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Marc Boegner biographe de Tommy Fallot

Quelques remarques

André ENCREVÉ

Université Paris XII

On le sait, Marc Boegner a été fortement influencé par son oncle Tommy Fallot. Son biographe, Roger Mehl, fait remarquer que lorsque Boegner faisait ses études de théologie Fallot était

son véritable père spirituel et qu’il le restera bien au-delà de sa mort […]. Il n’est guère d’écrits, de conférences où Marc Boegner jusqu’à un âge avancé n’ait évoqué ou cité Fallot. Il n’est pas exagéré de dire que celui-ci fut, en même temps que son père spirituel, son maître à penser, et qu’avant même d’entreprendre des études de théologie, il avait trouvé, grâce à Fallot, une orientation théologique que, bien sûr, il enrichira par la suite, mais à laquelle il restera toujours fidèle1.

Marc Boegner précise lui-même : « De novembre 1898 à juillet 1900, je vécus aux Auberts [lieu-dit de la Drôme où réside alors Fallot] un temps d’études, de recueillement, d’apprentissage de la vie chrétienne et ecclésiale qui me laisse de merveilleux souvenirs2. » De plus, rapporte encore Roger Mehl :

Au cours de l’été 1903, son mal empire et il [Fallot] appelle auprès de lui à Leysen, où il a été revoir sa fille mourante, son neveu Marc Boegner. Les deux hommes regagnent ensemble la Drôme et s’établissent tout près d’Aouste [commune dont Fallot est le pasteur], à Blacons. Après une légère amélioration au début de 1904, amélioration qui permet à Fallot de reprendre en partie son ministère, le mal évolue vers la phase finale, et Boegner revient à Blacons peu avant la Pentecôte 1904. Il ne quittera plus son oncle jusqu’à sa mort, le 3 septembre 1904. Fallot va profiter des dernières forces qui lui restent pour confier à son neveu ses ultimes pensées (« Entretiens de Pentecôte » [dont Boegner a publié des fragments])3.

Enfin, comme Boegner le rapporte, « pour répondre au vœu que lui-même [Fallot] m’avait exprimé dans d’émouvants entretiens que nous eûmes quelques semaines avant sa mort4 », il accepte de succéder à son oncle comme pasteur de l’Église réformée d’Aouste, et il le reste jusqu’en 1911.

L’influence que Fallot a exercée sur Boegner a déjà été étudiée par Roger Mehl dans la biographie qu’il a consacrée à ce dernier. Il est donc inutile d’y revenir et le lecteur intéressé pourra s’y reporter. Mais il nous a semblé intéressant de présenter comment Boegner choisit de parler d’un homme dont il est aussi proche dans les deux ouvrages qu’il consacre à son oncle.

Portrait de Tommy Fallot en frontispice de Marc BoegnerLa vie et la pensée de T. Fallot, t. II : L’achèvement (1872-1904). D’après sa correspondance et d’autres documents inédits, Paris : Berger-Levrault – Librairie Fischbacher, 1926

Marc Boegner rédige deux livres sur Tommy Fallot. Le premier, intitulé La vie et la pensée de T. Fallot, d’après sa correspondance et d’autres documents inédits, est publié à Paris chez Berger-Levrault et Fischbacher et comporte deux tomes. Le tome I, paru en 1914 et sous-titré La préparation (1844-1872), compte 52 pages d’introduction et 386 pages de texte. Dans le tome II, paru en 1926 et sous-titré L’achèvement, on dénombre 10 pages d’avant-propos et 466 de texte ; ce qui fait un total de 914 pages de grand format (16 x 25). Il s’agit d’un travail universitaire. Lorsqu’il l’entreprend5, en 1909, Boegner envisage d’exercer un ministère de professeur de théologie, ce qui implique alors de rédiger deux thèses6. La première, dite « thèse de licence en théologie » est en général plus succincte que la seconde7 ; mais elle est le grade universitaire indispensable pour être en mesure de soutenir ensuite sa « thèse de doctorat en théologie », qui permet d’être nommé professeur de faculté. Les deux tomes de cet ouvrage sont les deux thèses de Boegner, qu’il soutient l’une et l’autre devant la Faculté de Paris, où il a fait l’ensemble de ses études de théologie8. Avant de choisir son sujet de thèse de licence, Boegner semble avoir hésité – il est toujours délicat de préparer un travail universitaire sur un membre de sa famille avec lequel, qui plus est, on est tout particulièrement lié – et avoir consulté deux de ses anciens professeurs, John Viénot et Raoul Allier, qui l’ont encouragé dans cette voie, dans laquelle il s’engage ensuite résolument. Il est vrai que Boegner possède chez lui une bonne partie du matériel documentaire dont il a besoin : après la mort de son oncle sa famille lui a confié les papiers personnels de ce dernier, sa correspondance en particulier9. Cela a pu l’encourager à faire ce choix, d’autant plus que lorsqu’il commence ce travail, il est encore pasteur dans la Drôme10. Mais cela peut expliquer, en partie, qu’il ait sous-titré ses deux thèses « d’après sa correspondance et d’autres documents inédits ». Toutefois, il est clair que, pour Boegner, le travail sur les papiers de son oncle possède une composante émotionnelle. Dans l’Avant-propos du tome II Boegner écrit ainsi qu’il a eu « le désir de faire revivre celui par qui Dieu m’a tant donné11 » ; il explique aussi dans ses Souvenirs :

Au fur et à mesure que j’avançais dans ce travail [inventaire des papiers de Fallot], rendu difficile par le désordre des documents, j’éprouvais l’émotion de revivre, dans leur profondeur, les « époques » d’une vie et les mouvements d’une pensée dont, par la suite, j’ai essayé de mettre en lumière l’extrême diversité, dans une unité fondamentale12.

Notons, également, que sa thèse de doctorat paraît douze ans après sa thèse de licence, ce qui est un peu inhabituel. Pour l’expliquer, Boegner précise dans l’Avant-propos du tome II que dès 1914 il avait déjà rassemblé « un grand nombre des matériaux nécessaires13 » et que ce long délai est dû à la Première Guerre mondiale et aux débuts – compliqués, il est vrai – de son ministère à Passy. Toutefois, R. Mehl avance aussi une autre explication. Au début des années 1920 Boegner semble avoir « renoncé à l’idée d’enseigner la théologie dans un établissement d’enseignement supérieur14 » ; mais, comme il souhaite tout de même être docteur en théologie, il cherche un sujet. En 1918 il songe donc un moment « à consacrer sa thèse à Duplessis-Mornay, dont Raoul Allier lui conseillait d’étudier la pensée religieuse et John Viénot les vues politiques15 ». Finalement, il décide de terminer sa biographie de Fallot, « compte tenu de ses précédents travaux et de l’immense reconnaissance qu’il avait à l’égard de Tommy Fallot16 », écrit encore R. Mehl.

Le second ouvrage que Boegner consacre à Fallot est tout à fait différent. Intitulé T. Fallot, l’homme et l’œuvre, et publié en 193117 à Paris aux éditions Je Sers, il compte seulement 264 pages de petit format (14 x 21). Dans l’Avant-propos, Boegner le présente comme une sorte de résumé de son livre précédent, parce que, explique-t-il, « de divers côtés […] on souhaitait une biographie de Fallot où l’exposé de sa pensée ne reçût pas des développements aussi abondants18 » que dans ses deux thèses. Cependant, ce « petit » livre est plus que cela. En effet, en 1931 Boegner n’est plus le jeune pasteur (il est né en 1881) d’une modeste paroisse de la campagne drômoise qu’il était en 1909 lorsqu’il a mis au point sa méthode de travail pour rédiger un livre consacré à son oncle – décédé cinq ans plus tôt –, qu’il admire tant et auquel il a succédé comme pasteur à Aouste. Il est désormais le pasteur d’une importante paroisse parisienne (Passy), qui prononce des « conférences de Carême » retransmises par ce nouveau média qu’est la radio, et président de la Fédération protestante de France. S’il n’est pas encore devenu « le président Boegner19 », il est déjà l’une des principales personnalités du protestantisme français. Évidemment, son admiration pour son oncle est toujours présente : dans son Avant-propos il le qualifie « d’une des plus puissantes personnalités qu’ait comptées, au siècle dernier, le protestantisme français20 ». Mais il a acquis une certaine distance vis-à-vis de son oncle. De plus, en condensant son propos initial il est conduit à réfléchir davantage sur les choix de vie et sur les évolutions de la pensée de Fallot. Il propose donc des explications plus nombreuses que dans son premier ouvrage21.

