Book Title

« Nous nous soumettons sans répliques à la volonté du meilleur des Rois… »

Un mémoire inédit du consistoire de l’Église française de Berlin (1809-1810)

Introduction et édition annotée par Viviane ROSEN-PREST

Le mémoire publié ici pour la première fois fut rédigé au début du xixe siècle par le consistoire de l’Église française de Berlin à l’attention du gouvernement prussien, dans le contexte mouvementé de la fin des privilèges civils de la Colonie1 française (1809). Il est conservé aux archives « secrètes » de Prusse à Berlin-Dahlem2. Pour comprendre les enjeux de ce mémoire, il est nécessaire de rappeler brièvement l’évolution de la Colonie et de l’Église françaises de Prusse jusqu’à cette époque tardive, plus d’un siècle après le Grand Refuge, ainsi que le moment historique dramatique, lié aux guerres napoléoniennes, qui amena le gouvernement prussien à lancer de profondes réformes de l’État dont la suppression civile de la Colonie ne fut qu’une des retombées. Voici quelques pistes pour faciliter la compréhension de ce texte remarquable3.

Les privilèges. Place de la Colonie française dans l’État prussien

Par l’édit de Potsdam du 29 octobre 1685, le Grand Électeur Frédéric Guillaume, peu après la révocation de l’édit de Nantes, voulait inciter les réfugiés protestants français à se rendre dans ses États lointains et dépeuplés. Il leur accordait essentiellement la liberté de conscience et de culte dans les formes des Églises réformées de France – à l’exception notable du droit à avoir des synodes4 –, l’usage de la langue française dans le culte et les écoles, ainsi que des exemptions de taxes, des aides matérielles à l’installation et la liberté de choix de leur lieu de séjour. Bien d’autres édits vinrent ensuite préciser et compléter l’édit de Potsdam sous les règnes suivants. Le système des colonies qui se mit progressivement en place dans les décennies qui suivirent était destiné à repeupler les États prussiens5, très étendus et dont des provinces entières avaient été dévastées par la guerre de Trente ans (1618-1648), les famines et les épidémies. Des colonies rurales nombreuses furent fondées au nord de Berlin (Uckermark), d’autres colonies furent créées à divers endroits du territoire, depuis la Rhénanie jusqu’à la Prusse orientale au-delà de Königsberg (aujourd’hui Kaliningrad en Russie). Citons la grande colonie manufacturière de Magdebourg, sur l’Elbe, celles de Brandebourg, Francfort sur l’Oder, Halle, Potsdam, Stettin, Wesel. La colonie de loin la plus importante était celle de Berlin. Les protestants français n’étaient pas les seuls réfugiés. D’autres groupes venus du Palatinat, de Suisse, de Salzbourg, de Bohême furent accueillis et installés en Prusse au cours des xviie et xviiie siècles et divers privilèges leur furent accordés. Mais les Français représentaient le groupe le plus nombreux (entre 15 000 et 20 000 personnes selon les estimations), et ils se distinguaient par la grande diversité de leurs origines régionales et de leurs conditions sociales6.

Après des flottements dans les premières décennies, un système administratif stable se mit en place. Il était caractérisé par la dualité Église/Colonie et par l’intégration de ces deux ensembles dans les structures de l’État prussien. Les colonies n’étaient pas des ghettos, mais des entités administratives. L’habitat pouvait être plus ou moins dispersé : des quartiers étaient connus pour abriter de nombreux colons français, comme la Dorotheenstadt ou la Friedrichstadt à Berlin, mais certaines colonies rurales pouvaient se répartir sur plusieurs bourgs ou lieux-dits. Au sein de l’État, la Colonie était administrée par le Grand Directoire français (ou Conseil français), tandis que l’Église française, avec toutes les écoles et les institutions qu’elle gérait, était sous l’autorité du Consistoire supérieur français. Les deux institutions étaient composées de quelques personnalités appartenant à la Colonie (sept en général) et présidées par un ministre allemand, toujours bienveillant et maîtrisant parfaitement le français, mais représentant néanmoins l’autorité royale et rédigeant ses décisions en allemand. Les réfugiés français tenaient beaucoup à l’assurance, ancrée dans les édits, qu’ils dépendaient directement du roi, leur protecteur, leur père et non d’autorités régionales auxquelles les différentes colonies auraient pu être rattachées administrativement. De 1788 à 1807, le ministre chargé des affaires de la Colonie française fut Friedrich Wilhelm von Thulemeier (1735-1811). À partir de fin 1808, elle fut sous l’autorité du comte Friedrich Ferdinand Alexander von Dohna-Schlobitten (1771-1831), ministre de l’Intérieur jusqu’en 1810, qui appartenait à une famille liée aux princes d’Orange et à la noblesse protestante française ; un de ses ancêtres avait été en charge des réfugiés dans les premières années du Refuge7. Sa mission essentielle fut d’adoucir autant que possible le traumatisme de la suppression de la Colonie.

Un privilège important des « Français » de Prusse consistait dans l’existence d’une Justice française, dont toutes les sentences devaient être rendues en langue française, privilège de plus en plus dépourvu de signification en un temps où presque tous les descendants de réfugiés, qui appartenaient à la troisième ou à la quatrième génération depuis le Refuge, s’exprimaient en allemand ou en dialecte germanique ; aussi ce privilège donna-t-il lieu à de nombreuses polémiques au sein des colonies. Le paradoxe était que le droit prussien était unifié depuis la grande réforme juridique menée sous Frédéric le Grand et achevée sous son neveu Frédéric Guillaume II (1794). La Justice française appliquait donc ce droit, mais en langue française, et seuls les « Français » pouvaient y porter leurs affaires8. Selon certaines sources, cette justice passait pour plus clémente et plus rapide que celle des tribunaux allemands9, ce qui expliquerait qu’elle ait présenté de l’attrait pour des personnes souhaitant intégrer la Colonie. En ces temps où la séparation des pouvoirs n’existait pas, juridiction et rattachement administratif se confondaient : les membres des colonies dépendaient de la Justice française. C’est auprès d’elle qu’ils devaient acquérir, moyennant finances, le droit de bourgeoisie (Bürgerrecht), requis pour pouvoir acheter une propriété en ville ou s’installer comme maître artisan ou commerçant. Ce droit de bourgeoisie française distinct entraîna de fréquentes polémiques avec les municipalités allemandes qui protestaient dès qu’une demande d’admission dans la Colonie ne leur semblait pas fondée en droit, des polémiques que le roi dut plus d’une fois trancher lui-même. La place et le rôle des juges français dans les conseils municipaux10, la compétence des tribunaux dans les procès, l’admission de maîtres français dans les corporations, l’exemption de corvées pour les paysans français, le statut des terres dans les colonies rurales furent l’occasion d’innombrables conflits avec les administrations allemandes.

Sur le plan religieux, la situation de la Prusse était très particulière. En effet, depuis la conversion de Jean Sigismond au calvinisme en 1613, la maison princière n’était pas de la même confession que la plupart des sujets, en grande majorité luthériens, avec une minorité catholique dans certains territoires de Rhénanie et – depuis les conquêtes de Frédéric II – en Silésie. L’accueil de nombreux réfugiés calvinistes répondait, entre autres motivations, au souci de renforcer la part de population professant la même foi que le roi et son entourage. Il n’en demeurait pas moins que le roi de Prusse se considérait comme le summus episcopus de toutes les Églises protestantes de ses États11 et pouvait intervenir dans les questions religieuses jusqu’au moindre détail (comme le choix des recueils de psaumes, par exemple). Frédéric le Grand ne s’intéressait pas à ces questions et voulait laisser chacun « faire son salut à sa façon ». Mais ses successeurs Frédéric Guillaume II et Frédéric Guillaume III entendaient bien utiliser ces prérogatives. Si contrairement aux rois de France « très catholiques » les souverains de Prusse acceptaient par nécessité la diversité des confessions, ils s’en réservaient cependant le contrôle.

La liberté religieuse accordée aux Églises françaises de Prusse avait donc pour limites les prérogatives royales, qui entraient pour partie en contradiction avec la Discipline des Églises réformées de France. Certes, les Églises locales, conformément à la Discipline12, étaient dirigées par des consistoires composés du ou des pasteurs, d’anciens et d’anciens-diacres, tous en principe élus13. Le culte eut longtemps lieu en français14 et ses formes respectaient la Discipline, sauf le droit aux synodes. Les Églises étaient sous l’autorité du Consistoire supérieur, qui diffusait des ordres concernant les prières pour la Maison royale, les Te Deum en cas de victoire, autorisait les collectes, confirmait les pasteurs élus etc. Des tournées d’inspection de membres du Consistoire supérieur avaient lieu de temps à autre, dont on retrouve la trace dans les protocoles des consistoires. Pour le reste, les Églises jouissaient d’une grande autonomie dans la gestion de leurs fonds – avec un contrôle de l’État, sauf à Berlin comme on le verra –, pour le recrutement des maîtres d’école, l’inspection de l’enseignement et le « contrôle moral » du troupeau15. Elles revendiquaient parfois avec force leur attachement à cette autonomie. Ainsi, lorsqu’en 1791 le Consistoire supérieur s’opposa à l’introduction d’un nouveau psautier, demandée par l’Église de Potsdam, les chefs de famille réagirent avec virulence, certains menaçant même de passer à l’Église allemande s’ils n’obtenaient pas gain de cause16.

Dans ce dispositif, l’Église berlinoise occupait une place à part. D’abord parce que la colonie française de Berlin représentait une part importante des Français de Prusse : environ 40 % du total17. Cependant, si sa population était assez stable numériquement, elle perdit son importance relative. Tandis qu’au début du xviiie siècle un Berlinois sur cinq était d’origine française, la ville connut une forte expansion démographique, atteignant 178 000 habitants en 180318, si bien que vers 1800, la colonie ne représentait plus que 3 % de la population de la résidence. À l’intérieur de la colonie berlinoise, voilà longtemps qu’il n’y avait plus d’équivalence entre les ressortissants civils de la juridiction française et les membres de l’Église française, les « communiants ». Il ne faut cependant pas surestimer cette discordance. Une analyse de la liste de population de 1803 a permis d’établir que la proportion de membres de la colonie fréquentant l’Église réformée française de Berlin était de 73,6 %, soit presque les trois quarts de la population de la colonie19.

Outre son importance numérique, l’Église française de Berlin, théoriquement l’égale de ses sœurs de province, exerçait un pouvoir de fait, car la plupart des institutions caritatives et éducatives françaises se trouvaient à Berlin. C’est donc au consistoire de l’Église de Berlin qu’on s’adressait pour faire admettre des « sujets » de province dans les institutions20. La liste de ces institutions est impressionnante : École de charité, Collège français pour l’enseignement ; Maison des orphelins, Hôpital français, Maison française de charité, Hôtel de Refuge, Maison d’Orange…21 Toutes ces institutions étaient prises en charge financièrement par l’Église grâce à de nombreux donateurs, et étaient gérées par des bénévoles. Les conditions de vie dans les institutions caritatives étaient certes rigoureuses et la discipline implacable, mais personne n’était laissé sur la touche22. Les bâtiments étaient entretenus sur les fonds de l’Église, qui possédait des immeubles de rapport. Régulièrement rénovés ou agrandis, parfois avec l’aide royale, ces bâtiments marquaient le paysage berlinois et donnaient à l’Église française une visibilité dépassant largement l’importance numérique de ses membres. Certes, toutes les confessions (luthérienne, réformée allemande, catholique, juive…) possédaient des institutions d’enseignement et de prise en charge des nécessiteux, mais celles de l’Église française passaient pour particulièrement bien gérées. Ses principes et ses règles, consignés par écrit au fil des années, furent publiés en 1791, après une longue gestation, dans un gros volume de synthèse de plus de 600 pages23.

Conformément à la tradition calviniste, l’Église accordait une grande importance à l’enseignement, elle entretenait autant que possible des écoles francophones et contrôlait les maîtres24. À Berlin, les fleurons du système d’enseignement étaient l’École de charité et le Collège français. L’École de charité comportait un internat pour les enfants pauvres, accueillis gratuitement, et une école externe de plusieurs classes, les élèves payant leur scolarité étant séparés des pauvres. Quant au Collège français, dont l’histoire a fait l’objet de plusieurs publications25, presque tous les lettrés de la colonie y enseignèrent. Il avait acquis une solide réputation sous la direction énergique du pasteur Jean Pierre Erman (de 1766 à 1813), les classes terminales étant de niveau quasi-universitaire. L’Église française de Berlin bénéficiait donc d’une position tout-à-fait particulière au sein des Églises françaises de Prusse26. Ses dirigeants en tiraient une haute opinion de leur mission, ce qui causa plus d’un conflit avec les membres du Consistoire supérieur français, qui trouvaient – davantage Prussiens en cela que Français réformés – que le consistoire de Berlin n’adoptait pas toujours le ton qui convenait pour s’adresser à des supérieurs27.

