantage que d’un ancrage ethnique : « Jésus lui-même […] se rattache consciemment au passé d’Israël77 ». Comme beaucoup de protestants avant lui (les grands spécialistes allemands au tournant du xxe siècle, comme Wilhelm Bousset et Adolf Harnack, parlaient d’une Entschränkung), Boegner remarque un élargissement de la foi juive suite au message de Jésus et à l’émergence d’une nouvelle tradition religieuse, le christianisme : Jésus a « dégagé » de la loi d’Israël « la vérité éternelle qu’elle a exprimée pour un temps et pour un peuple78 ».
Parlant du judaïsme et dénonçant les persécutions qui avaient déjà cours en 1939, Boegner ne se tient pas à une ligne de dénonciation pure et simple et lâche du lest d’une manière qui nous choque aujourd’hui, nous qui savons à quoi ont mené de tels discours : « Qu’un problème juif soit posé en Europe et dans le monde, je le sais autant que quiconque ; que l’immigration d’un nombre considérable de Juifs pose ce problème, avec une acuité particulière, devant l’opinion française, c’est l’évidence même79. » Mais Boegner enchaîne immédiatement pour condamner toute forme de violence et de haine, surtout « à une époque où les nerfs sont tendus à l’excès, où les sensibilités sont prêtes aux réactions les plus violentes80 »… En 1939 déjà, au terme de sa conférence sur « L’Évangile et le racisme », sans bien sûr se douter de ce qui allait se passer dans le futur immédiat, Boegner évoque « cette souffrance innombrable » à laquelle conduit le racisme sous toutes ses formes, souffrance que les chrétiens, s’ils sont fidèles à celui dont ils portent le nom, « prendr(ont) dans (leur) cœur81 ».
Boegner œcuméniste
Dès les premiers cycles de conférences, en 1928 et plus encore l’année suivante, le souci œcuménique de Boegner apparaît nettement. Il faut dire que ce souci n’était en rien nouveau chez lui. Tommy Fallot lui avait inculqué un désir non seulement de « solidarité », mais aussi, cela va de pair, d’« unité ». Fallot, à la suite d’Oberlin, se considérait comme un « catholique évangélique » – non pas par penchant plus ou moins spontané pour l’Église catholique romaine, mais en raison d’une réflexion ecclésiologique profonde sur ce qu’en théologie on appelle les « marques » de l’Église82. Boegner avait écrit sa seconde thèse de licence, en anglais, sur la question de l’unité de l’Église (The Unity of the Church, thèse de la Faculté de théologie de Paris, 1914). Et puis il y avait l’amitié avec Lucien Laberthonnière, si précieuse. Fallot et Laberthonnière lui firent « pressentir, chacun à sa manière, l’avènement d’un catholicisme libéré de son égocentrisme, de son repliement sur une tradition post-tridentine, centralisatrice à outrance, de son Saint-Office inquisiteur et inhumain83 ». Dans une note aux conférences de 1928, Boegner associe déjà les noms de Laberthonnière et de Fallot, indiquant sa dette à leur égard et la proximité de ces deux hommes dans leur réflexion théologique84.
Dans ses conférences de carême, c’est avant tout le catholicisme romain que Boegner a en vue, bien plus que la tradition orthodoxe orientale, même s’il voit bien qu’en Europe occidentale la focalisation sur l’œcuménisme entre catholiques et protestants, avec une trop faible prise en compte de l’orthodoxie, est un sérieux défaut85. Boegner tente d’y remédier en citant de temps à autres des auteurs orthodoxes, comme le théologien bulgare Stefan Zankov (qui est quelque peu tombé dans l’oubli) ou, surtout, Nicolas Berdiaev, deux figures qu’il connaissait grâce aux « rencontres de la rue Dupuytren », dans l’entre-deux-guerres86. À partir de 1933, une autre grande voix de l’orthodoxie, celle de Serge Boulgakov, est longuement citée, à propos du rapport entre Écriture et tradition87.
Boegner consacre au « chemin de l’Unité » la sixième et dernière conférence du cycle de 1931, intitulé Qu’est-ce que l’Église ? À chaque fin de cycle, Boegner en vient au « cœur du cœur », pourrait-on dire. Voilà un premier signe, parmi les cycles de conférences prononcés jusque-là, de l’importance qu’il accorde à la thématique de l’unité des chrétiens88.