Quelle méthode Boegner utilise-t-il pour retracer « la vie et la pensée » de Tommy Fallot dans ses deux thèses ? Il précise tout d’abord qu’il se refuse à faire quelque chose « qui ressemble à un panégyrique » mais aussi qu’il n’a pas cru que, « de peur de paraître grandir un homme, il fallût prendre à tâche de le rapetisser » et donc tenter de montrer son impartialité « en laissant dans l’ombre les grands côtés et en mettant en relief les défauts22 ». Il suit donc « la méthode qu’ont mise dès longtemps en faveur les biographes d’outre-Manche. J’ai cherché à m’effacer aussi complètement que possible et à laisser parler Fallot lui-même23. » De fait, une très grande partie des deux tomes de son premier livre consiste en des citations de « sa correspondance et d’autres documents inédits ». En plus des lettres écrites par Fallot, Boegner utilise donc certains de ses manuscrits inédits, des brochures et des prédications publiées, ainsi que les entretiens qu’il a eus avec Fallot à Pentecôte 1904 et qu’il a immédiatement fixés par écrit à l’aide de notes qu’il a prises « tandis que Fallot parlait24 » ; cette dernière source se révélant d’ailleurs capitale pour les pages qu’il consacre aux dernières années de Fallot dans son tome II25.

Précisons quelque peu la manière dont Boegner utilise ses sources. En ce qui concerne la correspondance de Fallot, Boegner privilégie les lettres qu’il a adressées à deux correspondants26. Gabriel Monod (1844-1912), tout d’abord, qui a été pensionnaire chez le pasteur Edmond de Pressensé en même temps que Fallot (de 1860 à 1862) lorsqu’ils faisaient l’un et l’autre leurs études à Paris. Ensuite ces deux hommes sont restés très liés27, au moins durant une partie de leur vie. En effet, dans son premier tome Boegner cite 55 fois des lettres à G. Monod ; mais aucune n’est postérieure à l’année 1872, sans qu’il en explique la raison. Cela semble curieux tant cette correspondance est fondamentale pour Boegner lorsqu’il rédige son premier tome, et du fait que ces lettres révèlent la très grande proximité intellectuelle et morale entre ces deux hommes. Il se peut, certes, que Boegner n’ait retrouvé aucune lettre postérieure pour des raisons fortuites. Mais il est aussi loisible de se demander si leurs relations n’ont pas été altérées par l’évolution religieuse de G. Monod après 187228, très éloignée de celle de Fallot. Dans le second tome Boegner privilégie un autre correspondant, le pasteur Paul Minault (1858-1897), qui partage ses convictions chrétiennes sociales. Déjà utilisées 13 fois dans le premier tome, des lettres adressées à Minault par Fallot sont citées 50 fois dans le second tome. Elles concernent presque toutes les années 1889-1893, moment de crise pour Fallot, et sont à ce propos une source très importante. D’ailleurs Boegner affirme qu’à partir de 1889, Minault est le « plus intime confident de sa pensée29 ». Ensuite, Boegner est dans l’incapacité de citer des lettres postérieures car elles ont été perdues30. En dehors de ces deux hommes, Boegner utilise évidemment des lettres de Fallot adressées à d’autres correspondants31, mais les citations en sont nettement moins nombreuses et, à la différence des précédentes, elles ne constituent pas le cœur des développements que Boegner consacre à certaines périodes de la vie de Fallot.

Naturellement Boegner cite aussi très largement des manuscrits inédits, dont certains – Le livre de l’Action bonne, La religion de la solidarité, Comment lire la Bible jour après jour et Christianisme social –, seront ensuite publiés par les soins de Boegner32 ; ainsi que des brochures et articles publiés par Fallot. Comme c’est naturel, dans son livre paru en 1931 Boegner utilise les mêmes sources puisque c’est un résumé de ses thèses et qu’il n’a pas fait de nouvelles recherches pour le rédiger.

À propos de ses sources, le plus notable est la façon dont Boegner les utilise. Fidèle à son projet de « faire parler » Fallot, il fait d’innombrables citations. Il est difficile de préciser la part exacte des citations et celle du texte rédigé par Boegner. Mais la lecture de ses deux thèses laisse penser qu’au moins les deux tiers des pages de son livre sont des citations. Et, dans plus d’un cas, Boegner privilégie presque exclusivement une seule source. Ainsi, par exemple, lorsqu’il évoque le séjour de deux ans que Fallot fait à Zurich en 1862-1864, les pages 178 à 193 sont exclusivement fondées sur des citations de lettres qu’il a adressées à Gabriel Monod. De même, dans le tome II, les années 1890-1892 sont presque entièrement fondées sur des citations de lettres à Paul Minault (voir les pages 189-237). Par ailleurs, Boegner ne se contente pas de faire de très nombreuses citations de taille moyenne, voire d’une à deux pages, il n’hésite à faire de très longues citations d’un document qui lui semble important. Ainsi, par exemple, une lettre à G. Monod d’octobre 1862 occupe les pages 57-61 du tome I car Boegner veut – dit-il – présenter « tous les mouvements » de l’âme de Fallot. Ou, pour évoquer les options doctrinales de Fallot lorsque ce dernier fait ses études de théologie, il cite une lettre à G. Monod de novembre 1871, reproduite aux pages 318-321 du tome I. De même, pour présenter le « travail intérieur » de Fallot en 1892, une lettre à P. Minault de juin 1892 est citée aux pages 226-230 du tome II. Certaines citations d’une seule lettre sont même plus longues : dans le second tome, par exemple, les pages 200 à 208 sont occupées par la reproduction d’une lettre de Fallot à P. Minault du 8 février 1891. Dans le livre publié par Boegner en 1931, les citations de lettres sont naturellement moins développées ; mais il arrive tout de même qu’elles couvrent quatre pages33.

De la même façon, quand Boegner s’intéresse à une question traitée par Fallot dans l’un de ses manuscrits inédits, il lui arrive de faire de très longues citations. Ainsi, par exemple, Boegner indique qu’en 1895 le Comité pour l’encouragement des études près la faculté de théologie de Montauban organise un concours intitulé Qu’est-ce qu’une Église ? sa nature ? ses éléments constitutifs ? ; et que Fallot décide de préparer un mémoire à ce sujet. Boegner ayant retrouvé dans ses papiers un cahier intitulé L’Église notes au jour le jour, « plutôt que de résumer en quelques lignes le livre auquel aboutit celui-ci34 », il choisit de reproduire de larges extraits de ce cahier. Il estime qu’il « vaut mieux suivre l’auteur dans son effort pour saisir le problème dans son centre et pour projeter sur lui la lumière de quelques grands principes35 ». Et cette longue citation court sur les pages 299 à 305. On le voit, c’est sans doute en utilisant cette méthode que Boegner estime qu’il « fait parler » Fallot, ce qui est l’un de ses objectifs. Il reste que – bien évidemment – Boegner s’efforce aussi d’expliquer souvent les décisions ou les évolutions de Fallot ; mais chaque fois qu’il est en mesure de le faire, c’est à l’aide de citations.

Sur le fond, lorsqu’il présente des choix de Fallot, ou qu’il analyse certains de ses écrits, en général Boegner ne cherche pas à les éclairer en les contextualisant. Prenons quelques exemples. Dans le tome I Boegner s’intéresse à la formation théologique de Fallot et précise qu’il a lu une bonne partie des grands théologiens allemands du milieu du xixe siècle : Schleiermacher (qu’il semble fort apprécier)36, Ewald, Strauss, Baur, en particulier37. Mais ensuite Boegner n’utilise pas cette connaissance qu’a Fallot de ces célèbres auteurs pour tenter de permettre au lecteur de mieux comprendre certains de ses choix doctrinaux. Par exemple, quand Boegner explique que lorsqu’il fait ses études de théologie Fallot est peu favorable à l’exégèse scientifique38, il ne montre pas de quelle façon ce refus de Fallot peut être articulé avec la connaissance qu’il a de l’utilisation de la méthode historico-critique par Baur39. Boegner évoque aussi Fallot s’interrogeant en 1865 sur la notion d’inspiration des Écritures, et affirmant : « Où est le Christ, là est une inspiration complète, divine. Mais pour connaître Christ, il faut l’avoir ; donc ayez le Christ en vous, et vous le trouverez dans la Bible40. » Un peu plus loin il cite Fallot faisant (en 1871) une différence entre religion et théologie :

La théologie est une science que l’intelligence s’assimile comme toutes les autres sciences. La religion est une puissance dont l’âme se nourrit. La théologie tue la religion, et la religion s’affaiblit en raison directe de sa tendance à devenir une théologie. […] La religion est pour moi un domaine supérieur, mais complètement analogue au domaine des mouvements et des affections humaines. […] Le plus glorieux privilège de la religion de Jésus-Christ est de pouvoir être expérimentée par le dernier des ignorants qui a soif de quelque chose de supérieur à la terre […]41.

