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« Nous partîmes pour aller chercher cette manne spirituelle »

Les Psaumes dans les pérégrinations féminines au lendemain de la révocation de l’édit de Nantes

Inès KIRSCHLEGER

Université de Toulon – BABEL (EA 2649)

Les mémoires et les lettres consacrés au récit des persécutions et de l’exil des réformés français au moment de la révocation de l’édit de Nantes forment un ensemble assez bien circonscrit par les historiens. À ce jour environ soixante-dix textes ont été répertoriés et certains titres, souvent réédités à plusieurs reprises, sont aujourd’hui bien connus, par exemple les mémoires de Jacques Fontaine1, de Jean Marteilhe de Bergerac2 ou d’Isaac Dumont de Bostaquet3, le Journal de Jean Migault4, ou encore les Larmes de Jacques Pineton de Chambrun5. Au sein de ce corpus, seule une poignée de textes concerne directement des femmes6, qu’elles soient auteur ou sujet de la narration7, parmi lesquels les imposants mémoires de Mme Du Noyer8 ou le récit de la jeune drômoise Blanche Gamond plusieurs fois réédité9. Dans l’ensemble, ces textes, qui ne présentent à première vue, la plupart du temps, qu’un faible intérêt sur le plan littéraire, ont été essentiellement envisagés à l’aune de leur aspect documentaire et historique : ils permettent de mieux comprendre la nature et l’ampleur des persécutions menées à l’encontre des protestants français au moment de la révocation de l’édit de Nantes, mais aussi les itinéraires empruntés par les fugitifs et les différents réseaux de communication avec le Refuge ; ils sont également des témoignages de la place de la femme au sein du foyer réformé et dans l’éducation des enfants, mais aussi des autorités auxquelles les femmes sont alors soumises (celle d’un père et celle d’un mari notamment)10. Ces récits procèdent en général de la même manière : ils dévoilent un itinéraire individuel ou familial, enchâssé dans un destin tragique collectif dont rendent compte des dates, des noms de lieux et de compagnons d’infortune que les pages égrènent au fil des péripéties. La structure globale est souvent la même : d’abord un état des lieux relatif aux dragonnades d’un côté et à l’organisation d’une vie clandestine de l’autre, ensuite la sortie de France avec toutes les pérégrinations qui l’accompagnent (en général les mêmes schémas se répètent alors : incarcération, évasion ou tentative avortée d’évasion, transferts de prisonniers d’un lieu à un autre), et pour finir l’arrivée dans un pays d’accueil, qui permet alors l’apaisement et le temps de l’écriture rétrospective.

Mais si l’intérêt de ces récits ne réside a priori ni dans l’originalité de la composition ni dans la renommée de l’auteur ou de celle des acteurs qui y sont associés, puisque, sauf exception, les auteurs de ces textes sont peu connus, voire totalement inconnus, et souvent jeunes, il n’en demeure pas moins qu’ils constituent des témoignages privilégiés de l’expression de la foi réformée dans ce qu’elle a de plus intime et de plus sincère. Le plus souvent recueillis presque dans le temps des événements, même si parfois une certaine théâtralisation vient souligner une sorte d’héroïsation du moi que légitime la fin heureuse des événements11, ces témoignages font apparaître l’authentique foi du charbonnier, celle qui s’éprouve par la force des sentiments davantage qu’elle ne s’explique par de longs discours, une foi non intellectualisée en somme, non théologique et non nécessairement pastorale, qui se vit et se communique de manière presque instinctive. Gabriel Monod, introduisant en 1868 le récit autobiographique de Suzanne de Robillard dans le Bulletin historique et littéraire de la société de l’histoire du protestantisme français, notait ainsi : « Ce récit n’est pas une œuvre littéraire, mais une naïve révélation du caractère huguenot, tel qu’il se montre dans la famille française aux jours de crise et de péril. »12 De fait, ces récits opèrent bien une forme de dévoilement, au sens fort du terme : d’une part ils donnent à voir les pensées intérieures les plus intimes des fidèles, dans cette zone où se combattent l’espérance et le principe de réalité face à l’adversité ; d’autre part ils révèlent un certain nombre de traits caractéristiques de la piété huguenote, voire de marqueurs identitaires forts, au premier rang desquels se trouve l’attachement des réformés aux psaumes.

À cet égard, les quelques rares voix féminines qui nous sont parvenues des chemins d’exil et des cellules de prison après 1685 forment un échantillon tout à fait représentatif de la prégnance des psaumes dans la culture huguenote de l’époque, en dehors de tout cadre ecclésial et pastoral, d’autant que les voix de femmes dans l’espace public n’étaient alors pas si fréquentes, et moins encore au sein de la littérature de piété réformée. Ces textes montrent bien que les femmes pratiquaient tout autant que les hommes cette fameuse « langue de Canaan » que les réformés s’étaient forgée et qu’ils cultivaient, et que seule une innutrition biblique menée de longue date pouvait rendre possible. Ils soulignent ce faisant le rôle privilégié des psaumes dans le vécu des réformés, et l’on peut même dire dans la survie de la foi réformée.

Des voix de femmes fortes

Les récits de femmes sur lesquels s’appuie l’enquête présentée ici se donnent tous sous la forme de courtes lettres, de mémoires ou de narrations autobiographiques, à l’exception de celui de Jeanne Faïsses, qui est un récit à la troisième personne13. Il s’agit à chaque fois de récits d’évasion et de fuite, ponctués d’épisodes d’incarcérations plus ou moins longues, en divers types de prisons (couvent, hôpital, basse-fosse, cachot), et détaillant toutes les souffrances qui en découlent, tant sur le plan moral (angoisses de la solitude et de la séparation d’avec les proches, désespoir) que physique (maux divers et variés liés aux mauvais traitements, au manque d’hygiène, à la privation de nourriture ; blessures lors des évasions ; maladies contractées en détention). Les détails sont abondants bien souvent, les mouvements de transfert des prisonnières d’une prison à l’autre se succèdent à vive allure, de même les va-et-vient constants de personnel ecclésiastique et carcéral (confesseurs, jésuites, prêtres, moines, curés, religieuses, geôliers, officiers, concierges mais aussi infirmières et chirurgiens) au sein des cellules pour tenter de faire fléchir les détenues, produisent un effet d’accumulation et de densité assez remarquable, d’autant plus fort que ces textes sont brefs, quelques pages à peine, à l’exception du récit de Blanche Gamond qui est plus longuement détaillé et qui intègre par ailleurs des textes de prières et des lettres.

Ce qui frappe également, c’est le jeune, voire très jeune âge, de la plupart de ces femmes auteurs (19 ans pour Suzanne de Robillard, 21 ans pour Blanche Gamond, 15 ans seulement pour Marie Molinier, la plus âgée étant Anne de Chauffepié, 45 ans)14. Elles n’étaient absolument pas connues ou célèbres15, et rien ne les prédestinait à devenir des femmes de plume, tout au plus étaient-elles issues ou apparentées à une famille de pasteur : c’est le cas d’Anne de Chauffepié qui était à la fois fille et sœur de pasteur, de Marie de Sers, fille de pasteur, ou de Blanche Gamond, dont le parrain était le célèbre pasteur François Murat, qui fut un précieux soutien pour elle, par les lettres d’encouragement qu’il lui adressait régulièrement et qu’elle a reproduites dans son récit. C’est précisément ce réseau pastoral qui permit la circulation des premiers textes de ces femmes dès 1688 par l’intermédiaire de Jurieu, puisque les lettres reçues par Murat (de Blanche Gamond) et par le pasteur Sers (de sa fille Marie) avaient été communiquées à Jurieu à Rotterdam. Jurieu put ainsi publier ces premiers témoignages dans ses Lettres pastorales16, en rendant hommage au caractère surprenant et exceptionnel de ces femmes :

Il est certain que dans l’histoire qu’on pourra faire de nôtre persecution, le chapitre des evasions doit faire un des plus beaux endroits. On y verra des stratagemes qui pourront divertir. Mais on y verra, sur tout dans des femmes, des prodiges de courage qui paroîtront incroyables. On y verra des femmes de qualité nourries toute leur vie dans une grande délicatesse : quelques une d’elles malades de maux qu’on croyoit mortels, passer durant la rigueur de l’hyver à travers les bois & les rochers ; les neiges dessus la tête & des rivieres juqu’au genoux, & traverser des torrents & des rivieres de neige fonduë dont l’eau leur montoit jusqu’au sein. On y verra mille autres actions de vigueur surprenante17.

