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La musique des lieux

Étienne DUFAŸ

Architecte

Avant les espaces et l’architecture rénovés que l’on est amené à observer, tester et admirer, il y a une longue histoire qui se construit pas à pas. L’intérêt et la richesse de ce projet résident donc dans le processus de fabrication de cette production presque musicale puisque l’on doit y maîtriser le temps et l’espace.

Comme une partition musicale à composer à plusieurs mains, puis à déchiffrer et à interpréter avec ses parties, ses tempi, ses interprètes, tout en insufflant à l’ensemble un certain sens de l’orchestration.

Tout débute par la composition. Une équipe soudée (Isabelle Sabatier, Corinne Gibello-Bernette, Marianne Carbonnier-Burkard, Martina Gromesova, Sophie Vié, François Matter, Jean-Hugues Carbonnier, Philippe Clément-Grandcourt) et compétente nous accueille, nous offre leur confiance et nous guide afin d’améliorer les conditions de conservation et d’utilisation des fonds et collections de la bibliothèque de la SHPF.

Les lieux nous offrent une admirable source d’inspiration avec son atmosphère intemporelle, son cadre intime et généreux et dans la « soute du vaisseau » ancré au cœur du VIIe arrondissement, un labyrinthe de couloirs, de réserves, des « salles des machines » d’un autre temps…

Puis vient le temps de l’écriture. Dans ce bel écrin préservé, il suffisait de laisser passer un souffle de fraîcheur discret et simple. Le lieu recueille l’Histoire et les histoires. Des sous-sols accueillant ses réserves et de la grande salle de lecture, les murmures des voix, des mots imprimés, des figures sur les gravures, des regards dans les tableaux et les bustes se répondent dans une conversation ininterrompue depuis des générations.

Après avoir dégagé l’ensemble des espaces du sous-sol, démonté les chaudières, ascenseur, central de traitement d’air et mobilier anciens, assaini et éliminé les traces de l’usure du temps et des agressions de l’extérieur, laissons entrer l’air frais neuf…

Sur cette partition vierge que nous recréons au sous-sol, nous organisons par sections et formats les ouvrages, dans de nouveaux dispositifs. Un rythme se met en place, des séquences, des ruptures et des continuités. La technique comme une ligne mélodique se superpose à cette base rythmique et mathématique. Au cœur des mètres linéaires de rayonnage, les flux dynamiques de l’air, ou plutôt des airs neuf et recyclés se croisent horizontalement et verticalement.

Tout ce dispositif s’insinue, se dissimule dans ces espaces et cette structure du xixe siècle qui fait la preuve de sa grande souplesse et bienveillance.

Les travaux, le chantier, « le déchiffrage et l’interprétation de la partition » peuvent démarrer après avoir choisi les interprètes qui nous semblent les mieux à même de comprendre, de s’accorder et de mener à terme cette création.

Chacun tente de faire entendre sa ligne de la partition, à nous architectes de moduler, imposer une écoute et une direction qui permette de rendre harmonieuse cette musique.

« Prova d’orchestra », comme le filmait Fellini, ce moment de l’exécution reste le plus émouvant pour toutes et tous… Riches d’échanges, de surprises, de doutes et d’émotions lorsque les nouveaux espaces se dévoilent.