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Le synode de Dordrecht (1618-1619)

Théologie et confessionnalisation

Willem FRIJHOFF

Université Érasme, Rotterdam

NdA : Je dois un remerciement sincère à Catherine Secretan et aux membres du comité de lecture de la RHP pour avoir relu et enrichi cet article en me permettant de préciser certains points théologiques délicats qui encore de nos jours prêtent souvent à confusion.

Il y a 400 ans, du 13 novembre 1618 au 29 mai 1619, se tint le synode de Dordrecht1. Il réunit plus d’une centaine de participants : 56 délégués (37 ministres et 19 anciens) des huit synodes provinciaux de la République des Provinces-Unies, y compris l’Église wallonne regroupant les immigrés de langue française, 23 représentants des principales Églises réformées étrangères, cinq professeurs de théologie des universités, et dix-huit commissaires politiques chargés des rapports aux États-Généraux qui avaient décidé de la convocation du synode. Au cours de 180 sessions tenues en latin, le synode fixa durablement l’orthodoxie théologique réformée, en imposant la vision sévère de la prédestination prêchée par Franciscus Gomarus (1563-1641), présent au synode en tant que professeur de théologie, et en chassant de l’Église, lors d’une séance spectaculaire le 14 janvier 1619 (session 57), ses opposants, partisans de l’interprétation moins rigoureuse qui avait été défendue par son collègue Jacobus Arminius (1560-1609), décédé neuf ans plus tôt2. D’après la Remonstrantie que les partisans d’Arminius avaient formulée en 1610, peu après sa mort, ils furent appelés « remontrants », et leurs opposants gomaristes ou « contre-remontrants » à la suite de leur réponse publiée en 1611.

Le synode fixa ensuite ses positions sur cinq points de doctrine, à savoir la trinité, l’incarnation, la prédestination, la justification et l’Église, dans des articles doctrinaux rédigés et latin (connus en traduction néerlandaise comme les Dordtse leerregels), afin de garantir une interprétation orthodoxe des enseignements bibliques. Après quelques mois d’âpres discussions, les députés s’étaient finalement unis sur leur texte, le 23 avril 1619. Les cinq articles furent proclamés solennellement dans la Grande Église dès le 5 mai 1619, au cours de la session 153, séance de clôture pour les délégués étrangers et les commissaires politiques. Dans son rapport final aux États-Généraux du 30 mai 1619, le président du synode les intitulait Iudicium Synodaal ofte Canones, ce qui les a fait connaître comme les Canones Dordraceni3. Avec la Confessio Belgica rédigée en français en 1560 par Guy de Brès (1522-1567) et révisée par le synode en avril 1619, et le Catéchisme de Heidelberg composé en 1563 par les professeurs Zacharias Ursinus (1534-1583) et Caspar Olevianus (1536-1587), ces Canons formeraient dorénavant les trois « Formulaires d’Unité » constituant l’identité de l’Église réformée4. Le véritable enjeu du synode dépassait donc de très loin le seul débat théologique intra-néerlandais.

Toutefois, la tenue du synode se poursuivit pendant quelques semaines pour traiter d’affaires internes à l’Église des Pays-Bas : l’organisation du culte approuvée le 13 mai (Dordtse kerkorde, révision de celle de 1586)5, la traduction des textes du synode et des Canons doctrinaux du latin en néerlandais, le rituel liturgique, la réponse à différents gravamina6. Par ailleurs, dès le début du synode, la proposition d’une nouvelle traduction de la Bible à partir des langues originales fut acceptée et une commission instituée. Quelques décisions de principe sur le langage et les mots clés furent prises, en particulier sur le nom de Dieu (traduit par « le Seigneur » au lieu de « Jehovah »). Achevée en 1637, cette traduction, de facture antiquisante mais importante, dans la longue durée, pour la formation d’une langue néerlandaise unique, allait être connue comme la « Bible des États » (Statenbijbel).

Dordrecht et la convocation du synode

Dans un contexte politico-religieux survolté, le synode créa un moment phare dans l’histoire de la République des Provinces-Unies, dont la ville de Dordrecht (Dordt ou Dort, dans le langage courant) faisait partie, et tout autant dans le monde protestant tout entier. Comme la guerre avec l’Espagne devait reprendre après la Trêve (1609-1621), il fallait unir les forces du pays. Le stathouder, le prince Maurice d’Orange (1567-1625), souhaitait donc mettre fin aux débats théologiques incessants, d’une violence d’autant plus grande que les divergences religieuses se doublaient d’un conflit politique entre deux partis radicalement opposés. Dès le 11 novembre 1617, les États-Généraux annoncèrent la tenue prochaine d’un synode national, dont l’objet principal devait être le rejet motivé des positions théologiques des remontrants.

Au cours de l’été 1618 la décision fut prise de tenir ce synode à Dordrecht, au lieu de La Haye ou Utrecht suggérés précédemment. Le choix de Dordrecht était judicieux : ville assez peuplée, depuis des siècles l’entrepôt principal du commerce du bois et du vin venus de l’Allemagne, elle comptait environ 18 250 habitants lors du recensement de 1622, parmi lesquels de nombreux immigrants réformés des Pays-Bas méridionaux. Située sur la Merwede (le nom que le bras principal du Rhin y avait pris), au confluent de trois rivières – site pittoresque qui dès cette époque séduisait les peintres –, elle était pourvue de toutes les facilités d’une ville de commerce international. C’était la plus ancienne ville de la province de Hollande et la première en rang parmi les six « grandes villes » qui avaient droit de vote aux États de la province (avec Haarlem, Delft, Leyde, Amsterdam et Gouda), à côté de la noblesse et de douze « petites villes ». Administrée par un clan familial particulièrement fermé, elle présentait l’exemple même d’une familieregering (un gouvernement familial), dévouée au régime républicain et à l’orthodoxie réformée. Une douzaine de familles négociantes, tels les De Witt, van Beveren, Stoop et van Slingelandt, dominèrent pendant trois siècles le conseil municipal, assurant en alternance les fonctions de la régence, à commencer par l’office crucial de bourgmestre7.

La ville fut (et est toujours) très fière de son élection comme siège du synode national. Celle-ci consacrait en quelque sorte sa position de première ville de la République, à rang égal avec la capitale politique, le bourg de La Haye (15 750 habitants), et la métropole commerciale d’Amsterdam, en plein essor (105 000 habitants en 1622, nombre doublé au cours du siècle pour atteindre 230 000 vers 1700), mais à part le commerce, Amsterdam ne jouissait d’aucune fonction centrale ou capitale. Plus important, Dordrecht était une des villes où les contre-remontrants dominaient nettement le paysage religieux, ce qui assura au synode un contexte en accord avec son objectif principal. Le nombre de remontrants y est toujours resté réduit et il n’y a jamais eu de communauté servie par un ministre arminien. Ce fut une raison pour le roi Jacques Ier d’Écosse de soutenir le choix de Dordrecht au lieu d’Utrecht, estimée trop arminienne – en effet, les deux seuls délégués arminiens au synode venaient d’Utrecht, dont Samuel Naeranus (1582-1641), un défenseur de la tolérance8.

Sous l’Ancien Régime, ce synode serait le dernier tenu au niveau national dans la République, tant les conflits idéologiques et politiques qui y furent réglés traumatisèrent l’opinion. Les États-Généraux, qui devaient décider d’un tel synode au niveau national, avaient été échaudés par l’échec de l’interdiction des disputes publiques qu’ils avaient décrétée en 1614, et restaient encore très réticents en 1618, arguant de l’autonomie politique des provinces dans le domaine culturel et religieux. Par la suite, ils ignorèrent délibérément toute velléité d’une nouvelle assemblée nationale susceptible de raviver les divisions religieuses. Le rapport entre l’Église réformée et l’État fut définitivement réglé en 1651, lors de la Grande Assemblée législative nationale qui fit suite à la Paix de Westphalie (1648), mais ces décisions furent prises en l’absence des délégués de l’Église réformée elle-même, qui d’ailleurs s’en plaignit amèrement.

Toutefois, le synode national de 1618 n’était pas le premier. Plusieurs autres synodes nationaux ou généraux avaient déjà été tenus dans les Pays-Bas du Nord et aux environs. La première de ces assemblées réunit 29 pasteurs et théologiens néerlandais dans la ville principale du refuge réformé, Emden en Frise Orientale, le 4 octobre 1571. On y décida d’adopter le Catéchisme de Heidelberg comme manuel doctrinal de base, sur lequel on se fonderait pour prêcher chaque dimanche9. Ensuite, d’autres synodes furent tenus à Dordrecht : le premier synode « libre » dans le pays en guerre, en 1574, le synode des Églises wallonnes en 1577, et le premier synode vraiment « national » sur le territoire néerlandais, du 3 au 18 juin 1578. Ils réglèrent les rapports entre pasteurs et anciens, et fixèrent la discipline interne, l’attitude à l’égard des opinions hérétiques, ainsi que le rôle de l’Église et de l’enseignement religieux dans les écoles et à l’université de Leyde qui venait d’être fondée (1575)10. En 1581, le synode de Middelbourg (Zélande) s’efforça en particulier d’obtenir une certaine unité avec les luthériens et les zwingliens, à la façon de la harmonia confessionum poursuivie par les Allemands. Enfin, en 1586, un nouveau synode, tenu à La Haye, fixa l’organisation du culte et les textes liturgiques.

Mais à partir de la fondation de la République des Sept Provinces-Unies en 1588, les provinces fédérées ne tolérèrent plus de synode supra-provincial ou « national », chacune s’estimant autonome pour tout ce qui concernait la politique intérieure, dont les affaires religieuses faisaient partie. Les historiens de l’Église ont longtemps fait précéder cette liste par le Weseler Konvent qui, le 3 novembre 1568, aurait réuni dans la ville-refuge de Wesel, au duché rhénan de Clèves, une cinquantaine de réformés néerlandais pour constituer leur Église comme une organisation à structure presbytérale. À la suite d’Antonius de Waele ou Walaeus (1573-1639), professeur de théologie à Leyde, et de son disciple Louis Gérard van Renesse (1599-1671), qui en 1659 était le premier à publier les articles sur l’organisation ecclésiale qui auraient été définis par cette assemblée, on y voyait l’acte fondateur de l’Église réformée des Pays-Bas. Cependant, Jesse Spohnholz a récemment mis en doute la réalité de cette réunion, dont le texte original manque, et inséré la genèse de ce document dans une tradition postérieure11.

Dans les Pays-Bas septentrionaux, le synode de Dordrecht est intimement lié au procès contre l’avocat général12 Johan van Oldenbarnevelt (1547-1619), le leader politique de la Hollande, et ses amis remontrants, qui en fut en quelque sorte le corollaire politique. Ce fut probablement le seul événement de l’époque moderne aux Pays-Bas qui ait eu une résonance durablement internationale – si l’on excepte, bien sûr, les exploits militaires des guerres avec l’Espagne, l’Angleterre, les princes allemands ou la France, et les traités de paix multinationaux de Breda, Nimègue, Ryswick ou Utrecht. Prenons juste une preuve matérielle : le nombre de livres et brochures (les occasionnels ou pamphlets) publiés année après année dans les Provinces-Unies selon le recensement du Short Title Catalogue, Netherlands de la Bibliothèque Royale de La Haye. De 352 publications en 1613, il passa à 429 en 1616, 539 en 1617, 661 en 1618, et encore 542 en 1619, soit presque un doublement en cinq ans pendant la Trêve de la guerre avec le roi d’Espagne, puis, à l’issue du synode, une diminution rapide à 496 en 1621, et à 409 en 162313. De semblables sommets dans la communication imprimée ne seront atteints de nouveau qu’en 1648, à la conclusion de la Paix de Westphalie (847 publications), puis en 1650, l’année précédant la tenue de la Grande Assemblée de 1651 qui fixa pour un siècle et demi le système confédéral de gouvernement des Provinces-Unies tout en confirmant la position du stathouder et celle de l’Église réformée comme la seule Église publique (964 publications). Et, bien sûr, lors de l’année catastrophique 1672, pendant la Guerre des Provinces-Unies menée par Louis XIV, avec des attaques militaires de toutes parts et l’occupation étrangère de la moitié du pays (1 201 publications). Mais l’année du synode est le seul sommet politico-religieux de cette liste.

