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Post tenebras lux

Corinne GIBELLO-BERNETTE

Vice-présidente de la commission bibliothèque

Au fronton de la porte de la salle des coffres : 
la devise de la Réforme protestante

Penicillium cyclopium, Penicillium decumbens, Cladosporium sp, Aspergillus ochraceus, Aspergillus restrictus. Sont-ce là des titres de manuscrits oubliés qui attendent d’être feuilletés par un chercheur dans la salle de lecture de la Bibliothèque du protestantisme français ? Des titres de revues évoquant des courants méconnus de la grande famille protestante de par le monde ? La réalité est hélas nettement plus prosaïque. Le 26 mars 2012, Florence Poinsot, alors responsable de la bibliothèque1, me faisait visiter les lieux et je lui avais demandé de ne négliger aucun espace. Je souhaitais en effet une immersion complète à la fois dans les collections et les différents étages du bâtiment. J’avais été frappée, lors de ma première visite rue des Saints-Pères en janvier 2010, par cette odeur si caractéristique d’une bibliothèque patrimoniale, constituée à la fois de poussière accumulée depuis des lustres et de reliures cirées sagement disposées dans le pourtour de la salle de lecture. À quoi s’ajoutait dans un second temps une odeur de salpêtre qui m’avait saisie à la gorge une fois les portes de l’ascenseur franchies, alors que je découvrais les caves du sous-sol aménagées au fil des années en magasins de bibliothèque. Pour être tout à fait honnête, il n’y a pas d’histoire de coup de foudre à raconter lors de ma toute première visite, encore moins en découvrant au fil des mois la réalité des lieux et l’état de conservation des collections. En mars 2012, il régnait dans le sous-sol une odeur d’humidité particulièrement prégnante et, malgré un éclairage déficient, mon regard fut attiré par de petites taches blanchâtres, circulaires et duveteuses, sur les registres du consistoire réformé de Paris reliés en toile buckrane noire.

La protestante que je suis était attérée par ce qu’elle découvrait de cet aspect du patrimoine protestant – la saleté des lieux, leur empoussièrement, l’empilement de collections négligées, l’incohérence des espaces. La bibliothécaire en moi commençait à réfléchir, en reprenant l’ascenseur et le chemin de la salle de lecture, à la manière dont elle allait contacter le laboratoire du département de la Conservation de la Bibliothèque nationale de France…

Penicillium cyclopium, Penicillium decumbens, Cladosporium sp, Aspergillus ochraceus, Aspergillus restrictus. Derrière chaque nom latin se cachait un champignon microscopique qui avait élu domicile dans les anciennes caves de la SHPF. L’histoire d’une nouvelle2 rénovation de la BPF commence en 2012 à cause ou grâce à la découverte de moisissures dans l’un des magasins du sous-sol.

tenebrae

Tenebrae, 1 : la première alerte

Pour bien comprendre les raisons de cette contamination, il convient de rappeler un certain nombre d’éléments liés, d’une part, au plan parcellaire sur lequel a été construit le bâtiment et, d’autre part, aux travaux et aménagements entrepris dans le sous-sol au cours du xxe siècle3 :

Le bâtiment abritant la BPF est entouré par les jardins de la Fondation nationale des Sciences politiques et de l’hôtel de Cavoye. Les murs de soutènement et de séparation entre les caves étant construits à base de briques, de plâtre et de pierre, ils ont pu subir des désordres liés aux infiltrations le long des murs mitoyens, en lien avec l’arrosage des jardins.

À ces désordres externes s’ajoutent des désordres internes, liés aux différentes fuites du réseau de chauffage ou provenant des étages supérieurs. Plusieurs inondations des locaux sont à relever : citons celles de la salle de lecture en 1931, du le sous-sol en 1963, de la salle dite de la comptabilité en 1982 et plusieurs fuites dues à des canalisations défectueuses.

Deux courettes ont été recouvertes, ce qui a eu pour conséquence de modifier la circulation de l’air dans le sous-sol, en diminuant la ventilation d’origine.

Avec le recul, le sous-sol a davantage servi de lieu de stockage de collections (numéros du BSHPF, des Cahiers de généalogie et autres publications de la SHPF, périodiques et imprimés en plusieurs exemplaires dont on possédait déjà une édition dans les étages) que de magasins de bibliothèque avec une implantation raisonnée des collections. Cette impression d’entassement serait bien sûr à nuancer, l’installation entre 1984 et 2007 de compactus ayant eu pour objectif d’accueillir une partie de la collection de périodiques et les fonds d’archives, faute de place dans les étages. Il n’empêche que le manque d’entretien régulier a eu pour corollaire un empoussièrement préjudiciable à la bonne conservation des documents et des objets déposés dans le sous-sol.