Cette vigueur et ce dynamisme sont l’un des points communs que présentent ces textes de femmes, mais non le seul. Tous mettent en avant l’atrocité et la récurrence des souffrances que ces femmes endurent, les difficultés des parcours qui sont les leurs, la cruauté des geôliers qui ne manquent pas d’inventivité pour infliger des peines toujours plus douloureuses et infâmantes. Tous insistent également sur l’exceptionnelle force d’âme de ces femmes18, leur résistance dans l’épreuve – une résistance d’ailleurs communicative, puisque ces femmes ont la plupart du temps des tempéraments de meneuses, elles possèdent un certain charisme qui les rend capables d’exhorter, de soutenir et d’encourager leurs camarades de captivité. Ce sont des femmes de courage et d’initiative, pour lesquelles la famille et les amies sont des valeurs chères19. Partie en avril 1687 de La Rochelle pour rejoindre Exeter en Angleterre, Suzanne de Robillard détaille ainsi comment elle organise sa fuite avec quatre de ses jeunes frères et sœurs ainsi qu’une gouvernante, à bord d’un petit navire, à fond de cale sur du sel. Mais, au moment du départ, elle explique qu’elle est prise de remords à l’idée de laisser derrière elle la plus jeune de ses sœurs, âgée de deux ans seulement, ce qui compromettait les chances de discrétion de l’équipage tout entier :

Là nous vint joindre notre capitaine et notre truchement. Je leur témoignai que je ne regrettois qu’une petite sœur, qui était ma filleule, à qui j’étois fort attachée et me trouvai encore plus obligée à la tirer de l’idolâtrie, que les autres. Tout cela ne se dit point sans un grand attendrissement de cœur, et sans verser un torrent de larmes : je promettois au capitaine tout ce qu’il voudroit avoir, et beaucoup de bénédictions de la part du ciel, s’il faisoit cette bonne œuvre. Toutes ces choses ensemble le touchèrent si fort, qu’il me permit de la prendre, si je lui promettois qu’elle ne crieroit point dans le vaisseau, lorsqu’on viendroit le visiter, ce qui se devoit faire en deux ou trois endroits marqués pour cela. Je le lui promis, dans l’espérance que Dieu me seroit en aide et me feroit cette grâce20.

Établie en Angleterre, Suzanne de Robillard ne ménage pas sa peine pour éduquer sa fratrie, en l’absence de ses parents qui ne parviennent à les rejoindre qu’en juillet de la même année pour leur mère, et un an plus tard encore pour leur père. Suzanne veille au bien-être de chacun des enfants, leur procurant vêtements et nourriture, apprenant elle-même l’anglais, et dispensant le catéchisme aux plus grands, ce qui lui valut à Exeter le surnom de « mère aux petits enfants » :

Aussi je n’avois rien négligé pour bien remplir mes devoirs, autant que mon jeune âge et ma capacité le pouvoit permettre. J’instruisis de mon mieux les frères et sœurs qui pouvoient apprendre ; les deux aînés répondoient une fois par semaine au catéchisme. Dans le voyage et après être arrivés, je leur appris et moi avec le psaume XXVIIe qui me convenoit ce me semble fort bien21.

Le texte ne donne pas davantage de précisions sur ce psaume, mais dans ce contexte d’un catéchisme dispensé à de jeunes enfants, on peut supposer qu’il s’agit de la version chantée, et donc versifiée, du psaume 27. Il était effectivement aisé pour la jeune femme de s’identifier, dans ce psaume, à celui qui rend grâces à Dieu d’avoir été délivré de ses ennemis et mis en lieu sûr, et à qui Dieu tient lieu de père et de mère. En reliant ainsi son histoire personnelle à l’histoire du psalmiste, la jeune femme trouvait des mots capables de donner du sens à sa situation d’exilée et de fortifier sa foi dans la durée :

L’Éternel est la clairté qui m’adresse,/ et mon salut, que doy-je redouter ?/ Le Seigneur est l’appui qui me redresse,/ ou est celuy qui peut m’espouvanter ? […]

Quand je n’auroy pour moy père ni mere,/ Mon Dieu sera pour moy, quoy qu’il en soit. […]

Or donc atten tousjours patiemment le Seigneur Dieu :/ soutien jusques au bout : Dieu te viendra asseurer contre tout./ Or donc attens de Dieu l’advenement22.

Cette attention de chaque instant à l’autre, parent, ami, compagnon d’infortune, représente une constante de ces récits de femmes, ce qui se traduit notamment par le plaisir de parler et de prier ensemble, dès que les captives en ont la possibilité. Jeanne Faïsses, originaire de Sainte-Croix-de-Caderle en Cévennes, partie de Nîmes le 10 septembre 1686, arrêtée le 30 septembre près de Mantua, et conduite à partir de là en diverses prisons à Dijon et aux alentours, souligne à deux reprises combien le partage de la parole biblique joue un rôle important pour les détenues : « Dans cette prison de Dijon on y faisoit la prière en commun deux ou trois fois par jour, l’on y lisoit la Parole de Dieu, l’on y chantoit les psaumes ; on s’y exerçoit à la persévérance. »23 Elle est ensuite enfermée « à perpétuité »24 dans l’hôpital de la ville avec 25 autres captives à partir du 3 mars 1687. Les mêmes scènes d’encouragement spirituel s’y produisent, et le chant des psaumes gagne même par contagion la geôlière, « parisienne fort honnête et d’assez bon naturel » :

Dans cette détention, chacune vaqua de son mieux à son salut, et parmi les occupations qu’on leur donnoit, elles ont toujours lu la Parole de Dieu et chanté les psaumes, jusques là que la sœur La Fayole en apprenoit quelques couplets par cœur25.

Les gardiens de cellule connaissaient bien et craignaient ce pouvoir d’édification mutuelle et d’esprit de résistance que les prisonnières s’octroyaient par la lecture ou la récitation de la Bible, et c’est la raison pour laquelle ils s’efforçaient autant que possible de séparer les détenues. Aussi, lorsqu’une nouvelle religieuse vient renforcer la surveillance de la sœur La Fayole, « d’une humeur fort opposée aux pauvres prisonnières, faisant tout le contraire de ce qui pouvoit leur être à quelque consolation », Jeanne Faïsses se trouve mise à l’isolement :

à fin que notre Jeanne ne put fortifier sa compagne ou se consoler ensemble, on l’a toujours faite coucher seule depuis la mort de sa compagne Fleurie, les ayant pour toujours séparées de sa chère Olimpe26.

Anne de Chauffepié, partie de La Rochelle comme Suzanne de Robillard, et tentant comme elle de gagner l’Angleterre par voie maritime, se fait arrêter en mer le 25 avril 1686, avec une cinquantaine d’autres fugitifs. D’abord emprisonnée sur l’île de Ré, elle est ensuite transférée dans différents couvents et prisons, à Niort, Poitiers, Chartres, puis à l’abbaye d’Arcisses. Elle aussi témoigne de cette volonté de séparer les captives afin d’éviter qu’elles ne se fortifient spirituellement les unes les autres : « L’on nous défendit sévèrement de nous parler, et de nous voir en particulier, et surtout de prier Dieu ensemble, quoique l’on demeurât d’accord que nos prières étoient bonnes. »27 Dès le début de sa détention sur l’île de Ré, Anne de Chauffepié explique comment le geôlier, nommé La Coste, vient priver les détenues des ouvrages qui alimentent leurs prières :

Entre les livres qu’il nous ôta, il y en avoit de prières et de méditations, de MM. Le Faucheur et Du Moulin. Il les montra au jésuite et lui dit que cela étoit bon, et qu’il ne faudroit point nous les ôter. Le jésuite répondit qu’il étoit vrai que ces livres étoient très bons, mais que cependant il falloit qu’il fît sa charge. Aussi, pour nous chagriner davantage et nous priver de toutes consolations, on nous les prit aussi bien que nos Bibles. J’en avois une en trois volumes, qui me fut ôtée, et qui, par une merveille de la Providence, me revint ensuite entre les mains, pour ma grande consolation dans les divers états où je me suis trouvée depuis28.

