Henri NICK, À la racine de toutes les guerres, t. V : Correspondance de guerre. Année 1917
Introduit et annoté par Grégoire Humbert, Éditions Ampelos, 2018, 507 p.
Gabrielle CADIER-REY
La couverture montre deux poilus blessés avançant sur un chemin. En cette année 1917, c’est la France qui est blessée, la guerre de plus en plus cruelle, les familles amputées et particulièrement la famille Nick par la mort de la femme du pasteur, mère de six enfants. Hélène Nick meurt de maladie le 4 janvier 1917, épuisée aussi par le dévouement qu’elle a montré comme infirmière. L’essentiel de la correspondance, dans les quatre premiers volumes, était les lettres échangées entre H. Nick et sa femme. Désormais les enfants deviennent les interlocuteurs privilégiés de leur père. L’aîné, Paul, est mobilisé et affecté à la radiotélégraphie. Jeanne devient le pivot de la famille, recevant les lettres, y répondant et les transférant aux uns et aux autres. Mais son père lui en demande trop, non seulement de gérer la maison, avec la fidèle Sophie à leur service depuis 1895, d’envoyer des paquets ou des livres au front, mais encore de remplacer leur mère pour l’éducation de ses frères et sœurs et la surveillance de leurs études. Il la charge d’être leur « vraie maman ». Le gros souci est l’orthographe fantaisiste d’André (14 ans) et les moyens les plus variés sont évoqués pour y remédier !
Beaucoup n’ont pas compris pourquoi le pasteur Nick avait abandonné ses enfants maintenant orphelins pour retourner sur le front, dès le 25 janvier, confiant les deux plus jeunes, Madeleine et Hélène, aux Durlemann. Sans doute se sentait-il investi d’une mission, ne voulant pas abandonner au risque de la mort les soldats qui s’étaient confiés à lui, sans être là pour leur apporter le réconfort de la Parole. Très souvent, H. Nick proclame sa foi en l’efficience de Dieu et dans l’efficacité de la prière. Il écrit : « Apprenons à intercéder. Si nous l’avions fait vraiment, Dieu nous aurait sans doute accordé la guérison de maman qui serait peut-être encore avec nous. Invoquez le Seigneur… ». À plusieurs reprises et notamment quand il est au Chemin des Dames, tout en réaffirmant sa confiance en Dieu que le protège, il écrit à ses enfants des conseils qui prennent une allure testamentaire.
Après le Chemin des Dames où H. Nick a ramassé des blessés sous le feu, avec son ami l’aumônier catholique, le futur cardinal Liénart de Lille, il a eu une quatrième citation. Mais en octobre, il demande la relève qu’il obtient. Le ministre Justin Godard la signe le 9 janvier 1918. Au cours de cette guerre qu’il a traversée pendant trois années, il a vu trop d’horreurs pour ne pas espérer que de tant de mal devrait sortir un bien, sinon ce serait à désespérer. Dans cette lettre à sa fille Jeanne, on retrouve le pasteur du Foyer de Fives-Lille : « Ou nous sommes condamnés à ne rien comprendre à des buts élevés de la guerre, ou il faudra, à l’intérieur du pays, améliorer la situation matérielle de tous ceux qui peinent et souffrent en travaillant, vivent, faute d’éducation, privés de lumière et sans idéal, de façon à leur procurer plus de liberté, par suite plus de dignité dans leur vie ; il faudra éduquer la femme pour qu’ayant sa lourde part de charges dans la société – souvent la part de la douleur – elle ait aussi la joie, le bonheur, de voir sa responsabilité reconnue et d’exercer des droits. »
Ce livre qui nous fait passer du front à l’arrière, est d’une grande richesse. D’abord par la variété des lettres. À celle du pasteur s’ajoutent celles des enfants entre eux, et de beaucoup de soldats écrivant à leur pasteur-aumônier. Il y a aussi tous les témoignages écrits à la suite de la mort d’Hélène Nick, les articles de journaux – même en première page de L’Humanité – pour rappeler son dévouement et son charisme. Sont incorporés aussi, à la date de leur publication, des articles de Nick lui-même dans Le Christianisme au xxe siècle, articles d’information qui sont aussi des textes d’édification. Comme dans les autres volumes, les textes sont enrichis de près de 1 100 notes, d’un appareil critique considérable, d’annexes et d’un index. C’est une véritable somme que nous livrent là les Éditions Ampelos et il faut saluer le travail de « bénédictin » de Grégoire Humbert qui, avant de nous présenter ces lettres, a eu la peine de les déchiffrer !