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Le patrimoine de la SHPF 
est aussi dans ses caves

Marie-Claude PASQUET

Bibliothécaire spécialisée dans la gestion du patrimoine écrit

De la fin des années 1990 à 2016, les conditions de conservation dans les sous-sols de la BPF se sont régulièrement dégradées. Au printemps 2016, sur les conseils de Corinne Gibello-Bernette, la SHPF m’a chargée de réaliser un diagnostic sanitaire de ses magasins et des collections qui y étaient conservées. Après une visite pour estimer l’ampleur de la tâche, ma mission s’est déroulée in situ de septembre à novembre 2016. La feuille de route était la suivante : évaluer l’état sanitaire et physique des documents et faire un état des lieux des conditions de conservation dans les cinq magasins, faire des préconisations pour les traitements à mettre en œuvre tant pour les collections que pour les locaux, donner des pistes pour un éventuel désherbage et proposer une nouvelle implantation des fonds d’archives et des périodiques.

La face cachée de la bibliothèque : les magasins en sous-sol

C’est tout un monde qui s’étend sous la salle de lecture et les bureaux du rez-de-chaussée, dans les méandres du sous-sol, desservi par un ascenseur capricieux.

Entre les années 1970 et 2007, la SHPF aménage successivement dans ses caves cinq magasins pour répondre à un besoin de stockage des collections en accroissement régulier. Il semble que cela se soit fait sans qu’un plan d’ensemble ait été établi et sans un réel souci d’offrir des conditions de conservation adéquates aux documents qui y étaient descendus.

Les collections sont constituées de manuscrits et d’archives – registres d’état civil, autographes des réformateurs, archives du Consistoire de Paris, d’associations et institutions telles la Mission Populaire Évangélique et la Fédération des Éclaireurs et Éclaireuses unionistes de France, de personnalités protestantes, de travaux d’érudits, de dossiers généalogiques, d’ archives internes de la SHPF – mais aussi de la presse protestante locale, nationale et internationale (titres en cours et titres morts des xixe et xxe siècles). Des livres en double ou mis à part au moment des différentes opérations de désherbage effectuées au cours des dernières décennies, des plaques photographiques, quelques estampes et affiches, des médaillons en plâtre se trouvent disposés çà et là sur les étagères. Ces documents proviennent de dons faits par des membres ou des bienfaiteurs de la SHPF, d’échanges entre sociétés savantes, d’abonnements et d’acquisitions onéreuses, ou encore de dépôt en vue de « sauver » des fonds en péril.

Quelle situation ai-je trouvée en 2016 ?

Ma première visite m’avait laissé une impression assez contrastée, entre un magasin pour les archives contemporaines, aménagé assez récemment, propre et bien rangé, et les autres espaces quasiment laissés à l’abandon et en grand désordre, livrés à la poussière et contaminés par des moisissures.

Les semaines passées dans les sous-sols pour y faire mon diagnostic n’ont fait que confirmer mon premier jugement. La situation des magasins était très préoccupante pour les collections, mais aussi pour le personnel.

Après avoir cartographié les zones contaminées par les moisissures (près de 60 % des fonds), j’ai conseillé de suspendre toutes les communications de documents en provenance du sous-sol. Cette mesure, qui a dû chagriner plus d’un lecteur, a été prise pour éviter une propagation de l’infestation à toute la bibliothèque.

De nombreux facteurs pouvaient expliquer la contamination fongique récurrente des collections :

des dégâts des eaux successifs entre la fin des années 1990 et 2015 ;

des structures très humides à cause des jardins dans les parcelles jouxtant la bibliothèque et des courettes à ciel ouvert au-dessus des couloirs ;

des rayonnages implantés le long de murs gorgés d’eau ;

des sols et du mobilier très sales et poussiéreux ;

des collections mises en magasin sans contrôle sanitaire préalable (comme le fonds de la Radio-Télévision de la Fédération Protestante de France contaminé avant son entrée à la SHPF) ;

un confinement de l’air ambiant faute de ventilation mécanique ;

aucun suivi ni contrôle de l’hygrométrie.

À cela s’ajoutaient des risques d’incendie, avec la proximité des cuves à mazout, des installations électriques vétustes, un encombrement des circulations par des matériaux inflammables… En d’autres termes, une situation à hauts risques pour les collections.

Dans trois des magasins, les rayonnages mobiles en métal, installés il y a près de cinquante ans et oxydés par l’humidité qui régnait dans les sous-sols, étaient presque tous hors d’usage.

Avec 750 mètres linéaires (ml) de documents, les magasins n’étaient plus occupés qu’au deux tiers de leur capacité. En 2015, le désherbage massif d’imprimés en multiples exemplaires des xixe et xxe siècles, non traités et infestés par des moisissures, a permis de libérer beaucoup d’espace. Le tiers des ml des étagères était occupé par le stock des publications de la SHPF (dont une grande partie devait être éliminée à l’hiver 2017 en raison de la contamination par des moisissures) et par du matériel de conservation qui n’avait pas trouvé place dans les étages déjà très encombrés de la bibliothèque.

D’après les bibliothécaires, les demandes de communication des fonds conservés dans les magasins du sous-sol variaient : 30 % consultés très régulièrement (archives contemporaines et les rapports cotés T), 40 % très à peu consultés (périodiques cotés P, SP, AL et AN) et 30 % jamais consultés (fonds d’archives non traités, imprimés et iconographie, archives internes de la SHPF non communicables).

Que faire pour assurer la conservation des collections ?

En 2016, la SHPF affirmait sur son site internet que « les fondements posés étaient assez solides pour que la bibliothèque de la rue des Saints-Pères puisse passer avec honneur le cap du xxie siècle ». Malheureusement, les conclusions de notre rapport d’expertise mettaient un peu à mal ce bel optimisme ! J’y proposais que plusieurs chantiers prioritaires soient menés de front et sans tarder :

commanditer des études techniques pour avoir une analyse complète de la situation sanitaire des magasins ;

confier à un architecte les travaux nécessaires afin de créer les conditions environnementales et techniques qui permettent d’assurer une conservation à long terme des collections patrimoniales de la bibliothèque et de donner aux bibliothécaires et aux bénévoles des conditions de travail conformes aux normes en vigueur en ce xxie siècle ;

aménager des espaces distincts pour la conservation des collections, la mise en quarantaine des fonds reçus en don ou en dépôt, le travail sur les documents, le stockage du matériel de conservation et l’archivage des publications de la SHPF ;

traiter les collections patrimoniales pour les assainir et les protéger par des conditionnements adaptés ;

achever leur signalement dans les catalogues en ligne afin de favoriser leur communication et leur valorisation.

Nous savons que le Comité de la SHPF a réalisé tous les travaux nécessaires dans les magasins du sous-sol, pour que les chercheurs d’aujourd’hui et les générations futures puissent continuer à faire leur miel des richesses que possède cette passionnante bibliothèque.