En 1930 puis à nouveau en 1931, évoquant la question de la Cène, il se démarque clairement de la position zwinglienne, qui voit dans ce sacrement avant tout un mémorial, pour souligner l’« incomparable force spirituelle que donne la certitude d’une présence invisible mais réelle89 ». Ce dernier adjectif est bien sûr très « chargé », en théologie des sacrements et plus précisément en théologie de la Cène. Boegner n’hésite pas à l’utiliser ici, dans ce contexte très précis. Replacé dans le contexte qui est le sien (en 1930, le mouvement œcuménique n’en est qu’à ses débuts, le catholicisme romain est encore en pleine défiance), il y a là quelque chose de très audacieux de la part de Boegner, même si ses propos convergent en fait avec une certaine interprétation, légitime sans doute, de la perspective calvinienne sur le sens de la Cène et la « présence » du Christ dans sa célébration90.
Dans ses conférences sur l’Église du printemps 1931, Boegner appelle de ses vœux une refondation de l’ecclésiologie protestante, qui doit « être catholique, au sens le plus profond du mot91 ». On imagine la réaction des lecteurs et auditeurs pour qui le terme « catholique » ne pouvait signifier qu’une seule chose : l’Église « papiste » ou romaine. Pourquoi ce sentiment, chez Boegner, de l’urgence d’articuler une ecclésiologie qui puise aux sources communes, sans a priori anticatholique et certainement pas en bâtissant une ecclésiologie sur ce qui démarque, voire sur ce qui oppose le protestantisme vis-à-vis du catholicisme romain ? Parce que le protestantisme doit « répondre aux exigences d’un temps où les puissances sataniques se préparent à livrer à la foi chrétienne l’assaut le plus violent qu’elle ait jamais subi92 ». Cette vision quelque peu apocalyptique mais en même temps prophétique de l’avenir, prononcée en 1931, est frappante. À quoi pensait Boegner en écrivant ces mots ? Difficile de le dire. Peut-être pensait-il aux « véritables religions collectives » que sont « le nationalisme ou le communisme », qui fascinaient tant au tournant des années 193093.
Boegner n’avait pas peur de susciter certaines réactions épidermiques parmi ses auditeurs et lecteurs réformés. Il savait bien comment telle ou telle expression théologique, comme celle de « corps du Christ » ou celle de « discipline » chrétienne, « sonne » catholique aux oreilles de nombreux protestants français. Il savait que le soupçon de « romanisme » (nous dirions : de « crypto-catholicisme ») ne serait pas loin, alors que ces expressions, ou ce qu’elles désignent, se trouvent, cela va sans dire, dans les écrits authentiques de l’apôtre Paul (1 Corinthiens 12, pour la métaphore du « corps du Christ » ; l’épître aux Philippiens, pour ce qui concerne la « discipline »)94. De la même manière, en parlant de l’Église comme « notre mère » ou de « la valeur incomparable de la prière liturgique », Boegner savait pertinemment – il le déplorait – qu’une telle expression parle sans doute aux fidèles orthodoxes, catholiques et anglicans, mais « qu’un trop grand nombre de protestants leur trouvent un accent qui n’éveille en eux aucun écho95 ».
Autant Boegner fait montre d’une certaine ouverture en direction du catholicisme de son temps sur certains points, autant, en matière d’ecclésiologie, son enracinement protestant et réformé est indubitable, notamment lorsqu’il dénonce l’« oppression destructive du caractère » exercée par l’autorité ecclésiastique au sein de l’Église catholique, qui, trop souvent, « au lieu d’être une société par communion s’élaborant intérieurement dans une solidarité universelle de devoirs réciproques, n’est plus conçue que comme une société par subordination où ceux d’en haut n’ont qu’à faire valoir des droits sur ceux d’en bas96 ». Boegner reproche sans ambiguïté au catholicisme de son temps, ici le catholicisme préconciliaire, « l’erreur qu’a commise le concile du Vatican » (Vatican I) en matière d’infaillibilité97.
Le souci ecclésiologique de Boegner est omniprésent dans ses cycles de conférences. Le quatrième cycle, en 1931, est tout entier consacré à cette thématique, qui, à l’époque déjà comme aujourd’hui encore, n’a pas le vent en poupe, l’Église étant perçue, dans une belle formule de l’orateur, comme une réalité « à qui le présent échappe et à qui l’avenir n’appartient plus98 ».
C’est dans le cadre de sa réflexion ecclésiologique, au printemps 1931, que Boegner manifeste pour la première fois un écho explicite de la nouvelle théologie germanophone dite « dialectique » : le théologien réformé zurichois Emil Brunner est cité au moment de présenter l’Église comme une communauté appelée par Dieu, et non comme un désir chez certains de se réunir, puis une seconde fois au moment de considérer le phénomène de la sécularisation du monde moderne, qui « s’éloigne de plus en plus du christianisme99 ». Karl Barth, quant à lui, ne commence à être mentionné qu’avec la deuxième conférence de 1933, dans le cadre du cycle sur La vie chrétienne100. Son ami et collègue direct à Passy, Pierre Maury, est cité pour la première fois dans ce même cycle de conférences, en 1933101. Quant à Wilfred Monod, son absence au long des premières années de conférences de Carême est remarquable et quelque peu surprenante. Il est assez rarement évoqué ; son nom apparaît en 1935, au début du cycle sur Le Christ devant la souffrance et devant la joie102.