Ces chiffres bruts établissent fermement que le synode de 1618-1619 et les événements politiques qui l’ont accompagné ont monopolisé l’opinion publique à un degré inconnu auparavant, d’ailleurs aussi bien en faveur des événements qu’à leur encontre, et cela non seulement dans les Provinces-Unies, mais même au-delà. Car mainte publication en latin, français, allemand, voire anglais était destinée à avoir une diffusion ou une répercussion hors des frontières. D’ailleurs, le centre de la République des Lettres, qui soutenait les débats, était en passe de se déplacer du Sud de l’Europe vers le Nord, en particulier à Leyde grâce à l’éclat de son université, dans la ville bouillonnante d’Amsterdam, à La Haye, Utrecht ou Rotterdam, voire à des universités mineures comme celles de Franeker en Frise, ouverte en 1585, et de Groningue, tout récemment fondée. Dans le titre d’un recueil de Johannes Meursius (1579-1639), précepteur des fils d’Oldenbarnevelt puis professeur d’histoire à Leyde, cette ville allait bientôt s’autoproclamer l’Athènes batave (Athenae Batavae, 1625).

Politisation du conflit religieux

Au moment où les États arrangèrent une nouvelle rencontre entre les opposants, le 13 août 1609, Arminius, d’une santé déjà fragile, tomba gravement malade. Le 19 octobre 1609 il mourut de la tuberculose à Leyde. Sa mort n’apaisa pas le conflit, bien au contraire. Il fut relancé par les partisans des deux protagonistes et devint désormais une affaire de partis, mais de partis fort inégaux. La conclusion de la Trêve de Douze Ans avec l’Espagne, le 9 avril 1609, avait libéré la voie et les énergies pour une confrontation à l’intérieur du pays. Les gomaristes allaient former la troupe de choc d’une thèse difficile à comprendre pour la majorité de la population, y compris la masse des réformés, mais partagée par tous à l’intérieur même de leur communauté. De surcroît, ils arrivèrent à monopoliser de plus en plus d’instances de nomination dans l’Église réformée, les classes et consistoires, et à évincer la plupart des pasteurs arminiens. Les arminiens eux-mêmes, au contraire, réunissaient en leur sein quantité de mouvements théologiques et spirituels divers, épris d’une certaine liberté dans leur foi, mais qui n’avaient vraiment en commun que leur rejet de la vision gomariste de la prédestination et de l’ordre politico-religieux. La guerre intestine s’amplifia, avec la rédaction par 44 ministres arminiens d’une Remonstrantie demandant aux États de Hollande la tenue d’un synode national ou provincial pour discuter les points de divergence. Remise à l’avocat général Oldenbarnevelt en tant que représentant des États, le 14 janvier 1610, elle fut dûment suivie d’une Contra-Remonstrantie des gomaristes en 1611.

À titre personnel, l’austère Oldenbarnevelt penchait plutôt en faveur des gomaristes, mais en tant qu’homme d’État il abhorrait les divisions religieuses entre les Églises, aussi bien dans l’État que dans l’Église publique elle-même. Pour lui, l’Église publique devait être l’Église de tous, une institution forte, garante d’unité dans ce pays fractionné, qui n’était pas encore sorti de la guerre et où, à ce moment, probablement pas plus de 20 % de la population se disait ouvertement réformée. Dans la situation toujours précaire où se trouvait la jeune République, il fallait éviter à tout prix les déchirements doctrinaux. C’est Oldenbarnevelt qui avait insisté sur une première rencontre des principaux opposants devant le Conseil Suprême (Hoge Raad) à La Haye, en mai 1608, pour forcer une sortie du conflit.

Très rapidement ce conflit prit cependant une tournure politique. Johannes Uytenbogaert (1557-1644), un homme influent, prédicateur de la cour et successeur d’Arminius comme leader du parti, publia en 1610 à La Haye un ouvrage sur le ministère ecclésiastique et sa relation au pouvoir civil : Tractaet van t’ampt ende Authoriteyt eener Hoogher Christelicker Overheydt in Kerckelicke saecken (« Traité de la fonction et de l’autorité du magistrat chrétien dans les affaires ecclésiastiques »). Il y défendait le principe d’une subordination du pouvoir religieux au pouvoir temporel et dénonçait toute forme de « collatéralité » de ces deux instances. Hugo Grotius (1583-1645) devait lui apporter son soutien trois ans plus tard, avec une justification plus juridique du jus circa sacra du magistrat en matière de convocation des synodes, de nomination des pasteurs et de contrôle de la discipline ecclésiastique (Ordinum Hollandiae ac Westfrisiae pietas, Leyde, 1613). La vision assez étatique d’Uytenbogaert fut réfutée un peu plus tard par le contre-remontrant Antonius Walaeus dans Het Ampt der Kerckendienaren (« L’Office des ministres de l’Église », 1615). L’opposition entre ces deux positions de principe figure à l’arrière-plan des débats ultérieurs du synode sur les pratiques et structures ecclésiastiques. Comme le traité d’Uytenbogaert sur le ministère ecclésiastique était en quelque sorte la justification politique de la Remonstrantie théologique qu’il avait publiée un peu plus tôt dans l’année 1610, les deux dimensions du conflit étaient d’emblée indissociablement mêlées, ce qui éclaire leur violence et leur impact immédiat sur l’ensemble de la vie politique et religieuse dans la République.

Mais, outre le problème quasi insurmontable de la division religieuse dans un pays où les réformés ne formaient encore qu’une minorité, la République manquait toujours d’une structure étatique mûrie, capable de se situer au-dessus de la mêlée. À la différence des contre-remontrants, qui mettaient l’autorité de l’Église au-dessus de l’État, Oldenbarnevelt, et bien des régents avec lui, était en faveur d’une tutelle de l’État sur l’Église, en accord avec la position d’Uytenbogaert. Selon Oldenbarnevelt, elle était déjà exprimée dans la charte fondatrice de la République, les articles d’Union d’Utrecht adoptés le 23 janvier 1579. Préférant les solutions formelles et fuyant les émotions, Oldenbarnevelt interdit d’abord toute polémique publique au sujet de la prédestination et du rapport entre l’Église et l’État. Le débat qu’il organisa en 1612 entre les théologiens des deux bords ne fut pas couronné de succès. À son initiative et à celle de Hugo Grotius, qui jusqu’en 1614 était procureur général de la Cour de justice de Hollande et Zélande, les États de Hollande adoptèrent en 1614 une « Résolution pour la paix dans l’Église » qui imposait la tolérance, également en vain. Au sein même des États, les factions se réunissaient désormais séparément. L’implication de partisans puissants d’Arminius, comme Johannes Uytenbogaert, l’auteur de la Remontrance, et le juriste Grotius lui-même, avivait les antagonismes entre une vision étroitement biblique et une interprétation plutôt humaniste. Il fut alors décidé de convoquer un synode national pour trouver une issue au conflit théologique.

Entre-temps, la situation avait été considérablement aggravée par le conflit politique croissant qui opposait le stathouder Maurice de Nassau et l’avocat général à propos de la Trêve (1609-1621), favorable aux politiques, défavorable aux militaires. Le pouvoir de décision était bien aux mains des hommes politiques, sous la conduite d’Oldenbarnevelt, mais à intervalles réguliers, Maurice fut appelé pour prévenir ou pour résoudre militairement des heurts à l’intérieur du pays. Bien qu’il laissât dominer souvent les intérêts des partisans de Gomarus, Maurice nourrissait des opinions religieuses qui demeuraient assez énigmatiques, mais il endossait l’accusation formulée dans des pamphlets selon laquelle il soupçonnait les arminiens de vouloir faire des compromis avec l’Espagne. Oldenbarnevelt avait été le confident du jeune Maurice, il s’était ainsi familiarisé avec l’ensemble des affaires publiques et intervenait même dans des domaines qui ne relevaient pas de sa compétence. Initialement, Maurice s’en accommodait. Dans la chapelle de la cour à La Haye, il écoutait les sermons d’Uytenbogaert, le leader arminien. Tout comme son cousin Willem Lodewijk de Nassau-Dillenburg (1560-1620), stathouder de Frise, Groningue et Drenthe, et Oldenbarnevelt lui-même, il était en faveur d’une seule grande Église populaire dans laquelle chacun des deux courants protestants organiserait ses propres services.

Défaite politique des arminiens

Mais le 23 juillet 1617, Maurice changea subitement d’attitude (et peut-être d’opinion) et marqua son éloignement vis-à-vis d’Oldenbarnevelt avec éclat. Éloignement surtout politique, il est vrai, car les opinions d’Oldenbarnevelt n’avaient guère changé. Apparemment, Maurice, qui se prononça rarement sur ses convictions, fut motivé par l’évolution de la situation politique intérieure et le risque croissant de divisions irréparables dans le pays, qui formellement était toujours en guerre. En effet, le stathouder n’était pas seulement le chef des armées, mais aussi le garant de l’unité de la République. Dès ce jour, Maurice se mit à fréquenter ouvertement la congrégation gomariste à la Kloosterkerk, le nouveau sanctuaire contre-remontrant sur le Lange Voorhout, juste à côté du domicile de l’avocat général ! Il ne pouvait donc plus jouer son rôle de médiateur impartial. Le 4 août suivant, Oldenbarnevelt, de son côté, fit publier par les États de Hollande, une résolution (connue comme la scherpe resolutie, la résolution tranchante) autorisant les villes de tendance arminienne à engager leurs propres troupes (les waardgelders, ou mercenaires), pour prévenir les troubles publics que l’imposition de l’option gomariste par le prince ne manquerait pas de provoquer et pour assurer la paix civile. Ces troupes n’obéiraient plus au prince ni aux États-Généraux, mais aux régences urbaines. Des villes importantes comme Haarlem, Leyde, Rotterdam et Utrecht y donnèrent suite, mais Amsterdam, Dordrecht, Edam et Enkhuizen s’y opposèrent d’emblée.

Touché dans sa fierté et dans sa responsabilité de chef militaire du pays, le stathouder força alors une sortie de l’impasse, aussi bien sur le plan religieux que concernant son propre pouvoir dans l’État. Dans une de ses lettres, il appela Oldenbarnevelt « le dictateur de la Hollande ». Aux yeux de maints régents, seul un synode national, autorisé à se prononcer sur les questions doctrinales, semblait désormais en mesure de résoudre le conflit religieux. Les contre-remontrants y voyaient la meilleure façon de régler définitivement leur compte aux arminiens. La convocation du synode national revenait au pouvoir politique ; elle nécessitait une décision unanime de toutes les provinces réunies en États-Généraux. Les villes hollandaises d’Amsterdam, Schiedam, Enkhuizen, Edam et Purmerend le demandaient expressément.