Plusieurs fonds d’archives, des ouvrages et des revues/journaux sont entrés à la BPF dans un état sanitaire douteux, et aucun contrôle n’a été opéré à leur arrivée.

Le rapport d’intervention4 du laboratoire de la BnF arrive début septembre 2012 rue des Saints-Pères. Entre-temps, l’une des causes du problème avait été identifiée : la sensation d’humidité était due à une canalisation d’évacuation passant sous le plancher, qui s’était révélée poreuse. L’eau se trouvant dans la canalisation s’infiltrait dans les murs et augmentait l’humidité relative dans le magasin, ce qui a déclenché la germination des spores de moisissures. La canalisation défectueuse a été changée en juin et la période estivale a contribué à faire baisser l’humidité relative au sein de ce magasin.

L’analyse des prélèvements révèle que les registres ne sont pas les seuls à être contaminés. L’infestation s’est propagée sur les boîtes de conservation en carton celloderme, stockées sur les étagères à proximité des registres et malheureusement sur les documents à l’intérieur de ces boîtes.

Cette même analyse montre également une contamination fongique très active et très élévée : sur une échelle de 1 à 4, 82 % des résultats font apparaître une contamination de niveau 4. L’ensemble des moisissures identifiées se révèlent nocives pour les matériaux comme le papier, le cuir, le parchemin et le bois des étagères anciennes encore présentes dans le sous-sol.

Le rapport préconise un traitement en plusieurs cercles concentriques :

désinfecter à l’oxyde d’éthylène l’ensemble des documents et des boîtes contaminés, puis les dépoussiérer ;

procéder de même pour les documents et les boîtes situés sur les étagères à proximité ;

faire des sondages sur les boîtes de l’ensemble du magasin ;

faire appel à une entreprise spécialisée pour toutes ces opérations ;

nettoyer le sol et les étagères.

La SHPF suit les préconisations formulées dans le rapport de la BnF et élabore un cahier des charges techniques particulières (CCTP) pour le marché de désinfection, et un second CCTP cette fois pour le dépoussiérage et le nettoyage des étagères. C’est l’entreprise Hygiène Office qui est retenue et qui prend en charge les collections touchées et le mobilier impacté par la contamination. À l’été 2014, tout semble rentré dans l’ordre. Il faut également garder à l’esprit qu’au moment de la découverte des moisissures, les deux bibliothécaires5 et le Bureau étaient mobilisés par le projet de numérisation du fonds André qui, après les phases d’études et de tests, allait trouver son rythme à l’automne 2012. Mener en parallèle ces deux dossiers importants a requis du temps… et de l’énergie.

Tenebrae, 2 : bis repetita

Ce premier rapport nous alertait sur le fait que le traitement de désinfection était curatif mais non rémanent et qu’il ne protégeait pas les collections d’une nouvelle contamination, les conditions environnementales dans le sous-sol étant des plus précaires.

Les moisissures se développent en effet le plus souvent aux dépens des matériaux constitutifs des documents et peuvent provoquer des dégâts irréversibles. Elles sont généralement présentes dans l’air sous forme de spores associées ou non à des particules de poussière, et se déposent sur les surfaces par sédimentation, en fonction de leur taille et de leur poids. La poussière, déposée sur les collections ou toute autre surface, est à la fois une réserve de spores de moisissures, une source nutritive pour celles-ci et un substrat pouvant absorber l’humidité ambiante. Quand les conditions environnementales sont favorables, les spores déposées peuvent germer, produire des filaments ramifiés puis des organes reproducteurs qui produiront de nouvelles spores en 2 à 15 jours suivant les espèces et les conditions6.

L’intervention de l’entreprise spécialisée Hygiène Office avait certes permis de circonscrire le développement de la contamination. Mais les conditions environnementales n’avaient pas été modifiées, et ce fut là notre erreur en 2014. Car faute d’une aération suffisante, les spores disséminées dans l’air ont bel et bien germé. Après un hiver particulièrement pluvieux, une seconde contamination est découverte en mars 2016, dans le magasin n° 3, touchant des collections de périodiques et plusieurs fonds d’archives dont une partie des archives internes de la SHPF. L’année 2016 prenait le chemin d’une annus horribilis pour la SHPF, d’autant que Florence Poinsot avait annoncé à la fin du mois de janvier sa démission à compter du 24 février de ses fonctions de bibliothécaire, souhaitant donner une orientation nouvelle à sa carrière professionnelle.