« Comme des Hébreux métaphoriques »

De fait, ces récits féminins portent témoignage, dans leur écriture même, de l’importance des mots de la Bible dans le vécu de ces femmes29. Il est frappant de voir que toutes ces femmes parlent une même langue, à la fois teintée d’une émotion vive et sincère, mais néanmoins contrôlée, et toute mâtinée d’expressions, d’images et de métaphores bibliques. Lorsqu’il s’agit d’évoquer les motivations du départ, c’est en général sous la forme d’un impératif individuel totalement intériorisé et métaphorisé que ces femmes s’expriment. C’est ce que révèlent les tout premiers mots de Marie Du Bois :

L’Envie que j’avois de sortir de la Babylonne, pour aller invoquer Dieu dans les lieux, où il est servi en liberté, m’obligea à me hazarder avec quelqu’une de mes compagnes, qui avoyent pris la même resolution, nonobstant les défences du roy de sortir du royaume30.

Ce travail de métaphorisation n’est bien sûr absolument pas la marque d’une écriture spécifiquement féminine, il était alors l’apanage de la littérature réformée fin de siècle dans son ensemble : comme le rapporte Patrick Cabanel, « Babylone, Égypte, Canaan…, plus que jamais les huguenots se révèlent comme des Hébreux métaphoriques, selon le mot du pasteur Jean Babin, en 1688 »31. Il est frappant de voir que ce procédé n’était pas le fait des pasteurs ou des théologiens seulement, mais qu’il était également pratiqué très aisément et dans la plus grande simplicité par ces femmes. Pour expliquer son départ, au moment de quitter la France avec son frère et sa mère, Blanche Gamond préfère, elle, l’image exodique (mais aussi psalmique) de la manne :

Ainsi nous partîmes tous trois pour aller chercher cette manne spirituelle ; car elle ne tomboit point en France, parce que nous l’avions méprisée, et foulée ; c’est pourquoy nous avions faim et soif, mais non pas du pain, ny du vin, mais de la Parole de Dieu32.

Chez Marie Molinier, bien que son évasion soit un peu plus tardive que les autres (1699), on retrouve la même idée, mais développée au moyen d’images puisées au livre de Jérémie et dans l’évangile de Jean :

Nos pères n’ayant pas pu rester dans leur communion sans risquer leur salut, ils ont été obligés de quitter leur patrie, leurs parens et leurs biens, pour aller chercher dans les païs étrangers les eaux saillantes en vie éternelle, puisque celles de leur patrie étoient bourbeuses et empoisonnées, ce qui leur auroit donné la mort éternelle33.

Au début de sa détention à l’École royale de Montpellier, Marie Molinier raconte comment les religieuses mettent en place un rituel quotidien visant à favoriser la conversion des jeunes filles :

Le soir l’on faisoit la prière en latin, j’étois obligée d’y assister. Je n’y entendois rien, ni elles non plus. Je me mettois dans un coin et, levant mon cœur à Dieu, je le priois de m’ôter de cette Babylone et de me mettre dans sa bergerie34.

Comme on le voit ici, les différentes métaphores (Babylone, la bergerie) peuvent se cumuler et se renforcer l’une l’autre ; elles peuvent aussi être filées, comme le fait Blanche Gamond face à ses cousines, à partir de l’imagerie pastorale de Zacharie 13, 7 et du psaume 23 précisément35 :

Vous voyez comme Dieu a frappé les bergers, et les brebis sont éparses ; mais prions Dieu de tout notre cœur, que luy-même soit notre berger, et notre pasteur, et notre conservateur, comme il est notre créateur36.

Ces éléments de lexique biblique sont aussi des points d’ancrage du récit, des balises textuelles qui en ponctuent l’avancée ou les seuils. Ainsi, parvenue au terme de son récit, Marie Molinier réemploie en guise de conclusion les mêmes images, laissant entendre que Dieu a exaucé ses prières et a entendu sa voix :

Je me flatte, mes chers enfans, que cette relation ne vous sera pas indifférente. Mon dessein, en l’écrivant, a été de vous apprendre les grâces que Dieu m’a fait de m’avoir tirée de Babylone comme un tison recouvré du feu37.

Et un peu en amont, pour célébrer son arrivée à Genève, Marie Molinier rend grâces à Dieu à travers une citation de psaume :

Je dois ma délivrance à mon divin Sauveur qui, comme le bon berger, m’a porté sur ses épaules. Dans le païs de liberté je puis dire comme David : « Hélas j’étois la brebis égarée, tu me cherches, Seigneur, tu pris plaisir, fais que ta loi dans mon cœur soit gravée ! »38

Les citations bibliques en tant que telles sont en réalité assez rares, elles ne sont souvent pas référencées (comme ici39), et lorsqu’il y en a, ce sont quasiment toujours des citations de psaumes, données dans la traduction versifiée du psautier Marot-Bèze de 1562, ce qui souligne bien d’une part la place privilégiée du texte des psaumes dans l’exercice de la foi réformée, et d’autre part la permanence de la version Marot-Bèze dans les mentalités et les pratiques huguenotes après 1685, malgré les récentes éditions modernisées du Psautier par Valentin Conrart (1677) ou Gabriel Gilbert (1680).

Psaumes de courage, psaumes d’espérance

Les psaumes interviennent dans le récit essentiellement dans les moments où il s’agit pour les femmes de donner aux autres ou de se donner à elles-mêmes du courage. C’est un psaume qui procure à Marie Molinier la force de s’échapper du couvent dans lequel elle est enfermée à Montpellier :

Étant descendue je me plantai devant cette porte qui renfermoit toute la société, ne sachant ce que je devois faire, ou de frapper ou de descendre les autres degrés qui menoient à la rue. Je levai mon cœur avec ardeur à mon Dieu en récitant le psaume 142 en mémoire de mon cher grand-père Baudouin qui avoit été mis à l’Inquisition […]. Me rappelant que j’étois dans le même cas, je me servis de mêmes moyens, en priant celui qui peut délivrer de la gueule des lions, disant, « tire moi de cette prison, afin que je chante ton nom » ! Soudain je me sentis un si grand courage que je descendis le degré et me fus cacher derrière la porte où il y avoit une petite grille40.

Dans le récit de Jeanne Faïsses, c’est un psaume qui permet à Olimpe Fillion, la chère amie de Jeanne dont il est souvent fait mention, de venir en aide à sa compagne de cellule, Mlle Gruas, en la fortifiant par des paroles d’apaisement pendant quatre mois, jusqu’à la mort de cette dernière :

Sa chère compagne Olimpe la voyant hors d’espérance la consoloit de tout son pouvoir, prioit doucement pour elle pour n’être entendue des religieuses, lui lisoit des chapitres et des psaumes. [Elle] lui demanda un jour si elle n’étoit pas bien disposée à la mort, si elle ne regrettoit pas son père et sa mère, et ses frères, qu’elle lui avoit dit aimer beaucoup. Elle lui répondit qu’elle n’avoit pas de plus grand regret que de ne pouvoir pas voir un ministre pour se réconcilier, et recevoir l’assurance du pardon du péché qu’elle avoit commis en promettant à Bellay de faire abjuration, ce qu’elle n’avoit pas pourtant, grâce à Dieu, exécuté ; qu’après cela elle mourroit contente. Elle se reprochoit de n’avoir pas mieux employé sa jeunesse, ce qui lui causoit beaucoup de déplaisir et de larmes, se déplaisant de n’en pouvoir pas assez répandre. Que je suis malheureuse, disoit-elle, de ne pouvoir pas pleurer mes péchés ! Elle la pria de lui dire souvent : Tourne à mon tourment ta face, – voi ma peine et mon soucy – et tous mes péchés efface – qui sont cause de cecy ; de lui dire encore souvent la prière à la Sainte-Trinité : O glorieux Créateur ! o benin Rédempteur ! o Éternel Consolateur ! Elle s’efforçoit de lui témoigner plus de force qu’elle n’en avoit en effet, afin de n’être pas emportée à la chambre des malades, et séparée pour jamais de ses chères sœurs41.