Comme les provinces à dominante arminienne – en fait la majorité – s’opposaient au synode, Maurice décida de les contraindre à coopérer par un coup d’État. Ce fut le moment d’action du tacticien militaire, qui, aidé de ses troupes, entreprit une tournée à travers le pays pour déposer partout les régents arminiens. En janvier 1618, Maurice força pour commencer Nimègue, ville stratégique à l’entrée du pays, dotée d’une importante garnison et la plus grande ville de Gueldre. Cette province très divisée bascula en sa faveur, tout en restant le repaire d’une communauté remontrante qui tint son propre synode le 15 septembre 1618, à la veille du synode national. Elle produisit un pamphlet expliquant de façon claire et détaillée, accessible au grand public, les différends doctrinaux et leurs implications. Comme les autres provinces restaient réticentes, Maurice, toujours escorté de ses troupes, obligea en mai l’Overyssel à se soumettre, puis la province d’Utrecht en juillet. Il réussit ainsi à isoler la Hollande et put alors agir en août et septembre. Entre-temps, les États-Généraux eux-mêmes avaient déjà licencié les waardgelders, sous la surveillance étroite du stathouder qui, le 31 juillet, s’était rendu à cet effet à Utrecht.

Le 29 août 1618, ayant désormais les mains libres, Maurice fit arrêter Oldenbarnevelt et ses partisans – le pensionnaire de Rotterdam Hugo Grotius, celui de Leyde Rombout Hogerbeets (1561-1625), ainsi que le secrétaire d’Utrecht Gillis van Ledenberch (ca 1548-1618), qui se suicida un mois plus tard –, pour écarter ensuite tous ceux qui, dans la régence des villes, s’opposaient encore à lui. Du coup, les États-Généraux, composés de délégués fidèles au stathouder ou trop peureux, votèrent à quatre voix contre trois en faveur du synode (chaque province n’ayant qu’une seule voix). Réuni à Dordrecht, le synode convoqua ensuite les arminiens. Après un simulacre de débat, tant le thème avait été creusé et les positions détaillées au cours de la décennie passée, il condamna l’arminianisme solennellement et promulgua des principes théologiques sévères : les Canons de Dordrecht, souscrits par tous les membres du synode le 23 avril 1619. Maurice avait anticipé sur cette décision en interdisant dès le 20 décembre 1618 toute réunion religieuse hors des Églises réformées régulières.

La politique elle-même devait être ramenée au calme par un tribunal de 24 juges, choisis parmi les membres des États-Généraux, mais dont plusieurs, tel le tout-puissant bourgmestre d’Amsterdam Reinier Pauw (1564-1636), un violent contre-remontrant, étaient depuis toujours des ennemis acharnés d’Oldenbarnevelt – homme compétent, honnête et zélé, mais sec et pas commode, il est vrai. Une série de procès politiques contre l’avocat général et ses partisans s’ensuivit, qui atteignit son point culminant avec l’exécution d’Oldenbarnevelt. L’objet de ces procès demeure délicat et toujours très discuté. Oldenbarnevelt et ses partisans furent accusés de haute trahison, ayant voulu accaparer le pouvoir militaire qui était une prérogative du stathouder. Mais avaient-ils entretenu des contacts secrets avec l’ennemi, comme on les en soupçonnait ? Et avaient-ils vraiment commis un délit contre la Généralité, la représentation suprême du pays, qui allait maintenant les juger ? Juriste expérimenté, Oldenbarnevelt contesta la compétence du tribunal, arguant qu’en tant que sujet de la Hollande il ne pouvait être jugé par la Généralité mais seulement par sa propre province. En outre, il nia les charges portées contre lui – celles-ci, d’ailleurs, ne pouvaient être prouvées que par un aveu, ce qu’il refusa catégoriquement. On n’osa pas le soumettre à la torture, comme on le ferait un demi-siècle plus tard, en août 1672, avec le frère du grand pensionnaire Johan De Witt, Corneille, accusé (faussement) de haute trahison pour avoir attenté à la vie du prince d’Orange. On dut donc bricoler une inculpation contre Oldenbarnevelt qui permit de le condamner à mort. La sentence fut exécutée le dimanche 13 mai 1619 devant la salle des États-Généraux à La Haye, le jour même où, à Dordrecht, le synode s’attaquait au problème de l’organisation ecclésiastique. Son corps déposé dans un cercueil tout simple fut enterré dans la chapelle de la cour à La Haye mais on en perdit la mémoire précise, en dépit des nombreuses rumeurs qui circulaient à ce sujet.

Oldenbarnevelt s’était refusé à solliciter sa grâce ; c’eût été contraire à son esprit juridique, puisqu’il ne s’estimait pas coupable. Mais cela aurait également été contraire à son idiosyncrasie personnelle, car il lui aurait fallu amadouer le prince qui, aussi obstiné que lui, ne l’aurait très probablement pas gracié. Grotius, quant à lui, fut condamné le 18 mai puis emprisonné au château de Loevestein, loin des villes. Aidé par son épouse Maria van Reigersberch, il réussit cependant à s’évader le 22 mars 1621, caché dans une caisse de livres – épisode aussi romanesque que mythique de l’histoire des Pays-Bas. Banni à jamais, il s’établit à Paris puis en Suède, tout en éprouvant une profonde nostalgie de son pays natal. Le verrou politique de la faction arminienne ayant ainsi sauté dès avant l’ouverture du synode, l’exclusive gomariste ne faisait plus de secret pour personne. Eux seuls furent élus comme délégués, les arminiens n’étant admis que sur convocation et uniquement pour présenter leur vision du conflit théologique. La condamnation de ces derniers était donc inévitable, et la victoire de l’interprétation rigoriste garantie.

Un résultat durable du synode : la « Bible des États »

Le synode national s’ouvrit par une séance solennelle dans la Grande Église de Dordrecht, le 13 novembre 1618 et il y fut clos le 29 mai 1619. Les séances furent cependant tenues dans un autre bâtiment spécialement aménagé à cet effet : l’étage supérieur des Kloveniersdoelen, la salle de réunion et d’exercice d’une des compagnies bourgeoises de tir à l’arc de la ville14. Les séances étaient en principe publiques ; au fond de la salle une estrade accueillait les curieux.

Le synode de Dordrecht (gravure attribuée à François Schillemans)

Le synode de Dordrecht est surtout connu pour son travail doctrinal à propos de la prédestination, qui revêtit effectivement une importance majeure15. Mais il eut certainement autant d’effets, surtout dans la longue durée et pour un public plus large que celui de confession réformée, par ses autres grands objectifs : la décision de faire traduire la Bible de nouveau à partir des langues originales, et les règlements à propos des rapports entre l’Église et l’État dans le cadre du processus plus ample de confessionnalisation de la société néerlandaise. À cet égard le synode de Dordrecht équivaut aux grands conciles de l’Église romaine. Une comparaison avec le concile de Trente, lui aussi constitutif du point de vue dogmatique aussi bien qu’ecclésiologique, vaudrait la peine d’être esquissée.

Dès novembre 1618, le synode décida de commander une nouvelle traduction de la Bible pour remplacer la première traduction réformée en néerlandais, réalisée dans une certaine hâte à partir de la Bible de Martin Luther et publiée à Emden en 156216. Plusieurs synodes provinciaux avaient déjà demandé une nouvelle traduction qui fût plus fidèle aux livres originaux. Le synode en confia l’exécution à une équipe de traducteurs spécialistes des langues originales bibliques. La traduction de l’Ancien Testament, à partir du texte massorétique, fut confiée aux trois pasteurs hébraïsants Johannes Bogerman (1576-1637), un Frison, président du synode, Willem Baudartius (1565-1640), un Flamand devenu un influent ministre à Zutphen (Gueldre)17, et Gerson De Buysere ou Bucerus (vers 1565-1631), ministre à Veere (Zélande), d’origine flamande mais né en Angleterre. Les livres deutérocanoniques, dits apocryphes, furent ajoutés à la fin. Le Nouveau Testament, traduit pour l’essentiel du Textus Receptus d’Érasme, fut confié à trois hellénistes : Jacobus Rolandus (1562-1632), le successeur d’Arminius comme ministre à Amsterdam et un des deux assesseurs du synode où il se signala par son opposition violente aux arminiens18, le Flamand Hermannus Faukelius (vers 1560-1625), ministre à Middelbourg, et Petrus Cornelisz, ministre à Enkhuizen. Faukelius et Cornelisz moururent avant que le travail ait effectivement commencé. Ils furent remplacés par le Frison Festus Hommius (1576-1642), un des deux secrétaires (scriba) du synode, et le Flamand Antonius Walaeus. Faukelius, alors ministre à Leyde, était un des deux assesseurs du synode, responsables de la rédaction des documents officiels, les actes et les Canons de Dordrecht, y compris de leur traduction en latin. Walaeus, pasteur à La Haye, avait initialement été un ami des arminiens Johannes Uytenbogaert et Hugo Grotius, mais durant le synode il passa dans le camp des contre-remontrants, tout en gardant ses relations avec les arminiens aussi bien qu’avec le prince Maurice. C’est à lui qu’il incomba de communiquer à Oldenbarnevelt sa sentence de mort et de l’assister avant son exécution le 13 mai 1619.

Le 18 juillet 1625 les États-Généraux décidèrent que les traducteurs devaient se réunir et travailler dans la ville universitaire de Leyde ; au cours de ce travail ils seraient exemptés du service pastoral ordinaire. L’année suivante le budget nécessaire fut libéré. Outre les traducteurs attitrés, on fit, en deuxième instance, appel à quelques « réviseurs » (revisores) du texte, en principe un par province. Les plus connus sont Jacobus Revius, Louis Gérard van Renesse, Johann Heinrich Alting et Caspar Sibelius. Revius (1586-1658), ministre dans la ville de Deventer (Overyssel) dont il était originaire, était un poète de qualité, apprécié encore de nos jours19. Van Renesse, disciple de Walaeus, était ministre au service de l’armée, proche du nouveau stathouder Frédéric-Henri (1584-1647), puis professeur de théologie à Breda20. Alting (1583-1644), né à Emden où son père Menso Alting (1541-1612) avait été ministre, était alors professeur de théologie à Groningue, mais il l’avait été auparavant à Heidelberg, université qu’il avait représentée au synode en 1618-1619 avant de se réfugier en Hollande en compagnie du jeune « roi d’hiver » Frédéric du Palatinat (1596-1632) à la suite de la destruction de Heidelberg par le comte Tilly en 162221. Caspar Sibelius (1590-1658), un Allemand formé à Herborn et Leyde, était alors ministre à Deventer. En compagnie des traducteurs encore vivants, les réviseurs eurent leur première réunion commune au domicile de Walaeus sur le Rapenburg à Leyde, le 16 novembre 1634. Dès le 10 octobre 1635, le travail de révision était achevé.