Tout cela fait, évidemment, penser aux Discours de Schleiermacher. Mais Boegner n’estime pas devoir rechercher s’il y a un lien, alors qu’il a tenu à signaler auparavant que Fallot est très intéressé par ce théologien. Dans le même ordre d’idées on peut remarquer que, quand il présente assez en détail le travail inédit de Fallot intitulé La vie et la pensée42, Boegner ne cherche pas à distinguer ce qu’il y a d’original dans ce texte et ce qui peut être rapproché de ce qu’écrivent alors d’autres théologiens et penseurs religieux43.

Autre exemple, quand Boegner présente ce qu’il appelle « la prédication du christianisme social » par Fallot entre 1881 et 188944 et qu’il expose en quel sens il peut être qualifié de socialiste, il n’évoque par les autres initiateurs du mouvement du christianisme social dans les pays étrangers, en Allemagne, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis par exemple. Il ne cherche donc pas à savoir si Fallot a été influencé par ces exemples, dont on peut pourtant penser qu’il a eu connaissance.

Enfin, dernier exemple, dans le tome I Boegner accorde une large place à ce qu’il appelle la « conversion » de Fallot45, sur laquelle nous reviendrons plus loin46. Il en fait un récit fort intéressant, appuyé sur des citations très éclairantes. Il précise qu’elle s’explique, en partie, par le milieu piétiste qui l’environne à cette époque47 et par l’influence qu’a exercée sur lui Christophe Dieterlen. Or les citations que Boegner propose montrent qu’il s’agit typiquement d’une « conversion revivaliste ». La réintroduire dans le cadre plus général du mouvement du Réveil du xixe siècle aurait peut-être permis de mieux la comprendre. Mais Boegner, qui connaît l’histoire du Réveil48, n’estime pas devoir le faire ; probablement parce que cela n’entre pas dans le cadre général de sa compréhension de ce qu’est une biographie où il entend « faire parler » Fallot, et donc s’effacer devant ses écrits49.

D’autre part, dans l’introduction du tome I Boegner explique qu’on « ne trouvera rien ; dans les pages qui suivent, qui ressemble à un panégyrique », car « la vérité ne doit pas être fardée par l’éloge50 ». Mais il précise qu’il n’a pas non plus l’intention de critiquer et ajoute que sa « seule ambition a été d’être vrai51 ». Il reste que, lorsqu’on tente de présenter certains textes, certaines réactions etc., il est souvent difficile de ne pas donner quelque peu son avis. Boegner est-il parvenu à suivre la ligne de crête qui permet de ne céder ni à la critique, ni à l’éloge52 ? Prenons quelques exemples.

Tout d’abord il arrive, évidemment, à Boegner de donner des explications où sa propre opinion, en général approbatrice, apparaît sous-jacente. Ainsi, en introduisant le chapitre qu’il consacre à la prédication du christianisme social, il écrit :

Que Fallot ait été, dans le protestantisme français, l’initiateur d’une transformation profonde des doctrines du salut et du royaume de Dieu et d’une nouvelle conception de la piété, c’est là une vérité qu’historiens et théoriciens du christianisme social sont unanimes à reconnaître. Les études réunies après sa mort53, sous le titre même de Christianisme social, suffisent à marquer avec quelle vigueur de pensée et tout ensemble, avec quelle passion de la justice il entreprit, après 1880, la tâche difficile de conquérir les protestants de France à sa compréhension des « doctrines sociales de l’Évangile »54.

Il estime donc ne pas avoir à insister sur ce point et devoir, pour l’essentiel, se demander « par quel développement de la vie et de la pensée il a été conduit à l’élaboration de sa doctrine et de quelle manière il s’est efforcé de la faire pénétrer dans les milieux protestants55 ».

De même, à propos du choix de Fallot de devenir pasteur de l’Église réformée, que ce dernier présente comme « celle de toutes les Églises pour laquelle j’ai le moins de sympathie naturelle56 », Boegner précise :

Ce n’est pas simple désir d’avoir une activité régulière […] ; ce n’est pas non plus, seulement, volonté de ne pas abandonner à elle-même une paroisse qu’il aime tant […]. C’est par le travail de la pensée que Fallot en arrive à la décision qui le surprend lui-même57.

Puis Boegner expose quel est, à son sens, ce « travail de la pensée » expliquant ce choix de Fallot. Ce n’est certes pas au sens strict une approbation, mais la façon dont il s’exprime laisse penser qu’il approuve ce choix ; d’autant plus que Boegner, lui aussi d’origine luthérienne, a succédé à Fallot au service de l’Église réformée d’Aouste.

Parfois, aussi, Boegner formule quelques critiques modérées, qu’il déduit souvent de réflexions ultérieures de Fallot. Il écrit, par exemple à propos d’une période de doute que traverse Fallot en 1863 :

Fallot a engagé une lutte acharnée contre la domination d’une sensibilité qui le faisait cruellement souffrir ; il a voulu devenir un homme de volonté, mais il paraît bien qu’il ait surtout compté, pour atteindre ce but, sur sa propre volonté, et non sur la volonté et la puissance de Dieu. De cette erreur initiale il ne se rend pas compte tant qu’il est à Zurich ; il n’en aura conscience que plus tard lorsqu’elle l’aura conduit à un nouvel échec58.

Il est vrai que Boegner se montre parfois plus critique, mais c’est plutôt à propos d’autres personnes que Fallot. Ainsi, par exemple, il reproche à Christophe Dieterlen sa « crédulité59 ». Ou alors, lorsqu’il estime devoir reproduire l’appréciation critique d’un écrit de Fallot, il lui arrive de l’équilibrer par un jugement approbateur. Tel est le cas pour la « thèse » de baccalauréat en théologie de Fallot, intitulée Les pauvres et l’Évangile. Il cite tout d’abord l’opinion, critique, du président du jury, le célèbre professeur J. G. Baum (1809-1878) ; puis il ajoute celle, favorable, de J. L. Michaëli (beaucoup moins connu), dans un article de la Revue chrétienne60.

Il n’est pas rare, aussi, que Boegner adresse des éloges à Fallot. Il affirme, par exemple, au sujet de cette « thèse » de Fallot : « cette étude ne constitue pas seulement un admirable chapitre de théologie pratique, que devraient méditer tous ceux qui ont à travailler au milieu des pauvres61 ». Il décrit, également, Fallot conférencier durant sa « grande croisade pour la femme62 » dans les années 1880, sans dissimuler son admiration :

Lorsqu’il se lève pour engager avec la grande assemblée […] la bataille que constitue, pour lui, chacune de ses conférences, sa haute taille, sa forte carrure, son noble visage encadré de cheveux bouclés, son regard qui semble tantôt foudroyer les ouvriers d’iniquité, tantôt se pencher, avec une tendresse passionnée, sur leurs victimes, toute sa personne enfin exerce, sur les auditeurs les plus divers, un prestige, un ascendant qui, d’avance, les disposent à l’écouter. Sa parole chaude, vibrante, toujours sobre alors même qu’elle exprime de saintes colères, saisit les consciences et ne les lâche point jusqu’à ce qu’elle les ait contraintes de regarder en face le mal qu’elles voulaient ne pas voir et de le condamner. Elle fait plus encore : elle allume en elles le désir, la volonté, la passion de la justice63.

Né en 1881, Boegner n’a probablement pas de souvenirs des conférences que prononçait Fallot dans les années 1880 ; mais on peut penser qu’il fait ici référence à d’autres conférences qu’il a entendu prononcer par son oncle.

De fait, on trouve assez souvent sous sa plume des appréciations flatteuses64, ce qui n’est pas surprenant tant Boegner a été marqué par la personne et la pensée de Fallot65.