Dans le récit de Blanche Gamond, beaucoup plus long et circonstancié, les psaumes imprègnent plus largement et plus profondément le texte, ce qui s’explique notamment par le fait que la jeune martyre, dont les souffrances ont duré près de deux ans, accorde une large place aux prières qu’elle formulait mais aussi aux conversations qu’elle pouvait avoir, avec ses proches avant son arrestation, avec ses compagnes de cellule pendant sa détention, ou avec les ecclésiastiques qui avaient pour mission d’obtenir son abjuration. Les psaumes affleurent d’abord de manière sporadique sous forme de paraphrase en prose, ou d’allusions, sans qu’aucun signe particulier dans la typographie ne signale l’emprunt textuel. Dès le début du récit ils apparaissent au cœur des prières que Blanche Gamond développe dans la solitude des premiers retranchements, qui sont en fait les prémices du Désert : des endroits discrets et isolés, hors de la ville, à l’abri des regards et du passage :

Là, je passois les nuits toute seule, non pas en dormant, mais en versant des larmes en abondance, et disois : […] Je reconnois bien, ô mon Dieu ! que nous avons délaissé ta loy, et n’avons pas cheminé selon ton ordonnance ; nous avons violé tes statuts, et n’avons point gardé tes commandements ! C’est pourquoy tu visites de playes nos iniquités et de verges nos transgressions. Mais, ô mon Dieu, ne retire point de nous ta gratuité, et ne nous fausse point ta foy, et ne viole point ton alliance, et ce qui est sorti de tes lèvres, ne le change point ; mais plutôt souviens toi de l’alliance que tu as traittée avec nous, à sçavoir ton Fils Jésus-Christ, ton unique, que tu as livré pour nous à la mort de la croix. […] Toy, ô mon Dieu, qui n’as pas épargné ton propre Fils pour [racheter ton Église], épargneras-tu tes compassions pour la retirer des tribulations ? Les émotions bruyantes de tes entrailles sont-elles retenües en [notre] endroit ? Réveille-toy en nos oppresses, réveille, dis-je ta vertu, et pour jamais ne nous délaisses ! Pourquoy caches-tu ton visage ? pourquoy, alors qu’on nous outrage, n’as-tu quelque compassion de notre grande affliction42 ?

Les paroles des psaumes sont totalement fondues dans le corps du texte, mais selon des procédés différents. On reconnaît d’abord une libre adaptation des versets 31 à 35 du Ps 89, dans la version en prose de la Bible de Genève de 158843, puis un écho du verset 12 du Ps 4044, et enfin une citation exacte de la fin du Ps 44 dans la traduction versifiée de Théodore de Bèze45.

Plus loin, alors que Blanche Gamond est en détention dans une prison de Grenoble et qu’elle s’apprête à comparaître devant un commissaire, elle prie afin de se trouver fortifiée « en [son] corps et en [son] esprit » :

Hélas, mon Dieu, je suis indigne de la moindre de tes grâces et encore moins de me présenter devant toi, devant qui les anges ne sont pas purs, et moy qui suis la soüillure même ! Mais tu es assez pur pour me purifier. Sanctifie-moy, purifie-moy, nettoye-moi de toute souillure, afin que je n’ouvre pas ma bouche que pour te loüer et édifier mon prochain. […] Mon Dieu, j’espère en ta miséricorde que tu me délivreras de cette prison, et de tous mes ennemis ; et un jour tu me recueilleras dans ton royaume céleste. Là je verray l’accomplissement des choses, que tu me promets ici-bas ; là j’embrasseray mon Sauveur Jésus ; là je puiseray en la source de vie ;je verray mon Dieu, et seray transformée en sa ressemblance, et rassasiée de sa présence46.

La prière puise ici à la source d’un certain nombre de thématiques psalmiques privilégiées que Blanche Gamond paraphrase assez librement : la demande de rémission des péchés (Ps 51)47, l’appel à la miséricorde de Dieu pour qu’il accorde la délivrance (Ps 71)48, le royaume céleste comme source de vie éternelle (Ps 36)49 et lieu du face-à-face avec Dieu (Ps 17)50. Dans cette juxtaposition, certains termes ou expressions fonctionnent comme des mots-clefs qui entrent en résonance avec l’univers des psaumes, et éveillent ainsi tout un horizon de confiance et d’espérance qui permet d’ancrer plus solidement la demande de celle qui parle à Dieu : les mots sont nécessairement justes, puisqu’ils proviennent de la Bible même, et ils sont en même temps actualisés et adaptés à la situation personnelle de celle qui s’exprime. Le travail de paraphrase est même redoublé ici, puisque l’on reconnaît à la fin de la citation un emprunt à la Preparation à la communion de Pierre Du Moulin, d’abord assez libre sur les deux premières phrases, puis totalement fidèle à la fin :

Mon Dieu me sauvera, & m’ayant délivré de toute mauvaise œuvre, me recueillera en son Royaume. Là je verrai l’accomplissement des choses qui nous ont été représentées en cette sainte Table. Là j’embrasserai mon Sauveur Jésus. Là je puiserai en la source de vie. Là je verrai mon Dieu, & serai transformé en sa ressemblance, & rassasié de sa présence51.

On se souvient qu’Anne de Chauffepié parlait de ces livres de prières et de méditations de Le Faucheur et Du Moulin qu’elle possédait en cellule avec ses camarades et qui leur avaient été très rapidement confisqués52. Le texte de Blanche Gamond témoigne lui aussi de cet impact des petits livres de piété, qui étaient devenus d’importants vecteurs de la transmission de la foi réformée, et dont on ne sait pas très bien finalement si ce sont eux qui permettaient aux réformés d’apprendre un grand nombre de citations de psaumes (puisque ces ouvrages reposaient sur un important travail de paraphrase d’extraits bibliques, et en particulier des psaumes), ou si les réformés appréciaient ces ouvrages précisément parce qu’ils aimaient y retrouver cette poésie des psaumes qui leur était familière53. Il semblerait que l’un n’exclue pas l’autre, et le récit de Blanche Gamond paraît aller dans ce sens puisque, comme on le voit ici, la jeune femme manie aussi bien les souvenirs du texte des psaumes que celui des prières de Du Moulin.

Les exemples de citations et d’emprunts psalmiques chez Blanche Gamond sont trop nombreux pour que l’on puisse tous les analyser ici, mais on s’aperçoit que les psaumes ponctuent et accompagnent l’évolution spirituelle de la jeune femme au gré de ses pérégrinations et de ses malheurs. Et lorsque le récit atteint un point culminant de souffrances, au moment où Blanche Gamond expérimente le plus intimement et le plus douloureusement l’angoisse de l’abandon (abandon supposé de Dieu, abandon forcé de ses compagnes d’infortune à l’occasion d’une évasion manquée), alors les mots des psaumes s’enracinent plus profondément dans le discours et des pans entiers de strophes mémorisées de longue date reviennent en bloc à la mémoire de la jeune femme. Le temps du récit est soudain comme suspendu par cette longue litanie de bribes mémorielles qui juxtapose les vers de différents psaumes comme s’ils n’en formaient qu’un54 :

Puis, je restai évanouie l’espace d’un quart d’heure ; mais je n’avais personne qui me consolât, ni qui me soulageât d’une goutte d’eau ou de vinaigre pour me faire revenir de cet évanouissement. Mais sitôt que j’en revenais, je m’écriais :

Hélas, Seigneur, je te prie, sauve-moi [Ps 69, Bèze]

Car j’ai mis en toi mon espérance. [Ps 31 et 71, Bèze]

Sois-moi, Seigneur, ma garde et mon appui ; [Ps 16, Bèze]

Car en toi gît toute mon espérance.