L’une des fonctions essentielles de l’Église – à la suite de son fondateur – est d’enseigner. Les conférences de Passy participent de la conviction qui habitait Marc Boegner sur ce point. L’Église, « en dépit de ses fautes et de ses misères, demeure la grande éducatrice de l’homme en quête d’une vérité sur lui-même, sur ce qu’il est et sur ce qu’il doit être103 ». En éduquant l’être humain, en le rendant attentif à la soif qui l’habite, l’Église « surnaturalise » le monde, selon Boegner. Voilà sa mission104. Et le monde en a bien besoin ! « Nous vivons dans un désordre universel, tout vacille autour de nous, tout chancelle sous nos pieds. […] Les puissances de corruption, de mensonge et de haine ravagent le monde », affirme-t-il au printemps 1935, au terme de ses méditations bibliques sur Le Christ devant la souffrance et devant la joie105.
Mais l’Église a également comme fonction de se tenir aux côtés de celles et ceux qui souffrent. Dans ses conférences, Boegner donne parfois l’impression de parler en direction de la détresse du monde, sans y participer lui-même106. Plus souvent, il témoigne de la nécessaire solidarité des chrétiens avec le monde.
De manière très frappante, Marc Boegner n’était pas un protestant qui définissait son identité religieuse en opposition à d’autres identités chrétiennes. Il échappe tout à fait à ce travers si répandu dans le protestantisme français du xxe siècle encore profondément marqué par le souvenir, si régulièrement ravivé, des persécutions. Loin d’opposer les unes aux autres les « vérités fragmentaires » dont témoignent les diverses familles du christianisme, il nous faut apprendre « qu’elles sont complémentaires !107 ». Boegner ne craint dès lors pas d’aborder divers thèmes qui « sonnent » catholique (ou orthodoxe) aux oreilles de bon nombre de protestants de France. Ce fait est remarquable, quand on pense à l’époque où Boegner prononçait ses premières conférences à Passy. Nous sommes alors à l’orée du mouvement œcuménique du xxe siècle, à un moment où le catholicisme romain venait d’exprimer son refus net de toute participation à ce mouvement (par l’encyclique de Pie XI Mortalium animos du 6 janvier 1928, citée par Boegner dans son premier cycle de conférences, comme cela a été évoqué plus haut). Cela n’empêche nullement Marc Boegner de dire tout le bien qu’il pense de Bérulle, de saint Jean de la Croix, de Romano Guardini au fil de ses conférences, et même de citer favorablement un pape : Pie X108. Comment cet homme, à la fois ancré dans sa tradition familiale et ouvert aux autres familles chrétiennes, fasciné par la dimension liturgique de la communauté chrétienne, ne pouvait-il pas devenir proche du renouveau monastique au sein du protestantisme réformé francophone (c’est au cours d’une conversation avec son fondateur, Roger Schutz, et Jacques Beaumont, que Marc Boegner se décida d’écrire ses mémoires109) ? Rien de surprenant, en effet, à cela.
Marc Boegner fut une figure exceptionnelle du protestantisme français du siècle dernier. Les hommages qui lui furent rendus à l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire, en février 1961, l’indiquent bien110. Son engagement sans faille au service du protestantisme, au service de la réconciliation des diverses branches de ce protestantisme comme aussi, plus largement, des familles chrétiennes, s’adossait à d’authentiques compétences théologiques que l’on discerne sans peine dans les conférences de Carême qu’il prononça à Passy durant plusieurs décennies de ministère au sein de cette paroisse.
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1. Roger Mehl donne une liste des thématiques de ces conférences dans sa biographie de Marc Boegner : Roger Mehl, Le pasteur Marc Boegner (1881-1970). Une humble grandeur, Paris : Plon, 1987, p. 323, n. 37. Il inclut les cycles de conférences qui ne furent pas publiés, à savoir : Le culte en esprit et en vérité (1937) ; La liberté chrétienne (1938) ; Paraboles pour les hommes de ce temps (1939).
2. Sur les circonstances de sa nomination et la situation très difficile que connaît alors la paroisse, cf. R. Mehl, Le pasteur Marc Boegner, p. 65-67.
3. Qu’est-ce que l’Église ? Conférences données à l’Église Réformée de Passy, Paris : Je Sers, 1931, p. 18.
4. La vie chrétienne. Conférences données à l’Église réformée de Passy, Paris : Je Sers, 1933, p. 19-40.
5. R. Mehl, Le pasteur Marc Boegner, p. 93. Boegner ne se fit remplacer que quatre fois : en 1934 par A. N. Bertrand ; en 1936, 1948 et 1952 par Pierre Maury.
