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Frédéric Barbier, Marianne Carbonnier-Burkard, Geneviève Guilleminot-Chrétien, Yves Krumenacker, Florine Lévecque-Stankiewicz, Olivier Millet, Yann Sordet (dir.), « Maudits livres » : La réception de Luther et les origines de la Réforme en France, Préface de Yann Sordet. Introduction de Hubert Bost

Paris : Bibliothèque Mazarine & Éditions des Cendres, 2018, 339 p.

Marianne CARBONNIER-BURKARD

Le 500e anniversaire de la Réforme, ou plus précisément de l’arrivée de Luther, par ses premiers livres, à Paris, en 1518, a été l’occasion d’une exposition à la Bibliothèque Mazarine, à l’automne 2018, accompagnée d’un magnifique et passionnant catalogue, fruits d’une collaboration étroite entre la Bibliothèque Mazarine et la SHPF.

Ce sont 78 livres, plaquettes ou placards, provenant pour la plupart de ces deux bibliothèques, qui ont été rassemblés : de « maudits livres » « luthériens » et d’autres de maudisseurs, répartis en six chapitres selon un axe à la fois chronologique et thématique :

– I. Le contexte intellectuel et religieux et le nouveau media de l’imprimé (F. Barbier). Ce contexte est évoqué par quelques témoins des sensibilités et des aspirations nouvelles à la veille de la Réforme de Luther : ainsi la Nef des fous de Sebastien Brant dans une édition de Paris (1498), une Danse macabre de Guy Marchant, de Paris (1490), la première édition du Novum Instrumentum d’Érasme, à Bâle, chez Johannes Froben (1516).

– II. Les premiers imprimés qui ont fait connaître Luther à Paris (F. Lévecque-Stankiewicz) : d’abord la première édition des œuvres latines de Luther, à Bâle, par Froben, en 1518 (dont un des rares exemplaires subsistant est conservé à la Mazarine, p. 93-95) ; puis les plaquettes imprimées en 1519-1520, relayant à Paris la dispute de Leipzig sur l’autorité pontificale (important dossier, p. 84-85, 103-111) ; la bulle Exsurge Domine du pape Léon X, sommant Luther de se rétracter, en juin 1520 ; et d’un an plus tard, en avril 1521, la Determinatio de la Faculté de théologie de Paris, interdisant d’imprimer, vendre et détenir en France des ouvrages de Luther et de ses partisans.

– III. Les suites de la condamnation de la Sorbonne (G. Guilleminot-Chrétien, Y. Krumenacker) : le procès de Berquin, avec la saisie de ses livres en 1523, attestant le passage des écrits de Luther (en latin) de Bâle ou Strasbourg à Paris, dans les milieux humanistes (p. 129-134, p. 148-151) ; les impressions clandestines de Luther à Paris, entre autres de Michel Lesclancher, vers 1521, sous la fausse adresse de Wittenberg (p. 141-143, p. 153-154) ; les premières répliques de théologiens aux idées de Luther, tel l’Antilutherus de Josse Clichtove, à Paris, en 1524.

– IV. Luther en français, anonyme, avant Calvin (M. Carbonnier-Burkard et O. Millet) : le psautier en français (Paris, par Simon de Colines, 1524) adressé « à tous chrestiens et chrestiennes », par Lefèvre d’Étaples, mentor des « bibliens » de Meaux, suspects de prêcher des « nouveautés » « luthériennes » (de curieuse plaquettes de 1528 attestent la persistance de la suspicion d’hérésie à Meaux : p. 194-198) ; les premières traductions ou adaptations de Luther et de Melanchthon en français, à l’usage des laïcs ne lisant pas le latin, dans des impressions de Simon Du Bois à Paris, puis à Alençon, et de Martin Lempereur à Anvers ; d’autres impressions de Paris et d’Alençon, qui cachent Luther en morceaux choisis, dans des recueils de piété, des abécédaires, un catéchisme enluminé offert à Marguerite de Navarre vers 1532, ou encore dans la poésie de Marguerite de Navarre et de Marot ; des impressions de Neuchâtel, sous l’impulsion de Guillaume Farel, radicalisant les critiques luthériennes sur une ligne iconoclaste. C’est de cette veine que sont sortis les « placards contre la messe », affichés en plusieurs lieux du royaume en octobre 1534, déclenchant une spectaculaire opération de communication et de répression, qui fit fuir Calvin jusqu’à Bâle.

– V. Luther en français, quand Calvin entre en scène (M. Carbonnier-Burkard et O. Millet) : déjà dans la Christianae religionis institutio, profondément luthérienne d’inspiration, que Calvin publie à Bâle en 1536 pour les Français, et qu’il traduit et publie en français en 1542 ; à nouveau en passager clandestin, anonyme, dans des recueils composites tel L’instruction des enfans, livret anonyme publié à Paris en 1541 ; enfin dans des impressions à Genève, afin de manifester l’unité d’un pôle protestant reliant Genève et l’Empire. Dans le Catalogue des livres censurez par la Sorbonne, publié pour la première fois en 1544, Luther, « l’hérésiarque », occupe une place prépondérante. En 1547, juste après la mort de Luther, une nouvelle édition de l’Index cible bien davantage Calvin et les livres de Genève. Où l’on peut lire la mutation des « maudits livres luthériens » en maudits livres calvinistes.

– VI. La légende noire de Luther (Y. Krumenacker) : commencée en Allemagne dès les années 1520, sur fond de biographie fantaisiste, elle a été amplifiée après la mort de Luther (1546) par le théologien Cochlaeus, à partir de 1549 (en latin) ; elle a été aussi précoce en France, dans plusieurs plaquettes, telle la Balade des leutheriens publiée sans doute à Lyon vers 1526, dans des éditions de Cochlaeus à Paris, et dans des résumés de Cochlaeus en français, dont celui du franciscain Noël Taillepied, auteur d’un recueil de vies des « principaux heretiques de nostre temps », en 1577.

Le rapprochement de pièces rares, de la Mazarine et de la SHPF, ainsi que de la Réserve de la BnF, dispersées dans ces différentes institutions parisiennes, et le croisement d’approches de l’histoire du livre, de l’histoire des idées et des mentalités, ont permis de construire un sujet neuf : les livres de Luther, ou dérivés de Luther, ou au sujet de Luther en France, au temps de François Ier.

Le catalogue, prolongeant l’exposition, fait le point de recherches originales sur ce moment Luther en France, porté par les livres. Il est en même temps un très beau livre, qui donne à voir, reproduits en couleur et en pleine page, tant de petits livres pourchassés comme hérétiques, à côté de ceux des chasseurs.