Seigneur, entends, et ne t’éloigne point de moi !

Seigneur entends ma requête ! [Ps 102, Bèze]55

Rien n’empêche ni n’arrête

Mon cri d’aller jusqu’à toi…

En ma douleur non pareille,

Tourne vers moi ton oreille,

Et pour m’ouïr, quand je crie,

Avance-toi, je te prie.

De temps en temps je restais là sans avoir aucun mouvement en moi-même puis je pensais que quand il serait jour, on ne manquerait pas de me reprendre et que je serais remise dans l’hôpital […]

Seigneur Dieu, oy l’oraison mienne [Ps 143, Marot]

Jusqu’à tes oreilles parvienne

Mon humble supplication.

À tous les versets que je disais, j’y faisais de saintes réflexions pour me fortifier dans mon combat. […] Je commençai derechef d’élever mon cœur à Dieu par le psaume CXXX :

Du fond de ma détresse, [Conrart, texte légèrement modifié56]

Au fond de tous ennuis,

A toy seul je m’adresse,

Et le jour et la nuit, etc.

J’étais interrompue dans ce saint exercice par les douleurs violentes que me causait ma cuisse affligée par la meurtrissure et dislocation d’icelle et mon pied démis. Mais en même temps je me reprenois, je retournois à mon Dieu :

En Dieu je me console

En mes plus grands malheurs,

Et sa ferme parole

Apaise mes douleurs.

Mon cœur vers lui regarde,

Brûlant d’un grand amour,

Plus matin que la garde

Qui devance le jour.

De toutes mes souffrances

Tu me délivreras,

Et toutes mes offenses

Tu me pardonneras.

Ô mon Dieu, par ton Fils bien-aimé !

Alors que toutes les citations proviennent du Psautier Marot-Bèze, une transition s’opère soudainement à la fin de cette citation entre le Ps 130 de Marot et celui de Conrart, sans que rien n’indique ce passage d’une version à l’autre. Et après une première strophe qui fond en une seule les deux versions du psaume, c’est finalement celui de Conrart qui est récité57. Ce glissement lexical atteste donc que Blanche Gamond avait suffisamment fréquenté les psaumes de Conrart pour les connaître par cœur et les avoir en la bouche au plus fort de la détresse. À moins bien sûr qu’il ne s’agisse d’une reconstruction a posteriori, dans le temps d’écriture des mémoires, d’autant que ce temps rétrospectif coïncide avec un temps d’échanges, directs ou indirects, dont deux interlocuteurs au moins nous sont connus (François Murat et Pierre Jurieu). Quoi qu’il en soit, c’est vraisemblablement ici le goût personnel de la jeune femme pour les mots de ce psaume-là en particulier qui explique le surgissement de cette nouvelle version.

Le travail de composition du texte révèle ainsi que Blanche Gamond connaissait les psaumes, en tout ou partie, dans trois versions différentes au moins : la version en prose de la Bible de Genève, la version poétique de Marot-Bèze, et la version révisée de Conrart. Le pouvoir spirituel du livre des Psaumes s’en trouvait ainsi décuplé : la jeune martyre possédait là un trésor de mots et d’expressions qui lui permettait de trouver la langue la plus juste adaptée à chaque situation, en fonction de sa préférence pour l’une ou l’autre de ces versions. Pour la méditation personnelle ou pour l’introspection, de même que pour les conversations ou les entretiens plus formels (les interrogatoires, les comparutions lors des procès), la version en prose offrait un phrasé plus ample et une plus grande solennité sans doute. Mais dans la solitude des grandes détresses, dans la nudité du face-à-face de la conscience avec son Dieu, lorsque l’émotion atteignait son paroxysme, les versions poétiques se prêtaient vraisemblablement mieux à la nécessité d’un verbe plus efficace et plus dense, mètres brefs et rimes sonnantes à l’appui.

C’est parce qu’elles étaient dotées d’armes spirituelles à leur mesure que ces femmes, rebelles et combatives, ont pu s’aventurer en confiance sur les routes de l’exil et poursuivre leur chemin avec constance et obstination. Si elles se voyaient contraintes de tout laisser derrière elles, elles emportaient néanmoins un bien que nul ne pouvait leur retirer, susceptible de leur servir d’instrument défensif (aux heures de découragement et de détresse) aussi bien qu’offensif (au moment de soutenir le débat face aux contradicteurs et aux convertisseurs58). Aucun obstacle, aucune entrave ne paraissaient pouvoir endiguer ce mouvement de fuite sans cesse recommencé (fuite hors de leur famille, de leur prison, de leur ville, et pour finir, de leur pays) qui était en réalité une reconquête spirituelle : on souhaitait les réduire au silence, leur imposer d’autres mots que les leurs pour dire leur foi, leur arracher la formule du ralliement à la foi catholique (« je me réunirai ») ; elles opposaient des paroles de résistance et d’endurance jusqu’à leur dernier souffle. Une logique répressive et coercitive d’un côté, une logique protestataire et parfois logorrhéique de l’autre. Le combat était inégal, mais non les certitudes. Au cœur de ce vaste tumulte, plein de bruit et de fureur, pour assurer l’unité forcée du royaume catholique – « une foi, une loi, un roi », les voix isolées de ces femmes trouvaient néanmoins, dans la mise en abyme qu’induit le geste de l’écriture, un espace de résonance et de diffraction, non de leurs plaintes, mais de leur ferme assurance dans l’épreuve, et donc, à travers leur propre expérience, de la victoire pleine et entière de Dieu. Mises en correspondance les unes avec les autres, ces différentes voix féminines révèlent bien comment les paroles de la Bible, et en particulier celles des psaumes, permettaient d’inverser la polarité tragique du statut de ces femmes, et de convertir en joie ineffable une expérience de souffrance paroxystique59 : si ces femmes étaient bien victimes, leurs bourreaux n’en étaient pas moins sans cesse dépossédés de leur victoire, non à grands renfort d’arguments, de cautions et d’autorités, mais par la simplicité désarmante de paroles vives, fortes de leur extrême dénuement, comme Blanche Gamond en fournit de nombreux exemples : « Je sçay bien que moy-même je ne puis rien ; mais avec Dieu, je puis toutes choses en Christ qui me fortifie. »60

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1. Histoire de la famille Fontaine, recueillie par moi, Jacques Fontaine, ministre de l’Evangile, sur les memoires que j’en avais ci-devant ramassés, 1722. Pour une présentation succincte de J. Fontaine et des auteurs qui suivent, voir Patrick Cabanel, Histoire des protestants de France, xvie-xxie siècle, Paris : Fayard, 2012, « Récits de refuge », p. 733-741.

2. Mémoires d’un protestant condamné aux Galères de France pour cause de religion écrits par lui-même, Rotterdam : Beman & Fils, 1757.

3. Récit fidele de ce qui s’est passé dans ma vie de plus essentiel pour servir de mémoire à ma posterité, et cela depuis ma naissance jusques à ce jour (1687), éd. C. Read et F. Waddington sous le titre Mémoires inédits de Dumont de Bostaquet Gentilhomme normand, Paris : Michel Lévy, 1864.

4. Journal de Jean Migault, commencé à Mauzé au mois d’avril de l’année 1683. Voir Yves Krumenacker, « Les Dragonnades du Poitou : leur écho dans les mémoires », BSHPF 131 (1985), p. 405-422.

