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Sylvie CADIER, avec la collaboration de Denise Zwilling et Jean-François Mouhot, Une histoire des Courmettes, 1918-2018. Les avatars d’une institution protestante

A Rocha France éditeur, 104 p.

Gabrielle CADIER-REY

Les avatars ! Le mot épouse bien les vies multiples que cette institution a connues pendant un siècle. En 1918, le pasteur Stuart Léo Roussel, fils de Napoléon Roussel, achète un grand domaine de plus de 600 hectares, au-dessus de Grasse, pour en faire un sanatorium. La vue est admirable sur les villages et la montagne environnants. À côté de la vieille maison de maître, les greniers à foin de la ferme attenante sont transformés en dortoirs et entourés de terrasses d’insolation. L’achat en est possible grâce à la générosité d’un riche Américain. Le but est d’en faire une institution médicale et une œuvre morale et religieuse « La Bible et la personne du Christ seront à la base de tout ce qui s’y fera. » Et l’on peut admirer que malgré les « avatars » traversés, un siècle après cette direction n’ait pas varié. En 1920, une association est créée qui prend le nom d’Amiral de Coligny (ADC) qui confirme le pasteur Stuart Roussel comme directeur. Mais la gestion financière de l’opération s’avère rapidement problématique et Roussel, accablé de soucis, y laisse la santé et la vie. L’Association se tourne alors vers le couple Monod qui, au lendemain de la guerre, dirigeait le Centre héliomarin de tuberculose dans la presqu’île de Gien. Le docteur Gérard Monod s’était, pendant la guerre, investi dans plusieurs hôpitaux militaires ; sa femme, la fougueuse Lisbeth Thyss-Monod, également médecin, est la seule femme qui ait créé et dirigé un hôpital militaire. Avec les Monod, la vie aux Courmettes est joyeuse, surtout pour les enfants (environ 20 à 25) qui bénéficient, outre les cours de l’école d’Edouard Brancier, de beaucoup de loisirs et d’une grande liberté dans la nature.

En 1927, le Docteur Monod accueille, dans une ferme voisine délabrée, une petite communauté d’anarchistes allemands, comme ouvriers agricoles. Vivant dans le naturisme et l’amour libre, ils suscitent un scandale dans la région et ils doivent partir. Cette même année 1927, les Courmettes se trouvent indirectement mêlées à une autre histoire : un comte russe déclassé assassine sa maîtresse qu’il avait connue aux Courmettes où elle était secrétaire. Le Docteur Monod est entendu comme témoin et laisse entendre que le Russe était déséquilibré. Mais aux Courmettes, les malades se plaignent d’une nourriture insuffisante et du manque d’hygiène. Une inspection, tout en rendant hommage à la compétence et au dévouement du docteur, amène sa démission. Le Dr Monod va alors ouvrir un cabinet de psychiatrie à Cannes. Sa femme reste jusqu’en 1935 aux Courmettes, pour diriger une sorte de préventorium avec une vingtaine d’enfants.

En 1936, le domaine passe à la Fédération Française des Éclaireuses (FFE). Il est dans un grand état d’abandon et demande beaucoup de travaux que les éclaireuses vont accomplir : constructions, nettoyage et remise en valeur du domaine agricole. Chef Walter, la Commissaire nationale de la FFE, y voyait la valeur éducative des travaux agricoles. Pour monter aux Courmettes, il n’existait qu’un chemin muletier, aux trente-deux lacets, souvent défoncé et ce n’est que tardivement qu’il a été amélioré. Cependant les camps se succèdent. Simone Jacob (Veil) de Nice, « lièvre agité », participa à l’un d’eux, sans doute en 1940. Pendant la guerre, les Courmettes restent habitées par des éclaireuses aînées, des réfugiés qui les aident aux travaux agricoles ; Allemands et FFI y passent aussi en 1944. Après la guerre, les camps reprennent. Le top fut « Expédition 54 » avec 1580 éclaireuses venues de toute la France, d’Afrique du Nord, de Suède, de Grande-Bretagne, du Togo et d’une dizaine d’autres pays. Et pour couronner, la présence de Lady Baden-Powell présidant le lever du drapeau. Mais dix ans plus tard, la FFE, c’est fini ! L’installation de la mixité dans les mouvements de jeunesse fait éclater la FFE, chaque branche (unioniste, neutre, israélite) rejoignant les garçons. Dans les dix ans qui suivent, les Courmettes sont utilisées épisodiquement pour des camps scouts et des colonies de vacances.

