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Michel Leplay (1927-2020)

Jean-Hugues CARBONNIER

Évoquer la personnalité de notre ami Michel Leplay, que chacun a bien connu à un titre ou à un autre, c’est parcourir tout un pan de l’histoire du protestantisme de la seconde moitié du xxe siècle.

Né au Havre en 1927 dans une famille protestante du négoce, il nous a quittés le 26 février 2020, à la veille de la parution de sa dernière chronique confiée à Réforme, sur l’Éthique de Dietrich Bonhoeffer.

Dans sa jeunesse et son adolescence, il a suivi le parcours complet du scoutisme au sein des Éclaireurs Unionistes de France et c’est là qu’à quinze ans, il a décidé de devenir pasteur. Chef de troupe après la Libération, il en a tiré quatre règles pour toute sa vie. « D’abord, Dieu, une transcendance. “Nous venons toutes les patrouilles te prier pour te servir mieux.” Tout est dit. Ensuite, le sens unique de l’obéissance moins aux ordres du chef qu’à la règle commune, la loi et la promesse. Encore, l’esprit d’équipe et de camaraderie, solidarité dans le respect des particularités. Enfin, le respect de la nature sous toutes ses formes, hostiles (la pluie, le froid) et amicales (l’herbe, l’ombre). »

Après ses études à la Faculté de Théologie Protestante de Paris et à ­l’Université de Lausanne, puis son service militaire à Saumur à l’École de cavalerie, il a été envoyé pour son premier poste pastoral, en 1950, à l’Église réformée de Monoblet. Au cours de ses huit années dans ce village des Cévennes, il a « appris à aimer les gens tels qu’ils sont dans ce pays, avec une diversité protestante extrême » ; et c’est là qu’ont grandi ses trois enfants. Il a été ensuite pasteur à Amiens, pendant dix années, avant d’être appelé à Paris, au lendemain de mai 1968. D’abord à la présidence à la Commission des Ministères de l’Église réformée de France (1968-1977), puis à la présidence du conseil régional de l’Île-de-France de l’ERF (1984-1991), en même temps que pasteur à Paris-Auteuil de 1974 à 1985. C’est un nouveau ministère qu’il a exercé ensuite, de 1991 à 1995, comme directeur de l’hebdomadaire Réforme.

Pendant toutes ces années si actives, il n’a eu de cesse de s’investir dans les relations œcuméniques avec le catholicisme comme avec le judaïsme.

Ainsi, comme il l’a lui-même écrit, il a « suivi avec passion le développement du mouvement œcuménique, à travers les assemblées générales successives du Conseil œcuménique des Églises, depuis Amsterdam (1948) jusqu’à Porto Alegre (2006). Avec un “second souffle” œcuménique majeur, le concile de Vatican II, également suivi avec un intérêt passionné ». Il a notamment fait partie du Groupe des Dombes, pendant 40 ans, de 1965 à 2005, et du Comité mixte de dialogue catholique/luthéro-réformé, entre 1984 et 1992.

Il s’est engagé avec la même passion dans l’association de l’Amitié judéo-chrétienne dont il a été le vice-président de 1992 à 2005. Pour lui, enraciné dans la bible hébraïque depuis ses études de théologie, le dialogue avec les « frères juifs » était l’« exigence centrale du mouvement œcuménique ». En 2017, il a reçu le prix de l’Amitié judéo-chrétienne de France.

Après avoir tenu la barre du journal Réforme, où il prenait lui-même régulièrement la plume, Michel Leplay est devenu auteur à part entière, publiant une bonne douzaine d’ouvrages, d’une écriture tout à la fois déliée et profonde. Parmi ses essais sur le protestantisme, citons Foi et vie des protestants (Desclée de Brouwer, 1996), petit livre devenu rapidement un classique. Sur l’œcuménisme et les sujets difficiles entre Églises, je citerai personnellement Le protestantisme et Marie : une belle éclaircie (Labor et Fides, 2000), que je rattache au souvenir du sourire de Michel, racontant à ce propos qu’il n’avait pas été à Fatima et qu’il n’entendait pas y aller. Sur le nœud entre christianisme et judaïsme, ce beau titre : La Racine qui te porte. L’histoire mouvementée de la lecture chrétienne de la Bible juive (Éd. du Moulin, 1999).

Poursuivons la sélection. Trois livres indiquent les trois grandes figures historiques qui ont passionné Michel Leplay : Martin Luther (Desclée de Brouwer, 1998), pour la prière « Du fonds de ma détresse », Charles Péguy (Desclée de Brouwer, 1998), « le frère humain de l’Affaire Dreyfus », et Karl Barth, à travers L’Église en péril (Desclée de Brouwer, 2000), relecture des années de combat du théologien de Bâle. Ajoutons encore une traversée de l’histoire ouverte sur l’espérance, en forme de clin d’œil du pasteur Leplay au catholique Péguy, La Foi que j’aime le mieux : une histoire de la petite espérance (Éd. Salvator, 2009).

À côté de toutes les responsabilités publiques qu’a exercées Michel Leplay, dans l’Église réformée, dans les instances de dialogue et à Réforme, il en est une, plus discrète, que je ne saurais passer ici sous silence : sa qualité de membre du Comité de la SHPF. Élu membre en 2000, ce féru d’histoire et de protestantisme a pris très à cœur sa participation à la vie de la Société. Jusqu’à ses derniers mois, quand il ne pouvait plus venir aux réunions du Comité ni aux conférences de la SHPF, il nous téléphonait ou écrivait pour prendre des nouvelles. Plusieurs d’entre nous ont reçu tant de petits mots de sa main, envoyés avec un timbre élégamment choisi, indiquant une lecture ou une émission de radio ou une actualité qui pourrait nous intéresser. L’histoire du protestantisme était pour lui, non seulement un champ d’explorations sans cesse renouvelées, mais aussi, tout simplement, un de ses terrains privilégiés de l’amitié.