6. Dieu, l’éternel tourment des hommes, p. 9.
7. Ibid., p. 16.
8. « […] l’auditoire visible demeura toujours restreint. » Marc Boegner, L’exigence œcuménique, p. 65 (repris par R. Mehl, Le pasteur Marc Boegner, p. 93).
9. Le Christianisme et le Monde Moderne, p. 42 (je souligne ; cf. aussi p. 47, 48, passim). Cf. aussi Dieu, l’éternel tourment des hommes, p. 16, passim. Idem dans Jésus-Christ. Conférences données à l’Église Réformée de Passy (1930) et dans Qu’est-ce que l’Église ? (1931). La femme ne doit pas « déserter son foyer », notamment en travaillant, selon Boegner (Le Christianisme et le Monde Moderne, p. 22) à qui on ne doit pas reprocher, de manière anachronique, de n’avoir pas intégré en 1928 les fruits des révolutions des années 1960 et 1970 !
10. Le fait que les conférences étaient radiodiffusées est mentionné in Dieu, l’éternel tourment des hommes, p. 211, n. 2. Au moment de conclure son cycle de conférences sur « Dieu, l’éternel tourment des hommes », Boegner dit : « je me sépare aussi de tout un auditoire invisible dont la pensée m’émeut profondément » (p. 211). Sur Radio-Paris « principal poste » national, cf. Émile Girardeau, Souvenirs de longue vie, Paris : Berger-Levrault, 1968, p. 204.
11. Dieu, l’éternel tourment des hommes, p. 46.
12. Ibid., p. 46.
13. « Ah ! Messieurs, comme je voudrais pouvoir dire à tous ceux qui, regardant en eux, sont contraints d’y voir cette cendre : vous portez en vous, encore, sans vous en douter, un foyer divin. » La vie chrétienne, p. 39.
14. Dieu, l’éternel tourment des hommes, p. 120.
15. Qu’est-ce que l’Église ?, p. 112.
16. Dieu, l’éternel tourment des hommes, p. 120.
17. R. Mehl, Le pasteur Marc Boegner, p. 96, citant un journal flamand.
18. « Avant-propos » à Qu’est-ce que l’Église ?, p. x. Cf. déjà l’« Avant-propos » au premier cycle de conférences : Le Christianisme et le Monde Moderne, p. vii-viii ; « Avant-propos » au cycle de 1935 : Le Christ devant la souffrance et devant la joie ; passim.
19. Boegner le confirme dans ses souvenirs : « J’avais conçu ces conférences comme un effort d’apologétique qu’au nom de l’Église dont j’étais le pasteur je voulais tenter dans le xvie arrondissement. » M. Boegner, L’exigence œcuménique, p. 64.
20. Qu’est-ce que l’Église ?, p. 103.
21. Le Christianisme et le Monde Moderne, p. 5-8 ; les citations sont tirées de Qu’est-ce que l’Église ?, p. 151.
22. « Avant-propos » à Le Christianisme et le Monde Moderne, p. viii.
23. « Avant-propos » à Qu’est-ce que l’Église ?, p. xi.
24. Le Christianisme et le Monde Moderne, p. 5.
25. Le Christianisme et le Monde Moderne, p. 9. Cf. également ibid., p. 127 et 131-132.
26. Cf. par ex. M. Boegner, Jésus-Christ. Conférences données à l’Église Réformée de Passy, Paris : Je Sers, 1930, p. 56-59 et 181-182. Les citations de Blaise Pascal, de Laberthonnière, de Péguy et d’autres auteurs bien connus des auditeurs catholiques abondent déjà dans Dieu, l’éternel tourment des hommes. Le nom de Calvin, avec une citation de l’Institution de la religion chrétienne, se trouve dans la dernière conférence du cycle consacré à Jésus-Christ : Jésus-Christ. Conférences données à l’Église Réformée de Passy, Paris : Je Sers, 1930, p. 204-205. On le retrouve plus régulièrement dans Qu’est-ce que l’Église ?, p. 33-34, 55-56, 86-88 et surtout 107-109 (à propos de l’Église comme « mère » ; je reviens sur ce point infra). Sur la grande amitié qui lia Boegner et Laberthonnière, cf. M. Boegner, « Une incomparable amitié », in Paul Beillevert (éd.), Laberthonnière, l’homme et son œuvre, Paris : Beauchesne, 1972, p. 51-57, texte qui reprend quelques extraits tirés de M. Boegner, L’exigence œcuménique, p. 32-34, 69-74 – où Boegner écrit : « Sa mort fut une des plus grandes peines de ma vie qui en connut beaucoup d’autres » (p. 73-74) ; cf. également Marie-Thérèse Perrin (éd.), Dossier Laberthonnière. Correspondance et textes (1917-1932), Paris : Beauchesne, 1983. Roger Mehl signale l’importance de Laberthonnière pour Boegner : Le pasteur Marc Boegner (1881-1970), p. 22. Sur Laberthonnière, cf. l’article récent de Pierre Colin, « Lucien Laberthonnière, un précurseur méconnu », in Annette Becker, Frédéric Gugelot, Denis Pelletier et Nathalie Viet-Depaule (dir.), Écrire l’histoire du christianisme contemporain. Autour de l’œuvre d’Étienne Fouilloux, Paris : Karthala, 2013, p. 65-76.