À partir de 1974, les Courmettes sont vides, mal gardées et les bâtiments se détériorent. Qu’en faire ? Une hôtellerie évangélique ? Un gite d’étape pour randonneurs ? Les Églises réformées de la région s’interrogent. Un couple s’y installe. Alain et Christiane Rosier rendent les lieux habitables (sinon confortables !) et y accueillent divers stages, notamment pour handicapés. Mais les problèmes financiers demeurent et malgré le dévouement des Rosier, l’expérience prend fin. Antoine Ferrer prend la suite et organise des séjours (de trois à neuf mois) de postcure pour drogués sortant de l’hôpital. Ces séjours sont financés par la DDASS et par la CAF. Les bâtiments sont améliorés, de nouvelles activités sont créées. Cela dure quatre ans jusqu’à ce que l’équipe gestionnaire entre malheureusement en conflit avec la DDASS. En effet, cette équipe, dont les membres relèvent de la tendance New Age, y favorise l’accueil et le développement de différentes spiritualités, en particulier orientales (où la drogue n’est pas toujours absente). Financièrement cette activité se révèle plus rentable que l’accueil des scouts et des handicapés, mais la frontière avec les organisations sectaires est mince… Parallèlement, se développe un projet écologique en liaison avec le Conservatoire des études des écosystèmes de Provence (CEEP). Des weekends de sensibilisation à la préservation de la nature rencontrent un grand succès. Le pastoralisme se renforce. Mais peut-on à la fois préserver la nature, créer une RNV (Réserve naturelle volontaire), et continuer de recevoir un grand nombre de stagiaires, ce qui signifie tentes, chapiteaux, toilettes sèches et… pollution ! Sans compter les illuminés qui déambulent au milieu ! Est-ce cette contradiction ou les sempiternels problèmes financiers ? toujours est-il qu’à la fin de 2005 le bilan est déposé. Les Courmettes ferment après l’été 2006.

Le sauvetage est venu d’A Rocha, une association internationale, implantée dans vingt pays, fondée par un pasteur anglican au Portugal dans les années 1980, et qui œuvre à la protection du milieu naturel. Après une étude de faisabilité, A Rocha propose, non un tourisme de masse, mais un programme d’éducation à l’environnement. Les pouvoirs publics refusant de subventionner, pour trouver des ressources, l’association s’est lancée dans l’accueil des mariages et l’offre de diverses activités pour mieux faire connaître la biodiversité. De plus, de nombreux bénévoles – une cinquantaine chaque année – apportent un concours qui peut durer plusieurs mois pour aider à différents projets, entretien des bâtiments, encadrement de balades dans la nature, etc. Les Courmettes se présentent aujourd’hui comme un Centre chrétien pour la nature qui a pu fêter fièrement son centenaire le 31 août 2018.

Cette histoire est assez compliquée. Le site a vu défiler à la fois des bénévoles dévoués et passionnés, et d’étranges personnages plus ou moins « allumés ». La période la plus « stable », malgré la guerre, a été celle de la présence des éclaireuses, pendant près de trente ans. Ainsi Sylvie Cadier, en chartiste, s’est plongée dans les papiers des Courmettes aux Archives Départementales des Alpes-Maritimes, a procédé à divers entretiens de témoins et a rédigé ce récit avec science et humour. Il se trouvait qu’au même moment je m’intéressais à la famille Monod1 et c’est ainsi que deux belles sœurs se sont retrouvées, par hasard, à croiser leurs recherches sur Gérard et Lisbeth Monod !

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1. Gabrielle Cadier-Rey, Une famille dans la Grande Guerre. Les Monod et leurs alliés. Ampelos, 2018, 219 p.