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Une rénovation au service du patrimoine

Anne DE ROBERT

Impressions sur le vif

Une surprise, la découverte d’un monde hors du temps lors de ma première visite.

Un contraste entre une façade qui ne dit rien du lieu, austère, elle‐même cachée au fond d’une cour et un intérieur si riche, paisible, ouvert, figé dans le temps. Un espace hors du tumulte de la ville.

Une longue promenade une fois franchie les portes de la bibliothèque. La densité du bâtiment, dans le fond de la parcelle, ne se lit pas dans l’espace, une occupation astucieuse, parfaitement efficace et optimisée et sa manière si parisienne de prendre le jour dans une succession de courettes.

Un intérieur, tourné vers le ciel avec très peu de contacts avec l’extérieur.

Une toiture, sur laquelle je suis montée un jour où nous testions des conduits de cheminées avec le fumiste encordé, tel un vaisseau posé dans un grand espace végétal, intérieur d’îlot constitué des jardins des hôtels particuliers qui la bordent.

Plusieurs éléments de l’architecture des lieux m’ont touchée.

La succession des trois salles, salle de lecture, salle dite des coffres, salle du Conseil.

La salle de lecture avec les ouvrages bien sûr, l’odeur du papier, les étagères chargées de tous ces ouvrages, toutes ces vies, tous ces destins, toutes ces histoires, les fichiers, les grandes tables de consultation, les galeries, la verrière.

La salle des coffres, mystérieuse et austère.

La salle du Conseil, avec sa longue table et toute cette galerie de portraits et la vue sur les jardins de Sciences Po.

La petite pièce sous l’escalier d’entrée, la forme des verrières comme un négatif de celle de la sous-face de l’escalier d’honneur que l’on devine, les murs de soubassement épais, un réemploi des bâtiments de l’hôtel de Cavoye sur la parcelle duquel le terrain de la bibliothèque a été prélevé.

Les portes sous tenture du couloir des bibliothécaires, résumé d’astuce et de débrouille qui témoigne de la capacité du bâtiment à répondre toujours et toujours aux nouveaux besoins, dont nous nous sommes inspirés pour les portes coupe-feu.

Les détails d’architecture, de serrureries ; les portes métalliques, lourdes et patinées ; les menuiseries de ce bâtiment bien dessiné.

Les livres et les objets que cette bibliothèque contient, la chaire démontable du Désert, qui témoigne de l’époque des prêches sous les arbres, usée par les ans et les transports.

La nouvelle entrée de la bibliothèque dans la grande porte retrouvée en façade, résumé du nouveau et de l’ancien.

Un projet intéressant

Pour l’architecte du patrimoine que je suis, spécialisée en histoire et conservation des bâtiments anciens, le projet de rénovation de la bibliothèque conjuguait un respect de ce lieu très peu remanié depuis son installation rue des Saints-Pères, une préservation de tout ce qui pouvait l’être et une réflexion à mener pour mettre aux normes l’ensemble des espaces.

Conserver et innover, ce qui est un défi en soi : réparer ce qui ne fonctionne plus, répondre aux nouveaux besoins, retrouver la logique constructive du bâtiment, faire cohabiter nouveau et ancien sans perdre l’âme de ce bâtiment.

Des rencontres et des dialogues avec une équipe de maîtrise d’œuvre pluridisciplinaire, une équipe de maîtrise d’ouvrage, attentive, à l’écoute, impliquée, soucieuse de la préservation des collections et du bâtiment et qui a su s’entourer de spécialistes, pour les diagnostics techniques et le traitement des documents d’archives.

Je me suis chargée des relations avec les services des monuments historiques, des consultations en amont des demandes de travaux avec les services instructeurs, jusqu’à l’obtention de l’accord préalable sur les travaux envisagés. Le bâtiment est situé dans le secteur sauvegardé du 7e arrondissement, les intérieurs et extérieur sont protégés. Si les attentes générales étaient connues, l’idée était de comprendre les attentes précises de l’architecte des bâtiments de France en charge du secteur, de dialoguer avec lui et d’apprécier avec lui jusqu’où il était possible d’aller.

Les interventions se font dans les détails. Nous avons réutilisé tout ce qui pouvait l’être, comme les grilles de soufflage de la salle de lecture. Les portes coupe‐feu ont été dissimulées dans des portes sous tenture dans des menuiseries existantes. Nous avions proposé un projet un peu différent pour l’ensemble menuisé de la grande baie extérieure comprenant le monte‐charge, projet que nous avons dû amender. Heureusement pour ce genre de bâtiment, beaucoup de dérogations sont possibles si elles sont argumentées.

En tant qu’architecte, ce qui était intéressant également dans ce lieu a été la mise au point d’un nouvel outil, plus performant. La salle de lecture avait été peu remaniée. Le sous‐sol était en très mauvais état. Rendu illisible par des aménagement successifs, il présentait un niveau sanitaire préoccupant et de nombreux désordres. Ce lieu avait perdu sa lisibilité, son évidence que nous avons dû retrouver. Il a demandé une sérieuse remise à niveau dans la prise en compte des besoins techniques en termes de condition de traitement des archives, de conservation, mais aussi sécurité incendie, sécurité du travail, accueil du public, accueil des personnes à mobilité réduite.

Nous avons consulté les différents diagnostics techniques, dont le précieux rapport de Marie-Claude Pasquet, analysé de fond en comble le bâtiment. Nous avons consulté les différents services de la Ville de Paris en étant attentifs à simplifier les problèmes et donc les solutions apportées dans l’organisation de l’espace même. L’important était de séparer les locaux techniques des espaces de conservation, de préserver les grands volumes retrouvés des sous-sols sous la salle de lecture. Il était important par exemple de conserver les deux verrières de la petite pièce, l’ancienne cave à charbon sous l’escalier d’entrée de la salle de lecture. La résolution des aspects techniques est bien présente dans les nouveaux aménagements sans prendre le pas sur la lecture du bâtiment existant ils se voient le moins possible.

Pour la définition et la prise en compte des nouveaux besoins de ce lieu, l’organisation du travail des bibliothécaires, l’installation des collections dans un système d’archives mobiles, efficace, performant, adapté aux collections de la bibliothèque et à leur évolution, nous avons travaillé en étroit dialogue avec Corinne Gibello-Bernette et les bibliothécaires. Écouter et comprendre les nouveaux besoins des utilisateurs, les retraduire en usage, en programme, en propositions adaptées au lieu, nous a conduits à proposer plusieurs scénarios et à mettre en œuvre celui qui a été retenu.