27. Le Christianisme et le Monde Moderne, p. 135.
28. Ibid., p. 202.
29. Pour la prière conclusive des conférences de 1928, cf. ibid., p. 205-206. Pour celle du cycle de 1935, cf. Le Christ devant la souffrance et devant la joie, p. 240.
30. Dieu, l’éternel tourment des hommes, p. 168.
31. Jésus-Christ. Conférences données à l’Église Réformée de Passy, Paris : Je Sers, 1930, p. 107 ; Dieu, l’éternel tourment des hommes, p. 209.
32. Qu’est-ce que l’Église ?, p. 163. Au moment de parler du sens de l’apologétique chrétienne (ibid., p. 162-166), Boegner s’appuie fortement sur les Essais de philosophie religieuse du P. Laberthonnière (Paris : Lethielleux, 1903).
33. Dieu, l’éternel tourment des hommes, p. 180.
34. Ibid., p. 200. Cf. aussi p. 209.
35. Ibid., p. 212 (Boegner souligne). Boegner conclut de manière similaire ses discours sur Jésus-Christ du printemps 1930 : « à travers ses paroles vieilles de vingt siècles écoutez les paroles qu’il vous adressera, et vous verrez si vous ne trouvez pas en lui la solution de votre problème personnel […]. » Jésus-Christ, p. 220.
36. Dieu, l’éternel tourment des hommes, p. 204. Dans L’exigence œcuménique (p. 36), Boegner indique que Laberthonnière aimait dire : « Dieu, non pas un problème, mais la solution du seul problème. »
37. Dieu, l’éternel tourment des hommes, p. 204. Boegner ajoute : « L’histoire de l’Église, l’histoire des Missions en terre païenne, de l’évangélisation de nos grandes cités, si nous pouvions produire ici leur témoignage, nous feraient entendre les échos innombrables d’une harmonie splendide, l’harmonie de toutes les âmes qui, depuis dix-neuf siècles, ayant trouvé Dieu par le Christ, ont vécu de lui et pour lui. » Ibid.
38. Ibid., p. 209-210.
39. Jésus-Christ (1930), p. 207.
40. Jésus-Christ (1930), p. 213.
41. Le Christianisme et le Monde Moderne, p. 155-156, citant la Pensée 548 (éd. V. Giraud) : « Non seulement nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ ; mais nous ne nous connaissons nous-mêmes que par Jésus Christ… Hors de Jésus-Christ, nous ne savons ce que c’est ni que notre vie, ni que notre mort, ni que Dieu, ni que nous-mêmes. »
42. La fraternité humaine « est la preuve la plus décisive de la paternité de Dieu ». Ibid., p. 163. « À cette universalité de la paternité divine répond l’universalité de la fraternité humaine. Si Dieu est le Père de tous, tous les hommes sont frères. » Dieu, l’éternel tourment des hommes, p. 187-188. Cf. aussi Qu’est-ce que l’Église ?, p. 25.
43. Jésus-Christ (1930), p. 215.
44. R. Mehl, Le pasteur Marc Boegner, p. 94.
45. Jésus-Christ, p. 216.
46. Ibid., p. 217, citant L. Laberthonnière, Le réalisme chrétien et l’idéalisme grec, Paris : Lethielleux, 1904, p. 69.
47. Sur Alexandre Vinet et la foi en un Dieu « personnel », cf. La vie chrétienne, p. 172.
48. Le Christianisme et le Monde Moderne, p. 150.
49. Ibid., p. 158-159.
50. Boegner dit son admiration pour Gaston Frommel in La vie chrétienne, p. 171. À la page précédente, il situe Frommel dans la grande lignée des mystiques chrétiens : Bernard de Clairvaux, l’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ (Thomas a Kempis), Luther, Pascal et Alexandre Vinet.
51. Dieu, l’éternel tourment des hommes, p. 142. Ou encore : « […] la grande chose n’est pas de beaucoup faire, mais de vous faire vous-mêmes dans la force de Dieu ». La vie chrétienne, p. 203.