Précisons maintenant, quelque peu, le portrait que Boegner brosse de son oncle. Naturellement, il n’entre pas dans de cadre de cette brève présentation de proposer un résumé de la somme qu’il a consacrée à Fallot. Et, dans le but de caractériser la façon dont Boegner s’y prend pour retracer « la vie et la pensée » de Fallot, allons seulement prendre quelques exemples qui nous semblent éclairants.

Notons, tout d’abord, que Boegner suit un plan chronologique, mais avec par moments des chapitres thématiques, qui mettent en valeur des points qu’il estime très important. Dans le premier tome, par exemple, il présente les origines de sa famille, ses premières années, sa préparation à l’industrie, ce qui l’amène jusqu’à l’année 1864. Il interrompt alors son récit par un chapitre intitulé « Christophe Dieterlen et son influence sur T. Fallot jusqu’en 1865 ». Puis il reprend son exposé chronologique. Il fait de même, évidemment, dans son second tome66.

Par ailleurs, Boegner insiste sur le fait que dès sa jeunesse Fallot a eu des problèmes avec sa sensibilité (il l’appelle sa « nature »), et que ceux-ci se sont prolongés durant de nombreuses années. Il précise, ainsi, qu’au début des années 1860 à Paris :

[…] sa nature le fait déjà souffrir, pas assez cependant pour qu’il comprenne qu’elle ne peut servir, telle quelle, de sanctuaire à la vie dont l’idéal le hante et qu’il doit attendre de Dieu, en lui-même, une nouvelle création. Avant d’en arriver là, il devra traverser encore d’autres tempêtes et d’autres souffrances67.

Boegner revient assez souvent sur ce problème. Il évoque, par exemple, les « tumultes de sa vie intérieure » en 187368 ; il cite Fallot parlant en 1875 de son « impressionnabilité maladive qui transforme chaque égratignure en martyre69 » ; il explique que, parfois, son « système nerveux, soumis à une tension trop forte prend sa revanche70 » et que Fallot passe alors par une phase de dépression ; il ajoute que dans sa première paroisse (Wildersbach) il « se jette à corps perdu dans le travail71 », si bien que « sa prédication et son action individuelle le laissaient souvent épuisé tant il y apportait de passion72 ». Et aussi qu’il a du mal à « discipliner une passion de la vie qui, toujours, le pousse à donner à son activité de nouveaux développements73 », que ce soit à Wildersbach (1872-1876) ou pendant son ministère à Paris (1876-1889). Ce qui n’est pas sans conséquences : ainsi, son action au sein de la Ligue française pour le relèvement de la moralité publique « exigera un labeur intellectuel et une dépense de forces physiques dont il restera prématurément affaibli74 ».

De plus, Boegner nous montre Fallot passant par deux crises successives, induites – pour l’essentiel – par deux déceptions causées, l’une par la bourgeoisie protestante parisienne et l’autre par le peuple parisien. En 1880-1881, sa première crise est donc provoquée par la façon dont la bourgeoisie protestante parisienne vit sa foi chrétienne, qu’il perçoit comme une sorte de trahison :

Fallot a bien vite découvert un mélange de piétisme, d’étroitesse de pensée et de concessions au monde qui le remplissent de colère. […] L’ébranlement qu’il subit fait chanceler ses convictions les plus précieuses. Il se prend à haïr l’orthodoxie. Par moments il lui semble qu’il court droit au libéralisme […]. Mais, derrière le libéralisme, il entrevoit la négation violente. Intérieurement, il a rompu avec toutes les idées de son milieu. Il est « à deux doigts de l’athéisme et de l’anarchie » ; il côtoie des abîmes de colère et de haine dont, dix ans plus tard, le souvenir le fera encore frémir75.

Ce qui sauve Fallot, précise alors Boegner,

c’est son amour passionné du peuple, sa volonté de le servir, le sentiment d’une mission que Dieu lui assigne au service des faibles, des opprimés, des misérables. « C’est mon socialisme qui m’a sauvé, écrira-t-il un jour à Minault [en 1891] ; j’y ai conservé un minimum de foi religieuse positive ; et en vivant de cette foi, et en la servant, j’ai esquivé une masse de luttes dogmatiques et ecclésiastiques qui eussent fait de moi un négateur et un révolté sur toute la ligne »76.

Plus précisément, écrit Fallot en 1892 : « La Ligue [de la moralité publique] a été le moyen dont Dieu s’est servi pour sauver ma foi77. » À celle-ci on peut évidemment ajouter sa prédication du christianisme social ; c’est-à-dire ses deux principaux centres d’intérêt entre 1880 et 1889.

Boegner insiste surtout sur sa seconde crise, à laquelle il consacre un chapitre de 55 pages intitulé « Le retour au Désert78 ». Il écrit, d’ailleurs, à ce propos dans l’Introduction du tome I : « dans l’ordre de l’action, dans l’ordre de la pensée, aussi bien que dans l’ordre de la vie spirituelle, la période essentielle de la vie de Tommy Fallot est celle dont la crise de 1890-1891 marque le début79 ». On le voit, même en ce qui concerne l’action, selon Boegner les années de ministère dans des villages de la Drôme sont plus importantes que ses années de ministère parisien. Alors qu’aujourd’hui c’est surtout comme apôtre du christianisme social que Fallot est connu de ceux qui s’intéressent à l’histoire du protestantisme. De fait, cette crise provoque une réorientation de la vie de Fallot. Lui qui avait agi avec passion dans la capitale, qui y fréquentait de nombreuses personnes en vue dans le but de défendre au mieux les deux causes qui lui tenaient alors tout particulièrement à cœur, qui multipliait les réunions publiques etc., décide à partir de 1893 de « s’enterrer80 » dans de toutes petites communes de la Drôme où il mène la vie d’un modeste pasteur de campagne. Cette nouvelle vie est certes induite aussi par la maladie qui contraint Fallot d’abord à interrompre presque toutes ses activités pendant quatre ans, et ensuite à se ménager en raison de l’aggravation progressive de son état de santé81. Mais elle a des causes plus profondes et, précise Boegner, « c’est dans l’effondrement de beaucoup d’espoirs […] la venue d’années de renoncement et de souffrance où – il n’en aura conscience que plus tard – Fallot naît définitivement au monde des réalités éternelles82 ». Fallot fait alors le bilan de son ministère parisien (1876-1889), mais aussi, et surtout, de sa pensée religieuse83. De fait, Boegner nous montre Fallot déçu par le peuple autant qu’il l’avait été par la bourgeoisie en 1881, et ne croyant plus guère à l’action politico-religieuse84. Mais s’il décide de ne plus agir directement dans la société, et d’en revenir aux seules armes de l’esprit85, c’est – Boegner y insiste – aussi en raison d’une réflexion religieuse, centrée en particulier sur l’Ancien Testament et, comme Fallot l’écrit à Ernest Naville, sur « les relations du prophétisme et du sacerdoce en Israël [… et] pourquoi le prophétisme ne pouvait être fécond qu’à la condition de s’unir à son contraire, le sacerdoce86 ». Dans cette phrase on reconnaît le « prophète » du christianisme social, et de la croisade pour la femme, qu’il a été à Paris dans les années 1880, alors qu’il desservait une Église indépendante de l’État ; et le pasteur d’une paroisse de campagne de l’Église réformée concordataire, qu’il va devenir. Il l’explique de façon claire :

Je compris […] que la dissidence protestante [les Églises indépendantes], qui n’est que l’exagération du principe protestant ou, ce qui revient au même, du principe prophétique de l’inspiration individuelle, est incapable, en vertu du mépris où elle tient tout ce qui est institution, témoignage, tradition, etc., de transmettre la vie dont elle est dépositaire. Que si, au contraire, elle allait tout droit à ces choses détestées pour en faire un organisme, pour les pénétrer de son esprit, son œuvre deviendrait étonnamment féconde. […] j’avais compris très nettement la décision qui s’imposait à moi : c’était de ne plus aller de droite à gauche dans mon œuvre religieuse, comme une âme sans corps, mais de faire prendre corps à mes efforts dans une Église, dans l’Église qui avait, à vues humaines, le plus de chance de servir en France la cause de l’Évangile […] l’Église réformée de France. J’étais en effet très préoccupé par la détresse des églises réformées de ce pays, et en même temps tout m’y heurtait, rien ne m’y attirait. Mais la vision intellectuelle que j’ai eue cette nuit-là a mis mon cœur au large et m’a forcé d’accepter un cadre87.