5. Les larmes de Jacques Pineton de Chambrun ; qui contiennent les persécutions arrivées aux églises de la principauté d’Orange depuis l’an 1660 ; la chute et le relèvement de l’auteur, avec le rétablissement de Saint Pierre en son apostolat ou sermon sur les paroles de notre seigneur Jésus-Christ, La Haye : Henry Van Bulderen, 1688.

6. Voir en écho à cette étude Inès Kirschleger, « “Mon âme est en liberté et j’ai la paix de la conscience” : résistance et spiritualité des femmes du Désert », RHP 3 (2018), p. 569-579.

7. En 2012, Patrick Cabanel dénombrait cinquante-cinq « relations de première main sur l’exil huguenot », dont huit dues à des femmes (Histoire des protestants de France, p. 734). Voir aussi Carolyn Lougee Chappell, « Writing the Diaspora : Escape Memoirs and the Construction of Huguenot Memory », dans Philip Benedict, Hugues Daussy, Pierre-Olivier Léchot (éd.), L’Identité huguenote. Faire mémoire et écrire l’histoire (xvie-xxie siècle), Genève : Droz, 2014, p. 261-277. Marianne Carbonnier-Burkard portait en 2014 le nombre global de ces récits d’exil à une soixantaine : voir « Les Huguenots et leurs mémoires d’exil », conférence donnée à La Charce, https ://z.umn.edu/5790. Le nombre de récits féminins connus est aujourd’hui deux fois plus important, puisque Colette H. Winn, dans un récent article, dénombre « une bonne vingtaine de témoignages attribués à des femmes », mais sans en détailler la liste complète : voir « “Mon évasion hors de France” : les huguenotes et leurs mémoires d’exil », L’Esprit Créateur 60/1 (2020), p. 124-135, ici p. 124 en particulier.

8. Mémoires de Madame Du N*** écrits par elle-même, 5 vol., Cologne : Pierre Marteau, 1710-1711.

9. Le récit des persécutions que Blanche Gamond de Saint-Paul-Trois-Châteaux, en Dauphiné, âgée d’environ 21 ans, a endurées pour la querelle de l’Évangile, ayant dans icelles surmonté toutes tentations par la Grâce et providence de Dieu [1688], BSHPF 16 (1867) p. 378-416, 431-464 et 481-521, publié en volume par Théodore Claparède sous le titre Une héroïne protestante. Récit des persécutions que Blanche Gamond de Saint-Paul-Trois-Châteaux [etc.], Paris : Librairie Meyrueis, 1867 ; réédition à partir de la version numérisée par Hachette Livre, BnF, 2013 (édition de référence pour cette étude). Une autre édition fut publiée par Boris Decorvet avec des notes de Samuel Mours sous le titre Le prix de la joie. Mémoires de Blanche Gamond Héroïne de la Réforme, Genève : Labor et Fides, 1964 [rééd. en 2011 sous le titre Mémoires d’une martyre pour la foi, Maisons Laffitte : Passiflores et Ampelos, et en 2018 sous le titre Blanche Gamond. Persécutée pour l’Évangile, éd. simplifiée, Maisons Laffitte : Ampelos, 137 p.].

10. Sur cette question, voir par exemple C. H. Winn, « “Mon évasion hors de France” », p. 131-132 notamment, où elle analyse le « thème de la transgression » dans ces récits de femmes, soulignant « la présence récurrente de figures de femmes tantôt opposant résistance à ceux-là mêmes qui symbolisent le pouvoir […], tantôt franchissant les murailles, rompant à force de bras les barreaux qui les emprisonnent, se jetant des fenêtres pour se soustraire aux limites qui leur sont imposées. À considérer ces images qui hantent les récits d’exil féminins, on peut se demander si ces femmes auraient pressenti les potentialités émancipatrices que la migration détenait pour elles. »

11. Voir à ce sujet également C. H. Winn (ibid., p. 130), citant Suzanne de Robillard et Blanche Gamond en exemple : « Les émotions féminines exprimées dans ces récits ne se bornent pas aux peurs, aux humiliations ou aux souffrances endurées par les fugitives. Y est également évoqué le singulier contentement de celles qui sortent du combat pour leur foi avec une image agrandie d’elles-mêmes. Le passage à l’écriture déclenche en effet l’éveil, la découverte de qualités dont ces femmes se croyaient incapables, d’autant plus qu’à l’époque, on en disait les personnes de leur sexe dénuées, comme la ténacité, la résistance physique, parfois à des violences extrêmes, et l’agentivité, entendre la capacité à agir de manière autonome dans des situations qui leur étaient inconnues. » Voir aussi les propos de Théodore Claparède en 1867 dans son Introduction à l’édition du récit de Blanche Gamond : « On devra pardonner aussi à la narratrice de se complaire un peu trop peut-être dans la peinture de ses maux, et, au risque de paraître peu modeste, de s’attribuer d’ordinaire le beau rôle dans ses entretiens avec ses parents et ses amis, ou dans ses débats avec ses adversaires. Si l’on tient compte de la situation dans laquelle se trouvait l’auteur, on ne se sentira guère le courage de lui reprocher ces légers défauts, qui témoignent d’ailleurs de sa parfaite sincérité » (Une héroïne protestante, introduction, p. 8).

12. Gabriel Monod, « Une page de la révocation de l’édit de Nantes. Récit autobiographique de la sortie de France de la famille de Robillard en 1687 », BSHPF 17 (1868), p. 486-495, ici p. 487.

13. Notre étude, sélective et non exhaustive, s’appuie plus particulièrement sur les récits suivants : la lettre de Marie Du Bois (1687), le récit autobiographique de Suzanne de Robillard (1687), le récit de captivité de Jeanne Faïsses (1687), le journal manuscrit d’Anne de Chauffepié (1685-1688), la lettre de Marie de Sers (1688), le récit des persécutions de Blanche Gamond (1688), le récit de « l’évasion hors de France » de Marie Molinier (1699).

14. Dans sa conférence, « Les Huguenots et leurs mémoires d’exil » (voir supra n. 7), M. Carbonnier-Burkard esquisse une typologie des auteurs de ces récits et mémoires. Pour une typologie de ces femmes en particulier, voir C. H. Winn (« “Mon évasion hors de France” », p. 125), qui repère ainsi « deux groupes prédominants : des femmes mariées et mères de famille qui avaient entre quarante et cinquante ans comme Isabeau de Fourques d’Arbaud et Marie de La Rochefoucauld et de toutes jeunes filles d’une vingtaine d’années comme les sœurs Caussade, Blanche Gamond ou encore Charlotte du Noyer lors de son premier exil. Mais on rencontre aussi des veuves comme Jeanne Terrasson et des femmes d’une quarantaine d’années qui sont célibataires comme Anne de Chaufepié ».

15. On peut néanmoins noter que Suzanne de Robillard a acquis une certaine notoriété par la suite, en raison de son mariage et de sa descendance, puisqu’elle est la « mère du célèbre général de La Motte-Fouqué, l’ami de Frédéric II, et la bisaïeule de l’aimable auteur d’Ondine » (G. Monod, « Une page de la révocation de l’édit de Nantes », p. 487). Voir aussi ce qu’en dit Patrick Cabanel, qui voit en elle une « Cendrillon huguenote », « dont le propre arrière-petit-fils, Friedrich Heinrich Karl, baron de La Motte-Fouqué, fondateur de deux revues en langue allemande, Les Saisons et Les Muses, devait publier en 1811 Undine (Ondine), un conte de fées qui lui a valu une durable célébrité : l’auteur figure dans le premier volume des Romantiques allemands, dans la “Bibliothèque de la Pléiade” » (Histoire des protestants de France, p. 740). Suzanne de Robillard est également la fille de Marie de Champagné, qui a aussi laissé un récit d’exil.