Le 17 septembre 1637, le premier exemplaire de la nouvelle traduction de la Bible, doré sur tranche et dans une reliure de velours violet, imprimé par Paulus Aertsz van Ravesteyn pour la Veuve de Hillebrand Jacobsz van Wouw à Leyde qui en avait obtenu le privilège, fut offert aux États-Généraux qui avaient financé l’opération comme une des premières entreprises vraiment nationales dépassant l’autorité des provinces22. Un demi-million d’exemplaires furent imprimés jusqu’à l’édition corrigée de Ravesteyn en 1657. Rééditée à de très nombreuses reprises au cours des siècles suivants, et remplacée seulement en 1952 par une nouvelle traduction faisant autorité, la « Bible des États » (communément connue comme la Statenbijbel) fut un instrument puissant de formation religieuse. Mais tout autant d’unification linguistique dans la République dont les provinces cultivaient initialement leurs langues et dialectes propres dans l’esprit d’une culture régionale autonome.

Prédestination : le conflit entre Arminius et Gomarus

Lors de la séance 22, le 6 décembre 1618, une représentation du parti remontrant, composée de quatorze délégués de différentes provinces, reçut la permission de présenter devant le synode ses vues sur cinq points de controverse23. Après d’âpres débats, largement dominés par le président du synode, Johannes Bogerman, et du côté remontrant par le successeur de Gomarus à l’université de Leyde, Simon Episcopius (1583-1643), la décision sans surprise en faveur de la vision gomariste fut maintenue, et les remontrants renvoyés le 14 janvier 161924.

Franciscus Gomarus, successivement professeur de théologie à Middelbourg, Saumur (1615) et Groningue (1618), et membre du synode en tant que tel, défendait une interprétation radicale de la doctrine de la prédestination25. Dans la ligne de Calvin, mais surtout de Théodore de Bèze (1519-1605) et de William Perkins (1558-1602), il soutenait que Dieu avait décrété de toute éternité le salut de certains hommes et la damnation des autres (doctrine de la double prédestination), avant même de décréter la création du monde et d’autoriser le péché (« C’est ainsi qu’Il nous a élus en lui, dès avant la fondation du monde », Éphésiens 1, 4). C’était l’interprétation supralapsaire (du latin supra « avant, précédemment à » et lapsus « la chute de l’homme »). Ce débat n’était pas nouveau, il rappelait le vieux débat entre Luther et Érasme sur le libre arbitre, un siècle plus tôt, et d’autres ailleurs en Europe. Depuis les débuts de la Réforme, il faisait l’objet de nombreuses discussions au sein du monde calviniste des Pays-Bas. Mais le conflit allait connaître un tournant avec les controverses entre Gomarus et Arminius, et surtout la constitution de deux groupes d’adhérents après la mort de ce dernier, les « remontrants » et « contre-remontrants ».

Il faut s’entendre ici sur les concepts. L’interprétation supralapsaire s’accordait avec celle de bien des théologiens infralapsaires (du latin infra, « au-dessous, après » et lapsus « la chute de l’homme ») pour qui l’objet de la prédestination n’était pas l’homme susceptible d’être créé et de chuter (creabilis et labilis), mais l’homme créé et déchu (creatus et lapsus). L’enjeu de cette subtile distinction théologique était de disculper Dieu du péché qu’il aurait autorisé – une conséquence presque inévitable de la position radicale de Gomarus. Dans la logique de cette interprétation, d’une part la mort du Christ n’avait de valeur rédemptrice que pour les élus, d’autre part le salut de l’homme, décidé de toute éternité par un décret de la Providence, ne pouvait en rien relever d’une quelconque participation de l’homme. À l’inverse, les théologiens arminiens soutenaient que le Christ n’était pas uniquement mort pour les élus, mais que le rachat opéré par sa mort avait une portée universelle et suffisante. Arminius allait jusqu’à faire dépendre l’élection de la foi personnelle, laissant ainsi à l’individu une chance de gagner par lui-même son salut, soit en le « méritant », soit en refusant la grâce qui lui était offerte, ce qui, pour Gomarus, revenait à porter atteinte à la pleine liberté de Dieu. Gomarus restera toute sa vie fidèle à l’interprétation supralapsaire de la prédestination, jusques et y compris au synode de Dordrecht, lorsque la majorité des théologiens se rallièrent à une vision infralapsaire.

Dès 1604, Gomarus s’opposa à Arminius, nommé l’année précédente professeur de théologie à l’université de Leyde, à propos de deux disputes que ce dernier venait de faire soutenir. La première, défendue le 7 février, portait sur la prédestination, l’autre sur le péché originel. Arminius y marquait son désaccord avec Théodore de Bèze et contestait l’irrévocabilité des décrets divins, affirmant notamment que la prescience divine n’impliquait aucune nécessité. Gomarus répliqua que Dieu avait prédestiné certaines créatures à la vie éternelle en leur donnant les moyens d’atteindre la béatitude, et d’autres à la mort éternelle, en leur laissant la voie du péché, et à la perte de la justice originelle (la doctrine de la réprobation). En raison de la virulence des attaques que suscitèrent ces disputes chez Gomarus et les orthodoxes, l’affaire, loin de rester cantonnée à la sphère académique, fut rendue publique et portée devant le Hoge Raad de la Hollande, qui convoqua Arminius, Gomarus et leurs alliés le 30 mai 1608 à La Haye pour débattre de ces questions. Le 30 octobre elle fut soumise à l’arbitrage des États de Hollande. Dans sa déclaration (Verklaeringhe aengaende zijn ghevoelen), Arminius s’exprima ainsi en quatre points :

1. Dieu a décidé de sauver des hommes par l’entremise de son Fils, comme médiateur ;

2. Dieu a décidé de recevoir dans sa grâce quiconque croit en Jésus Christ et de laisser les autres dans l’état dans lequel ils se trouvent ;

3. Dieu a offert aux hommes la possibilité de trouver le repentir et la foi ;

4. Dieu a d’avance prévu qui aurait la foi et qui ne l’aurait pas.

La position d’Arminius était donc une voie moyenne entre la prédestination absolue et le libre arbitre de l’homme. Affirmant contre Gomarus une prédestination conditionnelle et le principe de l’universalité de la grâce, Arminius s’efforçait de sauver aussi bien la souveraine grâce de Dieu que la responsabilité de l’homme26. Au moment où les États arrangèrent une nouvelle rencontre entre les deux opposants, Arminius tomba malade pour mourir peu après, laissant le débat en suspens. En guise de réfutation des thèses d’Arminius, le synode adopta en janvier 1619 les cinq propositions suivantes, qui constituent le noyau doctrinal des Canons de Dordrecht :

1. Dieu élit certains pécheurs inconditionnellement, souverainement et immuablement au salut, et en laisse d’autres dans leur état de perdition ;

2. La justice de Dieu est satisfaite par la mort du Christ : dans la prédication, ce message est reçu dans la foi ou rejeté dans l’incroyance ;

3. Puisque l’homme est totalement dépravé,

4. sa renaissance est due à la grâce efficace ;

5. Les saints restent pécheurs mais ne peuvent perdre la foi, car renaissance et rénovation sont l’œuvre de Dieu.

L’issue politico-sociale du conflit religieux : une confessionnalisation réussie ?

Franciscus Gomarus fut au centre d’un débat qui était emblématique du très large écho que pouvaient avoir, à l’époque, des questions en apparence strictement doctrinales. Les péripéties de sa carrière sont riches d’enseignements sur l’interférence du religieux et du politique à une époque où la sécularisation et l’autonomie des autorités civiles faisaient l’objet de théorisations nouvelles. Mais les positions de Gomarus doivent aussi se comprendre à la lumière du contexte spirituel et intellectuel de la République des Provinces-Unies au début de son Siècle d’or. Ce contexte était marqué par la tension entre la tradition érasmienne ou latitudinaire – dont Dirck Volckertsz Coornhert (1522-1590), défenseur aussi infatigable qu’insaisissable de la tolérance, reste la figure iconique – et le courant calviniste qui s’affirmait, dans la lutte pour l’indépendance nationale, comme une force majeure de rassemblement et de cohésion, en dépit des grandes divergences internes qui le traversaient dans l’interprétation des points théologiques majeurs27. Contre les présentations anciennes du synode comme un simple conflit entre deux positions tranchées, la recherche récente a souligné toute la gamme d’opinions intermédiaires, plus ou moins modérées.

Au début du xviie siècle, la conscience aiguë que les contemporains avaient de l’urgence du travail du synode perce dans tous les témoignages, qu’ils aient été pour ou contre la position de l’orthodoxie qui l’a emporté. Chaque participant au synode savait qu’après des décennies de recherches et développements théologiques, de conflits et d’oppositions politiques partout en Europe, il s’agissait de fixer pour de bon les contours politiques, les conditions culturelles et le contenu théologique de la confession réformée en tant que base structurant à titre durable les communautés politico-religieuses qui caractérisaient la société globale, profondément confessionnalisée, de l’Europe prémoderne. La guerre politico-religieuse qui à ce moment même reprit dans l’Empire en était la preuve évidente. Les Provinces-Unies jouaient dans ce processus un rôle peut-être moins précurseur que symptomatique : par le jeu des événements historiques ce territoire s’était tardivement constitué en puissance autonome, tout en préservant les conditions mêmes d’une évolution centrifuge qui à tout moment pouvait mettre en péril l’équilibre confessionnel ou la prédominance de la confession qui avait finalement réussi à s’imposer dans le domaine public, c’est-à-dire l’Église réformée.

La nouvelle République était une confédération assez lâche, sans véritable chef d’État et encore dépourvue de frontières fixes28. C’était un territoire d’immigration et de transit. Selon les villes, entre 20 et 50 % de citadins avaient grossi la population urbaine depuis moins d’une génération, non seulement des réfugiés réformés mais aussi des luthériens, des mennonites, voire des catholiques venus des territoires au Sud et à l’Est. Tous venaient y chercher une subsistance, la richesse ou tout simplement la liberté personnelle de penser ou de croire, que l’article 13 de l’Union d’Utrecht promettait à tout citoyen : il assurait la liberté de conscience et l’absence de contrainte religieuse dans le strict domaine privé. Cette assurance n’a d’ailleurs jamais été formellement mise en cause par l’Église réformée, en dépit de quelques velléités totalitaires à l’occasion des grandes crises de la confédération néerlandaise. 1618 fut certainement le moment de triomphe des immigrés, comme on le voit dans la victoire des gomaristes, souvent originaires du Sud, et le choix des traducteurs de la Bible. D’ailleurs, le prince Maurice lui-même était d’origine étrangère, né au château de Dillenburg dans une famille allemande du côté de son père, les Nassau, comme de sa mère, Anne de Saxe. Dans le parler populaire on l’appelait parfois de mof, le « boche », sobriquet péjoratif attribué encore de nos jours aux Allemands dans les Pays-Bas.

Ces immigrés apportaient de nouveaux modèles culturels – flamands, wallons et français, mais aussi allemands, italiens, scandinaves et anglais – qui modifièrent rapidement l’équilibre interne de la société néerlandaise. Il importe de distinguer ici entre les militants réformés et les simples réfugiés ou immigrés pour raisons économiques. Les réfugiés pour la foi – pasteurs, enseignants, maîtres d’école, ou laïcs convaincus de leur bon droit en matière religieuse qui souvent avaient déjà fait d’autres expériences d’exil ou de prison – s’efforçaient de restructurer la société d’accueil dans le sens de leurs convictions sévères, de vivre sobrement, et de faire appliquer les préceptes moraux que leur foi leur dictait. C’étaient surtout eux qui soutenaient le travail du synode, comme le montre le nombre d’immigrés parmi ses membres. Le style tranchant des réfugies pour la foi, parfois pédant et peu conforme aux vertus de complaisance, d’accommodement, de connivence et de tolérance inscrites dans les pratiques sociales de nombreux habitants des provinces du Nord, était favorisé par la longue guerre et toutes les oppositions qu’elle engendrait. En affichant une préférence marquée pour un seul parti, à l’exclusion de tous les autres, il menaçait à tout instant de mettre en péril le fragile équilibre social fondé non sur l’égale identité de tous mais sur leur légitime différence.