Et Boegner de conclure que cette lettre montre « la liaison intime que Fallot maintiendra toujours entre la pensée et l’action et le rôle capital de la pensée dans la détermination de l’action88 ». Même s’il décèle chez lui un « primat de l’action » ; car, pour Fallot, « la pensée n’a de valeur qu’autant qu’elle implique une série d’actes […] qu’elle prépare l’action89 ». Simplement, à partir de 1893 il réoriente son action en direction de paysans protestants de la Drôme. Comme il l’explique à Minault en 1891, il conserve son but, chrétien social, selon lequel « l’Évangile ne sera compris et reçu, comme il doit l’être, qu’après avoir été prêché et appliqué dans sa conception sociale90 ». Mais il pense qu’il faut compléter ce programme en y ajoutant ce qu’il faut d’individualisme car « l’Évangile, qui déborde de socialisme (préoccupation de l’ensemble), déborde aussi d’individualisme, mais d’un individualisme transcendant, et celui qui n’a jamais connu cet individualisme ne sera jamais l’ouvrier des destinées sociales de l’humanité91 ». Ce qui fait, explique Boegner, que chez lui

la passion de la vie devint donc la passion de Jésus-Christ […] pour lui la communion avec le Christ impliquait une relation personnelle, directe, actuelle avec Jésus-Christ lui-même, objet de l’adoration du croyant. […] Désormais, sa vie chrétienne prit incontestablement son point de départ dans une union mystique avec Jésus-Christ. Et d’année en année, la conviction se fortifia en lui que là était « le ressort central de la vie avec Dieu et en Dieu »92.

On le voit, la réflexion doctrinale est très importante chez Fallot. D’ailleurs Boegner a songé tout d’abord à consacrer l’ensemble de sa thèse de licence à la seule la pensée religieuse de Fallot ; mais il y a renoncé quand il a compris que sa vie et sa pensée étaient intimement liées. De ce fait, dans les deux tomes de son livre Boegner ne présente pas la pensée de Fallot de façon synthétique. Il propose plutôt les étapes successives de sa réflexion, non sans insister, nous le savons, sur les années 1893-1904 si importantes à ses yeux. En effet, dans les pages qu’il consacre au ministère de Fallot dans la Drôme il y décrit, certes, son action quotidienne auprès de ses paroissiens, mais il tient à laisser une large place à sa pensée religieuse, à laquelle il consacre deux chapitres thématiques93, qui représentent 35 % des pages traitant de cette période, alors que ses options religieuses sont aussi abordées dans les passages qui retracent l’action de Fallot durant ces années. Il est vrai que, pour les rédiger, Boegner dispose des manuscrits qu’il a édités pendant qu’il préparait son étude94. Remarquons, en particulier, que Boegner insiste sur l’importance que Fallot attache à ce qu’il appelle « l’Action bonne » : en effet, selon ce dernier « il n’y a d’action bonne que celle accomplie avec Dieu, pour et en Dieu95 » ; et, résume Boegner, « il montre dans l’action bonne, réponse de l’homme à l’action de Dieu, le principe générateur des églises vivantes96 ».

Une étude précise des évolutions de la pensée religieuse de Fallot n’entre pas dans le cadre de ce bref article. Mais on peut noter que Boegner ne la sépare pas de sa spiritualité, et de l’ecclésiologie qui l’accompagne. À propos de sa spiritualité, Boegner le décrit comme fortement marqué par sa « conversion », déjà citée, du 22 octobre 1865. Et il propose un long récit de cette expérience religieuse97, qu’on peut qualifier de typiquement revivaliste98. En effet, le récit qu’en fait Fallot lui-même nous le montre ressentant la présence du Christ, ayant dès lors une relation personnelle avec lui, ce qui lui permet de s’unir à Dieu par l’intermédiaire de Jésus-Christ99. Boegner en propose aussi un récit synthétique dans son livre de 1931 où on peut lire, notamment :

C’est un dimanche le 22 octobre 1865. Il est seul dans la petite chambre où, depuis trois semaines, il n’a cessé de chercher et de prier. Une grande angoisse étreint son âme. À quoi ont abouti, jusqu’à présent toutes les crises morales qu’il a traversées. […] Mais voici que, devant lui, se dresse une fois de plus la question : qu’est-ce que croire en Jésus-Christ ? […] Il faut qu’il réponde à cette question. Il sent que sa vie dépend de la réponse qu’il va faire. Mais que peut-il répondre ? C’est alors que dans le silence qui l’entoure et le pénètre, il entend une voix qui lui impose cette réponse : Croire en Jésus-Christ, c’est croire au Christ vivant ! Au même instant l’unité se fait – momentanément du moins – entre toutes les énergies de son être ; toutes les forces intérieures semblent s’harmoniser autour de la certitude qui vient de prendre possession de son cœur, lui apportant la joie, la lumière et la paix. Le soir descend sur la terre ; mais dans l’âme de Fallot, c’est l’aube d’une vie nouvelle qui se lève100.

En effet, explique Fallot à Boegner en 1904, jusqu’alors il était divisé en lui-même parce que « sa pensée acceptait que l’action en Dieu et pour Dieu fût seule féconde, mais sa volonté prétendait déterminer elle-même l’objet de son action et l’atteindre par ses propres forces » tandis que dans cette soirée du 22 octobre 1865, « dans un éclair, l’action du Christ glorifié lui apparaît comme la seule force capable d’unifier les énergies101 ». Par la suite, Boegner nous montre Fallot marqué durant toute sa vie par ce type de spiritualité. Par exemple, citant ses recherches sur une « philosophie de la révélation » il affirme que Fallot « était lui-même un mystique102 ».

Sur un plan plus ecclésiastique, Boegner tient à insister sur le fait que toute sa vie Fallot est resté influencé par la spiritualité luthérienne. Évoquant son ministère à Wildersbach, il écrit, par exemple : « Luthérien de tradition et d’éducation, il n’a aucun des préjugés que d’autres Églises de la Réformation nourrissent à l’endroit de la confession103. » Ou, autre exemple, lors de son ministère à Paris, et bien qu’il soit alors au service d’une Église libre104, Fallot demeure, explique Boegner, « profondément attaché à l’Église de la confession d’Augsbourg […] il est donc bien placé pour apprécier l’attitude souvent dédaigneuse, parfois brutale, que des représentants des Églises réformées105 » ont à l’égard des luthériens. Si bien qu’en 1879 il adresse une lettre au Christianisme au xixe siècle pour prendre la défense de la spiritualité des Églises luthériennes, alors très affaiblies en France par l’annexion de ­l’Alsace-Moselle par l’Allemagne106. Et ainsi, à plusieurs reprises Boegner signale l’attachement de Fallot à l’Église de sa jeunesse, notamment en 1895 quand il devient pasteur de la paroisse réformée de Sainte-Croix, dans la Drôme107. Commentant sa position Boegner écrit :

Ce qui le choque le plus dans le culte des églises réformées de la Drôme c’est, en dehors du sans-gêne avec lequel on traite en général les choses saintes, l’inintelligence complète des sacrements. […] il se heurte, dans l’Église réformée [… à une] lamentable méconnaissance de la sainte Cène108.

De plus, cette spiritualité luthérienne se joint dans son esprit à un refus du principe d’Églises de « multitude » et un attachement au principe des Églises de « professants ». Or, pas plus dans l’Église luthérienne de Wildersbach109 que dans l’Église libre parisienne de la Chapelle du Nord ou dans les Églises réformées de la Drôme, il ne parvient à l’imposer. Et il finit par s’en accommoder110.

Toujours dans le domaine ecclésiastique, Boegner tient à mettre en valeur les vives critiques que Fallot formule à l’encontre des institutions ecclésiastiques et surtout son refus des luttes entre tendance ecclésiastiques, c’est-à-dire alors de la querelle entre les évangéliques (que Fallot et Boegner appellent « orthodoxes ») et les libéraux. C’est vrai dès ses années de ministère à Wildersbach111. Mais c’est exacerbé lors de son ministère à Paris. Au début des année 1880, affirme Boegner : « L’horreur des Églises, de toutes les Églises, s’empare de lui à un point tel qu’il songe à abandonner son ministère et à partir comme évangéliste dans la Creuse112. » Boegner revient souvent sur cette attitude de Fallot, qu’il présente comme un aspect essentiel de sa conception du ministère pastoral. Et, lorsqu’il traite de son action dans les Églises réformées de la Drôme, il tient à présenter les nombreuses initiatives de Fallot en faveur, sinon d’une réunification des orthodoxes et des libéraux, du moins une coopération entre les partisans de ces deux tendances. Et il obtient des résultats, parvenant même en 1898 à mettre sur pied l’Union des pasteurs du Diois, qui les rassemble dans des actions communes113.