Lux

Lux, 1 : le temps des questionnements

Que faire ? Ce n’était pas la première fois depuis 1865 que la BPF se retrouvait au centre des préoccupations des membres du Bureau et plus largement des membres du Comité. Il fallait agir sur plusieurs fronts et prendre les décisions qui s’imposaient à court et à moyen terme, tout en se projetant sur le long terme.

Le Bureau devait répondre à trois ugences : organiser le fonctionnement de la bibliothèque suite au départ de Florence Poinsot ; procéder au recrutement de son successeur ; suspendre la communication des documents conservés dans le sous-sol, et en informer les membres du Comité et les lecteurs.

Le premier point va être résolu notamment grâce au recrutement d’Adina Epure comme vacataire à mi-temps de mars à juillet 2016, recrutement qui a permis un fonctionnement quasi normal de la bibliothèque.

L’appel à candidatures pour le poste de responsable de la bibliothèque est publié en mai 2016 et aboutit au recrutement de Martina Gromesova à compter du 1er septembre 2016.

Les membres du Comité sont prévenus lors de la réunion mensuelle du mois de mars 2016 et les lecteurs dans les jours qui suivent, par une annonce sur le site en ligne de la SHPF. Annoncer aux membres du Comité qu’ils ne pourraient pas avoir accès aux documents du sous-sol, notamment les fonds d’archives, pendant une durée indéterminée restera pour moi l’un des moments les plus délicats que j’ai eu à connaître sur ce dossier…

La question du sous-sol était autrement plus épineuse. Nous savions que des collections étaient contaminées mais nous ignorions dans quelle proportion. Nous ne disposions pas d’un état des lieux précis des collections dans les cinq magasins sur lequel nous appuyer quant à une éventuelle élimination de documents ; encore moins d’un plan topographique à jour des collections. Il était pourtant indispensable d’obtenir des réponses précises aux questions que nous nous posions. C’est pour cette raison que le Bureau a chargé Marie-Claude Pasquet d’une mission pour un diagnostic des magasins et des collections du sous-sol à l’automne 2016, comme elle l’explique et le détaille dans son article Le patrimoine de la SHPF est aussi dans ses caves. Son rapport, rendu à la fin du mois de mars 2017, va enclencher le processus qui conduira au chantier de rénovation de la bibliothèque.

Lux, 2 : le temps de la rénovation

Rénover. Le Dictionnaire de l’Académie française donne deux définitions de ce verbe. Lorsqu’il est appliqué à un bâtiment, une technique, il prend le sens d’une remise à neuf d’une chose abîmée, dégradée. Il signifie également transformer, améliorer quelque chose grâce à des réformes, à une modernisation, en lui redonnant de la vigueur7.

Au fil des ans, l’ensemble du sous-sol et ce qu’il contenait (collections et mobilier) était devenu une chose abîmée, dégradée par les fuites d’eau et les infiltrations, meurtrie par l’anarchie des conditions environnementales. Il devenait par conséquent indispensable de transformer ce sous-sol en un magasin de bibliothèque répondant aux normes du xxie siècle, en d’autres termes, de réaliser une modernisation8 en profondeur de cette partie de la BPF.

L’idée progresse lors de plusieurs réunions de travail réunissant les membres du Bureau, entre fin 2016 et début 2017. L’élaboration du projet, sa définition et sa réalisation se sont faites par étapes, de l’appel d’offres pour recruter un architecte début février au choix de l’agence an2r à la fin du mois de mars, dont la proposition a retenu toute l’attention du Bureau puis du Comité. Étienne Dufaÿ et Anne de Robert, architectes associés pour ce projet, ont tous deux étaient séduits par les lieux et par les défis que représentaient ce chantier.

2017 et 2018 constituent deux années charnières, entre d’une part la prise de conscience fin 2016 – début 2017 que la rénovation du sous-sol dépassera largement le simple fait d’appeler le plombier de la SHPF pour une intervention en urgence ; et la fermeture de la bibliothèque au public pour travaux le 1er octobre et le démarrage des travaux le 15 octobre 2018, d’autre part. Eu égard à l’ampleur de la tâche, ces deux années furent nécessaires pour les différentes phases d’audit et d’études conduites par les architectes, et pour mener à bien plusieurs chantiers préparatoires sur les collections avant leur déménagement, comme on pourra le lire dans la contribution de Martina Gromesova.

