Luc WEIBEL, Le Jubilé. En lisant la presse genevoise de 1959
Genève : Éditions Nicolas Junod, 2019, 129 p.
Marianne CARBONNIER-BURKARD
« Le jubilé », c’est le jubilé Calvin de 1959 à Genève, pour le 450e anniversaire de Calvin, coïncidant avec le 400e anniversaire du Collège et de l’Académie de Genève. Au hasard de la redécouverte d’une liasse de papiers empoussiérés, l’auteur se souvient du jubilé, qui fut un grand moment de sa vie de collégien du Collège de Genève. Soixante ans plus tard, il relit en faux naïf les programmes des manifestations et les numéros des journaux qui en ont rendu compte, mêlant avec humour et un brin de nostalgie ses propres réminiscences, réflexions, rêveries.
Cette construction originale, très personnelle, à partir d’un sujet genevois, n’affaiblit pas l’intérêt proprement documentaire de l’ouvrage. Non seulement, au prisme de la presse, le déroulé des festivités et les discours du mois de juin 1959 à Genève, en l’honneur de Calvin et de l’Université de Genève, avec pour point d’orgue le culte solennel à la cathédrale Saint-Pierre le 3 juin, mais aussi le moment 1959 à Genève : le monde de Genève (l’opinion publique à travers les quotidiens de Genève, les spectacles, les publicités, la politique), moins unanime qu’il y paraît, et les échos à Genève des événements du monde (la guerre froide et la Conférence de Genève, le « marxisme », la guerre d’Algérie et le Synode national de l’ERF à Paris, le Festival de Cannes).
L’ouvrage intéresse aussi l’histoire du protestantisme réformé au milieu du xxe siècle. Il donne à voir entre autres la Faculté de théologie de Genève, les liens entre les pasteurs suisses et leurs collègues français, les grandes figures invitées au Jubilé : Marc Boegner (p. 29-30, 45, 56), André Chamson (p. 43), Karl Barth (p. 50-54) ; et surtout la presse protestante : Le Protestant (p. 45-48), La Vie protestante (p. 34-35, 40, 46, 88-99) avec Jean-Marc Chappuis, Le Messager social d’Auguste Lemaître (p. 41, 46, 100-102), et deux périodiques français : Réforme (p. 55-57) et L’Illustré protestant (p. 66), avec Michel Bony, cinéphile d’avant-garde.
En finale, l’évocation du jubilé Calvin de 2009 (p. 106-121) fait mesurer la distance entre les deux jubilés. Pris en main par l’Église de Genève et par l’Université, le jubilé Calvin de 1959 se voulait un événement populaire, rassemblant tout Genève dans la mémoire du grand homme, fondateur de Genève : l’Église, les autorités politiques, l’Université, le peuple de Genève, la jeunesse de Genève. La figure historique de Calvin était quelque peu effacée derrière l’actualisation (la révision) de sa pensée, sa pertinence pour les nouvelles générations, et plus largement la place de l’Église dans le monde du xxe siècle. L’optimisme semblait l’emporter sur l’inquiétude. En 2009, pour le 500e anniversaire de Calvin, le jubilé, étalé sur toute l’année 2009, n’a pas été le monopole de Genève. À Genève même, il a été éclaté entre les différentes institutions qui communiaient, non sans réserve, cinquante ans plus tôt. La « manifestation phare » de 2009 a été un gigantesque colloque universitaire, réunissant plus d’une centaine d’historiens, dont beaucoup venus d’outre-Atlantique : des « spécialistes », détachés de l’ancien monde de Genève, dont Calvin était au minimum la religion civile.