Le maintien d’un bon niveau de langue française parmi la jeunesse de la Colonie était un souci constant pour la direction de l’Église française de Berlin. L’enjeu n’était pas seulement religieux (comprendre les services divins en français), mais aussi identitaire (conserver le souvenir des ancêtres et la tradition française) 28. Pourtant, rien dans les édits n’imposait l’usage du français. L’édit de Potsdam, dans son article 11, garantissait certes le droit au culte en français29, ce qui se concevait fort bien pour les premières générations de réfugiés ignorant l’allemand et ayant quitté la France dans le but de sauvegarder leur liberté religieuse, mais il n’en faisait pas une condition du maintien des privilèges. Bien plus, l’examen des édits successifs réglementant l’accueil de réfugiés protestants pour cause de religion dénote une ouverture progressive à des groupes sans origine française30, jusqu’à l’édit de Frédéric II de 1772 sur le Wahlbürgerrecht, resté en vigueur jusqu’en 1801, selon lequel tout étranger (non né dans le territoire prussien) pouvait « choisir sa juridiction », Colonie française ou municipalité allemande, dans un délai de trois mois après son arrivée, quelles que soient sa nationalité, sa langue et sa religion, sans toutefois avoir accès aux privilèges31. Les autorités de la Colonie craignaient que, si l’oubli du français devenait total, plus rien ne distinguât la « Nation française » des autres sujets prussiens, ce qui eût entraîné la fin des Églises réformées françaises, avec leur fonctionnement spécifique et leur tradition historique, et justifié la suppression d’une administration propre. En 1814 encore, après la victoire de Leipzig sur Napoléon et alors que les institutions civiles de la Colonie étaient supprimées depuis plusieurs années, une polémique à ce sujet opposa deux pasteurs prestigieux de la Colonie : l’un, David Louis Théremin, de Gramzow dans l’Uckermark au nord de Berlin, réclamant au nom du sentiment national le passage à la langue allemande dans le culte et la suppression de la dénomination d’Église « française » ; l’autre, Jean Henry, de Berlin, défendant la spécificité de cette Église, qui, pour lui, n’était nullement contradictoire avec le patriotisme prussien32.

Mais les membres de la Colonie – à Berlin comme ailleurs – pouvaient également être enclins à cultiver la langue française pour d’autres raisons, économiques celles-là : de nombreux emplois étaient liés à la maîtrise de cette langue, encore largement utilisée dans les classes supérieures (maîtres de langue, précepteurs, gouvernantes, maîtresses de pensions et même domestiques). Ainsi, en 1760, à Minden en Westphalie, les membres du consistoire de l’Église française s’opposèrent à la fusion de leur Église avec l’Église réformée allemande pour des raisons économiques, alors que tout le monde comprenait l’allemand : ils expliquèrent ingénument lors d’une enquête royale qu’ils prenaient en pension de jeunes Allemands désireux d’apprendre le français et que leurs filles étaient recherchées comme gouvernantes : leurs revenus baisseraient s’il n’y avait plus de culte en français…33

Le mémoire présenté ici met l’accent sur un point peu mis en relief par la recherche sur l’Église réformée française de Berlin. C’est la cohérence, chez les dirigeants de l’Église (pasteurs, membres du consistoire, directeurs des institutions) entre des positions d’ordre idéologique – volonté de maintenir la tradition française, attachement aux privilèges – et des considérations pratiques ancrées dans un vécu quotidien – faire fonctionner les institutions caritatives et éducatives, avoir un budget en équilibre, rendre des comptes aux pères de famille34. Ainsi, dans les décisions à prendre quant aux personnes à admettre dans l’Église française, comme dans les polémiques avec les Églises allemandes, des réflexions très concrètes jouaient un rôle capital : il ne fallait pas avoir plus de pauvres que ce qu’on pouvait assumer, et toute admission d’un personnage fortuné, apte à faire de généreuses donations, était la bienvenue. Cette question se posa de façon particulièrement aiguë durant l’occupation napoléonienne de Berlin (1806-1808), où la pénurie de numéraire et l’appauvrissement général constituèrent un souci constant. L’oligarchie de l’Église française, en particulier berlinoise, était peut-être mue par un esprit de corps et imbue de ses privilèges, mais elle comportait un grand nombre de bénévoles qui faisaient fonctionner les nombreuses institutions caritatives de l’Église et étaient quotidiennement confrontés à de multiples difficultés matérielles35. La seule contrepartie à laquelle ils étaient profondément attachés, conformément à la Discipline des Églises réformées de France, était leur indépendance financière et la reddition des comptes devant les seuls membres de l’Église.

La Colonie française vers 1800

Plus d’un siècle après l’édit de Potsdam (1685), les populations composant les colonies françaises avaient beaucoup évolué. De nombreux colons d’origine française, dans les milieux populaires, s’étaient acculturés et ne parlaient plus français36 mais restaient attachés aux formes du culte, le français étant dès lors une pure lingua sacra, tandis que d’autres avaient quitté les colonies et vivaient en divers lieux du territoire. En revanche, le français était compris et parlé par l’élite, ainsi que par les couches supérieures de la population allemande, en particulier la noblesse, dont beaucoup assistaient aux offices religieux dans les églises françaises, à Berlin comme dans les villes de province37. Par ailleurs, de nombreux Allemands de souche étaient entrés dans les colonies françaises, soit par mariage, soit suite à des requêtes individuelles, soit par la procédure du Wahlbürgerrecht. Lors de mariages mixtes, on l’a dit, la règle était que l’épouse suivît son époux dans sa juridiction, « française » ou allemande, mais il n’y avait pas pour elle d’obligation de changer d’Église pour autant, ce qui compliquait le choix de l’Église dans laquelle les enfants seraient baptisés. Un règlement de 1762 tenta de mettre de l’ordre dans les pratiques38. Globalement, il subsistait un bon nombre de mariages entre descendants de réfugiés, la proportion étant variable d’une colonie à l’autre. À la campagne, le statut des terres « françaises » pouvait même encourager une certaine endogamie ; en effet, les tenanciers de ces terres étaient dispensés de corvées, et le statut de la propriété – jamais totalement clarifié – consistait en une sorte de propriété collective : on ne pouvait céder la terre qu’à l’intérieur de la colonie. Il ne fallait pas, par un mariage « allemand », compromettre ce privilège fragile et souvent mal défendu39.

Dans la colonie française de Berlin comme dans celles d’autres villes, toutes les couches sociales étaient représentées, depuis la noblesse jusqu’aux ouvriers des manufactures40 et aux domestiques les plus pauvres, avec une forte proportion d’artisans. Pour Berlin, l’étude de la liste de population de la colonie en 1803 tend à indiquer une relative aisance41. Mais dans l’ensemble, le niveau de vie dans les colonies était extrêmement modeste. En milieu rural, la pauvreté était quasi-générale42.

Le mémoire publié ici, conservé aux archives de Dahlem, est rédigé en langue française, plus de cent ans après le Grand Refuge et en pleine guerre contre l’ennemi français. On verra qu’une version allemande fut également adressée aux autorités. Mais globalement, le français était la langue utilisée dans toute la correspondance de l’Église berlinoise jusque tard dans le xixe siècle. Tous les dirigeants de l’Église possédaient parfaitement cette langue, à laquelle ils attribuaient une forte valeur identitaire, considérant – à tort, on l’a dit – la continuation de son usage comme indispensable au maintien des privilèges. Quoique le français fût alors encore une lingua franca en Allemagne, la coutume de l’Église d’écrire constamment en français, quel que fût le destinataire, occasionna bien des conflits avec les administrations allemandes, ces dernières refusant de lire les mémoires qu’on leur envoyait sans traduction. Cependant, au plus haut niveau de l’État, les autorités prussiennes acceptaient cet usage du français par les responsables de l’Église. Il est vrai que les deux conseils au sein de l’État, le Grand directoire français et le Consistoire supérieur, étaient composés de personnes issues de la Colonie ; les comptes rendus, les correspondances, comme toutes les délibérations arbitrées par le ministre allemand « chef de la Nation » (française) étaient en langue française43. Seuls les arrêtés officiels, une fois la décision prise, étaient publiés en langue allemande.

Quant à la situation linguistique dans les colonies françaises de province, on en a des aperçus grâce au travail de la sociolinguiste Manuela Böhm sur l’Uckermarck, au nord de Berlin. Elle a montré avec précision l’extraordinaire complexité des phénomènes de changement de langues, la langue choisie pouvant varier selon l’interlocuteur, les circonstances, la charge émotionnelle, le statut de l’écrit (brouillon ou acte officiel)… Elle a noté aussi d’étonnantes manifestations de résilience ; ainsi, dans l’Église française de la petite ville de Strasburg/Uckermark, les protocoles des assemblées du consistoire furent tenus en français jusqu’en 1818 et les courriers aux autorités jusque dans les années 1810, ce qui ne préjuge en rien de la langue utilisée à l’oral dans les assemblées. L’enseignement francophone y fut longuement défendu en dépit de la langue parlée et comprise par l’ensemble des enfants44.

Vers 1800, les patronymes français étaient encore largement majoritaires dans les colonies en dépit des mariages mixtes, les femmes qui épousaient des Allemands de souche sortant en principe de la juridiction française. Les patronymes à consonance allemande, relativement nombreux, pouvaient d’ailleurs correspondre soit à des germanisations (Blanc/Weiße, Lecoq/Hahn etc.), soit, en exception à la règle, à des Allemands ayant intégré la Colonie suite à leur mariage avec une « Française » ou à une requête individuelle, ou encore à des étrangers entrés par la procédure du Wahlbürgerrecht.

Autour de 1800, l’écart entre la composition des Églises françaises et celle des colonies françaises, quasi-inexistant dans les débuts du Refuge45, était de plus en plus marqué. Ce trait a été fréquemment relevé par la recherche, mais, à ma connaissance, jamais étudié de façon systématique pour l’ensemble du territoire46. Les autorités de l’État ne pouvaient l’ignorer, car les demandes d’admission dans la Colonie par des personnes sans ascendance française leur étaient soumises, et d’abondantes correspondances existent dans les sources à ce sujet. L’établissement annuel de listes de population sur ordre de l’État fournit également des sources précieuses, mais bien souvent, la distinction entre membres de la Colonie et membres de l’Église n’y était pas faite. Les choses changèrent à partir de 1800 : ayant mesuré l’ampleur de la distorsion, les autorités ecclésiastiques consignèrent dans les listes de population le nombre de communiants. Il est dès lors facile de calculer pour chaque colonie la proportion de colons appartenant à l’Église française. Ce qui apparaît est une très grande disparité, la proportion allant de 11 % (Cottbus) à 85 % (Potsdam) 47. Ces chiffres sont pourtant à manier avec précaution, car surtout dans les villes des personnes extérieures aux colonies pouvaient communier à l’église française. À Berlin, la liste de population de la Colonie française en 1803, l’une des dernières établies avant la suppression de l’institution, plusieurs fois évoquée, présente une particularité intéressante : le nom des « personnes qui ne sont pas de notre confession » y est consigné en rouge, ce qui permet un traitement statistique : elles ne représentent qu’un peu plus du quart des membres de la colonie (26,4 %). Le nombre de personnes ne pratiquant pas la religion française réformée ne doit donc pas être surestimé à Berlin, tout en étant significatif. Il faut bien garder à l’esprit que le document présenté émane du consistoire de l’Église française de Berlin, avec son mode de fonctionnement ancré dans la Discipline des Églises réformées de France, et reflète l’esprit de cette institution. On verra cependant ci-dessous que le consistoire pouvait compter sur l’appui de l’oligarchie de la Colonie, qui joua un rôle très actif dans ces années de crise.

L’ère des réformes : genèse du mémoire

Le mémoire publié ici ne peut se comprendre que dans le contexte historique des guerres napoléoniennes et des réformes de l’État prussien. Jusqu’en 1806, le roi Frédéric Guillaume III de Prusse, petit-neveu de Frédéric le Grand, avait cherché à maintenir son pays en paix par une alliance avec Napoléon, qui avait triomphé des Autrichiens à Austerlitz en 1805. Mais par un brusque revirement, le roi déclara la guerre à l’Empereur, ce qui aboutit aux défaites catastrophiques d’Iéna et d’Auerstedt (octobre 1806), à l’occupation du pays et à son démantèlement48. Le roi paraissait anéanti. Avec la cour et la plupart des ministres, il se réfugia à Königsberg, en Prusse orientale. C’est de là, dans les années qui suivirent (1808-1812), que par un sursaut remarquable, sous l’égide des ministres Stein et Hardenberg, de profondes réformes furent promulguées, qui permirent de redresser l’État : refonte complète de l’armée, réforme municipale, réforme de l’État, réforme de l’enseignement, abolition partielle du servage et réforme agraire, droits civiques des juifs, etc. L’idée centrale, moteur des réformes, était de moderniser le pays, d’impliquer l’ensemble des sujets dans la cité et d’en faire des citoyens, afin de créer un esprit nouveau qui permettrait de vaincre l’ennemi. Ce n’est pas ici le lieu d’entrer dans le détail de ces réformes ni du redressement militaire qui s’ensuivit (Guerres de libération, bataille « des peuples » de Leipzig en 181349, campagne de France et victoire des alliés en 1815) 50.

C’était un enjeu important des années de réforme, et en particulier de la réforme municipale de 1808, d’impliquer davantage et de responsabiliser les sujets pour qu’ils s’intéressent à la cité51. Selon A. Krebsbach : « L’objectif explicite de la réforme municipale était “de permettre aux bourgeois d’influer par leur action sur la gestion de la collectivité (Gemeinwesen) et, grâce à cette participation, de susciter et de maintenir le sens du bien commun (Gemeinsinn)” » 52. C’étaient là en particulier les idées du baron de Stein ; même si elles ne faisaient pas l’unanimité, elles étaient dans l’air. Les termes de Bürgersinn (sens civique) et Gemeingeist (esprit collectif) se trouvent au moins à deux reprises dans des lettres du roi à ses ministres (juillet-novembre 1808) 53. Il convient de lire le mémoire de l’Église de Berlin avec ce contexte en arrière-plan. En effet, l’autonomie et le sens des responsabilités revendiqués par les dirigeants de l’Église française étaient en cohérence avec le nouvel esprit, même si pour le roi il n’était pas question de l’élargir dans les mêmes formes à d’autres parties de l’État.