52. Dieu, l’éternel tourment des hommes, p. 136-137. Cf. également Le Christianisme et le Monde Moderne, p. 147-148.
53. Le Christianisme et le Monde Moderne, p. 147.
54. Ibid., p. 157.
55. Ibid., p. 158.
56. Qu’est-ce que l’Église ?, p. 111.
57. Ibid., p. 148.
58. Ibid., p. 149-150.
59. « Je ne méconnais certes pas les iniquités dont sont coupables les puissances coloniales et je n’ignore pas les souffrances qu’ont trop souvent à endurer des peuples que l’Europe chrétienne a pour devoir d’élever à la véritable liberté et qu’elle regarde trop souvent comme de simples réservoirs de main-d’œuvre. » Le Christianisme et le Monde Moderne, p. 189-190. Il va sans dire que ces propos-là sont, comme d’ailleurs tous les propos de Boegner (et tous les propos que nous exprimons à notre tour), « datés ».
60. Titre de la 4e conférence du cycle sur Jésus-Christ. Jésus-Christ (1930), p. 115-147.
61. Ibid., p. 145.
62. « La Croix n’est pas le symbole d’une religion qui exalte la souffrance et lui confère une valeur en elle-même. » La vie chrétienne, p. 184. À nouveau en 1935, avant de parler, dans la cinquième et dernière conférence, du « paradoxe chrétien de la joie » (contre tout optimisme et tout pessimisme) comme prolongement du « paradoxe de la croix » (Le Christ devant la souffrance et devant la joie, p. 236) : « Non, le christianisme n’est pas la religion de la souffrance, il est la religion du salut, et, par conséquent, de la joie. » Le Christ devant la souffrance et devant la joie, p. 160. Les anciens accents ne sont toutefois pas très loin ; à propos de la souffrance : « Le christianisme lui donne un sens. […] D’annihilante elle devient rédemptrice. » La vie chrétienne, p. 185.
63. Jésus-Christ (1930), p. 141.
64. R. Mehl, Le pasteur Marc Boegner, p. 20-22 ; Tommy Fallot, La religion de la solidarité, Paris : Fischbacher, 1908. Citation in M. Boegner, T. Fallot, l’homme et l’œuvre, Paris : Je Sers, 1931, p. 207, ainsi que dans Roger Mehl, Le pasteur Marc Boegner, p. 320, n. 20. On trouve une allusion à ce que Tommy Fallot appelait le « droit au salut », c’est-à-dire le fait que, pour beaucoup d’êtres humains, les conditions de vie misérables (le « milieu ») sont un obstacle à l’émergence d’une vie chrétienne et d’une pratique chrétienne, in Le Christianisme et le Monde Moderne (1928), p. 19 et 184.
65. Jésus-Christ (1930), p. 103. Cf. déjà Le Christianisme et le Monde Moderne (1928), p. 69-70.
66. Le Christianisme et le Monde Moderne, p. 61 (cf. également p. 155 et 183). Boegner cite plus loin (p. 86-87) Nicolas Berdiaev, qui exprimait des vues similaires dans Un nouveau Moyen Âge, Paris : Plon, 1927 (d’abord paru en russe à Berlin en 1924).
67. Le Christianisme et le Monde Moderne, p. 155. Le Christ devant la souffrance et devant la joie, p. 171-172.
68. Commentant le premier commandement (« Tu n’auras pas d’autres dieux »), Luther écrit : « Cela veut dire : c’est moi seul que tu considéreras comme ton Dieu. Qu’est-ce que cela signifie, et comment faut-il le comprendre ? Qu’est-ce qu’avoir un dieu, ou qu’est-ce que Dieu ? Réponse : Un dieu, c’est ce dont on doit attendre tous les biens et en quoi on doit avoir son refuge en toutes détresses. De telle sorte qu’avoir un dieu n’est autre chose que croire en lui de tout son cœur et, de tout son cœur, mettre en lui sa confiance. Comme je l’ai dit souvent, la confiance et la foi font et le Dieu et l’idole. Si la foi et la confiance sont justes et vraies, ton Dieu, lui aussi, est vrai, et inversement, là où cette confiance est fausse et injuste, là non plus n’est pas le vrai Dieu. Car foi et dieu sont inséparables. Ce à quoi (dis-je) tu attaches ton cœur et tu te fies est, proprement, ton dieu. » Martin Luther, « Le Grand Catéchisme », in La foi des Églises luthériennes. Confessions et catéchismes, édité par André Birmelé et Marc Lienhard, Paris-Genève : Cerf-Labor et Fides, 1991, p. 338.