Toutefois – sans qu’on puisse parler d’exclusive – une grande partie des réfugiés ne voyait pas de conflit entre la foi réformée et l’existence civique plus libre et plus mondaine à laquelle ils aspiraient et qui, précisément, leur avait été refusée dans leur pays d’origine en raison de leur foi. Aussi, aidés par l’atmosphère plus libérale de leur société d’accueil, imposèrent-ils dans la vie quotidienne de nouveaux modes de vie plus flamboyants et plus marqués par une émotivité nouvelle et finalement un style de rapports réciproques et de négociation plus militant. La nouvelle convivialité devait tenir compte des différences dans le style de vie et de sociabilité entre les groupes ethniques, culturels et religieux, ou les communautés constituées que la société locale, jadis plus uniforme, n’avait guère connues précédemment. Aussi était-elle favorisée par la devise de l’Union, Concordia res parvae crescunt (L’Union fait la force), et par toute une pédagogie d’union, de réunion et de concorde par les textes et les images (pamphlets, poèmes, emblèmes, allégories, gravures populaires, etc.) qu’intellectuels et artistes développaient à la demande des autorités ou de leur propre initiative.

En revanche, le nouveau style religieux tranchant des réfugiés pour la foi, refusant de concéder aux opposants un espace confessionnel propre, est particulièrement visible dans les débats et décisions du synode de Dordrecht. Par leur violence même ils déroutèrent bien des Néerlandais de souche, allant jusqu’à leur inspirer la crainte d’une nouvelle Inquisition, réformée cette fois. Cette crainte s’avéra justifiée lorsque le 14 janvier, à la fin du débat théologique, le président Bogerman condamna sans appel les arminiens et leur thèses. Dans un discours mémorable, il les renvoya en s’écriant : « Ite, Ite ! », « Allez-vous-en ! Vous êtes venus ici pleins de mensonges et d’impostures, sortez maintenant avec vos mensonges et tromperies ! ». Après l’approbation des Canons du synode par les États-Généraux, le 2 juin 1619, l’orthodoxie réformée était devenue une affaire d’État. Début juillet, les ministres arminiens réfractaires furent mis en demeure de signer un Acte van Cessatie (acte d’abdication de leur ministère). Quasi tous refusèrent, perdirent leur emploi et furent enjoints de quitter la République.

Aidée par l’État, l’Église réformée pratiqua pendant une dizaine d’années une épuration très dure dans les Églises, les écoles et les universités. En tout, quelque 140 ministres arminiens furent limogés sous l’accusation de semi-pélagianisme29. Certains continuaient leur ministère « sous la croix », tel le surprenant Passchier de Fijne (1588-1667), qui, en hiver, tenait des réunions interdites debout sur un traîneau, sur la glace près de Gouda. Réfugiés à Anvers, une quarantaine d’entre eux y fondèrent dès le 30 septembre 1619 la Fraternité Remontrante (Societeyt, ou Remonstrantse Broederschap). En 1621, ils y publièrent leur propre Confession, rédigée en latin par Episcopius, puis traduite en néerlandais par Uytenbogaert. Une autre partie des exilés remontrants, pasteurs et laïcs, fut reçue au duché de Schleswig-Holstein par le duc Frédéric III de Schleswig-Gottorf qui rêvait d’attirer avec eux le commerce international. Munis d’un octroi du duc qui en 1620 leur concéda la tolérance religieuse, des privilèges économiques, le maintien du néerlandais comme langue de l’administration et une forme de gouvernance comparable à celle des villes de la Hollande, ils y fondèrent en 1621 la ville de Frederikstad (Friedrichstadt) sur l’Eider, près de la mer du Nord, qui conserve toujours sa facture toute néerlandaise30. Une troisième partie s’établit sur l’Elbe à Glückstadt, une ville fortifiée proche, fondée en 1617 dans le même but par le roi Christian IV de Danemark, oncle de Frédéric III. Les immigrés auxquels Christian concéda la liberté comprenaient, outre les remontrants, des juifs séfarades et des mennonites hollandais31. Louis XIII permit, lui aussi, aux chefs remontrants de se réfugier dans les villes de son royaume, notamment à Paris et à Rouen où existait déjà une importante communauté protestante de négociants néerlandais.

Aspects identitaires

Toute cette évolution complexe eut une influence primordiale sur le processus formateur de l’identité des Provinces-Unies. En fixant clairement les cadres de pensée de l’orthodoxie réformée, en déterminant dans ses Canons les conditions théologiques et les limites de l’appartenance confessionnelle, et surtout en définissant sans équivoque les rapports que l’Église réformée souhaitait entretenir avec l’État, le synode de Dordrecht a jeté les bases d’un État proprement confessionnel. Mais aux Provinces-Unies, l’État confessionnel n’a finalement pas pris la forme politico-religieuse que le synode appelait de ses vœux et qui fut bel et bien réalisée dans d’autres territoires européens. L’Église réformée dut s’y contenter d’une position subalterne – position double, et somme toute peu satisfaisante. D’une part, elle se concevait elle-même comme une institution religieusement et socialement limitée, destinée aux élus, c’est-à-dire à ceux des chrétiens qui avaient souscrit à la confession de foi qu’elle proposait et qui conformaient leur vie à ses préceptes – sans même parler de la théologie des élus dans l’option, partagée par une partie seulement des fidèles, de la prédestination limitée. D’autre part, l’État lui-même la voyait justement comme une Église largement populaire (volkskerk) qui jouissait du statut d’Église publique pour l’ensemble de la communauté nationale, indépendamment de la croyance individuelle de chaque citoyen.

Contrairement à ses vœux ardents, l’Église réformée n’eut jamais la possibilité de contrôler cette masse de fidèles purement « sociologiques ». Son monopole rituel dans le domaine public fut confirmé par la Grote Vergadering, la Grande Assemblée législative tenue par l’ensemble des provinces en 1651, à la suite de la Paix de Westphalie. À l’issue de la guerre, cette assemblée fixait pour un siècle et demi les caractéristiques de l’État. De ce fait, l’Église réformée devenait une institution marquée plus socialement que religieusement. Dorénavant elle ne pouvait échapper à l’obligation de réunir et servir des fidèles à deux niveaux : les membres à part entière (lidmaten) qui avaient fait leur profession de foi et étaient admis à la Sainte-Cène, et ceux qu’on appelait les liefhebbers (« amateurs », simples adhérents ou sympathisants) ou toehoorders (« auditeurs »), qui fréquentaient les services plus ou moins régulièrement. Ces derniers désiraient bénéficier des avantages que l’Église réformée dispensait aux démunis, mais ne se soumettaient point à la discipline ecclésiastique ou s’efforçaient de s’y soustraire s’ils y étaient obligés par des arrangements entre l’Église publique et l’État.

Prenons pour exemple la famille Hooft, qui fournit quatre générations de régents puissants. Cornelis Pietersz Hooft (1547-1626), négociant en grains et harengs d’Amsterdam réfugié à Königsberg, rentra après l’« Altération » (le passage à la Réforme) de la ville en 1578 et fut élu quatre fois bourgmestre après 1588. Après un Grand Tour de trois ans en France et Italie, son fils Pieter Cornelisz Hooft (1581-1647), devint bailli de Muiden en se signalant surtout comme historien et dramaturge32. Mais Pieter Cornelisz Hooft était aussi l’auteur d’une biographie très élogieuse de « Henri le Grand », c’est-à-dire Henri IV, qu’il admirait en tant que pacificateur des luttes religieuses et civiles en France. Paru en 1626, l’ouvrage avait été mis en chantier en 1618, soit au plus fort des luttes analogues en Hollande. Dans ce récit sur un souverain étranger, Hooft illustra sa conviction que, dans une société bien ordonnée, le pouvoir civil devait dominer le pouvoir religieux. Aux yeux des initiés, c’était une façon aussi discrète qu’efficace de prendre parti dans son propre pays, sans mettre en péril son avenir. L’attitude de Hooft peut être considérée comme caractéristique de ceux qui, dans une sensibilité religieuse nouvelle, ouverte aux traditions autochtones et aux aspirations à la liberté, étaient enclins à prôner une réforme de l’Église contrôlée par l’État, tout en refusant de voir remplacer la tyrannie de Rome par celle de Genève.

Bon nombre de régents des villes et fonctionnaires de l’État en restèrent à cette position de sympathisants, surtout dans les premières décennies suivant le synode. Formellement ils étaient ainsi en règle avec le précepte politique du monopole public de l’Église réformée, et avec l’obligation qu’avait tout régent, fonctionnaire, officier public ou serviteur de l’État de s’en proclamer adhérent, mais ils conservaient toute liberté sur le plan spirituel et théologique. Les plus zélés rejoignaient parfois des groupes ou communautés peu orthodoxes, ou en contradiction avec la spiritualité dominante. Un assez grand nombre de régents cultivant un esprit purement politique, séculier, spiritualiste ou même carrément hétérodoxe ne se privaient pas d’utiliser les marges de ce régime. Bien des penseurs hétérodoxes jouissaient secrètement de la protection de la force publique tant qu’ils ne s’attaquaient pas aux fondements de l’État lui-même. Un représentant éminent de cette catégorie libertaire est Coenraad van Beuningen (1622-1693), fils d’un négociant remontrant, ambassadeur en France et envoyé en Angleterre, puis un puissant bourgmestre d’Amsterdam. Il rallia les Collégiants et finit par proclamer des prophéties chiliastes dans les rues d’Amsterdam ; sur la façade de sa grande demeure sur l’Amstel on voit encore des traces de peinture qui, dit-on, témoignent de ses lubies religieuses33.

Si le synode de Dordrecht a donc bien marqué l’orthodoxie théologique, consolidé la confession protestante et renforcé le régime d’admission à l’Église réformée, cette Église elle-même en a perdu son exclusivité. Tout en se proclamant formellement réformée et se réclamant des acquis, canons et préceptes du synode, la culture religieuse de la République a rapidement évolué en direction d’un régime multiconfessionnel de fait, qui dans l’espace public fut masqué par le monopole réformé sur les expressions rituelles et par les actes de la vie publique destinés à faire croire à une société uniformément protestante. Les observateurs et visiteurs étrangers n’en ont pas été dupes, quand bien même ils avaient souvent du mal à saisir la vraie nature de ce système singulier et quelque peu contradictoire, où la culture mémorielle se réclamait d’un protestantisme qui serait congénital à l’État mais dont ils n’apercevaient que des apparences, voire localement parfois simplement des bribes.

