Mireille-Bénédicte Bouvet, Protestantismes. Vocabulaire typologique
Paris : Éditions du Patrimoine, Centre des Monuments nationaux, 2017, 343 p.
Marianne CARBONNIER-BURKARD
Ce livre scientifique, œuvre de la responsable de l’Inventaire général du Patrimoine culturel de la Région Grand Est, est en même temps un beau livre, sous couverture rouge flamboyante, magnifiquement illustré, publié en 2017 à l’occasion de la commémoration des 500 ans de la Réforme. Il s’inscrit dans la prestigieuse collection Vocabulaires des Éditions du Patrimoine, vitrine du Centre des Monuments nationaux. Le propos est bien de mettre à la disposition des professionnels du patrimoine, des historiens et des anthropologues, comme aussi d’un large public, un « vocabulaire stabilisé à défaut d’être normalisé », désignant les monuments et objets matériels du monde protestant dans l’espace français. Il ne s’agit donc pas d’un dictionnaire historique du protestantisme, du type de l’Encyclopédie du protestantisme (Cerf-Labor et Fides), embrassant doctrines, institutions et personnages, mais d’un répertoire permettant « de comprendre et de définir les éléments matériels liés à la pratique religieuse protestante » en France.
Le sujet est neuf. Il faut dire qu’il n’a guère suscité l’intérêt des historiens du protestantisme ni des spécialistes de l’art sacré, préjugeant d’une forme de christianisme désacralisée à l’extrême, insouciante des objets cultuels et volontiers iconoclaste, sinon aniconique. L’histoire particulière des protestants français explique aussi ce désintérêt : des années 1680 à la fin du xviiie siècle, les réformés (calvinistes) ont été dans le royaume une minorité victime d’une politique de destruction organisée de son patrimoine. Mais cette histoire a eu pour effet une focalisation sur les traces de la persécution et des résistances, patrimonialisées dans des musées, type Musée du Désert, depuis le début du xxe siècle. L’Alsace luthérienne en revanche, sans mémoire de persécution, a suscité déjà au xixe siècle un intérêt régional pour son patrimoine religieux.
Le projet des Éditions du Patrimoine a été de couvrir sur cinq siècles, toute la carte des territoires protestants de France (avec quelques échappées vers la Suisse et l’Allemagne), ceux d’ancienne tradition réformée et luthérienne, et ceux nés des missions méthodistes, baptistes ou pentecôtistes, jusqu’aux plus contemporaines. L’approche est donc thématique et non cantonnée à une région, un siècle ou une Église.
Ce « vocabulaire » comporte près de 170 termes, classés selon un plan systématique (l’index final, aussi en allemand et en anglais, permet de retrouver facilement l’ordre alphabétique des mots). Après la mise en place des noms des différentes Églises et mouvements protestants, le patrimoine matériel est suivi à partir des pratiques communautaires, puis à partir des pratiques familiales et individuelles, en 11 chapitres : l’architecture (les temples), le décor des temples, le mobilier de la prédication, des sacrements, du chant et de la musique, de la collecte, le mobilier à l’usage des fidèles (les bancs), les vêtements liturgiques et de cérémonie, les rites funéraires, la commémoration, la piété familiale et individuelle.
Chaque terme est expliqué par une mise en perspective historique, en esquissant l’arrière-plan doctrinal, et est illustré par une ou plusieurs reproductions en couleur : au total quelque 400 photographies, précisément légendées, soit de bâtiments, la plupart de l’inventaire général du Patrimoine, soit d’objets, conservés dans des musées et des collections privées.
Devant un ouvrage d’une telle ampleur, et d’une telle richesse, faut-il être insatiable pour suggérer des ajouts, dont voici la liste, notée au fil de lectures assidues.
– Le chapitre sur l’architecture aurait pu faire une place aux locaux annexes des temples des xixe-xxe siècles, tels que la salle de l’école du dimanche, la bibliothèque populaire protestante, le local des scouts, avec chacun des décors et matériels (et un vocabulaire) spécifiques.
– Les grands tableaux des peintres d’histoire des xixe-xxe siècles, prévus pour des expositions pour les amateurs d’art, ont-ils, eux, leur place dans l’ouvrage ? Rares sont ceux qui ont été placés dans des temples. Mais il est vrai que certains, en étant reproduits par la gravure ou la photo dans de plus petits formats, ont fait partie des intérieurs protestants, et que d’autres éclairent les représentations de pratiques protestantes du passé (à ce titre, les planches dessinées par Bernard Picart pour les Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde de J. F. Bernard [tome V, Amsterdam, 1733] auraient pu être intégrées, d’autant que l’approche de l’éditeur – un protestant réfugié – était déjà ethnologique).
– Les décors de scènes bibliques (p. 80-83) ne se limitent pas aux vitraux et tableaux dans les temples, mais sont aussi présents dans des intérieurs protestants : non seulement en gravures au mur, mais aussi, aux xvie et xviie siècles, sculptés sur les armoires du Bas-Languedoc ou sur le manteau des cheminées (comme dans la maison Dugas, à Saint-Hippolyte-du-Fort).
– Les objets présents dans les fêtes religieuses sont mal repérables (pas d’entrée « Fête » dans les chapitres ni dans l’index). Or ils sont nombreux en Alsace : le sapin de Noël qui d’Alsace a conquis le monde, les moules à pâtisserie pour les « lammele » de Pâques.
Une question se pose au sujet du chapitre « La commémoration », qui regroupe les objets commémoratifs (statues, plaques, médailles) et les objets du Désert (tableaux, chaires et matériels de la clandestinité) devenus objets de mémoire et de musée. En effet, avant de devenir objets de mémoire et de musée, les chaires portatives, les pliants, les coupes démontables ont été depuis au moins le milieu du xviiie siècle et pendant le xixe siècle des matériels pour la pratique des « assemblées » sans temples, notamment dans le Midi et en Poitou (Églises du Désert, puis Églises concordataires, en attente de construction de temple, Églises libres et Réveil méthodiste). C’est donc au chapitre du mobilier cultuel qu’on s’attendrait à les trouver.
En feuilletant le livre, l’impression qui prévaut est celle d’une profusion d’objets rituels, d’images et de mots souvent inconnus des protestants eux-mêmes. Le plus grand nombre d’exemples cités provient en effet du monde luthérien d’Alsace et du Pays de Montbéliard. Cette surexposition du protestantisme de ces régions s’explique, d’une part, par les traditions liturgiques luthériennes, moins désacralisatrices des formes rituelles que les traditions réformées, d’autre part, par l’histoire de ces régions : n’ayant pas subi de politique systématique de destruction du protestantisme, le patrimoine protestant, immobilier et mobilier, y a été mieux conservé. Le prisme est de prime abord troublant, mais au fond le mixage interrégional est bienvenu : il déprovincialise le « vocabulaire » des protestantismes français, en général abusivement restreint au monde réformé.
Ce grand Vocabulaire « des Protestantismes » français, de surcroît lesté d’une importante bibliographie, est non seulement un outil de premier ordre pour les spécialistes du patrimoine religieux, mais aussi un guide pour des non-spécialistes, attachés au protestantisme ou curieux de cet « autre christianisme ».