En ces temps troublés, déclarer son patriotisme indéfectible était une obligation54. Lors de l’occupation de Berlin par les Français (octobre 1806-décembre 1808), un des pasteurs les plus prestigieux de l’Église française, Jean Pierre Erman (1735-1814), avait eu l’occasion de faire la démonstration de son attachement à la maison de Hohenzollern. Napoléon ayant reçu l’un après l’autre les corps constitués de la ville, Erman, doyen des ecclésiastiques berlinois et parfaitement francophone, s’était entretenu une demi-heure avec l’Empereur, lui expliquant la composition religieuse du pays. La dignité avec laquelle il avait affirmé sa fidélité au roi de Prusse et défendu la reine à cette occasion lui valut ensuite l’admiration générale et la gratitude royale55. Cependant, les dirigeants de l’Église française, tout imprégnés qu’ils fussent de reconnaissance envers l’État prussien et de dévotion pour ses rois, ne perdaient jamais de vue ce qu’ils devaient à leur troupeau, qui les avait élus et devant lequel ils étaient responsables. Pendant l’occupation napoléonienne, quand l’État exsangue ordonna une collecte de l’argenterie privée et demanda à l’Église française de se défaire de ses quatre coupes en argent, celle-ci refusa nettement, les coupes servant pour la communion quatre fois par an, et ne réussit à fournir que quelques cuillers à soupe appartenant au séminaire de théologie56.

L’ordre du cabinet mettant fin au statut particulier de la Colonie française est daté du 30 octobre 180957. C’est un document du plus grand intérêt pour analyser la place de la Colonie au sein des réformes en cours. L’année 1808 avait été marquée par deux réformes capitales, la réforme municipale (19 novembre) et la réorganisation de l’État (24 novembre). Toutes deux impliquaient une remise en cause du statut de la Colonie française ; la première parce qu’elle autorisait des élections municipales, et que dans le nouvel esprit qu’on cherchait à promouvoir il ne pouvait plus y avoir de distinction entre un droit de bourgeoisie « français » ou allemand. À partir de 1808, la détention du droit de bourgeoisie permettait de voter aux élections municipales. Seuls participaient au vote les « bourgeois », qualifiés à acquérir le droit de bourgeoisie par des revenus d’au moins 150 thalers ou par la détention d’une propriété. Il s’agissait donc de l’élite sociale, représentant environ 10 % de la population de la ville58. Quant à la seconde réforme, celle des structures de l’État, elle entraînait la suppression des directions particulières de la Colonie et de l’Église françaises, le Grand directoire (ou Conseil français) et le Consistoire supérieur.

Dans l’ordre du cabinet du 30 octobre 1809, le roi affirme avec force son attachement aux nouveaux principes de l’État, mais tente de ménager la Colonie autant que faire se peut. À aucun moment il n’y est question de suppression pure et simple de la Colonie française ni de suppression des privilèges accordés par ses ancêtres. « Avec toute l’attention propre à [son] attitude bienveillante », le roi a mis la nouvelle constitution de l’État en regard du statut de la Colonie et défini ce qui devait changer et ce qui pouvait être conservé. Il annonce la suppression des administrations françaises au sein de l’État, Grand directoire et Consistoire supérieur, et le transfert de leurs attributions à divers ministères, ainsi que la suppression des tribunaux français, les tribunaux existants traitant désormais indifféremment des affaires de tous les sujets. Il n’y a plus de droit de bourgeoisie française, chaque ville ne connaît plus qu’une seule municipalité (Stadtgemeinde) et un seul droit civil (Bürgerrecht). « L’édit de 1685 accorda aux immigrants français des droits et des libertés égaux à ceux des autochtones ; dans un État qui les accueillit et les traita avec de tels sentiments, leurs descendants ne pourront et ne voudront pas être autre chose que des sujets prussiens » [§ 5].

Les privilèges religieux, eux, restent inchangés : élection des pasteurs et des anciens, libre choix des maîtres d’école59, libre gestion des fonds (mais avec un contrôle de l’État), droit de ne pas accueillir dans les institutions des « personnes étrangères à la Colonie », un terme dont le sens paraît fort vague dès lors que subsistent uniquement les institutions ecclésiastiques. Le terme semble désigner une communauté de personnes continuant d’exister malgré la suppression de sa « constitution », comme si les deux ensembles de l’Église et de la Colonie se recouvraient encore, ce qui n’est évidemment plus le cas en 180960. Au total, la lettre du cabinet du 30 octobre 1809 présente un double visage : fermeté sur les principes (suppression de toute administration civile et juridique « française ») en cohérence avec les réformes de l’État en cours, mais volonté de ménager la Colonie, avec son histoire si étroitement liée à la monarchie prussienne. Curieusement, le mot de « Colonie » apparaît plusieurs fois dans le texte pour évoquer la situation future, comme si en dépit des principes édictés on ne parvenait pas à extirper un usage aussi profondément enraciné. À la lecture de ce document, il n’apparaît pas tout-à-fait juste de parler de « suppression des privilèges » comme l’a souvent fait l’historiographie. Dans l’esprit du roi, il n’était pas touché aux privilèges accordés par l’édit de Potsdam de 1685 (liberté religieuse) ni par l’édit de 1709 (naturalisation à l’égal des sujets prussiens). Les colonies s’étaient certes implantées progressivement dès les premières années suivant l’édit de Potsdam61, mais le terme ne figurant pas formellement dans l’édit lui-même, l’ordre royal pouvait y toucher sans paraître supprimer ce que les « glorieux ancêtres » avaient accordé.

Deux réactions de notables « français » indiquent qu’ils comprirent parfaitement ce qui se jouait alors. Guillaume Lombard, ancien conseiller royal et l’un des directeurs de la Maison des orphelins, bien informé, envoie un courrier à ses collègues début novembre (alors que l’ordre n’est pas encore connu), dans lequel il expose de façon remarquablement synthétique la nature des mesures prises :

il est arrivé hier un ordre du cabinet qui décide sans retour du sort de la colonie. L’église sera incessamment instruite de son contenu. Je me borne à prévenir Mrs mes collègues qu’on nous laisse tout ce qu’on nous promit pour nous attirer dans le païs et qu’on nous retire tout ce qu’on nous a concédé depuis que nous y sommes62.

Quant au conseiller au Grand Directoire français de Gaultier, voici ce qu’il écrit à ses collègues, à la suite d’un ordre du ministre Hardenberg du 13 novembre 1811 (deux ans après l’ordre du cabinet) mettant fin aux fonctions de cette instance :

Il faut au surplus espérer que la Compagnie [du consistoire de Berlin] se rappèlera dans cette circonstance que le seul motif de l’émigration de nos pères fut la liberté de conscience ; et qu’ils firent à Dieu et à leur conscience le généreux sacrifice de tout ce qui peut rendre la vie douce, aisée et agréable, et que leurs descendans ont été payés de ces Sacrifices en trouvant dans le Brandebourg une nouvelle patrie, des Princes bienfaiteurs de leurs nouveaux sujets ; et plusieurs l’aisance, et même la richesse. Les articles a, b et d, doivent surtout calmer, à ce qu’il me paroit, les membres de la Compagnie les plus jaloux de leurs privilèges temporels63 ; et les personnes non prévenues64 trouveront, j’ose croire, dans l’article d toutes les dispositions de l’Édit de naturalisation du 13 Mai 1709 […]65.

Le mémoire présenté ici émane de l’Église française de Berlin, qui fut toujours jalouse de la préservation de ses droits. Grâce aux protocoles très bien tenus de « l’assemblée générale » de l’Église (c’est-à-dire du consistoire) 66, il est possible d’en reconstituer la genèse et d’en établir la date – ou plutôt les dates – d’envoi. En effet, ce mémoire semble avoir été adressé par trois fois à des membres du gouvernement, en français ou en allemand, entre fin décembre 1809 et août 1811.

Dès le début de l’année 1809, les conducteurs de l’Église de Berlin s’étaient inquiétés des effets des réformes en cours sur le statut de la Colonie et avaient accompli diverses démarches dans l’espoir de sauvegarder les privilèges. Ils s’étaient appuyés pour cela sur une assemblée de trente « chefs de famille » des cinq paroisses françaises de la ville. Cette assemblée fut très active tout au long des années de réforme, se réunissant jusqu’à deux fois par semaine et nommant des commissions devant rendre leur rapport sous huitaine. On peut donc considérer que les démarches entreprises par l’Église française reflètent, non certes l’esprit de tous ses membres, les sources manquant à ce sujet, mais au moins celui de son oligarchie sociale67. Dès janvier, à la demande de l’assemblée, un mémoire rédigé par le pasteur Ancillon68 était adressé au roi, dans l’espoir d’obtenir la conciliation de la « nouvelle organisation » avec le maintien des privilèges. Le roi répondit en février, faisant appel au civisme dont devait faire preuve « tout bon citoyen » dans les circonstances présentes69. En mars et avril, le consistoire délibéra à diverses reprises sur ces questions, puis les actes sont silencieux jusqu’en octobre. Vers la fin du mois, la visite d’un certain conseiller Nolte, envoyé par le gouvernement régional (« la Régence ») inspecter les écoles, avait suscité l’émoi et l’indignation du consistoire et des directeurs d’institutions, tant était grand l’attachement à l’indépendance de l’Église en matière d’enseignement.

La cour résidait encore à Königsberg. Le ministre de l’Intérieur, comte de Dohna70, était alors à la cour, loin de Berlin. Le Grand Chancelier Beyme, en revanche, se trouvait dans la résidence71. On chercha donc sa protection, il accueillit une délégation avec bienveillance début novembre et on envisagea de rédiger un mémoire à son attention. Une commission fut nommée à cet effet. C’est seulement alors – le 12 novembre – que les instances de l’Église prirent connaissance de l’ordre du cabinet royal daté du 30 octobre. On lit au protocole de l’assemblée générale, daté du 1372 :

La Commission chargée de préparer un Mémoire pour le cas de suppression des autorités de la Colonie, a pris hier connoissance d’une résolution immédiate du Roi en date du 30. Oct : par laquelle le sort de la Colonie est decidé, et dont le resultat principal est, qu’elle ne conservera que les privilèges fondamentaux consignés dans l’edit de Potsdam du 29. Octobre 1685. La Commission a commencé à travailler d’après cette résolution, et a proposé de convoquer les 30 chefs de famille pour la leur communiquer ; ils seront appelés pour Jeudi prochain à 10 heures du matin et la Compagnie sera convoquée.

Lors de cette assemblée du jeudi 16 novembre, on reconnaît « la necessité de se soumettre à la volonté expresse du Souverain » et on approuve la nomination par le consistoire d’un comité chargé « d’examiner les nouveaux rapports auxquels nous serons soumis » 73. Le comité travaille promptement, puisqu’il demande une assemblée qui a lieu dès le mercredi 22 novembre pour présenter le texte. Une seconde assemblée a lieu le vendredi pour en achever l’examen. Il est convenu d’adresser au roi une lettre de remerciements et de soumission à ses volontés, avec l’espoir d’être « traités favorablement » dans l’application du texte. Il est en outre décidé de rédiger un mémoire au Grand Chancelier Beyme en langue allemande, et on en charge le pasteur Ancillon. Ce « mémoire allemand », une fois approuvé par le consistoire, est remis au chancelier par une délégation (« députation ») de trois personnes autour de noël 1809, accompagné d’un exemplaire des règlements de la Compagnie74. La délégation informe le ministre de l’intention de l’Église de remettre également le mémoire au comte de Dohna, ministre de l’Intérieur, en français cette fois, lorsqu’il sera de retour à Berlin. Beyme approuve et prodigue ses conseils. « Comme le mémoire a déjà été traduit », ce projet paraît d’exécution facile, et on charge le pasteur Ancillon de rédiger une lettre d’accompagnement75.

Le roi et la cour reviennent à Berlin juste avant noël 1809. Début janvier 1810, le mémoire en langue française est porté à Dohna par une « députation de trois personnes, le pasteur Henry, Mr Nouvel, receveur (trésorier), et le secrétaire de la Compagnie » et le secrétaire commente : « S. E. nous a très bien reçu [sic], et a paru du mieux disposé en notre faveur » 76. C’est la version française de ce mémoire qui est conservée dans le fonds 77, 83 des archives de Berlin-Dahlem. Il comporte vingt-six pages manuscrites ; il s’agit visiblement d’une copie, car il ne comporte ni en-tête, ni signature ni indication de réception et les formes requises pour un texte adressé à un ministre en sont absentes. Examinons-en brièvement le contenu.

Diplomatiquement, les auteurs du mémoire commencent par minimiser l’impact de l’ordre sur les privilèges, et expriment leur soumission à la volonté royale. Mais dès le troisième paragraphe, ils expriment leurs regrets et leurs craintes ; ce n’est plus dès lors le ton de sujets soumis, mais celui des conducteurs d’une institution séculaire dont ils veulent préserver la nature et l’unité.

Le mémoire est divisé en deux parties d’inégale importance, dénotant la parfaite conscience qu’a l’Église française de sa place dans l’État prussien. Le consistoire de l’Église française, y lit-on, peut être considéré sous un « double point de vue ». D’un côté il est « un corps ecclésiastique, subordonné aux autorités suprêmes », une partie intégrante de l’État, obéissant aux ordres et aux instructions de sa hiérarchie dont il attend en retour aide et protection. De l’autre, il est « un corps représentatif de la commune & en rapport immédiat avec elle ». Les rédacteurs affirment tout d’abord hautement leur patriotisme et leur amour des rois et se disent prêts aux sacrifices rendus nécessaires par « la nouvelle organisation » (tout en les déplorant). Mais, par des formulations habiles, ils tentent de préserver ce qui peut l’être. Ils expriment par exemple l’espoir d’être protégés « dans l’exercice des droits [que le roi] a daigné nous laisser, ou qu’Il ne nous a pas formellement otés ». Et ils espèrent que ces droits seront défendus, si besoin est, au sein de la section du culte du ministère de l’Intérieur par ses membres issus de l’Église française, qui inciteront la section à prendre « fait et cause pour nous ». Cette sorte de « lobbying » espéré au sein de la section du culte est bien loin du nouvel esprit d’unité nationale que la réforme cherche à susciter…77

D’autre part – et cette seconde partie est nettement plus longue que la première –, le consistoire se considère comme « le représentant d’une société particulière », avec ses règles, ses traditions et son mode de fonctionnement bien établis, et estime n’avoir à rendre de comptes qu’à elle, du moins en ce qui concerne sa gestion financière et le gouvernement de ses écoles, deux points sur lesquels il ne transige pas. Bien loin de la soumission affichée au début du mémoire (et qu’on retrouve, comme il se doit, dans la conclusion), il se pose en défenseur d’une cause, en lutte contre un ennemi prêt à empiéter sur son territoire, employant un vocabulaire quasi-guerrier, regrettant de trouver dans le texte royal une « expression […] quelque peu menaçante » qui pourrait devenir « souverainement dangereuse pour nous, si on l’interprète en notre défaveur » même si elle paraît « peu redoutable », l’ennemi à affronter n’étant autre que l’État prussien. Tout en rendant à César ce qui est à César, le consistoire tiendra bon sur ce qui lui semble relever de la nature profonde de l’Église réformée française et de sa responsabilité vis-à-vis de ses membres.