Cette Église pluriconfessionnelle, et parfois secrètement latitudinaire, restait finalement assez éloignée du modèle de l’Église d’État unitaire avec son union intime entre le régime spirituel et les structures politiques que les pères de Dordrecht avaient en vue. Elle manquait, à vrai dire, à bien des égards d’une véritable profondeur spirituelle. Pour y remédier, les plus lucides et les plus motivés dans l’Église réformée, bien conscients du problème, passèrent assez rapidement, dans un nouvel élan pour une « Réforme continuée » (Nadere Reformatie), à une reconstitution de leur Église à l’intérieur de sa propre sphère, comme une Église plus restreinte, l’Ecclesia purior, une Église d’élus pour les seuls membres à part entière qui avaient fait leur profession de foi et observaient fidèlement ses règles. Des membres assez peu nombreux au début, il est vrai, mais localement travaillés par les minorités militantes, et parmi eux tout particulièrement les réfugiés pour la foi, dont l’importance dans la refonte culturelle des Pays-Bas a été peu à peu découverte depuis quelques décennies. Ces immigrés du Sud et de l’Est, Flamands, Wallons, Français et Allemands surtout, fournissaient d’ailleurs une proportion considérable des nouveaux pasteurs, maîtres d’école, enseignants et auteurs intellectuels qui allaient inculquer la nouvelle orthodoxie dans la jeunesse et la communauté globale des fidèles34.

On a suggéré non sans raison qu’après le synode de Dordrecht l’Église réformée des Provinces-Unies s’est en quelque sorte méridionalisée. Elle a adopté cet ensemble de caractères et formes d’expression ardents, violents, militants, ou simplement débordant d’énergie et de convictions intimes, par lesquels les Églises réformées des Pays-Bas du Sud avaient été marquées avant leur dispersion et leur transfert vers le Nord, plutôt que d’accentuer l’héritage plus modéré, plus égalitaire, libertin et humaniste, et surtout plus pragmatique du Nord lui-même. Plus que le Sud, tôt conquis par la Réforme protestante dans ses différentes expressions, luthérienne, anabaptiste et calviniste, le Nord baignait encore largement dans une triple tradition :

— celle de la Dévotion moderne à la spiritualité surtout pratique diffusée par l’Imitation de Jésus-Christ de Thomas à Kempis ;

— celle de l’humanisme cosmopolite incarné dans la personne d’Érasme de Rotterdam (1467-1536) ;

— et celle du libertinisme religieux d’un Dirck Volckertsz Coornhert, lui-même héritier d’une longue lignée de mouvements spirituels d’origine indigène, et qui a certainement influencé le courant remontrant35.

Un renouvellement socioculturel

Sur le plan sociopolitique, le poids historique du synode ne se résume pas, bien sûr, à ce second renouvellement des élites politiques et intellectuelles qui fut imposé par le stathouder dans les régences urbaines et par les États provinciaux dans les universités. Cependant, il a fourni l’occasion de ce renouvellement culturel et politique, plus subtil que dans les décennies cruciales de la Révolte de 1570-1600, mais certainement aussi efficace. Le premier renouvellement des élites urbaines s’inscrivait encore organiquement dans le système de gouvernement clos de la société urbanisée des Pays-Bas du Nord et du Sud. C’était un changement de familles ou de clans, non pas de classes sociales ou d’idéologies politiques. Ce second renouvellement amène sur le devant de la scène tout autant les immigrés que les classes moyennes acquises à l’orthodoxie de Dordrecht. Il leur ouvre progressivement l’accès aux fonctions subalternes, aux commissions, et en fin de compte à la régence même des villes et la gestion de la souveraineté, jusqu’alors jalousement gardées par la noblesse et les anciens clans bourgeois constitués qui se transmettaient le pouvoir dans les villes qui avaient droit de vote aux États. À cet égard, le synode de Dordrecht a aidé à démocratiser le système politique et à assurer une victoire sur le plan socioculturel plutôt que dans le domaine ecclésiastique, où les oppositions exacerbées ont mis du temps à s’adoucir.

Après les spasmes inévitables engendrés par le conflit doctrinal et la lutte politique combinés, qui ont conduit le pays au bord de la guerre civile, l’Église réformée a d’autant plus souplement adopté cette nouvelle culture qu’elle était alors un fournisseur éminent des nouveaux cadres intellectuels. Les ministres du culte, les régents des villes, les maîtres de l’école publique et les professeurs des collèges (les « écoles latines ») et surtout ceux des universités : tous étaient tenus de se déclarer au minimum « sympathisants », et de préférence membres à part entière de l’Église publique. Celle-ci s’est donc rapidement approprié cette nouvelle identité nationale, en réinterprétant la nation comme le « Nouvel Israël » de facture calviniste. Le nombre des membres adhérant à l’Église réformée est allé croissant au cours du xviie et surtout du xviiie siècle. Peu ou prou la profession de foi devint la règle pour tous, et la discipline ecclésiastique, dans la forme quelque peu radoucie que sa généralisation exigeait, s’est imposée au plus grand nombre. Mais dans le même temps la différence entre Église publique et Église d’élus s’est estompée. L’Église réformée perdit sa force corrosive, tout en étant travaillée de façon répétée par de nouveaux courants mobilisateurs tels que le piétisme, les conventicules sous leurs multiples formes, ou d’autres courants spirituels, dogmatiques voire apocalyptiques, qui appelaient de leurs vœux un retour à la pureté originale de la foi ou entendaient provoquer un nouvel élan, au risque de disloquer le fragile équilibre interne36. Face à de tels défis, d’orthodoxe, l’Église se fit conservatrice – une attitude qui tranchait sinon sur la doctrine, du moins sur l’esprit du synode de Dordrecht. Et au moment de la première Révolution batave, en 1787, ses membres firent en grande majorité le mauvais choix, en faveur de la conservation de l’ordre ancien.

Tout compte fait, le synode de Dordrecht a rendu ce service au monde international de la réforme calvinienne, qu’outre la nécessaire précision et fixation doctrinale sur le plan interne, il a permis de confessionnaliser les rapports entre l’Église et l’État. Et cela au moment précis où ses grands concurrents catholique et luthérien venaient d’en faire autant ailleurs en Europe, sur les frontières du Sud (les Pays-Bas espagnols) et de l’Est (les États allemands) et au-delà de la mer du Nord (en Angleterre et en Scandinavie), et risquaient de gagner la partie par le seul fait de leur osmose avec les États. Dorénavant l’Église réformée pouvait se constituer, là où le souverain le permettait, en Église pleinement établie et dûment réglée, s’appuyant sur quelques textes fondateurs pérennes, la « Bible des États » et les trois Formulaires d’Unité, garantissant une théologie et un régime ecclésiologique constitués et éprouvés.

Mais ce résultat était à double tranchant. Il y avait en Europe, d’une part, les territoires, monarchies ou républiques où, grâce à l’assentiment de la puissance souveraine, l’Église réformée (dans sa version luthérienne ou calviniste) put pleinement et intégralement exercer le monopole des âmes. Mais il y avait, d’autre part, des territoires profondément pluri-religieux comme la République des Provinces-Unies, où, sans même parler des catholiques subsistant en masse, la Réforme calvinienne avait été précédée par les luthériens, les anabaptistes, les mennonites, les sacramentaires, et toute une série de mouvements spirituels propres au pays, parfois liés à la Dévotion Moderne autochtone, et où elle était quotidiennement concurrencée par plusieurs variantes du protestantisme37. Au sein même de l’Église formellement calviniste, plusieurs courants spirituels continuaient de se partager le pouvoir, sans même parler du mouvement de spiritualité pratique de la Nadere Reformatie, proche des calvinistes anglais. Par son désir d’englober l’ensemble des protestants, l’Église réformée devait s’accommoder de la persistance en son sein d’un courant latitudinaire inspiré par les positions arminiennes ou proche d’elles – au point que dans certaines villes on partageait les postes de pasteur formellement entre ces deux courants.

Dans cette société pluri-religieuse, la confessionnalisation de l’Église réformée entraînait un mouvement similaire auprès des autres communautés religieuses : les remontrants bien sûr, mais tout autant les catholiques, luthériens et mennonites, pour en rester aux plus grandes communautés. Dorénavant la confession elle-même, y compris son explication théologique dans la version orthodoxe autorisée par les dirigeants ecclésiastiques, était placée au centre de la communauté sociale qui la dominait et la délimitait. La perception de l’identité chrétienne était de plus en plus étroitement liée à l’affiliation formelle à une Église précise, son corps doctrinal, sa spiritualité, son éthique, ses rituels, et jusqu’aux expressions concrètes de sa vie communautaire quotidienne. Les grands schismes que les autres Églises de la République ont connus par la suite – tels les luthériens au xviiie siècle, les catholiques dès le troisième quart du xviie dans la crise du jansénisme qui en 1723 a conduit au schisme formel entre deux Églises, l’une romaine, l’autre nationale, proche de la spiritualité gomariste (l’Église « vieille-catholique »), et les mennonites avec leur sécessions à répétition – sont la preuve patente de l’imposition générale de ce confessionnalisme dont le synode de Dordrecht a été le laboratoire et le premier modèle pour les réformés.

Répercussions internationales

Le synode était en théorie national, mais il eut lieu dans un contexte éminemment international et devint rapidement le point de mire du monde réformé tout entier, y compris de ceux qui, par leur souverain ou pour d’autres raisons, étaient empêchés de s’y rendre. Aussi fut-il d’emblée embrassé par la communauté protestante internationale. Les États-Généraux eux-mêmes invitèrent toutes les puissances réformées de l’Europe à envoyer des délégués, d’abord l’Angleterre, l’Écosse, la France, le Palatinat, la Hesse et la Suisse, puis également Brême, Emden, Genève, Nassau-Wetteravie et Brandebourg38. Ils furent reçus solennellement dès le 10 novembre 1618 dans l’église des Augustins. En dépit de la visite que l’ambassadeur de la République avait rendu le 17 juillet 1618 à Louis XIII, le roi interdit par une ordonnance du 15 octobre suivant aux quatre pasteurs qui étaient déjà en route pour la Hollande de s’y rendre : Pierre Du Moulin (1568-1658), André Rivet (1572-1651), Daniel Chamier (1564-1621) et Jean Chauve (1578-1649) durent rebrousser chemin ; leurs places restèrent vides39. Le Brandebourg renonça finalement aussi. Cependant, les décrets du synode de Dordrecht furent reçus et approuvés dès 1620 par les Églises réformées françaises au synode national d’Alès, puis en 1623 à celui de Charenton.

Genève, jusqu’alors en quelque sorte la maison-mère de l’internationale calviniste, joua un rôle complexe dans cet événement néerlandais40. Il y avait bien sûr, à Dordrecht, deux pasteurs délégués par Genève, Théodore Tronchin (1582-1657) et Jean Diodati (1576-1649), mais leur rôle au cours du synode fut somme toute réduit. Comme eux-mêmes le firent remarquer avec une évidente satisfaction, les cartes étaient jouées dès avant l’ouverture du synode. À leur avis, cette réunion ne devrait pas être une occasion de débat mais simplement un lieu d’affirmation de la doctrine gomariste et de condamnation sans appel des opposants arminiens – ce qui arriva effectivement. Cependant, comme la très abondante correspondance publiée en annexe de l’édition du registre de la Compagnie des pasteurs de Genève le montre, à l’arrière-plan les délégués genevois jouaient en quelque sorte le rôle de garants du réseau international qui soutenait le synode et qui assurait son autorité morale à court et à moyen terme. Si l’on regarde au-delà de leurs mots bien souvent excessifs et prévenus à l’égard de tout opposant, on peut patiemment reconstruire un réseau de relations internationales et toute une pratique de sociabilité qui a sous-tendu le synode et déterminé son succès. Il faut dire que les Genevois jouèrent ce rôle de liaison multiforme avec conviction, avec compétence et avec verve. Le prestige immatériel et mémoriel de Genève, la ville de Calvin et de la première académie calvinienne, y était pour quelque chose. Ce même prestige avait dès 1594 convaincu les États de Hollande et de Frise de concéder à la République de Genève, alors en grande difficulté, un prêt de 24 000 florins – prêt dont les deux délégués, vingt-cinq ans plus tard, étaient d’ailleurs expressément chargés par le conseil de Genève de discuter l’annulation, faute de moyens pour le rembourser.

