D’un siècle à l’autre
Ma première rencontre avec la Bibliothèque du protestantisme français remonte au siècle dernier. J’étais alors étudiante en maîtrise d’histoire et je venais consulter des archives sur la communauté huguenote de la Provence du xviiie siècle. Le lieu me semblait impressionnant, comme peuvent l’être les bibliothèques qui ont conservé un cachet ancien inimitable, celui d’un parquet en chevrons qui craque, d’un mobilier en bois et du cuir vert du dessus des tables de lecture. À cela s’ajoutait la lumière naturelle de la grande verrière, les livres avec leur belle reliure ancienne à portée de vue et, surtout, cette guirlande de noms de protestants célèbres écrite en lettres dorées qui ceint la salle principale et donne l’impression d’être regardé par l’Histoire. Passé ce moment de découverte intimidée, est venu celui de la consultation des archives manuscrites, des ouvrages qui constituent aussi toute la richesse de la bibliothèque.
Depuis, ce lieu est devenu familier. Les pages tournées, d’archives de consistoires, de carnets de pasteur, de correspondances privées et d’autres trésors archivistiques ou livresques, transforment aujourd’hui cette bibliothèque, et notamment lors de moments d’intenses recherches, en un espace structurant de la vie d’universitaire. La lecture des sermons francophones du xviiie siècle demeure un souvenir fort car ces écrits clandestins signalent la survivance d’une foi malgré l’interdit juridique, tracent la cohérence d’une communauté pourtant éparse, assurent un jalon entre les débuts mouvementés de la Réformation dans le royaume de France et sa pleine reconnaissance à l’époque contemporaine.
Depuis ma première visite en 1992, la bibliothèque est restée l’écrin parfait pour qui travaille sur l’histoire des protestantismes tout en sachant se transformer en un espace où la technologie actuelle est bien présente. Cette alliance de la tradition et de la modernité que les récents travaux ont achevé de sceller laisse espérer un futur serein pour la conservation d’un patrimoine écrit considérable tout en permettant d’ouvrir le lieu à d’autres activités indispensables pour le faire vivre pleinement, comme des conférences ou des expositions, à un public plus large que celui des seuls chercheurs pour un meilleur partage d’un passé protestant vieux de cinq siècles.