Comme on peut s’y attendre, enfin, Boegner consacre un chapitre (de 50 pages) à « La prédication du christianisme social114 » par Fallot. Il présente, tout d’abord, « par quel développement de vie et de pensée il a été conduit à l’élaboration de sa doctrine115 ». Puis, dans un second temps, il retrace son action, c’est-à-dire « de quelle manière il s’est efforcé de la faire pénétrer dans les milieux protestants116 ». Cette seconde partie est assez classique. Pour notre rapide présentation, la première est la plus intéressante. En effet Boegner y précise, certes, que Fallot s’est dit « socialiste » depuis 1864, et qu’il a lu les principaux théoriciens socialistes117. Mais il ajoute immédiatement : « d’autre part son étude constante des prophètes et de l’Évangile, firent de son adhésion à un certain socialisme une démarche parfaitement raisonnée de son intelligence aussi bien que de sa conscience religieuse118 ». En fait, Boegner – qui écrit ces pages dans les années 1922-1925, donc après la révolution bolchevique de 1917 – tient beaucoup à montrer (on pourrait presque dire à « disculper » Fallot) que le socialisme de Fallot n’a rien de commun avec le socialisme au pouvoir à Moscou, et qu’au contraire il s’intègre dans sa compréhension de l’Évangile. Il indique ainsi que, dans une note écrite en 1873, Fallot affirme qu’il « a beaucoup réfléchi à la synthèse du vrai socialisme et du christianisme119 ». Et il ajoute :

[…] en 1881 si les points de contact entre l’Évangile et le socialisme lui paraissent de plus en plus nombreux, les différences radicales qui séparent l’Évangile du socialisme révolutionnaire, matérialiste, marxiste pour tout dire d’un mot, s’imposent à sa pensée avec une évidence contraignante. Des points de contact et même des ressemblances frappantes, oui certes ! […] Et l’espérance d’une Cité de justice et de fraternité, que les chefs socialistes allument et entretiennent soigneusement au cœur des masses qui les suivent, les prophètes n’en ont-ils pas donné à Israël le tressaillement sacré ? Et l’Évangile n’est-il pas illuminé par la vision du royaume de Dieu ? Hélas ! cet accord du socialisme et de l’Évangile n’est qu’apparent. Dès qu’il s’agit de déterminer comment sera instaurée la Cité juste et fraternelle l’opposition surgit et s’affirme insurmontable. […] Aux illusions du socialisme révolutionnaire, qui lui rappellent les contes de fées dont on charmait son enfance […] Fallot oppose le réalisme spirituel de l’Évangile. […] Qu’on relise la Religion laïque, religion du Père (1883), Protestantisme et Socialisme (1888), Simple explication (1893) ; toujours et partout il affirme, comme condition nécessaire, indispensable, de toute rénovation sociale, la conversion, et c’est là ce qui sépare dès le début et ne cesse de séparer son socialisme du socialisme révolutionnaire qui prévalait dans les milieux ouvriers120.

Et, pour bien en convaincre ses lecteurs, Boegner ajoute :

Les graves divergences de méthode […] n’empêchent nullement Fallot de fréquenter assidûment, à partir de 1878, les milieux socialistes parisiens les plus divers. Sa passion du peuple, que surexcite, en 1881, la réaction violente contre le conservatisme religieux et social de la bourgeoisie protestante, le pousse, en dépit des oppositions d’idées, vers les groupes les plus avancés. Plus tard il aura conscience d’avoir, à ce moment, commis une grave erreur et, confondant le parti socialiste et le peuple, de s’être attaché à celui-là pour servir celui-ci121.

Puis il précise que cette fréquentation de ces leaders socialistes français et allemands lui a permis de voir « le fond de leurs pensées et de leurs désirs122 » et que cela a été le point de départ de sa séparation d’avec eux, qui s’est accentuée à partir de 1885 et qui est devenue définitive en 1888. Dès lors, au point de vue « religieux le socialisme révolutionnaire lui paraît faire une œuvre non moins néfaste qu’au point de vue moral123 ». Ensuite, Boegner en vient à son action en faveur du christianisme social, où il précise aussi ce que Fallot entend par là en citant quelques-unes des définitions qu’il en a donné :

« Le christianisme social, c’est le christianisme appliqué aux peuples comme aux individus, c’est l’Évangile devenant un salut pour tous et dans tous les domaines. » « Appelez, si vous le voulez, ce christianisme social l’idée du Royaume de Dieu sur la terre. » « Ce sera l’Évangile appliqué aux besoins des sociétés aussi bien qu’aux besoins des individus. Ce sera l’Évangile mieux compris […]. » « Le christianisme social fournit seul la synthèse entre les droits de l’individu et les droits de la société. » « Synthèse du socialisme vrai et de l’individualisme124. »

Pour terminer on peut noter que, dans l’introduction du tome I, Boegner tient à mettre en valeur cette affirmation de Fallot : « Je me suis développé par passions et par antithèses. […] J’ai l’air d’être le moins un possible ; au contraire, malgré les contradictions apparentes, j’ai été très un. » Boegner ajoute : « Rien n’est plus exact125 », et il précise :

Tout dans son existence s’explique par une passion fondamentale qui contient en puissance toutes celles qui, simultanément ou tour à tour, possédèrent son âme : la passion de la vie. Sur sa tombe dans le paisible cimetière de Blacons, sont gravés ces mots du psalmiste : « Mon âme a soif du Dieu vivant ». Aucune parole n’eût pu traduire plus fidèlement l’élan intérieur auquel il dut toute son orientation126.

Suivant son exemple il nous semble que, pour conclure, il est bon de laisser ainsi la parole à Marc Boegner.

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1. Roger Mehl, Le pasteur Marc Boegner 1881-1970, une humble grandeur, Paris : Plon, 1987, p. 17.

2. Marc Boegner, L’exigence œcuménique, souvenirs et perspectives, Paris : Albin Michel, 1968, p. 12. Dans l’Avant-propos de sa thèse de doctorat (cf. infra), Boegner précise « je vécus, 1898 à 1904, d’une façon plus ou moins continue, auprès de Fallot » (p. vi).

3. R. Mehl, op. cit., p. 21-22.

4. M. Boegner, op. cit., p. 19.

5. R. Mehl, op. cit., p. 39.

6. Pour être pasteur il faut tout d’abord faire cinq ans d’études de théologie, à la fin desquelles on doit rédiger un assez bref mémoire appelé alors « thèse de baccalauréat en théologie » ; mais ce n’est pas une « thèse » au sens que nous donnons aujourd’hui à ce terme.

7. Dans le cadre de sa thèse de licence, Boegner doit aussi rédiger une thèse « secondaire », souvent brève ; la sienne (Alençon : Couslant, 1914) est consacrée à L’unité de l’Église, un thème qui a beaucoup intéressé Fallot ; R. Mehl la qualifie de « travail modeste et bref » (op. cit., p. 228).

8. Rappelons que Marc Boegner a aussi fait des études de droit.

9. Il précise dans ses Souvenirs : « […] j’avais mission de rechercher, parmi les manuscrits que Fallot avait laissés, ceux qu’il était opportun de publier […]. Je fus conduit à faire l’inventaire de tous ses papiers : cahiers de notes, textes de conférences et de prédications, ébauches d’études, lettres signées de nombreux correspondants, ou écrites par lui et lui ayant été rendues. » (L’exigence œcuménique, p. 19.)

10. R. Mehl précise : « […] Boegner se préoccupe de reprendre ses études de théologie […]. Pour le lui permettre, il reçoit l’aide d’un suffragant et ami, le pasteur André Aeschimann (1909). Il est admis au colloquium de la licence à la faculté de Paris (avril 1909). » (Op. cit., p. 39.)

11. La vie et la pensée, t. II, p. vii.

12. L’exigence œcuménique, p. 19.

13. La vie et la pensée, t. II, p. v.

14. Le pasteur Marc Boegner, p. 73.

15. Ibid. Boegner a aussi pensé à étudier le problème de l’unité de l’Église chez Saint-Cyran.

16. Ibid.

17. La date de publication ne figure pas sur le livre, mais le catalogue de la BnF le date de 1931.

18. T. Fallot, l’homme et l’œuvre, p. 5.

19. Ce surnom lui est souvent donné en raison des nombreuses présidences qu’il a assumées (de la Fédération protestante, de l’Église réformée, de la Cimade, de la Société des missions, de l’Alliance biblique française, etc.).

