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Introduction

François BOULET

Patrick CABANEL

2020 : année commémorative pour le protestantisme français qui, outre le centenaire de la fondation de La Cause par le pasteur Freddy Durrleman, se souvient du cinquantenaire de la mort de Marc Boegner. Cet anniversaire nous donne l’occasion de revenir sur le parcours et l’œuvre de ce pasteur, président d’Église et académicien, et par là d’approfondir notre connaissance du protestantisme français au xxe siècle. La longévité et la notoriété de Boegner, l’importance et la diversité des fonctions qu’il a occupées, des milieux qu’il a fréquentés, permettent de reconsidérer plusieurs questions essentielles, plus de trente ans après sa biographie par Roger Mehl (1987).

André Encrevé (Paris XII) relit les trois volumes que Boegner a consacrés à son oncle, Tommy Fallot, le fondateur du Christianisme social, volumes qui révèlent une proximité profonde entre les deux hommes, en particulier dans le domaine doctrinal. Christophe Chalamet (Université de Genève) étudie les conférences de Carême prononcées à Passy de 1928 à 1939, qui montrent un souci d’évangélisation et une grande attention au monde contemporain. Patrick Cabanel (EPHE-PSL) réfléchit aux raisons qui ont fait que Boegner a présidé à peu près tout ce qui était susceptible de l’être dans le protestantisme français du milieu du xxe siècle, et à l’usage qu’il a pu faire de son statut au cours des années 1940. Cette période est également abordée par Isabeau Beigbeder à partir de la correspondance inédite entre Valdo Durrleman, le fils aîné de Freddy et son successeur désigné, et celui qu’il appelait dans le privé « Marc Ier ». Jean-François Zorn (IPT Montpellier) étudie la « conscience missionnaire » de celui qui fut professeur à l’École de formation des missionnaires de la Mission de Paris avant 1914, puis présida pendant vingt ans le Comité de cette Mission. François Boulet (Lycée international Saint-Germain-en-Laye) analyse le rapport de profonde confiance qui finit par unir Boegner à Taizé et au frère Roger Schutz. Jean-Paul Willaime (EPHE-PSL) voit dans le vice-président du Conseil Œcuménique des Églises et l’invité aux troisième et quatrième sessions du concile Vatican II un « missionnaire de l’œcuménisme ».

Ce « dossier Boegner » comprend en outre une chronologie détaillée et une bibliographie, afin de compléter l’outil que nous entendons mettre à disposition des lecteurs.

Le « prétexte » commémoratif et biographique permet de jeter un jour neuf sur de grandes questions de l’histoire du protestantisme français au xxe siècle, sa dimension théologique et missionnaire, son rapport avec le catholicisme, le discours et la position qu’il a entendu tenir face au monde moderne et face à l’État.

Marc Boegner est enraciné dans un double protestantisme, alsacien et drômois, marqué par une conscience patriotique et par la forte sensibilité chrétienne sociale que lui a léguée son maître à penser spirituel, Tommy Fallot. Il œuvre à la réunification de l’Église réformée de France en 1938. Il est par excellence le « pasteur », surtout au temps de son ministère paroissial dans l’ouest parisien, l’Église de Passy-Annonciation.

Ensuite, il sait « présider », au point qu’on peine à dénombrer toutes les institutions dont il a pris la tête. Ses prédications et ses conférences de Carême, son utilisation de la radio, et même de la télévision dans ses débuts, ses nombreux voyages en France et l’étranger, en font un notable connu et reconnu dans toutes les paroisses réformées, du moins de 1929 à 1961. Tous les protestants français le connaissent, l’écoutent et parfois le rencontrent.

Au cœur, on en revient toujours au bilan des années de guerre. Dégager les limites d’une « résistance » est devenu possible.

Enfin, Marc Boegner ne cesse d’aller à la rencontre des catholiques, pour les convaincre et leur parler, surtout durant sa vice-présidence du Conseil Œcuménique des Églises (1946-1954), puis dans les années 1960, avec le concile de Vatican II et la jeunesse à Taizé. L’Exigence œcuménique est le livre-bilan d’un chrétien, écrit presque sereinement au soir de sa vie.

L’historien doit éviter deux écueils lorsqu’il aborde la vie de Marc Boegner : la tentation de faire le panégyrique de son œuvre, ou au contraire, la critique facile du « pape des protestants ». Les travaux inédits présentés dans ce numéro de la Revue d’histoire du protestantisme évitent, pensons-nous, ces deux travers historiographiques. Aujourd’hui nous parvenons mieux à comprendre et à replacer cette vie exceptionnelle dans son époque.