Il faudra attendre encore deux ans, riches en rebondissements, pour que le mémoire produise, du moins en partie, l’effet escompté. En juin 1810, le prince de Hardenberg est nommé chancelier d’État. Un mémoire lui est adressé par la compagnie, auquel on joint « les pièces nécessaires » 78. Mais pendant un an, rien ne se passe. En mai 1811, la compagnie apprend que les ministres se sont partagé « la décision des différentes parties de notre mémoire général ». En juillet un mémoire est adressé au conseiller Sack79 pour lui exposer les inconvénients du traitement séparé des différents articles80. Le souci de maintenir l’unité et la cohérence du gouvernement de l’Église est central dans les démarches entreprises. D’août 1811 à janvier 1812, les efforts de la compagnie portent sur des actions envers deux ministères, celui du culte, où ont été nommés le conseiller de Lancizolle et le pasteur Ancillon, et celui de la justice, où l’on essaie d’obtenir des « juges de paix » ou « juges arbitres » prononçant dans les conflits pouvant se résoudre à l’amiable entre membres de la Colonie (qui n’a plus d’existence légale), comme l’ordre du cabinet du 30 octobre 1809 le promettait. En août, une copie du « mémoire général » (celui publié ici) est adressée au département du culte accompagné des règlements et assortie de la remarque « que la communication du mémoire entier nous a parue d’autant plus nécessaire, que notre constitution entière est tellement liée que le tout ne peut qu’intéresser le département, & que s’il y a des explications à fournir, la compagnie a nommé des députés dans la personne du modérateur & du secrétaire. » 81

En octobre 1811, le ministre de la justice ayant opposé une fin de non recevoir à la demande de juges de paix, on décide de présenter une requête au roi, avec une copie au Grand Chandelier, qu’on envisage de lui remettre en mains propres par une « députation ». La requête est rédigée mi-novembre et approuvée et signée par la compagnie le 15. Elle est remise au roi fin novembre ou début décembre 1811. Le roi demande un rapport au conseiller Sack82.

Hardenberg, à qui l’on a l’intention de remettre la même requête, n’a pas pour les représentants de l’Église française les mêmes égards que ses prédécesseurs. En novembre 1811, une « députation » échoue par deux fois à être reçue chez le Grand Chancelier lors des audiences du jeudi et n’est reçue qu’à la troisième tentative. Celui-ci réitère avec fermeté, dans sa réponse à la délégation, le principe que la Colonie « ne doit plus avoir d’existence civile séparée » ; quant aux juges de paix, le protocole de l’assemblée générale porte : « cet établissement présentant des difficultés que nous avons nous-mêmes reconnues, S. E. suppose que nous n’insisterons pas ». Courant décembre, la compagnie du consistoire reçoit un rescrit du Conseil français (Grand Directoire) daté du 2, l’informant de sa suppression, qui lui a été signifiée mi-novembre par une note de Hardenberg83.

C’est le 7 février 1812 que la compagnie reçoit la réponse royale, datée du 3, à sa requête de novembre 1811. Ce texte répond entièrement aux vœux de l’Église. Le roi reconnaît à l’Église française de Berlin sa complète autonomie dans la gestion de ses comptes et leur reddition uniquement aux membres de l’Église selon les procédures ayant eu cours jusqu’alors. Sauvant les apparences, il souhaite que l’Église ne se refuse pas au contrôle a posteriori de l’État, désormais de pure forme84. On organise immédiatement une convocation extraordinaire de la Compagnie pour lui faire part de cette « précieuse lettre ». « L’assemblée pénétrée de la plus vive reconnoissance de la grace signalée que S. M. vient de nous accorder, a voté d’une voix unanime une adresse de remerciement au Roi ». On remercie aussi Mr Jouffroy, qui avait porté la requête, et surtout le conseiller d’État Ancillon, « à qui l’église est redevable du succès de la démarche de la compagnie ». Le 28 février, Jouffroy rapporte « qu’ayant remis au Roi la lettre de remerciement de la compagnie, Sa Majesté a daigné répliquer qu’Elle était charmée d’avoir pu donner à la colonie [!] une marque de Son estime et de Sa bienveillance, & y avait été d’autant plus disposée, que sa demande Lui avait parue juste & équitable » 85.

Voici, dans sa version française, le mémoire rédigé par le pasteur Ancillon à la demande et sous le contrôle de l’Église française de Berlin. On appréciera la qualité de la langue française de ce texte. Tout juste constate-t-on ici ou là une tournure maladroite ou l’orthographe incorrecte d’un mot, parfois quelques expressions vieillies, qui ont été maintenues. L’orthographe d’origine a été conservée.

A Son Excellence Monsieur le Comte de Dohna, Ministre de l’intérieur, etc. 86

Très humble Mémoire.

La lettre du Cabinet que Sa Majesté a adressée le 30. Octobre dernier à la Colonie françoise contient la base de la constitution dont elle doit jouïr depuis que la nouvelle organisation a rendu des changemens nécessaires. Quelques-uns des avantages que nous possédions nous sont otés, la plûpart nous ont été laissés & confirmés expressément par la déclaration royale.

Nous avons médité attentivement cette déclaration, & comparé la nouvelle forme à l’ancienne, afin de nous assurer des modifications apportées à celle-ci & de juger de l’influence, tant de ce qui nous reste sur ce que nous avons perdu, que ce de que nous avons perdu sur ce qui nous reste.

Nous ne pouvons que regretter de voir altérée dans plus d’une de ses parties essentielles une constitution, que nous avions héritée de nos pères, qui nous unissoit par un lien commun avec les autres églises françoises du païs, & qui avoit fait régner parmi nous la concorde, la paix & la fraternité ; mais nous faisons volontiers aux circonstances le sacrifice qu’elles exigent & nous soumettons sans repliques à la volonté du meilleur des Rois, convaincus que l’idée du bien général a seule pu Le porter à demander ce sacrifice à des sujets fidèles, qu’Il conservera toujours pour nous ses sentiments paternels, nous maintiendra invariablement & nous protégera dans l’exercice des droits qu’Il a daigné nous laisser, ou qu’Il ne nous a pas formellement otés, & nous permettra de continuer à jouïr de tous les avantages compatibles avec le nouvel ordre de choses.

Il est cependant très essentiel pour nous, d’un côté, d’être assurés que nous avons bien saisi l’esprit de la lettre du cabinet, & en avons appliqué le contenu à tous les objets auxquels elle se rapporte, & de l’autre, d’avoir sur quelques points, laissés dans le vague, quelque chose de plus déterminé & de plus positif. Ce double intérêt nous fait recourir à Son Excellence Monsieur le Comte de Dohna, Ministre de l’intérieur, avec la très humble prière de fixer nos incertitudes.

Le Consistoire ordinaire françois, composé des pasteurs élus par l’église & des anciens choisis dans son sein & confirmé par elle, peut être considéré sous un double point de vue : C’est d’abord un corps ecclésiastique, subordonné aux autorités suprêmes ; c’est ensuite un corps représentatif de la commune & en rapport immédiat avec elle. Ce Mémoire va présenter cette Compagnie sous ces deux faces, & se divise naturellement en autant de parties.

Première partie

C’est ce premier rapport du Consistoire, comme compagnie ecclésiastique, qui est proprement seul changé par les nouvelles dispositions de la lettre du Cabinet. Jusqu’ici nos Supérieurs ont été le Consistoire Supérieur & le Grand Directoire françois, desquels émanoient les instructions & les ordres relatifs à notre église.

La Députation de la Régence de la Marche électorale & la Section du Culte & de l’instruction publique, dans lesquelles, suivant la déclaration royale, doivent entrer des membres de l’église françoise, ont pris la place des deux anciennes autorités supprimées.

Nous supposons que les fonctions du Consistoire Supérieur aboli passeront principalement à la Régence, & qu’ainsi

a) Ce sera de la Députation qu’émaneront dans la suite toutes les publications ordonnées pour être lues en chaire, soit qu’elles concernent la famille royale ou des ordonnances du Souverain ;

b) Elle nous transmettra tous les réglemens relatifs au culte ; auquel nous n’oserons rien changer qu’avec son agrément ;

c) Elle concourra, en la manière prescrite jusqu’ici pour notre église, dans les élections des pasteurs, & comme elle a la surveillance suprême sur les ecclésiastiques, ce sera à elle qu’il faudra faire rapport, s’il arrive que l’un d’eux manque à son devoir ;

d) Elle concourra également à l’élection du Ministre catéchiste, prescrira l’examen des jeunes théologiens requis pour chacun des degrés de proposant, de candidat & de pasteur, recevra nos rapports du résultat & décrétera en conséquence87 ;

e) Le Consistoire Supérieur s’en remettoit à nous de la surveillance des écoles, & se contentoit de nous protéger dans son exercice : Nous attendons la même chose de la Députation ;

f) Les affaires matrimoniales la regarderont, autant que l’autorité supérieure est appelée à y prendre part, comme, par exemple, dans les cas où les parties desirent dispense d’une ou de plusieurs annonces88 ;

g) Le Séminaire de théologie & la pépinière des chantres & maitres d’école, établis avec permission du Consistoire Supérieur, entreront avec la Députation dans les mêmes rapports qu’avec lui.

2.

La section du culte & de l’instruction publique s’étant réservé les affaires générales, nous avons lieu d’espérer que celles qui nous concernent seront spécialement renvoyées aux membres françois de la Section, & que nous pourrons recourir à eux pour toute affaire générale qui jusqu’à présent a été du ressort du Département françois ; par conséquent

a) Si les avantages que la lettre du Cabinet nous assure sont menacés, ou qu’on attaque les droits que la nouvelle organisation nous confère, nous nous flattons que ce sera aux membres de notre église, fesant partie de la Section, à l’inviter à nous protéger, & que celle-ci daignera prendre fait & cause pour nous ;

b) Ils auroient à veiller soigneusement au maintien des règles ecclésiastiques de la discipline des églises réformées de France, qui détermine les usages, les formes & l’esprit de nos institutions religieuses, & qui nous est garantie par l’édit de Potsdam ;

c) En cas de différends entre notre église & les autres, le jugement doit, ce nous semble, en appartenir à la Section ;

d) Ce sera à elle, comme autrefois au Consistoire Supérieur, que nous demanderons la permission de convoquer les chefs de famille, lorsque leur réunion sera nécessaire.

3.

Il existoit des rapports entre le Consistoire et les Justices des colonies, & la dépendance où il étoit d’elles ne consistoit qu’en ce qu’il étoit, comme personne morale, soumis à sa [sic] juridiction dans les mêmes cas où les membres de la colonie l’étoient dans leurs affaires litigieuses. Ces Justices seront remplacées, pour le Consistoire, par celles auxquelles passeront les membres de la colonie, & par les arbitres que Sa Majesté nous a accordés89, lorsqu’il aura été déterminé comment ils seront élus, en quel nombre ils seront, quelles seront leurs fonctions & leurs attributions. Il seroit à souhaiter qu’on leur abandonnat de prononcer sommairement & sans formalités aucune chaque fois qu’il s’agira d’un objet pressant.

Le Consistoire s’adressoit à la Justice françoise

a) pour le consentement à donner au mariage des mineurs ;

b) elle expédioit les certificats de réglement de succession pour les veufs ou veuves convolant à de secondes noces, & dont, sans ce certificat, les annonces ne pouvoient être publiées ;

c) elle recevoit le serment des parties, lorsqu’elles étoient admises par le Consistoire Supérieur à le prêter pour suppléer à l’impossibilité de publier les bans dans leur domicile précédent ;

d) elle requéroit le ministère du Consistoire pour tenter la voie de réconciliation dans les cas de divorce ;

e) elle accordoit permission de recueillir à l’hôpital des sujets aliénés, que leurs parents souhaitoient d’y transporter ;

f) elle expédioit les permissions d’enterrer les suicides ;

g) elle prétoit main forte au Consistoire contre les mauvais sujets d’entre les pauvres, & réprimoit leurs déportemens ;

h) elle recevoit les contrats qui se passoient pour cause d’admission à l’hôpital, entre le Consistoire & des personnes aveugles ou en démence ;

i) elle régloit la succession des pauvres à l’assistance, quand la succession se partageoit entre le Consistoire & leurs enfans mineurs90.

Son ministère, quant aux trois derniers articles, étoit entièrement gratuit, comme il l’étoit aussi pour la prisée des successions des pauvres, la vente de leur délaissé ou d’autres objets appartenans au Consistoire, & l’assermentation des officiers d’église.

Telles étant les relations du Consistoire, comme société ecclésiastique, avec les autorités supérieures, & comme personne morale, avec la Justice ; et les nouveaux Départemens prenant nécessairement pour lui la place des anciens, le seul souhait que nous ayons à former, c’est que les attributions des nouvelles autorités à notre égard soient exactement déterminées, & qu’elles, aussi bien que la Justice qui prendra la place de la Françoise, traitent le Consistoire comme il l’a été jusqu’à présent.