20. Op. cit., p. 6.

21. Cette évolution de la façon d’écrire de Boegner est déjà perceptible dans sa thèse de doctorat, qu’il rédige de 1922 à 1925, mais elle est moins prononcée.

22. Introduction, t. I, p. xlix-l.

23. Ibid., p. l.

24. Ibid., p. x, n. 1. Naturellement, il utilise aussi des livres de ses contemporains, mais c’est en général pour traiter des sujets annexes, par exemple : Henri Monnier, Daniel Le Grand et la législation internationale du travail, Paris, 1908 ; ou Léon Maury, Le Réveil religieux dans l’Église réformée à Genève et en France (1810-1850), Paris, 1892 (la référence que Boegner donne t. I, p. 21, n. 1 est un peu inexacte).

25. Dans ce tome II on trouve une « liste des ouvrages, brochures et principaux articles de T. Fallot » aux p. 453-456. Naturellement, Boegner ne les a pas tous utilisés pour rédiger ses thèses.

26. Boegner cite seulement 9 fois des lettres ayant été adressées à Fallot, et aucune de G. Monod ou de P. Minault.

27. Boegner écrit que « ces deux âmes [Monod et Fallot] généreuses et loyales sont faites pour s’aimer » (t. I, p. 48).

28. G. Monod s’est certes toujours déclaré protestant, mais il semble avoir cessé d’être pratiquant et il est devenu partisan d’un libéralisme théologique qui « l’amène parfois à des positions extrêmes » (Charles-Olivier Carbonell, « Les historiens protestants dans le renouveau de l’historiographie française », dans André Encrevé et Michel Richard (dir.), Actes du colloque Les protestants dans les débuts de la Troisième République (1871-1885), Paris : SHPF, 1979, p. 62).

29. Tome 2, p. 174.

30. Minault est assassiné à Madagascar en 1897 et Boegner pense que les lettres « se trouvaient dans les bagages de Minault pillés au moment de son assassinat » (t. II, p. 282, note 1).

31. Notamment Alfred Boegner, Edmond et Élise de Pressensé, Gédéon Chastand, Elie Gounelle, Louis Gouth ou Ernest Naville, par exemple.

32. Le livre de l’Action bonne, Paris : Fischbacher, 1905, viii-431 p. (4e éd. 1925) ; La religion de la solidarité, Paris : Fischbacher, 1908, vii-360 p. ; Comment lire la Bible jour après jour, Paris : Fischbacher, 1909, xiv-500 p. ; Christianisme social, Paris : Fischbacher, 1911, 345 p.

33. Tel est le cas, par exemple d’une lettre à Minault du 6 décembre 1890, reproduite t. II, p. 175-178.

34. T. II, p. 299.

35. Ibid.

36. Il écrit à ses parents, à propos des Discours de Schleiermacher [Über die Religion, Reden an die Gebildeten unter ihren Verächtern, 1799 ; il en existe deux traductions françaises : celle de I. J. Rouge, Discours sur la religion à ceux de ses contempteurs qui sont des esprits cultivés (Aubier, 1944) ; et celle de Bernard Reymond, De la religion, discours aux personnes cultivées d’entre ses mépriseurs (Van Dieren, 2004)] : « J’ai continué Schleiermacher ; je vais bientôt l’avoir fini. Il me faudra le lire encore une fois pour en avoir une idée bien nette et pour m’approprier l’énorme quantité d’idées fertiles qui y est contenue. » (p. 94-95 ; il le critique, certes dans sa « thèse » de baccalauréat en théologie, mais c’est pour avoir rédigé ses célèbres Discours « für die Gebildeten », et non pas sur le fond [p. 346]). Notons qu’à propos de la Vie de Jésus de Renan (parue en 1863) il écrit « une fois qu’on a lu les Allemands, Renan me semble une bouillie sans grande saveur » (p. 94) ; il est vrai que dans ce cas il peut être influencé par Edmond de Pressensé, qui fait une longue critique de ce livre dans la Revue chrétienne (1863, p. 449-488), et qui publie en 1866 Jésus-Christ, son temps, sa vie, son œuvre, que l’on tient en général comme la meilleure réponse francophone à Renan. Or, nous le savons, Fallot a logé chez les Pressensé de 1860 à 1862.

37. T. I, p. 93-95.

38. Boegner cite par exemple cette affirmation de Fallot dans une lettre du 5 mai 1871 : « Jésus-Christ est le maître par excellence, et c’est au pied de sa chaire que, jour après jour, nous devons nous asseoir, écoutant dans le silence des bruits des opinions humaines, parler sa sagesse. Le commerce d’un professeur de renom est vanté comme un grand avantage. Le commerce de Jésus-Christ est et restera la seule source de connaissances certaines. » (T. I, p. 323.) Il aurait pu être intéressant de comparer ce type de raisonnement avec l’épistémologie kantienne. Mais Boegner ne juge pas utile de le faire.

39. Notons, cependant, que Boegner esquisse une explication car il précise que Fallot n’a pas achevé son étude et que, s’il l’avait publiée on lui aurait sans doute reproché de se laisser enfermer « dans un cercle vicieux dont il est difficile de sortir sans compromettre la valeur psychologique ou le caractère scientifique du travail critique… Nul ne pourrait contester, cependant, à quarante ans de distance, qu’il y ait, derrière cette ébauche, une claire vision des abus par lesquels la critique risque de se discréditer […] » (p. 338). Mais il ne développe pas cette question. Pas plus que dans son livre de 1931, où toutefois Boegner est plus clair en écrivant que Fallot a été influencé par « quelques rencontres avec la critique historique et littéraire de la Bible et certaines de ses outrances » (T. Fallot l’homme et l’œuvre, p. 80).

40. T. I, p. 220.

41. T. I, p. 319.

42. T. I, p. 324-338.

43. D’une façon plus générale on peut noter que Boegner cherche à montrer ce que Fallot doit à la pensée et aux écrits de Christophe Dieterlen (l’homme qui a le plus influencé Fallot) lorsque c’est le cas, mais qu’il se limite le plus souvent à cet exemple.

44. Voir t. II, chapitre IV, p. 131-181.

45. Tel est le titre de son chapitre V (p. 194-240).

46. Cf. infra, p. 505.

47. En 1865-1866 Fallot séjourne durant 18 mois à Elberfeld, pour suivre les cours d’une école de tissage et mieux se familiariser avec la culture allemande.

48. Cf. supra, n. 24.

49. Il écrit, par exemple, après avoir résumé La vie et la pensée : « Un commentaire ou un examen critique du travail de Fallot ne serait pas à sa place ici. » (P. 334.)

50. P. xlix-l.

51. P. l.

52. Il précise : « J’ai déjà indiqué que mon dessein n’était pas de faire une étude critique. Mais pour atteindre le plus d’objectivité possible, j’ai préféré m’abstenir là où les documents parlaient d’eux-mêmes, de les résumer en des pages qui n’auraient été qu’un écran entre le lecteur et l’âme dont ils traduisent l’émotion ou la pensée. » (Ibid.)

53. Rappelons que c’est lui qui en a assuré la publication en 1911.

54. T. II, p. 131.

55. Ibid., p. 131-132.

56. Ibid., p. 247.

57. Ibid., p. 256.

58. T. I, p. 101.

59. « Des interventions surnaturelles dans une existence humaine, qu’elles fussent le fait de Dieu ou de Satan, étaient, à ses yeux, si naturelles qu’il semblait parfois entraîné par un irrésistible attrait pour le merveilleux, le miraculeux, jusqu’au point où la foi risque de devenir crédulité. » (Tome 1, p. 140.) Un peu plus loin Boegner explique qu’il aspire à « un Royaume de Dieu descendant du ciel en un clin d’œil, de façon magique » (p. 146-147).