69. Le Christianisme et le Monde Moderne, p. 182.
70. Ibid., p. 183. L’expression « solidarités voulues de Dieu » revient dans La vie chrétienne (1933), p. 34.
71. Le Christianisme et le Monde Moderne, p. 198.
72. Ibid., p. 200.
73. L’Évangile et le racisme, p. 7.
74. Le Christ devant la souffrance et devant la joie, p. 172. Ces mots de Boegner ne sont pas sans rappeler le célèbre poème d’un autre grand pasteur, son contemporain Martin Niemöller : « Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. »
75. L’Évangile et le racisme, p. 12.
76. La vie chrétienne, p. 132-133.
77. Jésus-Christ, p. 63.
78. Jésus-Christ, p. 88.
79. L’Évangile et le racisme, p. 36.
80. Ibid.
81. Ibid., p. 38.
82. Marc Boegner, L’exigence œcuménique, p. 14 et 21 ; R. Mehl, Le pasteur Marc Boegner, p. 21. Les « marques » de l’Église figurent à la fin du Credo de Nicée-Constantinople : unité, sainteté, catholicité (c’est-à-dire universalité) et apostolicité.
83. M. Boegner, L’exigence œcuménique, p. 74.
84. « On me permettra de reconnaître ici tout ce que je me sens devoir à la pensée du P. Laberthonnière, si proche, à tant d’égards de celle de Fallot, et à souhaiter que le protestantisme apprenne à mieux connaître les richesses qu’offrent à leurs lecteurs des livres, malheureusement épuisés, tels que les Essais de Philosophie religieuse et Idéalisme et Réalisme chrétien. » Le Christianisme et le Monde Moderne, p. 140, note. Boegner exprime une nouvelle fois sa dette envers Tommy Fallot in La vie chrétienne, p. 181.
85. Qu’est-ce que l’Église ?, p. 77.
86. M. Boegner, L’exigence œcuménique, p. 36. Y participaient des orthodoxes, des catholiques (Raïssa et Jacques Maritain, Lucien Laberthonnière, Stanislas Fumet, le Père Stanislas Gillet, dominicain) et des protestants (Wilfred Monod, Édouard Soulier, Marc Boegner).
87. La vie chrétienne, p. 130-132, 136 et 201.
88. Dans ses souvenirs, Marc Boegner maintient les thèses qu’il articulait en 1931 dans cette conférence (« Chemins de l’Unité »). Il précise toutefois : « Je marquerais plus fortement que je ne le fis alors que le chemin de l’Unité doit passer par la prise de conscience de la vocation apostolique essentielle à laquelle doivent parvenir les Églises et, grâce à Dieu, elles sont toutes ensemble engagées dans cette étape. » M. Boegner, L’exigence œcuménique, p. 66.
89. Jésus-Christ, p. 178 ; Qu’est-ce que l’Église ?, p. 123.
90. Boegner s’appuie d’ailleurs sur Calvin en 1931, in Qu’est-ce que l’Église ?, p. 123, où il cite ce passage de Calvin : « en la Cène Iesus Christ nous est vrayement donné sous les signes du pain et du vin, voire son corps et son sang, ausquels il a accomply toute iustice pour nous acquérir salut ; et que cela se fait premièrement afin que nous soyons uniz en un corps, secondement, afin qu’estans faits participans de sa substance, nous sentions aussi sa vertu, en communiquant à tous ses biens. » Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, IV,17,11 (éd. Jean-Daniel Benoit, Paris : Vrin, 1966, p. 386). Boegner pose alors la question : « N’est-ce pas là l’affirmation d’une présence que discerne la foi ? » Qu’est-ce que l’Église ?, p. 124. Boegner (ibid.) rejoint Calvin et sa recommandation que la Cène soit « en fréquent usage à tous chrétiens » (Inst. IV,17,44 et IV,18,7).
91. « Avant-propos » à Qu’est-ce que l’Église ?, p. x.
92. Ibid., p. x-xi.
93. Qu’est-ce que l’Église ?, p. 4. Cf. aussi p. 155. Karl Barth s’exprime de manière similaire dans un texte largement diffusé en plusieurs langues (allemand, français et anglais) à la toute fin de l’année 1931 puis en 1932 : il y dénonce non seulement le fascisme et le communisme, mais également l’« américanisme » comme autant de nouvelles « religions ». K. Barth, « Questions au “Christianisme” », Le Semeur 34 (1932), p. 253-266 ; titre original : « Fragen an das ‘Christentum’ », repris in K. Barth, Theologische Fragen und Antworten. Gesammelte Vorträge, 1957, p. 93-97, puis (édition de référence) dans K. Barth, Vorträge und kleinere Arbeiten 1930-1933 (Œuvres complètes, t. 49), éd. Michael Beintker, Michael Hüttenhoff et Peter Zocher, Zürich : TVZ, 2013, p. 141-155.