Seconde partie

Le second point de vue sous lequel le Consistoire françois de Berlin peut être envisagé est celui-ci. Le Consistoire est le représentant d’une Société religieuse particulière, dont il a le gouvernement spirituel. Il est en même tems le représentant de cette commune, entant qu’il administre les fonds qu’elle destine à un usage déterminé, & qu’il lui en rend compte.

Sous ce rapport il paroit au premier coup d’œil que ce corps ne doive subir aucun changement, & qu’il ne doive rien perdre de ses attributions ; car

a) La lettre du Cabinet confirme toutes les graces accordées aux colonies par l’édit de Potsdam du 29. Octobre 1685., savoir, l’entretien des Ministres du culte aux frais du Souverain, la liberté de célébrer ce culte avec les cérémonies & les pratiques usitées en France, et le droit de se servir, dans l’exercice de leur religion, de la langue de leurs ancêtres ;

b) La lettre du Cabinet nous accorde, ou plutôt nous confirme de la manière la plus positive le privilège de former une société religieuse particulière, d’élire nos pasteurs, nos anciens & nos maitres d’école, et d’avoir un Collège en particulier ;

c) Elle nous donne l’assurance que nous continuerons de gérer nos capitaux & les aumones destinées à l’entretien des pauvres, comme par le passé, et de diriger suivant nos lumières les instituts que nous destinons à soulager l’indigence, à recueillir les vieillards & à l’éducation de la jeunesse.

Toutes ces graces méritent la plus vive & plus intime gratitude ; aussi les ressentons-nous avec des cœurs pénétrés de reconnoissance. Mais ces concessions gracieuses manqueroient leur but & changeroient en quelque sorte de nature, si elles ne recevoient pas une détermination plus expresse, & si ce que le texte de la charte laisse dans le vague et les développemens dont elle est susceptible ne devoient pas être précisés, prononcés & fixés invariablement. En fait de droits, le vague ouvre la porte à l’arbitraire, que les loix sont destinées à écarter ; il en résulte une possession incertaine & précaire, & ce n’est qu’avec inquiétude qu’on jouït des faveurs obtenues.

Nous croyons donc pouvoir poser les trois principes suivans, comme devant etre les fondemens de notre existence nouvelle, & notre souhait le plus ardent est que Sa Majesté & Ses Ministres les agréent et les sanctionnent, & ouvrent ainsi à notre activité une carrière également sûre, paisible & heureuse.

Premier principe

Tous les édits, que les glorieux Ancêtres de Sa Majesté ont promulgués à notre sujet, par une conséquence de l’édit de Potsdam, base première de notre existence civile et religieuse, restent en vigueur, autant qu’il n’y a pas été formellement dérogé par la lettre du Cabinet du 30. Octobre : ils continuent d’être la règle qu’auront à suivre, par rapport à nous, les nouvelles autorités, & celle que nous suivrons nous-mêmes dans nos opérations. Les ordonnances postérieures à l’édit de Potsdam n’ont fait qu’en fixer la teneur ; elles l’ont modifié, étendu, restreint, elles en sont la paraphrase & le complément. Tout ce que ces diverses ordonnances ont statué, a été admis comme loi dans le recueil des Règlemens pour la Compagnie du Consistoire 91. Ces Règlemens, l’ouvrage d’un Comité de chefs de famille, acceptée92 par la commune entière & honorée de l’approbation du Souverain, présentent un tableau complet de notre constitution ecclésiastique & nous ont toujours servi de guide & de précepte dans notre administration. Nous espérons donc que l’autorité suprême consentira que nous continuions d’être gouvernés d’après ces édits & ces règlemens, & que nous-mêmes nous les prenions pour la règle constante de nos opérations. La nouvelle législation a changé les organes qui nous transmettoient la volonté du Souverain, & appliquoient les ordonnances subsistantes aux cas qui se présentoient, mais les ordonnances mêmes n’ont été ni révoquées, ni altérées : nous en concluons que nous oserons exercer nos droits d’après ces mêmes loix, remplir nos devoirs d’après leur teneur, & continuer nos relations avec les autorités supérieures conformément aux mêmes règles.

Second principe

L’édit de Potsdam, reconnu formellement comme la base de notre existence, nous garantit l’exercice de la religion & du culte réformé, tels qu’il avoit eu lieu dans les églises de France ; en même tems il nous accorde de pouvoir nous servir de la langue françoise pour nos actes religieux. Or les usages & les pratiques de l’église réformée de France ne se trouvent consignés et avoués que dans le recueil qui a pour titre : discipline des églises réformées de France, ou plutôt le premier de tous les usages de notre église a été l’observation stricte & scrupuleuse de cette discipline, et une soumission parfaite à tout ce qu’elle prescrit. Nous pouvons donc déduire de là que cette discipline doit nous rester, autant qu’il n’y a pas été expressement dérogé par des édits subséquents, & que notre Consistoire, en qualité de corps ecclésiastique, continuera à y puiser ses droits & ses devoirs.

Au premier rang de ces droits & de ces obligations doit se placer la surveillance des écoles. Si nous ne devions pas la conserver sur le pié où nous l’avons jusqu’ici exercée, si nos rapports avec nos écoles & notre collège ne devoient pas demeurer intacts, si nous n’avions plus à régler l’objet, la nature & la forme de l’instruction, nous perdrions tous les avantages que l’édit de Potsdam nous accorde relativement à nos usages religieux & à l’emploi de la langue françoise, ou du moins ces prérogatives se réduiroient à très peu de chose ; car comment veiller sans cela à la conservation de la pureté de la doctrine chrétienne, telle que notre église l’admet & la professe ? comment empêcher que volontairement ou involontairement elle ne s’altère peu à peu ? comment maintenir la connoissance & l’usage de la langue françoise ? Et si la langue se perdoit, que deviendroit le droit de célébrer le culte en françois ? nos enfans pourroient-ils encore s’éclairer & s’édifier dans nos temples, y former leurs mœurs, & devenir un jour des chrétiens instruits et des citoyens utiles ? Tout en espérant & en souhaitant de rester dans nos anciens rapports avec nos écoles, nous ne nous dissimulons cependant pas que, soit la Députation de la Régence, soit la Section du culte & de l’instruction publique, suivant que l’une ou l’autre sera chargée des fonctions du Consistoire Supérieur, ne puissent & ne doivent avoir le droit de prendre connoissance de nos écoles & de les visiter, pour s’assurer que nous nous acquittons de nos devoirs, pour nous donner des instructions & des ordres sur les objets généraux ; nous nous soumettrons même à leur laisser déterminer, si elles le jugent nécessaire, le nombre d’autorisations que nous pourrons accorder93, & à demander leur sanction pour celles que nous aurons expédiées. Cette intervention des autorités supérieures est très compatible avec les pouvoirs dont nous avons été jusqu’à présent revêtus ; seulement dans le cas où nos autorisations auroient besoin d’être confirmées, nous permettrions-nous de demander que cette confirmation eut lieu aussi gratuitement que l’expédition l’a eu de notre part.

Troisième principe

Nous regardons ce dernier principe comme le fondement principal de notre existence en qualité d’église & de commune, et à lui sont liés indissolublement le bien de nos pauvres & la prospérité de nos instituts ; en sorte que tout ce que notre constitution a de cher & de précieux pour nous, repose sur ce principe, & tomberoit s’il étoit renversé.

Ce principe donc, dont nous réclamons vivement & instamment le maintien & que nous supplions respectueusement l’Autorité Suprême de proclamer hautement, c’est celui de notre indépendance entiere & absolue dans l’administration de nos fonds, l’application de nos revenus & de nos aumônes et la direction de nos fondations pieuses, sans en être comptables à d’autres qu’aux chefs de famille qui nous ont établis.

A la vérité, la lettre du Cabinet porte expressement que nous administrerons librement nos fonds, mais elle ajoute cependant que cette administration sera soumise à la surveillance générale de l’état.

Quelque indifférente que puisse être cette expression & quelque peu menaçante qu’elle paroisse pour notre libre gestion, elle peut devenir importante & souverainement dangereuse pour nous, si on l’interprète en notre défaveur, puisque les termes en sont vagues, & ne déterminent ni la nature, ni le genre, ni l’objet de la surveillance. Mais quand même cette surveillance seroit tout à fait générale & par conséquent peu redoutable, nous serions obligés de supplier très humblement Sa Majesté & d’insister vivement pour que notre gestion soit laissée aussi libre & aussi indépendante qu’elle l’a toujours été, et qu’elle ne soit entravée d’aucune manière & sous aucun rapport.

Les motifs impérieux qui nous dictent cette demande sont les suivans, & nous osons nous flatter qu’en se plaçant dans le vrai point de vue, sous lequel se présente à nous cet article important, on reconnoitra la justice de nos demandes :

a) Il semble juste & naturel d’abandonner à la gestion pure & simple de la commune, à laquelle il appartient, et de n’assujetir à aucune inspection quelconque un fonds qui n’appartient point à l’état, qui ne procède point de lui, & qui, propriété exclusive d’une société particulière, a été formé, est entretenu & consacré par elle à une destination publique irrévocable en faveur de ses membres nécessiteux. Il en est d’un fonds de cet ordre à peu près comme du bien d’un particulier, & la personne morale qui le gère, doit avoir la même liberté d’en disposer, que le particulier de sa propriété. La chose est surtout naturelle, lorsque la Société s’est, pour ce fonds & l’emploi du revenu, prescrit à elle-même des règles, rendues publiques par la voie de l’impression, & qui apprennent à ses membres, aussi bien qu’à tout l’état, l’esprit de l’administration & la marche de ses opérations.

b) Aussi l’église françoise de Berlin a-t-elle, depuis son origine, jouï à cet égard de la liberté la plus illimitée : les autres églises françoises établies dans les provinces avoient à la vérité également leur Consistoire, composé de pasteurs & d’anciens ; elles disposoient aussi de leurs aumônes à leur gré & d’après leurs lumières et les circonstances, mais elles rendoient annuellement leurs comptes au Consistoire Supérieur qui de tems à autre donnoit lieu à des visites. La même chose s’observera vraisemblablement envers elles de la part des nouvelles autorités. Mais l’église de Berlin a toujours jouï sur ce point d’une exception aussi avantageuse qu’honorable pour elle, exception fondée sur les caractères qui la distinguoient de ses Sœurs.

En effet, une commune aussi nombreuse que la nôtre, qui compte parmi ses membres des personnes aussi éclairées que capables, qui est représentée par un Consistoire de soixante personnes qu’elle a choisies & tirées de son sein, qui s’est imposée [sic] à elle-même des règles approuvées par le Souverain, une semblable commune peut sans inconvénient exercer des pouvoirs, qui ne sauroient être laissés sans contrôle entre les mains de communes faibles, éloignées du centre de l’autorité & régies par un ou deux pasteurs et quelques anciens en petit nombre, souvent peu instruits & sans expérience : leur indépendance entière pourroit tourner à leur propre détriment. Cette distinction frappante ne manqua pas d’être saisie avec sa sagacité ordinaire par le Grand Frédéric, et Le porta à confirmer & à consolider notre indépendance, à l’occasion de la tentative que fit le Consistoire Supérieur en 1773 dans la vue de le restreindre & de nous mettre sous sa surveillance, qui, selon lui, se réduiroit pour nous à une simple formalité & ne laisseroit pas d’établir de l’uniformité dans le gouvernement des églises françoises. Le Consistoire de Berlin résista à cette prétention, se fondant sur une longue prescription et sur l’inutilité & le danger de cette innovation. Le Consistoire Supérieur, jaloux de soutenir ce qu’il appeloit ses droits, surprit au Roi, peu instruit des circonstances, un ordre formel pour le Consistoire ordinaire, de rendre dorénavant ses comptes au Consistoire Supérieur ; mais le premier, effrayé des suites qu’auroit son obéissance, eut le courage de présenter au Roi un Mémoire, qui éclaira ce grand Prince sur la justice de nos droits. Sa Majesté eut la magnanimité de retirer Son premier ordre, daigna nous renouvéler, dans la lettre du Cabinet ci-jointe en copie94, l’assurance de la conservation de notre independance, et défendit au Consistoire Supérieur de plus nous inquiéter.

Les mêmes considérations qui engagèrent le Roi Frédéric II. à nous laisser entièrement libres, sans autre responsabilité qu’à la commune, porteront, nous osons nous en flatter, Son auguste arrière-neveu, Notre bien-aimé Souverain, à nous continuer dans une possession dont nous n’avons jamais abusé.

c) Ce ne fut pas seulement la conviction de la justice de nos réclamations, & les égards du Roi pour une longue et paisible jouïssance de notre immunité, qui nous obtinrent alors le décret susmentionné ; il n’échappa pas non plus à la pénétration de Sa Majesté, combien peu l’abus de notre liberté étoit à craindre, attendu que la dispensation de nos aumônes n’étoit point abandonnée à des mesures arbitraires, mais étoit soumise à des loix fixes, destinées à en assurer l’application la plus scrupuleuse. Ces loix sont tellement claires & précises, qu’elles comprennent tous les cas possibles, écartent tout ce qui pourroit résulter de l’ignorance des vrais besoins & de la situation des pauvres, toute précipitation & toute partialité dans les délibérations, toute influence de l’esprit et des relations de famille, toute prétention de l’un ou l’autre des membres, toute disposition peu réfléchie dans l’emploi des capitaux, la profusion aussi bien que la parcimonie dans la dispensation des secours, le désordre dans les comptes & la dilapidation des fonds à des usages différens ou au profit des administrateurs, en un mot ces loix sont calculées de manière à prévenir tout ce qui pourroit altérer ou affoiblir les vues & l’intégrité de ceux qui gèrent, et la confiance pleine & entière de leurs commettans, & tout ce qui pourroit porter atteinte au véritable bien des pauvres & à la prospérité des établissemens pieux.