Le prestige de Genève comme berceau – et, implicitement, garante – de la Réforme calviniste a joué ici un rôle important. D’abord par sa fonction sociale et éducative : la quasi-totalité des pasteurs néerlandais importants de ces premières décennies avaient fait des études de théologie à Genève pendant un temps plus ou moins long – du reste, l’historien des universités sait que de tels rapports peuvent facilement tourner en leur contraire, comme l’atteste la présence parmi ces étudiants de plusieurs futurs leaders arminiens41. Mais bien au-delà de l’influence de la doctrine et de la personne des grands théologiens – Bèze peut-être encore plus que Calvin – la référence à Genève avait une valeur iconique : Geneva locuta, causa finita, pourrait-on dire par analogie avec Rome. Valeur plus iconique que réelle, en vérité, car dorénavant le rôle de Genève dans l’évolution de la pensée théologique réformée à l’égard des points incriminés devait rester assez limité. Mais la structure républicaine de l’État de Genève renforçait la conscience d’une filiation intellectuelle, tout comme la reconnaissance réciproque de leurs académies. En effet, les bases institutionnelles de l’université de Leyde demeurèrent longtemps discutées dans le paysage universitaire européen, car ses racines avaient été assurées par un État calviniste qui ne fut pleinement reconnu sur pied d’égalité que par les traités de Westphalie en 1648. L’académie de Genève aussi bien que celle de Leyde, en théorie les deux mamelles de l’orthodoxie réformée, avaient toutes deux du mal à asseoir leur autorité en matière théologique au-delà du cercle resserré des fidèles. Dans ce combat où société, politique et religion se mêlaient inextricablement, Genève, l’emblème même du calvinisme politico-religieux, était pour la République néerlandaise un appui hautement apprécié, voire sollicité.

Dans le contexte politico-religieux troublé des Provinces-Unies, extrêmement confus aux yeux des délégués des Églises étrangères, le synode s’imposa comme un événement majeur, donnant une illusion d’unité reconquise. Mais, comme le montre la correspondance des délégués de Genève, ceux-ci n’ignoraient nullement son corollaire politique, le renversement des rôles et alliances, la prise de pouvoir par le prince Maurice et la chute d’Oldenbarnevelt et ses alliés, un événement sans doute plus important aux yeux de la grande majorité des Néerlandais eux-mêmes. D’ailleurs, comment auraient-ils pu l’ignorer étant donné l’arrestation et le jugement public des plus hauts responsables de l’État au cours même de la tenue du synode, la guerre civile larvée, et le coup d’État en règle exécuté par le commandant suprême des armées, Maurice d’Orange-Nassau, même si celui-ci était encore assez loin de la position quasi-monarchique que ses successeurs allaient progressivement imposer ? Dans une vision plus globale de l’histoire interne de la République, le synode de Dordrecht est indissociablement couplé avec les événements politiques de toute la décennie 1610-1619, qui l’ont en partie précédé, en partie rendu possible, et qui, en tout état de cause, en ont décidé le cours et les résultats. Si jamais une évolution théologique fût influencée sinon décidée par le cours de la politique globale, ce fut bien la définition de la double prédestination au synode de Dordrecht.

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1. Pour l’état actuel des recherches sur le synode, ses thèmes essentiels et les principaux personnages impliqués, voir les articles dans Catherine Secretan – Willem Frijhoff (dir.), Dictionnaire. Les Pays-Bas au Siècle d’or. De l’Union d’Utrecht à la Paix d’Utrecht (1579-1713), Paris : CNRS Éditions, 2018, en particulier « Arminius » (p. 39s), « Bible des États » (p. 76-78), « Confessio Belgica » (p. 161s), « Dordrecht, Synode » (p. 196-199), « Eglise Réformée » (p. 219-222), « Episcopius » (p. 236s), « Gomarus » (p. 292-294), « Maurice, comte de Nassau, prince d’Orange » (p. 481-483), « Oldenbarnevelt » (p. 531-534), « Prédestination » (p. 588-590) et « Uytenbogaert » (p. 729s). En 2018-2019, le quatrième centenaire a donné lieu à une importante série de manifestations à Dordrecht, tant à l’initiative de la ville qu’à celle d’une députation de l’orthodoxie réformée. Plusieurs colloques, des expositions sur le synode et sur la « Bible des États », des concerts de musique d’époque (Jan Pietersz Sweelinck, et Hendrik Speuy, organiste de la Grande Église), une application avec une reconstruction numérique de la ville au cours du synode, et l’écriture automatique par un robot des plus de trois millions de lettres du texte biblique sur un rouleau de papier de mille mètres, sur une place publique. Voir http://www.synode400.nl pour l’ensemble des activités. Le catalogue abondamment illustré de l’exposition principale dans le Dordrechts Museum fut publié par Marianne Eekhout (dir.), Werk, bid en bewonder. Een nieuwe kijk op kunst en calvinisme, Zutphen : Walburg Pers, 2018. Fred van Lieburg, Synodestad : Dordrecht 1618-1619, Amsterdam : Prometheus, 2019, a fourni une présentation détaillée des rapports entre la ville de Dordrecht, le synode et ses participants, et une analyse exemplaire des aspects socio-culturels de l’événement dans l’espace urbain. Professeur d’histoire religieuse à la faculté des Humanités de l’Université Libre (Vrije Universiteit) à Amsterdam, il a organisé et coordonné l’essentiel de la commémoration du synode à Dordrecht en 2018 et 2019.

2. Voir plus loin sur les différentes interprétations de la prédestination et des notions d’infralapsarisme et de supralapsarisme, qui rendent toute lecture de cet événement délicate.

3. Iudicium Synodi Nationalis Reformatarum Ecclesiarum Belgicarum, habitae Dordrechti, Dordrecht, apud J. Berewout & F. Bosselaer socios Caninij, 1619 ; en néerlandais : Oordeel des Synodi Nationalis der gereformeerde kercken van de Vereenichde Nederlanden, ghehouden binnen Dordrecht, Dordrecht : Isaac Janssen Canin et soc., 1619 ; en français : Jugement du Synode National des Eglises Reformees du Pays-Bas, tenu à Dordrecht, Dordrecht, Isaac Canin, 1619 ; et en anglais : The ivdgement of the Nationall Synode of the reformed Belgique churches, assembled at Dort, anno 1618. and 1619 [...] Englished out of the Latine copie, Londres : John Bill, 1619.

4. L’ouvrage de base sur ces textes, leurs variantes et leur histoire demeure J. N. Bakhuizen van den Brink, De Nederlandse Belijdenisgeschriften in authentieke teksten, met inleiding en tekstvergelijkingen, 2e éd, Amsterdam : Ton Bolland, 1976.

5. Les États de Hollande ont hésité à introduire la Dordtse Kerkorde, mais ont changé d’avis en 1622 ; dans la province de Zélande, la Kerkorde provinciale de 1591 est restée en vigueur.

6. Parmi les publications principales des textes, on relèvera la première édition post-synodale de l’ensemble des documents fondateurs de l’Église réformée néerlandaise : Belgicarum ecclesiarum doctrina & ordo. Hoc est Confessio, catechesis, liturgia, canones ecclesiastici, Graecè & Latinè, publ. par Friedrich Sylburg et Jacobus Revius, Harderwijk : Nicolaus à Wieringen, 1627, et la publication officielle des actes du synode : Acta Synodi Nationalis in nomine D.N.J.C. Dordrechti habitae, Dordrecht : Isaac Canin, 1620. Une réédition scientifique complète est en cours : Donald Sinnema – Christian Moser – Herman J. Selderhuis (dir.), Acta et Documenta Synodi Nationalis Dordrechtanae (1618-1619), Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 2015s, vol. I : Acta of the Synod of Dordt (2015) ; II/2 : Early Sessions of the Synod of Dordt (2018) [ce volume comprend tous les documents concernant le conflit avec les remontrants]. Parmi l’abondante littérature récente sur le synode, on relèvera Aza Goudriaan – Fred van Lieburg (dir.), Revisiting the Synod of Dordt (1618-1619), Leyde : Brill, 2011 ; Don Sinnema, « The French Reformed Churches, Arminianism, and the Synod of Dort (1618-1619) », in Martin Klauber (dir.), The Theology of the French Reformed Churches: From Henri IV to the Revocation of the Edict of Nantes, Grand Rapids : Reformation Heritage Books, 2014, p. 98-136.

7. Sur la ville de Dordrecht, son élite politique et son histoire religieuse, voir Eric Palmen, « De politieke elite », et Fred van Lieburg, « Geloven op vele manieren », in Willem Frijhoff – Hubert Nusteling – Marijke Spies (dir.), Geschiedenis van Dordrecht van 1572 tot 1813, Hilversum : Verloren, 1998, p. 211-220 et 271-304.

8. Sibbe Jan Visser, Samuel Naeranus (1582-1641) en Johannes Naeranus (1608-1679). Twee remonstrantse theologen op de bres voor godsdienstige verdraagzaamheid, Hilversum : Verloren, 2011.

9. Andrew Pettegree, Emden and the Dutch Revolt: Exile and the Development of Reformed Protestantism, Oxford : Oxford University Press, 1992.

10. C. A. Tukker, De classis Dordrecht van 1573 tot 1609. Bijdrage tot de kennis van in- en extern leven van de Gereformeerde Kerk in de periode van haar organisering, Leyde : Universitaire Pers, 1965.

11. Jesse Spohnholz, The Convent of Wesel: The event that never was and the invention of tradition, Cambridge : Cambridge University Press, 2017.

12. Le titulaire de cette fonction fut connu plus tard comme « grand pensionnaire », une sorte de premier ministre au service des États provinciaux, mais en fait largement autonome dans son administration ; en raison du poids de la province de Hollande dans la République (40 % des habitants, près de 60 % de la richesse), l’avocat général de la Hollande jouait dans la pratique le rôle de premier ministre de la République.

13. Sur la riche imagerie pamphlétaire à propos du synode, voir Joke Spaans, « Imagining the Synod of Dordt and the Arminian controversy », in A. Goudriaan – F. Van Lieburg, Revisiting the Synod of Dordt, p. 335-366 (ill.).

14. Le bâtiment fut détruit en 1857, mais une maquette reconstruisant l’intérieur est exposée dans la Grande Église. Il existe de très nombreuses images montrant le synode en séance, la plupart d’après celle du graveur François Schillemans (1575-1620), Delineatio Synodi Dordraceni, publiée avec privilège des États-Généraux.

15. Quelques ouvrages néerlandais importants : A. Th. van Deursen, Bavianen en slijkgeuzen. Kerk en kerkvolk ten tijde van Maurits en Oldenbarnevelt, Assen : van Gorcum, 1974 ; rééd. Franeker : Van Wijnen, 1991 et 1998 ; W. Van ’t Spijker et al., De Synode van Dordrecht in 1618 en 1619, Houten : Den Hertog, 1987 ; Tanja G. Kootte, Rekkelijk of precies. Remonstranten en contraremonstranten ten tijde van Maurits en Oldenbarnevelt, Utrecht : Catharijneconvent, 1994.