D’octobre 2018 à octobre 2019, la bibliothèque se dérobe aux yeux des membres du Comité, des lecteurs et des visiteurs. La base vie des ouvriers qui travaillent sur le chantier est installée dans le garage à droite en entrant dans la cour. Une palissade dresse une barrière entre le monde extérieur et la ruche qui s’active à tous les étages de la BPF. La salle de lecture est recouverte de grandes bâches blanches de protection, les livres et les tableaux du rez-de-chaussée et des étages échappant pour quelques mois à nos regards. Un grand silence régnait dans la salle de lecture le soir après le départ des ouvriers et bien souvent, au sortir d’une des nombreuses réunions qui ont jalonné le chantier, je me suis surprise à admirer cette bibliothèque qui m’apparaissait alors comme une belle endormie. Mais avec les travaux, qu’allait devenir l’âme de la bibliothèque, pour reprendre l’expression de Jean-Philippe Hecketsweiler ? Qu’allait-il advenir de l’atmosphère propre à ce lieu qui évoque nombre de souvenirs à André Encrevé, Antoine Durrleman et Céline Borello ?

Lorsque la bibliothèque rouvre ses portes au public le 30 octobre 2019, seuls le parquet d’un bois blond plus clair, une peinture plus lumineuse sur les murs de la salle de lecture et des contre-allées dégagées de tous cartons et sacs témoignent qu’il s’est passé quelque chose à la BPF pendant presque une année et peuvent attirer l’œil d’un lecteur ou d’un visiteur perspicace. Des pans entiers de collections ont pourtant changé de place entre les étages et le sous-sol, la Réserve a été réaménagée ; les collections de périodiques font encore, au moment où ces lignes sont écrites, l’objet d’un chantier spécifique, comme nous le détaille Sophie Vié. Mais c’est dans le sous-sol que la transformation est la plus spectaculaire. Les temps forts de ce chantier inédit dans l’histoire de la SHPF, à l’exception des travaux qui ont préludé à l’installation de la BPF rue des Saints-Pères, sont retracés par Guillaume Saleil, architecte qui a rejoint le projet peu après son démarrage.

Lux, 3 : et maintenant ?

Dans les questionnements ou les non-dits qu’elle a pu susciter par le passé ou continuera de susciter à l’avenir, comme dans sa formidable capacité à s’adapter et à aller de l’avant, la BPF dispose de nombreux atouts, au premier rang desquels la place qu’elle occupe dans le cœur des membres du Comité depuis sa création. Il a fallu beaucoup d’audace, voire de courage, aux membres actuels du Bureau et à l’ensemble de la Société pour entreprendre un tel projet de rénovation qui, comme tout projet de cette nature, comporte une prise de risque, que cette dernière soit de nature architecturale, financière ou tout simplement humaine.

Puisse la dynamique enclenchée par cette rénovation ne pas s’essoufler dans les mois et années à venir, car d’autres chantiers et non des moindres sont à programmer : la refonte de nos catalogues, la réimplantation des collections d’imprimés et de manuscrits dans les étages, la publication d’un état des lieux des collections et des fonds d’archives, pour n’en citer que quelques-uns.

POST TENEBRAS LUX !

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1. D’octobre 2004 à février 2016.

2. Le dépouillement des archives internes de la SHPF, quoique lacunaires à plusieurs époques de son histoire, fait apparaître de nombreuses campagnes de travaux touchant à la réfection de l’électricité, du chauffage, de la peinture et à la modernisation des équipements, même si régulièrement le manque de moyens financiers contrarie la réalisation de ces différents projets.

3. Un historique exhaustif des travaux et des aménagements de la BPF depuis son installation au 54 rue des Saints-Pères serait à rédiger.

4. Le 17 juillet 2012, onze prélèvements par écouvillons ont été réalisés sur les boîtes et les documents par Valentier Rottier, l’un des biologistes du département de la Conservation, et ont fait l’objet d’une mise en culture pendant plusieurs semaines au laboratoire de la BnF sur son site de Bussy-Saint-Georges.

5. Florence Poinsot et Sophie Vié.

6. Rapport de Valentin Rottier, en date du 27 août 2012, archives internes de la SHPF.

7. Dictionnaire de l’Académie française, 9e édition. En ligne : https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9R1762

8. En 1946, déjà, était formulé le souhait d’une modernisation en profondeur de la BPF. Voir la chronologie des aménagements de la BPF en annexe.