L’âme de la Bibliothèque du protestantisme français
Avoir une âme. Aspiration évanescente qui s’amoindrit graduellement dans une capitale livrée au tourisme de masse et aux enseignes de luxe. Peu de lieux inspirent autant le promeneur solitaire que la magnifique salle de lecture de la Bibliothèque du protestantisme français. Dissimulée derrière un immeuble haussmannien de la rue des Saints-Pères, indiquée par une modeste plaque de cuivre qui pourrait être celle d’un médecin de famille, rien ne permet au passant de la deviner depuis la rue. Et pourtant, quelle surprise de se retrouver devant ce bâtiment tout en hauteur qui surprend par son architecture sérieuse du siècle des sociétés savantes. Elle a le charme indéfinissable des lieux où le temps s’est arrêté. Comme si la barrière physique qui la sépare de la rue avait suspendu le temps et l’avait protégée des bruits du monde. Un silence de bon aloi semble y protéger le lecteur des tentations du siècle.
En 2020, peu d’endroits dégagent autant de sincérité et d’authenticité. À Paris, je pense à la salle d’armes de feu Maître Pinel de la Taule, nichée au rez-de-chaussée d’une arrière-cour de la rue Gît-le-Cœur. Rien n’y a changé non plus depuis le xixe siècle. Les épéistes y ferraillent là comme les érudits s’escriment ici avec les fiches manuscrites de milliers d’ouvrages et de revues. Aux portraits de célèbres tireurs français du xixe siècle répondent ceux de figures de la Réforme : musiciens comme Claude Goudimel, poètes comme Clément Marot, médecins comme Ambroise Paré, céramistes comme Bernard Palissy. La lumière zénithale éclaire délicatement les sièges et sous-mains de maroquin vert. Du haut de son bureau surélevé, embrassant du regard la salle oblongue, la bibliothécaire reste garante des chuchotements et des échanges à mi-voix.
La BPF a une âme. Une intégrité. Elle est l’âme d’un protestantisme français qui conserve au cœur la conscience de sa liberté et de sa singularité. Elle est le lieu qu’affectionnent ceux pour qui la grande aventure de la Renaissance, celle de la liberté de conscience, reste vivace. La patine des boiseries comme l’usure des parquets laissent intacte l’énergie spirituelle qui émane des hauts rayonnages. Elle est un peu aux protestants ce que Saint-Louis des Invalides est aux Armées : un lieu de mémoire et de gloire. Passée la nef et l’autel, le chœur en est cette petite salle du fond1 qui est la réserve des livres parmi les plus précieux. L’édition originale des Psaumes de Marot y renferme ce Notre Père plein de grâce qui aurait pu inspirer la récente évolution du texte :
Et ne permetz en ce bas territoire
Tentation sur nous avoir victoire.
____________
1. La salle dite des coffres.