Pour démontrer la vérité de ces allégués, il faudroit copier le volume entier de nos réglemens, dont nous joignons un exemplaire au présent Mémoire ; ils sont le fruit de l’expérience de près d’un siècle et demi de la sagesse de nos ancêtres.

Si les Ministres de Sa Majesté pouvoient dérober quelques instans à Leurs occupations importantes & les donner à une lecture même superficielle de ce Code, Ils y trouveroient la preuve de ce que nous osons avancer ici. Toute autre responsabilité deviendroit superflue & n’auroit aucun but dans une commune qui a donné la plus grande publicité à ses loix, qui a soixante représentans, liés par des règlemens qui leur tracent leurs devoirs, dans une commune qui élit ou confirme elle-même ses délégués & [ceux] du Consistoire, de laquelle il sort annuellement une partie des membres, pour faire place à d’autres, en sorte qu’au bout de six années presque tous les membres en ont été renouvelés, aux pasteurs près qui sont inamovibles ; dans une commune où les comptes sont examinés tous les ans par une commission expresse, chargée de les revoir pour le fond & pour la forme, passent ensuite à l’examen de trois chefs de famille non membres du Consistoire, & enfin sont rendus publiquement au jour indiqué du haut de la chaire, en présence de tous les membres de l’église qui jugent à propos de se trouver à l’invitation, pour qu’il leur soit rendu compte par le Consistoire de la gestion de l’année écoulée, & pour donner décharge aux rendans-compte des diverses branches de l’administration. Certes, une Société, qui offre une constitution pareille, peut, sans risque pour elle-même & pour l’état, être abandonnée à elle-même, la surveillance qu’on lui donneroit seroit souverainement superflue, & l’y soumettre, uniquement pour l’amour de l’uniformité, seroit sacrifier la réalité à la forme.

d) Mais une surveillance nouvelle ne seroit pas seulement superflue, elle porteroit un préjudice majeur à nos intérêts & par conséquent au bien général ; car d’abord l’intervention d’une autorité étrangère dans nos affaires pécuniaires, fut-elle même très générale, nous feroit perdre la confiance des membres de l’église. La confiance se commande aussi peu que tous les autres sentimens, et ni loi ni ordonnance ne la font naitre où elle n’existe pas par elle-même ; l’opinion seule la produit & elle dérive de la conviction que les agens et les moyens ont ce qu’il faut pour atteindre au but qu’on se propose. Les descendans de réfugiés ont toujours eu la persuasion, & l’ont encore, que leur constitution leur assure & à leurs enfans la propriété certaine de leurs fonds, & une application raisonnable, éclairée & désintéressée de leurs charités. Partant de là, ils se sont plû à fonder par leurs legs testamentaires le capital de l’église, & à fournir par leurs aumônes considérables aux besoins de la caisse courante, qui sans elles ne pourroit alimenter nos établissemens.

Dès que notre gestion sera restreinte ou gênée, dès que nos chefs de famille apprendront que le Consistoire n’est plus comptable à eux seuls, leur confiance diminuera & s’éteindra peu à peu ; une seule et la plus légère atteinte au privilège, dont ils jouissent, les effarouchera, leur en fera craindre d’autres plus considérables, la peur leur grossira le danger, et cette crainte, fondée ou non fondée, s’exagérant le mal ou non, l’effet sera le même. L’opinion est une fleur délicate, qui ne croit que sous l’ombre de la liberté ; capricieuse même quelquefois, il est difficile de la diriger, de la changer, impossible de la maitriser, et cependant l’opinion publique seule inspire la confiance dans toutes les administrations, & surtout celles de ce genre [en] ont besoin pour affermir leur crédit. Du moment où la nôtre aura perdu le sien, les legs deviendront rares et mesquins et cesseront tout à fait, les recettes courantes diminueront & s’éteindront presque en entier, les capitaux se fondront bientôt & s’éclipsant par une progression effrayante, la ruine entière de nos fondations charitables sera la suite déplorable d’une mesure, qui d’ailleurs n’est commandée par aucun besoin.

Après cela, ne devons-nous pas appréhender que l’esprit de charité, qui a porté & qui porte encore de si beaux fruits dans notre église, ne s’affaiblisse & ne se perde même entièrement, si notre administration ne conserve pas en entier son antique indépendance ? Cet esprit, qui non seulement fournit les sources nécessaires pour l’entretien des pauvres, mais qui les fait administrer volontairement, gratuitement, & fait qu’on sacrifie gaîment son tems, ses forces, son intérêt, ses affaires, ses plaisirs même, au soulagement de ses semblables, il n’y a que la liberté qui puisse le produire ; elle seule est l’ame des administrations de cet ordre, elle seule les fait fructifier. L’homme ne s’intéresse vivement que pour sa propre création ou son propre domaine ; quand on veut & qu’on exige du désintéressement, on doit écarter jusqu’à l’ombre de la contrainte & sans un désintéressement du genre le plus noble & le plus élevé, aucune fondation charitable ne sauroit subsister.

C’est le principe qu’a toujours suivi le Gouvernement, sous lequel nous avons le bonheur de vivre : il est l’ame qui a dicté en entier la nouvelle organisation ; nous pouvons donc espérer que Sa Majesté daignera laisser sans altération à notre église une constitution qui, avec les modifications requises, vient d’être appliquée à la régie générale des villes95. Elle ne voudra pas nous priver du grand avantage, de trouver sans peine chaque année dans notre sein des pères des pauvres, qui se chargent avec joie d’un emploi pénible & s’en acquittent généreusement, avantage qui cesseroit infailliblement, si nous devions être soumis à une surveillance nouvelle.

Ainsi, pour résumer ce que nous venons d’exposer, & en faciliter le coup d’œil, ce sont trois points principaux sur lesquels portent nos désirs, & à l’égard desquels nous souhaitons que Sa Majesté & Ses Ministres veuillent bien nous donner une déclaration formelle, trois principes qui, si, comme nous nous en flattons, on daigne les admettre d’après nos vœux, ne nous laisserons [sic] plus aucune inquiétude sur notre sort pour l’avenir :

Le premier, que tous les édits déclaratoires de celui de Potsdam & consacrés dans nos règlemens continuent, autant que la lettre du Cabinet du 30. Octobre n’y a point dérogé, d’être la règle de nos devoirs & le guide de nos Supérieurs.

Le second, que la discipline des églises réformées de France, qui seule constate les usages suivis par les réformés de France, que l’édit de Potsdam consacre & que la lettre du Cabinet nous confirme, que cette discipline, autant qu’il n’y a point été dérogé par les édits du souverain, soit & demeure, pour notre Consistoire, la mesure de ses droits & de ses obligations, comme Corps ecclésiastique.

Le troisième enfin, que l’administration de nos deniers pieux reste aussi indépendante qu’elle l’a toujours été, & qu’il n’y ait pour elle d’autre surveillance générale & particulière que celle des chefs de famille eux-mêmes.

Nous déposons ici nos désirs & nos vœux au pied du trône du Père de la patrie, avec la douce espérance que Sa Majesté & Ses ministres n’y verront que les sentimens du zèle le plus pur & du patriotisme le plus ardent.

Qu’il nous soit permis, avant de finir, d’énoncer encore quelques articles moins importans, mais qui ne laissent pas de nous intéresser.

1) La lettre du Cabinet statue que nous aurons des arbitres ou juges de paix que la colonie elle-même doit élire. Nous attendons du respectable Chef de la Justice96, que Son Excellence nous instruira du nombre, des fonctions, du mode d’élection & du salariment de ces personnes, lorsque cela aura été déterminé, & recevra avec bonté les observations que nous pourrions être dans le cas de Lui présenter à ce sujet.

2) Les justiciables françois étaient exemts du droit d’Abschoss de 6 2/3 p.c. que les successions des autres habitans de la ville payoient au Magistrat lorsqu’elles passoient dans une autre ville : Nous espérons que cette prérogative nous demeurera, & qu’il ne sera fait aucune prétention à cet égard par les justices sous lesquelles nous passerons.

3) Notre Consistoire jouït pour toutes ses affaires de l’exemtion des frais de timbre, de justice & de poste, avantage précieux, fondé sur la considération que tous les fonds du Consistoire sont les fonds des pauvres, & que tous les frais de son administration retombent sur les pauvres & en diminuent les ressources. Nous attendons avec confiance qu’une immunité aussi salutaire nous sera confirmée.

Nous ne craignons, pas, quelque long & détaillé que soit notre Mémoire sur un objet qui concerne notre sort & celui de nos enfans, & qui nous tient par conséquent si fort à cœur, d’avoir fatigué un Roi qui est le père de Son peuple, & Son Conseil qui n’a d’autre vue que de Le seconder dans Ses efforts pour rendre ce peuple heureux. Nous vivons sous un gouvernement où la raison a toujours eu libre cours, où la libre circulation des idées entre le Prince et les Sujets a toujours été favorisée, & où des enfans dociles ont toujours pu adresser hardiment à leur Père commun leurs craintes, leurs réclamations & leurs vœux, où de tous tems on a fait peu de cas d’une obéissance aveugle, & où des représentations respectueuses ont toujours trouvé l’accès du Trône. Les nôtres d’ailleurs n’ont pour but que de saisir au juste la volonté du Roi, de l’expliquer d’après le sens véritable & d’en appliquer la décision à nos relations diverses. Nos demandes ne sont ni indiscrètes, ni ambitieuses ; elles ne tendent qu’à faire determiner exactement ce que la lettre du Cabinet du 30. Octobre ne met pas dans tout son jour.

____________

1. J’utilise le terme avec majuscule pour désigner l’ensemble de l’institution, avec minuscule lorsqu’il s’agit des différents lieux d’implantation.

2. Le grand centre d’archives berlinois a conservé sa dénomination traditionnelle : Geheimes Staatsarchiv Preußischer Kulturbesitz (GStA PK). Berlin-Dahlem, Archivstraβe.

3. . GStA PK, I HA, Rep. 77, Tit. 83, 1, f. 75 v et 99 r à 101 a.

4. Des synodes régionaux furent cependant tolérés en Rhénanie, en raison des droits anciens de la colonie de Wesel, d’origine wallonne et remontant au premier Refuge au xvie siècle (convention de Wesel, 1568). Mais les nouveaux colons venus de France après l’édit de Potsdam (1685) furent placés sous l’autorité du Consistoire supérieur prussien. Matthias Asche, Neusiedler im verheerten Land. Kriegsfolgenbewältigung, Migrationssteuerung und Konfessionspolitik im Zeichen des Landeswiederaufbaus. Die Mark Brandenburg nach den Kriegen des 17. Jahrhunderts. Münster : Aschendorff, 2006, p. 519.

5. La « politique de peuplement » était liée au système mercantiliste et fut mise en œuvre par d’autres États européens, en particulier l’Autriche en 1755 (colonies de la Batchka, aujourd’hui Voïvodine en Serbie) et la Russie en 1763 (Allemands de la Volga). Voir Theodor Schieder, Friedrich der Große. Ein Königtum der Widersprüche, Berlin – Munich : Propyläen, 2002, p. 338.

6. Eckart Birnstiel et Andreas Reinke, « Hugenotten in Berlin », dans Stefi Jersch-Wenzel et Barbara John (dir.) : Von Einwanderern zu Einheimischen. Hugenotten, Juden, Böhmen, Polen in Berlin, Berlin, 1990, p. 29-32 ; François David, « Les colonies des réfugiés protestants français en Brandebourg-Prusse (1685-1809) : institutions, géographie et évolution de leur peuplement », BSHPF 140 (1994), p. 111-142.

7. Friedrich Ferdinand Alexander Burggraf und Graf zu Dohna-Schlobitten (1771-1831) était proche de Stein. Après le départ forcé de celui-ci sur pression de Napoléon en novembre 1808, Dohna fut ministre de l’Intérieur jusqu’en 1810 (gouvernement Dohna-Altenstein). Hardenberg, qui leur succéda, eut pour la première fois le titre de « chancelier d’État » (Staatskanzler) avec autorité sur l’ensemble des ministres. Manfred Schlenke, Preußische Geschichte, eine Bilanz in Daten und Deutungen, Freiburg/Würzburg : Plötz, 19912, p. 174 et 192. Georg Friedrich Felix Eberty : Friedrich Ferdinand Alexander, Burggraf zu Dohna-Schlobitten, dans Allgemeine Deutsche Biographie (ADB),vol. 5, Duncker & Humblot, Leipzig 1877, p. 299–302. Un ancêtre du comte de Dohna avait été en charge des réfugiés dans les premières décennies du Refuge ; il avait présidé la Commission ecclésiastique à partir de 1699 et avait été chargé la même année de l’accueil des réfugiés venus de Suisse. Eduard Muret, Geschichte der französischen Kolonie in Brandenburg-Preußen, Berlin, 1885, p. 24 et 30.

8. L’usage de la langue française rendait souvent indispensable l’emploi d’interprètes pour que les parties pussent comprendre le déroulement des procès. Le système judiciaire prussien était d’une grande complexité, avec une quantité de tribunaux spécialisés (tribunal de la Cour, de l’armée, des manufactures…), ce qui rendait l’existence de tribunaux français moins extravagante. Une personne pouvait relever de toutes sortes de tribunaux en fonction des affaires concernées.

9. Jürgen Wilke, « Statut et pratiques judiciaires des Huguenots en Brandebourg-Prusse (1685-1809) », dans Michelle Magdelaine et Rudolf Thadden, Le Refuge huguenot, Paris : Armand Colin, 1985, p. 111-126 ; Klaus Brandenburg, « Die Rechtsprechung in der Kolonie », dans Gottfried Bregulla (dir.), Hugenotten in Berlin, Berlin : Nicolai, 1988, p. 281-297.