94. « Avant-propos » à Qu’est-ce que l’Église ?, p. ix. Cf. le titre de la 4e conférence du cycle sur La vie chrétienne : « Les disciplines nécessaire » (p. 107-137). D’emblée, Boegner écrit (p. 108) : « Au mot de discipline un grand nombre de protestants dressent l’oreille. Il a, en eux, je ne sais quelle résonance catholique. »
95. Qu’est-ce que l’Église ?, p. 107. Boegner revient sur la « maternité » de l’Église in La vie chrétienne (1933), p. 38. « Sans doute sont-ils nombreux, parmi ceux qui m’écoutent, les fidèles des Églises de la Réforme demeurés indifférents, jusqu’à présent, à la valeur incomparable de la prière liturgique. » La vie chrétienne, p. 164. Cf. aussi, sur la maternité de l’Église, L’Évangile et le racisme (1939), p. 21.
96. Qu’est-ce que l’Église ?, p. 46-47.
97. Ibid., p. 82.
98. Ibid., p. 4.
99. Ibid., p. 19 et 24-25, citant Emil Brunner, « Église et révélation » (trad. Maurice Chappuis), Revue de théologie et de philosophie 18 (1930), p. 5-24 ; cf. aussi Qu’est-ce que l’Église ?, p. 151-155 (citation p. 155), citant E. Brunner, « Secularism as a Problem for the Church », International Review of Missions 19 (octobre 1930), p. 495-511. Roger Mehl le dit bien : « Boegner lui-même n’était pas barthien […]. » R. Mehl, Le pasteur Marc Boegner, p. 76.
100. « Et, sans hésiter, parce qu’il se connaît maintenant tel que Dieu le connaît, il souscrirait à cette parole de Barth : “Nos actions n’ont besoin que d’une chose, c’est d’être pardonnées”. » La vie chrétienne, p. 45. Quelques pages auparavant, sans mention de Barth, une idée très « barthienne » est mise en avant : celle du jugement divin, qui doit être compris comme strictement relatif au salut : « Mais il ne nous juge que pour nous sauver » (ibid., p. 28). Karl Barth est à nouveau cité en 1935, notamment en lien avec une réflexion sur le « paradoxe » de la joie (là encore, une proximité avec la théologie de Barth est évidente) : Le Christ devant la souffrance et devant la joie, p. 55 et 226-228. Eduard Thurneysen est cité pour la première fois (son ouvrage de 1921 sur Dostoievski, traduit en français par Pierre Maury et publié aux éditions Je Sers en 1934) en 1935, in Le Christ devant la souffrance et devant la joie, p. 47 et 159.
101. La vie chrétienne, p. 101.
102. Le Christ devant la souffrance et devant la joie, p. 11.
103. Qu’est-ce que l’Église ?, p. 158.
104. Ibid., p. 166.
105. Le Christ devant la souffrance et devant la joie, p. 232.
106. Cf. toutefois (mais de tels propos sont assez rares sous sa plume) : « Homme comme vous, communiant comme vous aux souffrances et à la détresse d’un monde qui est le vôtre et le mien […]. » Le Christianisme et le Monde Moderne, p. 124. Ou encore : « À devenir chrétiens, nous ne cessons pas d’être des hommes, et rien de ce qui est humain, à commencer par l’angoisse, la détresse, le deuil et la douleur, ne saurait nous être étranger. » La vie chrétienne (1933), p. 86.
107. La vie chrétienne, p. 198.
108. Ces auteurs sont cités notamment dans La vie chrétienne (conférences de 1933). Cf. notamment p. 125-126 (Bérulle, cité via Henri Brémond) et 165-166 (Pie X).
109. Cf. l’« Avant-propos » à M. Boegner, L’exigence œcuménique.
110. Cf. les messages de Jean Bosc, de l’archevêque de Cantorbéry Geoffrey Fisher, de Henry Smith Leiper (du Conseil œcuménique des Églises), de l’évêque de Bristol Oliver Tomkins et de Gabriel Marcel, in Foi et Vie 60/5-6 (1961), p. 3-24.
Principaux ouvrages cités
Marc Boegner, Le Christianisme et le Monde Moderne. Conférences données à l’Église Réformée de Passy, Paris : Fischbacher, 1928.
Dieu, l’éternel tourment des hommes. Conférences données à l’Église Réformée de Passy, Clamart : Je Sers, 1929.
Jésus-Christ. Conférences données à l’Église Réformée de Passy, Paris : Je Sers, 1930.
Qu’est-ce que l’Église ? Conférences données à l’Église Réformée de Passy, Paris : Je Sers, 1931.
L’Église et les questions du temps présent, Paris : Je Sers, 1932.
La vie chrétienne. Conférences données à l’Église réformée de Passy, Paris : Je Sers, 1933.
Le Christ devant la souffrance et devant la joie. Conférences données à l’Église réformée de Passy, Paris : Je Sers, 1935.
L’Évangile et le racisme. Conférence donnée à l’Église réformée de Passy, Paris : Je Sers, 1939.