16. J. Heringa, « Bijzonderheden betreffende de vervaardiging van de gewone Nederlandsche Bijbelvertaling », in N.C. Kist – H. J. Royaards (dir.), Archief voor kerkelijke geschiedenis, inzonderheid van Nederland, 5 (1834), p. 59-202 ; D. Nauta, « Geschiedenis van het ontstaan der Statenvertaling », in De Statenvertaling 1637-1937, Haarlem : Bohn, 1937, p. 1-50 ; C. C. De Bruin, De Statenbijbel en zijn voorgangers, Nederlandse Bijbelvertalingen vanaf de Reformatie tot 1637, éd. par F. G. M. Broeyer, Haarlem : Nederlands Bijbelgenootschap, 1993.

17. O. C. Broek Roelofs, Wilhelmus Baudartius, Kampen : Kok, 1947.

18. Sur la famille Rolandus : Craig Harline, Conversions: two family stories from the Reformation and modern America, New Haven : Yale University Press, 2011; son petit-fils Jacobus (1633-1684) se convertit au catholicisme avec éclat.

19. Selected Poems of Jacobus Revius, Dutch Metaphysical Poet, Detroit : Wayne State University Press, 1968.

20. Ce n’est pas un hasard si ce fut Renesse qui traduisit en latin le traité de Walaeus : « Tractatus de munere ministrorum Ecclesiae et inspectione magistratus circa illud », in Antonius Walaeus, Opera omnia, ed. Johannes Walaeus, Leyde : F. Hackius, 1643.

21. Sur lui : Pierre-Olivier Lechot, « Entre irénisme et controverse. La réécriture historique de la différence confessionnelle chez le théologien palatin Heinrich Alting (1583-1644) », in Bertrand Forclaz (dir.), L’expérience de la différence religieuse dans l’Europe moderne (xvie-xviiie siècles), Neuchâtel : Alphil, 2012, p. 349-370.

22. Édition originale : Biblia, dat is: De gantsche H. Schrifture, vervattende alle de canonijcke Boecken des Ouden en des Nieuwen Testaments. : Nu eerst, door last der Hoogh-Mog. Heeren Staten Generael vande Vereenighde Nederlanden, en volgens het besluyt van de Synode Nationael, gehouden tot Dordrecht, inde jaeren 1618. ende 1619. : Uyt de oorspronckelijcke talen in onse Neder-landtsche tale getrouwelijck over-geset. : met nieuwe bij-gevoegde verklaringen op de duystere plaetsen, aenteeckeningen vande ghelijck-luydende texten, ende nieuwe registers over beyde de Testamenten (Leyde : gedruckt bij Paulus Aertsz. van Ravensteyn, voor de weduwe ende erfgenamen van wijlen Hillebrant Jacobsz. van Wouw, 1637), consultable par Google Books: https://books.google.nl/books?vid=KBNL:UBL000036920&1redir_esc=y. Une réédition photomécanique en 3 volumes a paru en 1997 chez l’éditeur de publications réformées Den Hertog à Houten, sous le titre modernisé Bijbel : dat is de ganse Heilige Schrift : bevattende al de canonieke boeken van het Oude en Nieuwe Testament, door last van de hoogmogende heren Staten-Generaal van de Verenigde Nederlanden en volgens besluit van de Synode-Nationaal, gehouden te Dordrecht, in de jaren 1618 en 1619 [...], naar de uitgave van de weduwe van Paulus Aertsz. van Ravesteyn te Amsterdam, anno 1657.

23. Une vision remontrante très détaillée et anti-gomariste du synode fut publiée dès 1704 dans le volume 3 de Historie der Reformatie par l’historien remontrant Geeraert Brandt (1626-1685) ; voir t. 1 et 2 de la version française : Histoire abrégée de la Réformation des Pais-Bas, 3 vol., La Haye : Pierre Gosse, 1726.

24. Sur lui : Marc A. Ellis, Simon Episcopius’ doctrine of original sin, New York : Peter Lang, 2006.

25. J’emprunte ce passage éclairant à l’article « Gomarus » par Catherine Secretan, in Dictionnaire des Pays-Bas au Siècle d’or, p. 292-294.

26. Carl Bangs, Arminius. A study in the Dutch Reformation, Eugene (OR) : Wipf & Stock, 1998 ; Keith D. Staglin, Arminius and the assurance of salvation: the context, roots, and shape of the Leiden debate, 1603-1609, Leyde : Brill, 2008 ; Marius Th. van Leeuwen – Keith D. Staglin – Marijke Tolsma (dir.), Arminius, Arminianism, and Europe. Jacobus Arminius (1559/60-1609), Leyde & Boston : Brill, 2009 ; Keith D. Staglin – Thomas H. McCall, Jacob Arminius. Theologian of Grace, Oxford : Oxford University Press, 2012. Dans sa thèse en théologie Duplex Amor Dei. Contextuele karakteristiek van de theologie van Jacobus Arminius (1559–1609), Apeldoorn : Theologische Universiteit, 2008, William Den Boer a affirmé que les théologies de l’élection d’Arminius et Gomarus étaient moins différentes qu’on ne le pense couramment, tous deux restant essentiellement des théologies réformées. Cette affirmation lui a valu un conflit public avec les réformés orthodoxes, obligeant le conseil de son université (réformée) à prendre sa défense – preuve qu’Arminius est toujours une persona non grata dans l’aile droite, strictement calviniste des réformés.

27. Cf. Paul Dibon, Regards sur la Hollande du Siècle d’Or, Naples : Vivarium, 1990.

28. Voir Willem Frijhoff – Marijke Spies, 1650 : Hard-Won Unity [Dutch Culture in a European perspective], Assen : Royal Van Gorcum / Basingstoke : Palgrave Macmillan, 2004 ; Jonathan Israel, The Dutch Republic: Its rise, greatness, and fall, 1477-1806, Oxford : Clarendon Press, 1995 ; Catherine Denys – Isabelle Paresys, Les Anciens Pays-Bas à l’époque moderne (1494-1815) : Belgique, France du Nord, Pays-Bas, Paris : Ellipse, 2007 ; 2e éd. 2016.

29. Voir le récit très détaillé de cette épuration dans Brandt, Histoire abrégée de la Réformation, t. 2. Les remontrants publièrent leur propre version des actes du synode : Acta et Scripta Synodalia Dordracena Ministrorum Remonstrantium in Foederato Belgio, Harderwijk : Typographus synodalis (imprimé par Abraham Verhoeven à Anvers), 1620.

30. Sem Christian Sutter, « Friedrichstadt an der Eider: Ort einer frühen Erfahrung religiöser Toleranz », in Mitteilungen der Gesellschaft für Friedrichstädter Stadtgeschichte (2012) ; https://de.wikipedia.org/wiki/Friedrichstadt.

31. Gerhard Köhn, Die Bevölkerung der Residenz, Festung und Exulantenstadt Glückstadt von der Gründung 1616 bis zum Endausbau 1652, Neumünster : Wachholtz-Verlag, 1974.

32. En dépit de son importance pour les relations franco-néerlandaises, il n’existe pas d’étude en français sur Hooft. Sur lui et d’autres auteurs autour du synode, voir Hanna Stouten – Jaap Goedebuure – Frits van Oostrom (dir.), Histoire de la littérature néerlandaise (Pays-Bas et Flandre), Paris : Fayard, 1999, p. 208-213, 259-260 et 272-276 ; ainsi que p. 256-257 sur les satires du poète et dramaturge Joost van den Vondel, indigné du meurtre judiciaire d’Oldenbarnevelt.

33. Sur lui, Charles-Édouard Levillain, Vaincre Louis XIV. Angleterre-Hollande-France : histoire d’une relation triangulaire 1665-1688, Seyssel : Champ Vallon, 2010.

34. Voir en particulier J. Briels, Zuid-Nederlanders in de Republiek: een demografische en cultuurhistorische studie 1572-1630, St. Niklaas : Danthe, 1985 ; Jan Lucassen – Rinus Penninx, Newcomers. Immigrants and their Descendants in the Netherlands 1550-1995, Amsterdam : Transaction Publishers, 1997 ; Yves Krumenacker (dir.), Entre calvinistes et catholiques : les relations religieuses entre la France et les Pays-Bas du Nord (xvie-xviiie siècle), Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2010.

35. Henk Bonger, The life and work of Dirck Volckertszoon Coornhert, Leyde : Brill, 2004 [éd. néerl. 1978] ; Thierry Coornhert, À l’aube des libertés modernes. Synode sur la liberté de conscience (1582). Introd., trad. et notes par Joseph Lecler et Marius-François Valkhoff, Paris : Cerf, 1979 ; Stouten et al., Histoire de la littérature néerlandaise, op. cit., p. 232-235.

36. Voir l’étude classique de Leszek Kolakowski, Chrétiens sans Église : la conscience religieuse et le lien confessionnel au xviie siècle, Paris : Gallimard, 1969 ; Arie-Jan Gelderblom – J. L. De Jong – Marc van Vaeck (dir.), The Low Countries as a crossroads of religious beliefs, Leyde : Brill, 2004 ; et plus généralement Joris van Eijnatten – F. A. van Lieburg, Niederländische Religionsgeschichte, Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 2011.

37. Voir notamment Irvin B. Horst (dir.), The Dutch dissenters. A critical companion to their history and ideas, Leyde : Brill, 1986, et les évolutions chiffrées dans Hans Knippenberg, De religieuze kaart van Nederland : omvang en geografische spreiding van de godsdienstige gezindten vanaf de Reformatie tot heden, Assen : van Gorcum, 1992.

38. Pour le rôle des Anglais, voir Anthony Milton (dir.), The British Delegation and the Synod of Dort (1618-1619), Woodbridge : Boydell Press, 2005.

39. Les actes du synode furent cependant rapidement reçus en France : Ivgemant, et canon, avec le serment d’approbation dv synode national des Églises Réformées de France, tenu à Dordrecht l’an 1618. & 1619, touchant les cincq articles debatus es dites Églises du Pays-Bas, Selon la copie imprimé à Nismes par Jean Vaguenar, Amsterdam : Iaques de Wachter, 1621.

40. Registres de la Compagnie des pasteurs de Genève, t. XIV et denier (1618-1619) : Le synode de Dordrecht. Publ. par Nicolas Fornerod et al., Genève : Droz, 2012. Une partie du présent article fut présentée lors d’une table ronde à l’Institut d’histoire de la Réformation, Genève, le 27 septembre 2013, à propos de cette publication.

41. Herman De Vries van Heekelingen, Genève pépinière du calvinisme hollandais, 2 vol., Fribourg : Fragnière, 1918-1924 ; reprint 1980 ; Nicolas Fornerod, « “The Canons of the Synod had shot off the advocate’s head” : A reappraisal of the Genevan delegation at the Synod of Dordt », in A. Goudriaan – F. Van Lieburg, Revisiting the Synod of Dordt, p. 181-215. Voir plus généralement sur la formation universitaire des Néerlandais : Willem Frijhoff, « University history in the Low Countries », CIAN. Revista de Historia de las Universidades (Universidad Carlos III de Madrid), 20 (2017), p. 71-95.