10. Elle donna lieu à une enquête royale en 1772, d’où il ressortit que les pratiques étaient fort variables d’un lieu à un autre, allant d’une absence totale du juge français à un rôle consultatif ou à une participation effective aux décisions. GStA PK, I HA, Rep. 122, 6 a 9, f. 1-26. Voir Viviane Rosen-Prest, La Colonie huguenote de Prusse de 1786 à 1815. La fin d’une diaspora ?, Paris : Champion, p. 107-110.

11. Ses droits de contrôle sur l’Église catholique s’accrurent après 1815. Ils étaient néanmoins limités (jura circa sacra et non jura in sacra). Renseignement communiqué par Frédéric Hartweg, que je remercie.

12. La Discipline des Églises réformées de France, ou l’ordre par lequel elles sont conduites & gouvernées. Nouvelle et dernière édition. Dans laquelle le recueil des observations & questions, sur tous ses articles, tiré des actes des synodes nationaux, a esté reveu, corrigé & de beaucoup amplifié. Par I. d’Huisseau, ministre à Saumur, A Genève, & se vendent à Saumur, chez René Pean & Jean Lesnier, marchands libraires, mdclxvi. Renseignement aimablement communiqué par Bernard Roussel.

13. Dans les Églises pauvres, on ne trouvait souvent pas assez de candidats pour procéder à une élection, ou pas de candidat du tout. Le Consistoire supérieur envoyait alors un pasteur, souvent accueilli avec soulagement, car les vacances de postes étaient fréquentes, un pasteur du voisinage assurant alors l’intérim. Les salaires des pasteurs étaient certes payés par l’État, mais ils variaient selon le lieu d’affectation et étaient souvent notoirement insuffisants.

14. Des cultes en allemand furent progressivement introduits en alternance, avec de grandes différences entre les églises. Les dates du dernier culte en français s’échelonnent entre 1757 (Cottbus) et 1885 (Königsberg). Voir Johannes E. Bischoff et Eberhard von Harsdorf, Lexikon deutscher Hugenotten-Orte, Geschichtsblätter des deutschen Hugenottenvereins (GDHV), vol. XXII, Bad Karlshafen, 1994 ; et un tableau récapitulatif dans V. Rosen-Prest, La Colonie huguenote de Prusse, p. 440-445.

15. Les livres des consistoires offrent de nombreux exemples de ce « contrôle moral » : médiation entre des époux voulant se séparer, citation devant le consistoire de frères s’étant battus, citation d’un « pécheur scandaleux » ayant un double ménage… La sanction suprême était la suspension de la communion, qui équivalait à une mise au ban de la société. Voir par exemple Archives de l’Église française de Berlin (AFrD), Rep. 10-5496 (Francfort/Oder 1736-1791), f. 455, ou AFrD, Rep. 03-5150, vol. 2 (Bergholtz 1756-1796), f. 143.

16. AFrD, Rep. 04-Rep. 5984, f. 146r-147v. Voir V. Rosen-Prest, La Colonie huguenote de Prusse, p. 82-83.

17. Si l’on se base sur les listes de population de la colonie en 1699, 5694 Français vivaient dans les différents quartiers de Berlin, pour un total de 14 128 personnes sur tout le territoire prussien, soit environ 40 %. E. Birnstiel – A. Reinke, « Hugenotten in Berlin », art. cit., p. 54 et note 39 p. 142. Si l’on se base sur l’effectif moyen des colonies au cours de leur existence, on trouve 7345 Français à Berlin, 16 913 sur tout le territoire, soit une proportion légèrement supérieure de 43 %. Voir François David, « Les colonies françaises en Brandebourg-Prusse : une étude statistique de leur population », dans Manuela Böhm, Jens Häseler, Robert Violet, Hugenotten zwischen Migration und Integration, Neue Forschungen zum Refuge in Berlin und Brandenburg, Berlin : Metropol, 2005, p. 69-93, ici p. 72-73. Ces chiffres ne tiennent pas compte des Français rattachés à la justice militaire, à la cour ou directement aux municipalités allemandes.

18. 178 308 exactement selon les chiffres de Sven Haase, « Metropolitane Gelehrsamkeit statt “Einsamkeit und Freiheit” – Die Diskussion um den Universitätsstandort Berlin um 1800 », dans Ivan D’Aprile, Martin Disselkamp et Claudia Sedlarz, Tableau de Berlin. Beiträge zur Berliner Klassik, Hanovre : Wehrhahn Vlg, 2005, p. 113-128, ici p. 115.

19. GStA PK, I HA, Rep. 122, 6 b1, n° 1, vol. VI, f. 36 r/v. Pour l’analyse détaillée de cette liste, voir V. Rosen-Prest, La Colonie huguenote de Prusse, p. 233-258.

20. Margarete Welge indique la composition du consistoire de l’Église française de Berlin en 1791. Il se composait alors de 59 personnes : 10 pasteurs, 16 anciens, 26 anciens-diacres, le trésorier, l’administrateur du denier des pauvres, les secrétaires de l’assemblée générale, du consistoire restreint et de la diaconie, le responsable des protocoles de séances et le caissier de la boulangerie des pauvres. Margarete Welge, « Die Französische Kirche zu Berlin », dans G. Bregulla (dir.), Hugenotten in Berlin, op. cit., p. 88-132, ici p. 102.

21. Pour une histoire exhaustive de ces institutions, voir Ursula Fuhrich-Grubert, Die Französische Kirche zu Berlin. Ihre Einrichtungen, 1672-1945, Bad Karlshafen : Verlag des Deutschen Hugenottenvereins, 1992.

22. Les polémiques entre le consistoire de Berlin et les médecins (bénévoles) des pauvres donnent une idée du sérieux de la prise en charge, les médecins étant plus d’une fois accusés de négligence dans les soins aux nécessiteux. Voir par exemple GStA PK, I HA, Rep. 122, 5 a I vol. III, f. 31-34 v.

23. Règlemens pour la Compagnie du consistoire de l’église françoise de Berlin. À Berlin, aux dépens de la compagnie du consistoire, 1791, 622 pages.

24. Pour une vue générale du système d’enseignement de l’Église française de Berlin, voir Franziska Roosen, « Soutenir notre Église ». Hugenottische Erziehungskonzepte und Bildungseinrichtungen im Berlin des 18. Jahrhunderts, Bad Karlshafen : Verlag des Deutschen Hugenottenvereins, 2008. Sur les stratégies d’acquisition de la langue française dans les écoles des colonies, voir Manuela Böhm, Sprachenwechsel. Akkulturation und Mehrsprachigkeit der Brandenburger Hugenotten vom 17. bis 19. Jahrhundert, Berlin : De Gruyter, 2010, p. 448-511. Sur les difficultés des colonies rurales à entretenir un maître d’école francophone et l’acculturation accélérée en résultant, Susanne Lachenicht, Hugenotten in Europa und Nordamerika. Migration und Integration in der frühen Neuzeit, Frankfurt/Main : Campus, 2010, p. 427-428.

25. Voir en particulier Christian Velder, 300 Jahre Französisches Gymnasium Berlin / 300 ans au Collège français, Berlin, Nicolai, 1989, qui présente les personnalités ayant fréquenté le collège et leur rôle dans l’institution (avec résumés en français). Pour une histoire du collège : Jean Pierre Erman, Mémoire historique sur la fondation du Collège françois de Berlin, Berlin, 1789 ; Georg Schulze, Bericht über das Königliche Französische Gymnasium in den Jahren 1689-1889, in Festschrift zur Feier des 200jährigen Bestehens des Collège français, Berlin, 1890, p. 1-126.

26. C’est sans doute une des raisons – avec l’abondance des sources sur Berlin et, jusqu’à la chute du communisme, la difficulté d’accéder aux sources situées à Merseburg près de Leipzig – pour lesquelles la recherche s’est focalisée sur cette seule Église, alors que bien souvent la réalité dans les colonies et les Églises de province était fort différente.

27. Par exemple : GStA PK, Rep. 122, 3 a, n° 130, f. 26 r-v.

28. S. Lachenicht, op. cit., p. 427-432.

29. « Nous entretiendrons un Ministre dans chaque Ville & ferons assigner un lieu propre pour y faire l’exercice de la Religion en françois selon les coutumes, & avec les mesmes ceremonies qui se sont pratiquées jusques à present parmi eux en France. » Reproduit dans E. Muret, Geschichte der Französischen Kolonie, op. cit., p. 305.

30. Sur cette question, voir V. Rosen-Prest, La Colonie huguenote de Prusse, p. 31-32.

31. Cependant l’étude de la période de validité de cet édit a montré que son impact numérique sur la composition de la population de la Colonie resta assez limité. Le privilège le plus convoité, l’exemption d’impôts de quinze ans, était réservé aux descendants de réfugiés ou aux persécutés religieux nouvellement arrivés, rares en fin de siècle. Voir V. Rosen-Prest, La Colonie huguenote de Prusse, p. 153-184.

32. Voir les articles de Frédéric Hartweg, « Französisch als Kultsprache ? Zur Sprachpolitik der französisch-reformierten Kirche in Berlin (1774-1814) », Beiträge zur romanischen Philologie XXIV (1985), p. 5-42, et « Sprachwechsel und Sprachpolitik der französisch-reformierten Kirche in Berlin im 18. Jahrhundert », dans H. Herzfeld et H. Skrzypczak (dir.), Jahrbuch für die Geschichte Mittel- und Ostdeutschlands, vol. 30, Berlin, Colloquium, 1981, p. 162-176. En français, V. Rosen-Prest, La Colonie huguenote de Prusse, p. 411-414.

33. D. Brandes, « Die Französische Kolonie zu Minden i. W. », Geschichtsblätter des Deutschen Hugenottenvereins, Zehnt IV, cahiers 5 et 6.

34. Voir cependant Margarete Welge, « Die Armenfürsorge », dans G. Bregulla, Hugenotten in Berlin, op. cit., p. 177-205.

35. Les protocoles des assemblées des différentes institutions, conservés aux archives de l’Église française de Berlin, en portent témoignage.

36. Voir par exemple le rapport au consistoire, en 1794, du pasteur Jean George Erman (1762-1805), de l’Église française de Potsdam, sur ses catéchumènes ne comprenant pas du tout le français. AFrD, Rep. 04-5984 (consistoire de Potsdam), f. 142-154 et le commentaire dans V. Rosen-Prest, La Colonie huguenote de Prusse, p. 138-139.

37. Cf. les souvenirs de Friedrich August Ludwig von der Marwitz (1777-1837), qui concernent les années 1780-1790 : « La colonie avait encore cinq églises à Berlin, qui étaient toujours pleines, et comme les pasteurs français passaient pour les meilleurs, elles étaient souvent fréquentées par les Allemands qui savaient le français, donc par toute la noblesse. Dans mon enfance, j’ai été bien plus souvent à l’église française qu’à l’église allemande. » Marwitz, Lebensbeschreibung, rééd. 1908, cité dans Ruth Glatzer (éd.), Berliner Leben, 1648-1806, Erinnerungen und Berichte, Berlin : Rütten & Loening, 1956, p. 52-53 (trad. V. Rosen-Prest).

38. Règlement du Consistoire supérieur françois sur divers cas concernant la benediction des mariages, l’administration du bateme et l’instruction de la jeunesse. À Berlin, chez Chretien Frederic Henning, 1762. Conservé au GStA PK, I HA, Rep. 9 d 8, fasc. 24.

39. Voir Matthias Asche, Neusiedler im verheerten Land, p. 572.

40. Selon la liste de population de Berlin de 1803, il y avait dans la colonie 13 ouvriers en laine, un ouvrier en velours et 32 ouvriers en soie. La dénomination laisse supposer qu’ils travaillaient pour des manufactures et n’étaient pas rattachés à des corporations. GStA PK, I HA, Rep. 122, 6 b1, n° 1, vol. VI, f. 36 r/v, et analyse dans V. Rosen-Prest, La Colonie huguenote de Prusse, p. 248.

41. Voir l’analyse de la composition sociale de la colonie de Berlin en 1803 dans V. Rosen-Prest, La Colonie huguenote de Prusse, p. 239-255.

42. On peut s’en faire une idée par les listes de population, conservées au GStA PK, I HA, Rep. 122, 6 b1 n° 1, vol. V et VI. À ma connaissance, il n’existe pas d’étude globale sur les conditions sociales et les secteurs d’activité dans l’ensemble des colonies françaises de Prusse. Pour Berlin, on trouve un tableau de la répartition par secteur d’activité dans E. Birnstiel – A. Reinke, « Hugenotten in Berlin », art. cit., p. 112-113 et une étude détaillée des conditions sociales et de leur évolution dans Jürgen Wilke, « Die Französische Kolonie in Berlin », dans Helga Schultz, Berlin 1650-1800. Sozialgeschichte einer Residenz, Berlin (RDA) : Akademie-Verlag, 1987 p. 367-397.

43. Le système des « circulations » offre une source précieuse aux historiens. Les membres des deux conseils supérieurs, résidant à Berlin, ne se réunissaient pas toujours en séance, mais faisaient circuler entre eux par des coursiers leurs avis sur les affaires en cours, chacun inscrivant son opinion dans la colonne de gauche avec le jour de réception (acc.) et de renvoi (dim.). Puis le ministre concluait. On a ainsi des traces précises des débats et de l’opinion de chacun.

44. Pour plus de détails, voir M. Böhm, Sprachenwechsel, p. 208-210, et V. Rosen-Prest, La Colonie huguenote de Prusse, p. 128-133.