16. Lettres de Marie Du Bois (Lettre pastorale 10), de Blanche Gamond « À M. Murat Pasteur réfugié à Lausanne » (« Constance d’une jeune fille cruellement tourmentée par La Rapine », Lettre pastorale 15), de Marie de Sers (« Copie d’une lettre écrite du port de Toulon par Mademoiselle de Sers fille de Monsieur de Sers Ministre, laquelle est du nombre des Protestants de France embarquez pour l’Amerique », Lettre pastorale 15) : Pierre Jurieu, Lettres pastorales adressées aux fidèles de France qui gémissent sous la captivité de Babylon, Seconde année, Rotterdam : Abraham Acher, 1688, p. 236, 355 et 358.

17. P. Jurieu, Lettres pastorales, Lettre 10, p. 236.

18. À propos de Blanche Gamond et de Marie de Sers, Jurieu loue cette « fermeté Chrêtienne extraordinaire dans des vaisseaux fragiles », Lettres pastorales, p. 355.

19. Sur l’importance accordée à l’amitié dans ces récits de femmes, voir C. H. Winn, « “Mon évasion hors de France” », p. 132-133.

20. « Récit abrégé de ma sortie de France, pour venir dans les païs étrangers chercher la liberté de ma conscience et l’exercice de notre sainte religion », dans G. Monod, « Une page de la révocation de l’édit de Nantes », p. 486-495, ici p. 488.

21. Ibid., p. 492.

22. Ps 27, traduction versifiée de Théodore de Bèze, dans Clément Marot et Théodore de Bèze, Les Psaumes en vers français avec leurs melodies. Fac-similé de l’édition genevoise de Michel Blanchier, 1562, éd. Pierre Pidoux, Genève : Droz, 20082.

23. « Récit de la captivité de Jeanne Faïsses et de son arrivée à Lausanne, le 28 avril 1687 », BSHPF 26 (1877), p. 461-472, ici p. 466.

24. Ibid., p. 467.

25. Ibid., p. 468-469.

26. Ibid., p. 468.

27. « Journal manuscrit d’Anne de Chauffepié à l’époque des dragonnades et du Refuge. 1685-1688 », BSHPF 6 (1857), p. 57-68 et p. 256-268, ici p. 258. Un peu plus loin dans son récit, Anne de Chauffepié explique combien la prière fortifiait son âme au point de la rendre capable de soutenir le débat face à ses contradicteurs de manière ferme et assurée : « J’ai souvent éprouvé dans ces sortes d’entretiens la vérité des paroles de notre Seigneur, quand il dit à ses disciples qu’ils ne se mettent point en peine de répondre quand ils comparaîtront devant les hommes pour son nom, et ce qui suit du passage. J’allois, sans préparation que celle de la prière, à tout ce qu’on me devoit dire, j’y répondois souvent ce qu’il me sembloit n’avoir jamais su, et j’en sortois toujours sans avoir été convaincue non plus que persuadée par toutes les rubriques et la chicane des docteurs romains, dont l’un me dit une fois qu’il craignoit que la connaissance de l’Ecriture me mît hors du sens » (ibid., p. 261). La prière que ces femmes pratiquaient représentait donc un obstacle de taille à leur conversion, à plus forte raison si elle était entretenue en groupe.

28. Ibid., p. 63.

29. En contrepoint des lignes qui suivent, on pourra se reporter par exemple à Ruth Whelan, « L’heuristique des galères. La Bible du forçat Élie Neau », Revue Bossuet. Littérature, culture, religion 9 (2018), p. 53-67.

30. Lettre de Marie Du Bois, du 28 novembre 1687, dans P. Jurieu, Lettres pastorales, p. 236-240, ici p. 236.

31. P. Cabanel, Histoire des Protestants de France, p. 738-739.

32. Une héroïne protestante, p. 55. Sur la manne, voir Ps 78 (trad. Th. de Bèze) : « Car ja devant ces choses advenues,/ Dieu avoit fait commandement aux nues,/ Et du haut du ciel ouvert desja la porte,/ Pleuvant sur eux la manne en telle sorte,/ Qu’à ces meschans, qui crioyent à la faim/ Mesmes du ciel il envoya du pain. » Sur la dernière partie de la citation, voir Am 8, 11 : « Voici, les jours vienent, dit le Seigneur l’Eternel, que j’envoyerai la famine sur le païs, non point la famine de pain, ni la soif d’eau : mais d’ouir les paroles de l’Eternel. » (trad. Bible de Genève de 1588 – toutes les traductions bibliques en prose qui suivent sont extraites de cette même édition). Cette image de la manne revient à plusieurs reprises au début du récit de Blanche Gamond, notamment dans des conversations avec des parentes venues la voir : « Doutez-vous de la Providence de Dieu ? Il ne laisse jamais ses enfans, et quiconque espère en Dieu vivant jamais ne périra. Demeurez donc là plusieurs jours sans avoir rien, et attendez la manne qui tombe des Israëlites au désert. » (ibid., p. 42).

33. « Récit de l’évasion hors de France, après la Révocation, de Marie Molinier, de Cournontéral », BSHPF 62 (1913), p. 435-456, ici p. 440. Sur les « eaux saillantes en vie éternelle », voir Jn 4, 14 (« Mais qui boira de l’eau que je lui donnerai, n’aura plus jamais soif : mais l’eau que je lui donnerai sera faite en lui une fontaine d’eau saillante en vie eternelle »), et pour les eaux « empoisonnées », Jr 9, 15 (« Pourtant ainsi a dit l’Eternel des armees, le Dieu d’Israel, Voici je m’en vai leur donner à manger, assavoir à ce peuple-ci, de l’aluine, & leur donnerai à boire de l’eau de fiel »).

34. Ibid., p. 445. Sur cette image du cœur qui s’élève à Dieu, voir Ps 25 : « A Toy mon Dieu, mon cœur monte,/ En toy mon espoir ay mis » (trad. Cl. Marot). Ou dans la traduction en prose de la Bible de Genève : « Eternel, j’esleve mon ame à toi. »

35. « Mon Dieu me paist sous sa puissance haute :/ C’est mon berger, de rien je n’auray faute » (trad. Cl. Marot). Voir aussi Ps 119, « Helas je suis la brebis esgaree » (trad. Th. de Bèze) ; Za 13, 7 : « Frape le Pasteur, & les brebis s’espardront. »

36. Une héroïne protestante, p. 41.

37. « Récit de l’évasion hors de France », p. 455.

38. Ibid., p. 453. Voir Ps 119, dernière strophe : « Helas je suis la brebis esgaree :/ De me cercher, Seigneur, pren le loisir :/ Car en mon cœur ta Loy est demeuree. » (trad. Th. de Bèze).

39. L’inverse est encore plus rare (la mention d’un numéro de psaume sans le texte du psaume) : voir supra n. 22, le Ps 27 dans le récit de Suzanne de Robillard.

40. « Récit de l’évasion hors de France », p. 449. La citation du Ps 142 donnée entre guillemets est celle de Th. de Bèze (dernière strophe).

41. « Récit de la captivité de Jeanne Faïsses », p. 468. En italiques, on reconnaît ici au mot près l’avant-dernière strophe du Ps 25, dans la traduction versifiée de Cl. Marot.

42. Une héroïne protestante, p. 39-41. Je souligne, pour mettre en évidence les emprunts psalmiques.

43. « 31Que si ses enfans delaissent ma Loy, & ne cheminent point selon mes ordonnances : 32S’ils violent mes statuts, & ne gardent point mes commandemens : 33Je visiterai de verge leur transgression, & de playes leur iniquité. 34Mais je ne retirerai point de lui ma gratuité, & ne lui fausserai point ma foy. 35Je ne violerai point mon alliance, & ce qui est sorti de mes levres, je ne le changerai point. » (Bible de Genève).

44. « Toi, Eternel, ne m’espargne point tes compassions : que ta gratuité & ta verité me gardent continuellement. » (Bible de Genève).

45. Seul le dernier mot de la citation est modifié : « affliction » ici au lieu de « oppression » dans le psaume de Th. de Bèze.

46. Une héroïne protestante, p. 63-65 (« Prière quand on va répondre devant un commissaire pour l’Évangile de Christ »). Je souligne, pour mettre en évidence les emprunts psalmiques.