60. Boegner résume tout d’abord les critiques de Baum : « Il y a dans votre travail, lui dit en substance celui-ci, une grande largeur de vue, un sentiment de pitié et de vérité exquis, avec une noble simplicité qui fait du bien au lecteur. Mais il lui manque des allures scientifiques. […] les allures scientifiques consistent dans la méthode, dans la manière de présenter les choses et de les mettre dans leur véritable jour. Or, dans votre travail, pas de définition, du pauvre, des pauvres, pas non plus de coup d’œil historique (les pauvres dans le paganisme, chez les juifs, dans le Nouveau Testament. » (T. I, p. 361-362.) Quant à l’article de Michaëli, il se place sur un autre plan, ce dernier se félicitant que : « […] ce travail aborde (avant tout par le cœur, il est vrai) les deux grandes questions de notre époque, celles qui vont de plus en plus en absorbant toutes les autres : la question sociale et la question religieuse. » (P. 362.)

61. T. I, p. 348-349.

62. Tel est le titre du chapitre III de son t. II, p. 99-130.

63. T. II, p. 112. Dans le même registre, voir le récit que Boegner fait de l’intervention de Fallot lors du synode des Églises évangéliques libres à Mazamet en octobre 1883, p. 156.

64. Présentant l’action de Fallot dans les années 1880 au sein de la Ligue française pour le relèvement de la moralité publique, il écrit : « […] elle fera de lui, dans le protestantisme français, la conscience prophétique à laquelle regardent tous ceux qui ne peuvent songer, sans frémir d’indignation et de honte, aux iniquités que dix-neuf siècles de christianisme n’ont pas réussi à abattre, et veulent préparer le jour où l’Église du Christ deviendra, sur la terre, la grande ouvrière des libérations définitives. » (T. II, p. 111.)

65. Notons qu’on trouve aux p. 271-272 un portrait « où vibrent son admiration et plus encore sa reconnaissance » (R. Mehl, op. cit., p. 16) de sa cousine, Blanche Fallot, morte en 1902. On y lit par exemple : « D’une intelligence pénétrante et tout à la fois compréhensive, elle fait rayonner sur tous ceux qui l’approchent la beauté d’une âme toute de lumière et de pureté. » Le tome 1 du livre est dédié « à la chère Invisible dont Dieu s’est servi pour me révéler le chemin de la vie, tandis qu’elle creusait ici-bas son court mais lumineux sillon ». Il est clair qu’il s’agit de Blanche Fallot.

66. Par exemple, lorsqu’il évoque le ministère de Fallot à Paris entre 1876 et 1889, il commence par retracer les années 1876-1882 ; puis il en présente la suite dans deux chapitres différents, intitulés l’un « La grande croisade pour la femme, 1882-1889 » et l’autre « La prédication du christianisme social, 1881-1889 ».

67. T. I, p. 56.

68. T. II, p. 24.

69. T. Fallot l’homme et l’œuvre, p. 119.

70. T. II, p. 38.

71. Ibid., p. 62.

72. T. I, Introduction, p. xii.

73. T. II, p. 30.

74. Ibid., p. 111.

75. Ibid., p. 89-90.

76. Ibid., p. 95-96.

77. Cité ibid., p. 96.

78. Il s’agit du chapitre V ; de plus, il donne des explications complémentaires dans le chapitre suivant.

79. P. xlviii-xlix.

80. Évidemment, il ne voit pas les choses sous cet angle, mais c’est ainsi que bien des gens interprètent alors la nouvelle façon dont il comprend son ministère.

81. Il souffre d’une maladie des reins qui l’emportera en 1904.

82. T. II, p. 181.

83. Voir, en particulier, les pages 189-192 et aussi sa longue lettre à P. Minault, citée p. 200-208.

84. Fallot écrit par exemple à Minault le 15 juillet 1892 : « […] après avoir cru comme vous au peuple, j’ai perdu toute confiance de ce côté-là comme tous les autres. Je ne crois plus qu’à des possibilités individuelles et la classe populaire me semble à peu près aussi malade que la classe bourgeoise. Ils nous applaudissent ! Et après ? Rien. » (Cité t. II, p. 231.)

85. Il écrit à Minault, le 16 décembre 1892 : « Le centre, le soleil de la question sociale c’est Jésus-Christ. […] après avoir peut-être trop attendu des “moyens humains”, moyens fort légitimes et dont Dieu peut bénir l’usage, j’éprouvais le besoin de concentrer désormais toutes mes forces dans l’emploi des seuls forces spirituelles. » (Ibid., p. 234.)

86. Lettre de décembre 1894, ibid., p. 261.

87. Ibid., p. 261-262. Il parle de « cette nuit-là » parce qu’il fait part à E. Naville de ses réflexions lors d’un voyage de nuit entre Dijon et Paris, et que, précise-t-il : « Je déteste les voyages et je tâche toujours d’oublier où je suis à force de creuser un sujet. » (Ibid.)

88. Ibid., p. 263.

89. T. I, Introduction, p. xlvi et xlviii.

90. Lettre à Minault du 8 février 1891, citée t. II, p. 204.

91. Ibid., p. 205.

92. Introduction du t. I, p. xxviii. La citation finale est extraite d’une lettre à Minault du 16 décembre 1892.

93. Chapitre VII, « Qu’est-ce qu’une Église ? Une philosophie de la révélation » (p. 288-329) ; chapitre IX, « Solidarité et action bonne » (p. 379-411).

94. Cf. supra, p. 493.

95. Cité t. II, p. 400.

96. Ibid., p. 407.

97. Voir t. I, p. 206-218. Avant cela, Boegner décrit aussi la « conversion » de Christophe Dieterlen (t. I, p. 128-129).

98. On connaît, en effet, d’autres récits de « conversion » de ce de type. Voir par exemple, André Encrevé (éd.), « Mémoires du pasteur Jean-Henri Grandpierre (1799-1874)… », BSHPF 161 (2015), p. 245-281, 395-422, 569-605 ; aux pages 274-276 Grandpierre évoque ce qu’il appelle « un moment d’extase religieuse ». Consulter aussi Patrick Harismendy, « Convergences, parentés et nuances dans l’expérience de la conversion… », BSHPF 151 (2005), p. 447-485.

99. Voir plus spécialement les p. 206-208.

100. T. Fallot, l’homme et l’œuvre, op. cit., p. 65-66. Puis Boegner cite le récit que Fallot en a fait lui-même (p. 67-68).

101. T. I, p. 214 et 215.

102. T. II, p. 327, note 1. Boegner évoque ici ses recherches durant les années 1890.

103. Ibid., p. 46. Et, sans doute en direction de ses lecteurs réformés, il fait remarquer en note que Calvin ne nourrissait pas de tels préjugés, avec un renvoi à l’Institution de la religion chrétienne (n. 2).

104. Voir, par exemple, t. II, p. 289.

105. T. II, p. 85.

106. Il écrit notamment : « Quelle perte pour notre protestantisme français si cette Église [luthérienne] venait à nous faire défaut ! Qui a su mieux que cette Église développer sainement dans les âmes le besoin de l’adoration ? Qui a su mieux qu’elle allier toutes les exigences de la pensée à la cordialité d’une piété intime et profonde ? Qui a mieux compris que cette Église que le présent est tout à la fois la résultante du passé et le germe de l’avenir, qu’il s’agit donc de conserver avec un respect filial le trésor de nos traditions tout en nous gardant bien de vouloir arrêter le cours de l’histoire. » (Lettre de juin 1879, citée t. II, p. 86.)

107. Voir t. II, p. 266-270. Il précise, par exemple : « Qu’est-ce qu’une église sinon un sanctuaire d’adoration, le lieu où Dieu se donne à nous afin que nous nous donnions tout entier à lui ? Avec chaque nouveau sanctuaire qui s’élève il y a entre le ciel et la terre un nouveau point de contact qui permet aux vertus d’en haut de descendre pour préparer l’avènement de cette terre nouvelle où la justice habitera… » (Lettre à Léopold Monod du 26 novembre 1895, p. 266.)

108. T. II, p. 269.

109. Voir en particulier t. II, p. 48-49.

110. Voir notamment les remarques de Boegner, t. II, p. 349.

111. Voir, par exemple, t. II p. 24 ou p. 40.

112. T. II, p. 90.

113. Voir t. II, p. 285.

114. T. II, p. 131-181. Naturellement, il aborde aussi cette question dans d’autres chapitres.

115. T. II, p. 131.

116. Ibid., p. 131-132.

117. « Proudhon et Fourier surtout, mais aussi bien que Marx et Lassalle, et d’autres » (ibid., p. 132).

118. Ibid., p. 132.

119. Cité ibid., p. 133.

120. Ibid., p. 134-135.

121. Ibid., p. 137.

122. Ibid.

123. Ibid., p. 139.

124. Cité t. II, p. 161.

125. P. x.

126. Ibid.