45. Voir François David, « Les Colonies françaises », art. cit. p. 86 et Id., « Refuge huguenot et assimilation : le cas de la colonie française de Berlin », dans Eckart Birnstiel et Chrystel Bernat, La Diaspora des Huguenots. Les réfugiés protestants et leur dispersion dans le monde (xvie-xviiie siècles), Paris : Champion, 2001, p. 75-97, ici p. 81.

46. Voir cependant S. Lachenicht, Hugenotten in Europa und Nordamerika, p. 328-331. Elle étudie le nombre de communiants à Berlin pour toute la période 1672-1805, et donne des aperçus de l’évolution dans une sélection de colonies de province.

47. Statistique basée sur GStA PK, I HA, Rep . 122, 6b1 n° 1, vol. VI, f. 104 (listes 1800). Voir le détail dans V. Rosen-Prest, La Colonie huguenote de Prusse, p. 135.

48. Annexion de toutes les provinces situées à l’ouest de l’Elbe, y compris la grande ville fortifiée et manufacturière de Magdebourg, avec sa colonie française, incorporées au Royaume de Westphalie dirigé par le roi Jérôme, frère de Napoléon.

49. Cette bataille (Völkerschlacht bei Leipzig), peu mentionnée par les historiens français, constitue un phare de la construction de la nation allemande. Un article la concernant figure dans l’ouvrage sur les lieux de mémoire allemands Deutsche Erinnerungsorte, dirigé par Étienne François et Hagen Schulze, Munich : Beck, 2001 : Kirstin Anne Schäfer, « Die Völkerschlacht », t. II p. 187-201.

50. Voir, en français, l’excellente synthèse de Michel Kerautret, Histoire de la Prusse, Paris : Seuil, 2005, p. 286-303, et tout l’ensemble du chapitre 8, « La résurrection de la Prusse », p. 277-326.

51. Voir Paul Clauswitz, Die Städteordnung von 1808 und die Stadt Berlin, 1908, reprint Berlin/Heidelberg : Springer-Vlg, 1986 ; Manfred Pahlmann, Anfänge des städtischen Parlamentarismus in Deutschland : die Wahlen zur Berliner Städteverordnetenversammlung unter der Preussischen Städteordnung von 1808, Berlin : Akademieverlag, 1997, qui consacre un chapitre aux élus huguenots.

52. « Erklärtes Ziel der Städteordnung war, der Bürgerschaft “eine thätige Einwirkung auf die Verwaltung des Gemeinwesens beizulegen und durch diese Teilnahme Gemeinsinn zu erregen und zu erhalten” ». August Krebsbach, Die Preußische Städteordnung von 1808, 2e éd., Stuttgart, 1970, introd. p. 49, cité par M. Pahlmann, p. 13.

53. Lettres citées dans Paul Clauswitz, op. cit., p. 75-76 et 93.

54. Ce qui n’empêcha pas les fonctionnaires prussiens d’accepter en masse la prestation de serment exigée par l’occupant français. Les membres de la Colonie ne firent pas exception. Paris, Archives Nationales, Conseil d’État, série AF IV, carton 1693, dossier 1 (microfilm), 1re bobine.

55. Erman a rédigé ses souvenirs de l’entrevue. Ils se trouvent aux archives de l’Église française de Berlin, AFrD, Rep. 04-E. Ils ont été publiés par son arrière-petit-fils Wilhelm Erman, Jean Pierre Erman, Ein Lebensbild aus der Berliner Französischen Kolonie, Berlin : Mittler & Sohn, 1914, p. 87-97. Ils ont été transcrits dans V. Rosen-Prest, La Colonie huguenote de Prusse, p. 452-456.

56. AFrD, Rep. 04 n° 2453, indice des actes de l’assemblée générale de la Vénérable compagnie du consistoire de Berlin (1807-1811), p. 360.

57. GStA PK, I HA, Rep. 77, Tit. 83, 1, f. 75 v et 99 r à 101 a. Il est publié dans E. Muret, Geschichte der Französischen Kolonie, p. 310-311.

58. Voir ci-dessus note 51.

59. Si les écoles élémentaires restaient du ressort de l’Église, le Collège français, lui, passait complètement sous le contrôle de la « section de l’instruction publique » au sein du ministère de l’Intérieur, à l’instar des quatre autres collèges (Gymnasien) de Berlin.

60. La formulation du texte est la suivante : « Là où les colonistes français ont des Églises particulières, les membres de la colonie forment une communauté religieuse particulière ». Cité dans E. Muret, Geschichte der Französischen Kolonie, p. 311, trad. V. Rosen-Prest.

61. Voir François David, « Les colonies françaises en Brandebourg-Prusse : une étude statistique de leur population », dans M. Böhm, J. Häseler, R. Violet, Hugenotten zwischen Migration und Integration, p. 69-93, ici p. 70-71.

62. AFrD, Rep. 04-903, actes de la Maison des Orphelins, vol. I n° 20 et 22.

63. Ce souci d’avantages purement temporels apparaît pourtant au moins une fois dans le mémoire publié ici avec cette demande : « les justiciables françois étaient exemts du droit d’Abschoss de 6 2/3 p.c. que les successions des autres habitans de la ville payoient au Magistrat [c’est-à-dire à la municipalité] lorsqu’elles passoient dans une autre ville : Nous espérons que cette prérogative nous demeurera, & qu’il ne sera fait aucune prétention à cet égard par les justices sous lesquelles nous passerons. »

64. C’est-à-dire dépourvues de préjugés.

65. GStA PK, I HA, Rep. 122, 3a (Bestallungen), f. 6v-7r. Les droits reconnus étaient essentiellement celui d’avoir leurs propres églises et leurs propres écoles (art. a), de gérer les biens de leurs pauvres (art. b) et celui d’être égaux aux autres sujets (art. d).

66. Assemblée générale. AFrD, Rep. 04-2453 et 04-2454. On parlait indifféremment d’Assemblée générale, de Vénérable compagnie du consistoire ou de Consistoire tout court. Le consistoire restreint, composé des seuls pasteurs, n’était compétent que pour les questions d’ordre théologique. Voir Margarete Welge, « Die Französische Kirche zu Berlin », dans G. Bregulla, Hugenotten in Berlin, p. 102, et plus haut note 20 p. 481 pour la composition du consistoire en 1791.

67. La liste des trente personnes convoquées ne laisse aucun doute à ce sujet. On y trouve le commissaire de justice Balan, le professeur Burja, le conseiller Andresse, le directeur Lecoq, le baron de Reede… AFrD, Rep. 04-2453, f. 307-308.

68. Jean Pierre Frédéric Ancillon (1767-1837), issu d’une longue lignée de pasteurs originaires de Metz. Pasteur, éducateur du prince royal (1810-1814) auteur de nombreux essais politiques, il exerça diverses fonctions au gouvernement et fut ministre des Affaires étrangères à partir de 1832. Sur sa pensée politique, voir John Christian Laursen, « Huguenot “Republicans” and “Conservatives” at the Prussian Academy : The political thought of Frederic Ancillon », dans Libertinage et philosophie au xviie siècle, Saint-Étienne : Publications de l’université, 2012, p. 163-179.

69. AFrD, Rep. 04-2453 (9.11.1807-29.07.1811), Assemblée générale, p. 338.

70. Voir ci-dessus note 7.

71. Carl Friedrich von Beyme (1765-1838), juriste, fut membre du cabinet royal, où il obtint la suppression de la torture pour l’obtention d’aveux et de la peine de mort pour les femmes infanticides. Dès avant l’ère des réformes, il lutta contre le servage et put libérer 50 000 paysans. Il fut grand chancelier (ministre de la Justice) de 1808 à 1810, puis congédié sous l’influence de Hardenberg. Jacob CARO, Beyme, Karl Friedrich von, dans Allgemeine Deutsche Biographie (ADB), vol. 2, Leipzig : Duncker & Humblot, 1875, p. 601-605. Hans Haussherr, Beyme, Karl Friedrich v., dans Neue Deutsche Biographie (NDB), vol. 2, Berlin : Duncker & Humblot, 1955, p. 208 (digitalisé).

72. AFrD, Rep. 04-2453, p. 535.

73. Ibid., p. 541.

74. Ibid., p. 535, 542, 546.

75. Ibid., p. 572 et 578.

76. Ibid., p. 584-585.

77. Lorsque le 27 novembre 1809 l’Église de Königsberg demande au consistoire de Berlin de « faire quelque démarche pour empecher la ruine des Colonies, qui lui paroit être la suite infaillible de cette décision royale », le protocole du consistoire porte : « Il sera répondu, que nous avons déjà témoigné au Roi notre soumission, la resistance nous paroissant inutile, mais que dans l’application qui se fera des nouveaux principes nous tacherons de sauver le plus possible de nos privilèges ». AFrD, Rep. 04-2453, p. 553, 27 novembre 1809.

78. AFrD, Rep. 04-2453 p. 684, 25 juin 1810. Le texte ne semble pas suggérer qu’il s’agisse du même mémoire que celui précédemment envoyé à Beyme et Dohna.

79. Johann August Sack (1764-1831) fut gouverneur civil de Berlin après la fuite de la cour. Après la paix de Tilsit (1807) il présida la « commission immédiate » chargée de l’application du traité. Il fut chargé en 1808 d’administrer les provinces évacuées par l’ennemi. Proche de Stein, il tenta après sa destitution de poursuivre les réformes. Hermann Petrich, « Sack, Johann August », dans Allgemeine Deutsche Biographie (ADB), vol. 30, Leipzig : Duncker & Humblot, 1890, p. 152-154.

80. Ibid., p. 893.

81. AFrD, Rep. 04-2454 (12. 8. 1811 – 27. 12. 1819), p. 10.

82. Ibid., p. 29, 33 et 40.

83. Ibid., p. 37, 41 et 42.

84. « Pour tranquilliser totalement l’Église réformée française, Je veux bien décider : 1) que les fondations de charité et les instituts d’enseignement garderont leur constitution actuelle et que [leurs dirigeants] ne seront responsables, comme par le passé, que devant les membres de l’Église (Gemeinde). 2) que les capitaux et autres possessions de ces institutions ne pourront être utilisés à d’autres fins, que les directeurs ne pourront être contraints d’y admettre des personnes étrangères à l’Église (Gemeinde). 3) que la décharge des comptes se fera selon les formes habituelles. 4) que le consistoire convoquera les pères de famille selon les formes prescrites pour recueillir leur assentiment sur des éléments nouveaux ou des dépenses extraordinaires. […]. Ceci constaté, le contrôle revenant aux autorités de l’État peut parfaitement être maintenu, dans les limites indiquées, et J’espère avec confiance que l’Église réformée française ne s’y soustraira pas. » Ordre du cabinet du 3 février 1812, publié dans E. Muret, op. cit., p. 312, trad. V. Rosen-Prest.

85. AFrD, Rep. 04-2454, p. 59, 60, 62 et 65.

86. GStA PK, I HA, Rep. 77, 83, f. 113-125 v.

87. Le cursus se déroulait en général à Berlin depuis la création du Séminaire de théologie en 1770.

88. Ces annonces requéraient des délais assez longs, dont on pouvait souhaiter se dispenser, par exemple en raison d’un voyage prévu à une date rapprochée après la cérémonie.

89. La lettre du cabinet redonnait vie à une pratique ancienne, accordée par l’édit de Potsdam et tombée en désuétude : celle de nommer des juges de paix/juges-arbitres (Friedens- und Schiedsrichter) pour trancher les conflits pouvant se régler à l’amiable, les autres étant réservés aux tribunaux ordinaires (français). Là encore, l’administration de la Colonie étant supprimée, on ne voit pas très bien quel était le périmètre d’exercice de ces juges-arbitres. On a vu que Hardenberg s’opposa à cette pratique (voir ci-dessus p. 498).

90. Les quelques biens laissés par les pauvres à l’assistance revenaient en totalité à l’institution qui les avait recueillis, sauf s’il existait des enfants mineurs ; il y avait dans ce cas un partage de la succession.

91. Les ordonnances successives, en particulier la grande ordonnance de 1720, sous le Roi-sergent Frédéric Guillaume Ier, ne se limitaient pas aux règles de la vie ecclésiastique, mais balayaient tout le champ de la vie des colonies : rattachement juridique, fiscalité, corporations, droit de propriété etc. L’ordonnance de 1720 est publiée dans E. Muret, Geschichte der französischen Kolonie, p. 307-310.

92. Le mot « ouvrage » est utilisé au féminin, d’où cet accord.

93. Il s’agit des autorisations d’ouvrir des écoles francophones. L’Église française, ne pouvant assumer l’ensemble de l’enseignement francophone, autorisait l’ouverture d’écoles privées dont elle contrôlait les maîtres. Ces écoles étaient très recherchées en raison de l’importance de l’apprentissage du français dans la société d’alors, et il y eut des conflits avec les écoles allemandes, qui estimaient le nombre d’écoles françaises disproportionné avec les besoins de la Colonie. L’Église française conserva le droit de contrôle sur les écoles. Pour plus de détails, Franziska Roosen, « Soutenir notre Église », art. cit., passim.

94. Cette lettre manque dans le dossier d’archives.

95. Il s’agit de la réforme municipale, conçue par le baron de Stein et promulguée le 19 novembre 1808. Voir Michel Kerautret, Histoire de la Prusse, op. cit., p. 291.

96. Le chef de la justice, en même temps grand chancelier, était en 1809 Carl Friedrich von Beyme (1765-1838). Il fut démis de ses fonctions en juin 1810 sous l’influence de Hardenberg et remplacé par Friedrich Leopold von Kircheisen (1749-1825). Liste der preußischen Justizminister, https://de.wikipedia.org/wiki/Liste_der_preußischen_Justizminister, consulté le 7.04.2019, qui cite les Acta borussica, actes du Preußisches Staatsministerium, sans toutefois donner de référence plus précise. Les dates sont confirmées dans Volker Spiess, Berliner biographisches Lexikon, Berlin : Haude & Spener, 1803, p. 46 et 240.