47. Ps 51, 4 : « Lave moi tant & plus de mon iniquité, & me nettoye de mon péché », et Ps 51, 17 : « Seigneur, ouvre mes levres, & ma bouche annoncera ta louange. » (Bible de Genève).

48. Ps 71 : « Ottroye moy ma delivrance Par ta misericorde. » (trad. Th. de Bèze).

49. Ps 36, 9-10 : « Ils seront rassasiés tant & plus de la graisse de ta maison, & tu les abbruveras du fleuve de tes delices. Car source de vie est par devers toi, & par ta clarté nous voyons clair. » (Bible de Genève).

50. Ps 17, 15 : « Mais moi je verrai ta face en justice, & serai rassasié de ta ressemblance, quand je serai resveillé. » (Bible de Genève).

51. Il s’agit de la fin du texte de la « Prière & action de graces après la Communion » édité dans la Semaine de meditations et de prières avec une préparation à la Sainte Cène de Pierre Du Moulin, paru en 1662 (s. l. s. n.), et fréquemment réédité, à partir de là, à la suite du Psautier, de la Bible, ou du Voyage de Bethel de Jean de Focquembergues qui contient en général plusieurs textes de préparation à la Cène, lesquels se caractérisent par de nombreux emprunts psalmiques. Éd. consultée : Le Voyage de Bethel, Dernière Édition augmentée, & très exactement corrigée, Genève : Louis Durand, 1699, p. 62.

52. Voir plus haut.

53. Voir à ce sujet, sur l’apprentissage des Psaumes chez les réformés, Inès Kirschleger, « À l’école des psaumes : la pédagogie domestique chez les réformés français de l’âge classique », Revue Bossuet. Littérature, culture, religion 9 (2018), p. 21-34. Sur le lien entre les Psaumes et les ouvrages de préparation à la Cène, Id., « Une préface singulière au psautier huguenot : Le Voyage de Beth-el de Jean de Focquembergues », dans Véronique Ferrer et Anne Mantero (éd.), Les paraphrases bibliques aux xvie et xviie siècles, Genève : Droz, 2006 (Travaux d’Humanisme et de Renaissance, 415), p. 321-342.

54. Une héroïne protestante, p. 159-162. Dans la longue citation qui suit, le numéro et la version citée du psaume sont indiqués au fil du texte entre crochets.

55. Reprise intégrale de la première strophe avec un très léger arrangement : amplification du vers 1 et omission d’un vers au milieu de la strophe qui se présente ainsi dans le psautier Marot-Bèze : « Seigneur, enten ma requeste :/ Rien n’empesche, ni n’arreste/ Mon cri d’aller jusqu’à toy :/ Ne te cache point de moy :/ En ma douleur nompareeille/ Tourne vers moy ton aureille :/ Et pour m’ouir quand je crie,/ Avance-toy je te prie. »

56. Ps 130, strophe 1, Conrart : « Au fort de ma tristesse,/ Dans mes profons ennuis,/ À toi seul je m’adresse,/ Et les jours, & les nuits. » La strophe 3 ne présente que deux modifications mineures chez Blanche Gamond par rapport à l’original : « dans mes plus grands malheurs » et « brûlant d’un saint amour ». La fin de la strophe 4 est très légèrement adaptée : « De toutes nos souffrances/ Dieu nous delivrera,/ Et toutes nos offences/ Il nous pardonnera. » Éd. consultée : Les Psaumes en Vers François, Retouchez sur l’ancienne version de Cl. Marot, & Theodore De Beze. Par Feu M. V. Conrart Conseiller & Secretaire du Roy, etc., Genève : Samuel de Tournes, 1679.

57. Voir en comparaison la strophe de Marot : « Du fons de ma pensee,/ Au fons de tous ennuis,/ A toy est adressee,/ Ma clameur jours & nuicts. »

58. Voir par exemple l’entretien de Blanche Gamond, lors de sa captivité à Grenoble, avec le père Lamy : « Nous ne manquions pas d’avoir des visites, non pas pour nous sauver, mais plutôt pour nous perdre : des moines, des prêtres, des curés, des pieds déchaux et des jésuites. Il entra un jour dans la basse-fosse deux pères ; l’un s’appeloit le père Lamy. Dès qu’ils furent entrés, ils se mirent à dire : « Vous vous fondez sur l’Ecriture sainte ; vous êtes mal fondée. […] La sainte Ecriture est obscure. – Monsieur, elle est claire ; car un père de l’Église la compare à un fleuve, que les agneaux sont contraints de nager, et David nous enseigne au psaume CXIX : “Ta parole, ô Éternel, sert de lumière à mes pieds et de flambeau à mes sentiers.” Dans un autre psaume, il dit : “Ta parole est un flambeau.” Saint Paul, en sa IIe épître aux Corinthiens, chapitre IV, verset 3, nous dit : “Si notre Évangile est couvert, il est couvert à ceux qui périssent, esquels le Dieu de ce monde a aveuglé les entendemens.” De plus, Monsieur, un père ne laisse pas à ses enfans un testament obscur. » (Une héroïne protestante, p. 93-94).

59. Les exemples sont nombreux dans le récit de Blanche Gamond, comme ici, à l’appui des Ps 118 (« La voicy l’heureuse journée, Que Dieu a faite à plein desir », trad. Marot ; et « 15La dextre de l’Eternel fait vertu », Bible de Genève) et 116 (« 2Car il a incliné son oreille vers moi », « 3Les cordeaux de la mort m’avoyent environné, & les détresses du sepulcre m’avoyent rencontré : j’avoye rencontré détresse & ennuy », « 6[L’Eternel] m’a mis à sauveté », Bible de Genève) : « les douleurs cuisantes et les coups que j’avois reçus et que je sentois étoient cause que je versois des larmes en abondance, et je jetois de grands soupirs, quelle contrainte que je fisse en moy-même, quoique je sentois une joye inénarrable au-dedans de moy de la grâce que Dieu m’avoit faite ; car je disois : “La voicy, l’heureuse journée que Dieu m’a fait voir”, de m’avoir non-seulement délivrée de la messe, mais aussy de travailler le dimanche. On ne t’empêchera plus de te mettre à genoux pour prier Dieu qu’il augmente ta foy. Gloire soit à Dieu, car il a incliné son oreille vers moy, de ce qu’à six heures du matin, le 19e juillet, Dieu a fait vertu par sa dextre. Les cordeaux de la mort m’avoient environnée, les détresses du sépulcre m’avoient rencontré ; j’avois rencontré détresse et ennuy, j’étois devenue misérable, et il m’a mise en sauveté » (Une héroïne protestante, p. 137). Voir aussi, dans la lettre de Marie de Sers décrivant son état d’esprit lors de la traversée qui doit la conduire en déportation à « l’île de Saint Dominique » : « Pour moy je ne me suis jamais trouvée d’une si grande tranquillité d’esprit que je me trouve presentement, à même tems que Dieu m’abat d’une main, il me relève de l’autre, & j’espere de sa grande misericorde qu’avec la tentation il me donnera l’issuë, en telle manière que je pourrai la suporter, & me tirera un jour par les cordeaux de son humanité au port de salut » (P. Jurieu, Lettres pastorales, p. 358). Voir encore, chez Anne de Chauffepié : « Mon âme a été quelquefois pénétrée d’une affliction inexprimable, et jamais la grande miséricorde de mon Dieu ne l’a trouvée dans cet état qu’elle ne l’en ait retirée bientôt par des consolations et des espérances vives de son secours, et des joies intérieures qu’il est impossible de concevoir sans les avoir senties » (« Journal manuscrit d’Anne de Chauffepié », p. 263). Sur cette expérience de « sublimation » de la souffrance, en écho à ces récits de femmes, voir Ruth Whelan, « Résistance et spiritualité dans les témoignages des galériens pour la foi », BSHPF 156 (2010), p. 231-246.

60. Une héroïne protestante, p. 103.